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Les effets durables de la désinformation

Publié en ligne le 12 octobre 2021 - Esprit critique et zététique -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°338 (octobre 2021)

Dans l’éditorial de Science et pseudo-sciences du mois d’avril 2020, rédigé alors que le premier confinement venait juste d’entrer en vigueur, nous écrivions que « c’est bien vers la science que le grand public semble se tourner en priorité, et non vers les pseudo-sciences », tout en constatant que « différentes rumeurs et théories du complot circulent sur Internet et [que] des remèdes fantaisistes sont vantés ici ou là ». Nous n’avions pas anticipé la vague de fausses informations qui allait se développer et envahir l’espace médiatique et les réseaux sociaux, en particulier sur la vaccination.

Les raisons de l’opposition à la vaccination sont complexes et multifactorielles. Cependant, une similitude entre certains arguments mobilisés contre les OGM (organismes génétiquement modifiés) dans les années 2000 et ceux avancés pour contester l’efficacité et la sûreté des vaccins mérite d’être relevée. À titre d’illustration, citons des extraits de l’intervention du très médiatique pharmacien et écologue Jean-Marie Pelt (1933-2015) lors d’une émission sur France 3 en 2001 [1] : « Nous avons en face de nous cinq multinationales qui vont s’emparer du marché de semences dans le monde entier » ; « Il faut prendre toutes les précautions car, scientifiquement, c’est un dossier qui n’est pas bon » ; « Les effets à long terme de la consommation d’un maïs BT [maïs OGM], personne n’en sait rien » ; « Pour faire un nouveau médicament, on met vingt ans, on fait des essais de toxicologie pendant des temps infinis, on fait des essais cliniques qui n’en finissent plus, […] pour les plantes transgéniques, on met six mois, et ces plantes seront avalées quotidiennement, on n’a pas pris les précautions qu’il fallait pour connaître leurs effets, à termes, dangereux. » On trouve la même trame argumentative que celle développée aujourd’hui contre la vaccination : la menace liée à l’emprise des multinationales (de l’agrobusiness à « big pharma »), les dangers à long terme présentés comme non évalués, le « manque de recul » et, en pointillé, la défiance envers les agences sanitaires jugées complaisantes vis-à-vis des industriels. Il y a dix ans, une campagne d’affichage menée par une association luttant contre les OGM représentait un homme jouant à la roulette russe en pointant un épi de maïs sur sa tempe accompagné du slogan « C’est sans danger ». Elle visait à convaincre du manque de recul sur le sujet [2]. Elle n’est pas sans évoquer les affiches anti-vaccin représentant une personne, souvent un enfant, menacée par une seringue. Aussi, aujourd’hui, il n’est pas surprenant de retrouver le Criigen, association créée en 1999 pour s’opposer aux OGM et à l’usage des biotechnologies, en pointe dans l’argumentation à prétention scientifique contre les vaccins à ARN [3].

Autre point commun : la légitimation de ces propos par certains médias qui les relaient sans apporter la contradiction et sans mettre le sujet en perspective en faisant état de l’éventuel consensus scientifique et des avis des agences sanitaires. Si cette complaisance apparaît plus limitée dans le cas de la vaccination, elle reste forte sur les sujets touchant l’alimentation ou l’agriculture. Ainsi, au Québec, le quotidien numérique LaPresse.ca a dû se justifier longuement [4] pour simplement avoir mentionné, dans un éditorial pourtant très nuancé et critique [5], l’ensemble des expertises publiques relatives au glyphosate (ce que peu de quotidiens font en France).

L’information scientifique reste un outil central pour des décisions publiques éclairées. Si, pour tout un chacun, il y a souvent de « bonnes raisons pour croire en des idées fausses » comme l’affirmait le sociologue Raymond Boudon (1934-2013) [6], l’information scientifique objective peut contribuer à ce que ces « bonnes raisons » soient remises en cause et ainsi permettre de se forger une opinion individuelle plus conforme à la réalité des connaissances.

Quoi qu’il en soit, le constat n’est pas si pessimiste : la défiance vaccinale qui prévalait en France est devenue minoritaire (au point que 85 % des adultes ont, à la date d’écriture de ce texte, reçu une première dose) ce qui laisse penser que l’action d’informer, à laquelle nous contribuons à notre niveau, n’a pas été vaine.

Science et pseudo-sciences
Références

1 | Pelt JM à propos des OGM dans l’émission « Ce qui fait débat » sur France 3, 25 avril 2001. Archives INA.

2 | « OGM, pesticides : cette campagne vous choque-t-elle ? », L’Express avec AFP, 15 février 2011.

3 | Le Bars H, « Les vaccins génétiques et le risque de recombinaison virale », Science et pseudo-sciences n°336, avril 2021.

4 | « L’édito vous répond : Le glyphosate et le cancer », LaPresse.ca, 5 septembre 2021.

5 | « Glyphosate : À n’y rien comprendre », LaPresse.ca, 22 juillet 2021.

6 | Boudon R, L’art de se persuader des idées douteuses, fragiles ou fausses, Fayard, 1990.