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Dieu créateur du sang et des larmes

Publié en ligne le 27 novembre 2012
Dieu créateur du sang et des larmes
Étude comparative

Michel de Lastelle
ABM Éditions, 2007, 542 pages, 19,90 €

Deux milliards d’humains croient en Moïse, en Jésus ou en Mahomet. Pourtant, ceux-ci n’ont quasiment laissé aucune trace de leur passage sur terre. Ont-ils même existé ? Les tombeaux sont vides, l’archéologie est muette, ne restent que les écrits plus ou moins tardifs et fiables de leurs disciples... et la foi.

(p. 94)

Cet ouvrage imposant de Michel de Lastelle est ce qu’on appelle un « pavé ». Il en a les qualités comme les défauts, mais pour qui aura le courage de le lire attentivement, les qualités l’emportent largement !

En effet, ce livre, que l’auteur aurait peut-être pu appeler « de quoi Dieu est-il le nom ? », propose un double parcours très intéressant à travers les différentes religions, mythologies ou philosophies humaines, confrontées ensuite au savoir engrangé par la science. De ce fait, un certain effet catalogue peut se révéler parfois fastidieux, car l’auteur souhaite aussi, à juste titre, être le plus complet possible. Ainsi, selon l’intérêt du lecteur, on pourra aussi piocher dans l’ouvrage les chapitres qu’on préfère, démarche d’ailleurs recommandée par Lastelle lui-même...

Mais ces descriptions sont aussi enrichissantes en elles-mêmes : elles permettent de constater, par exemple, la diversité des caractéristiques de Dieu. Il est éclairant de réunir et de confronter toutes ces différences, qui paraissent à cette lumière bien plus humaines que divines... Lastelle choisit de circonscrire son propos autour du Dieu des monothéismes, « unique, créateur, tout-puissant, omniprésent, attentif à sa créature », ce qui s’avère un choix judicieux. C’est bien celui-ci qui peut être accusé, selon le titre, d’avoir créé le « sang et les larmes » (et non, par exemple, le « Dieu des philosophes »). Cette mise en cause virulente de tous ceux qui sèment la haine et la violence au nom de Dieu n’est qu’une invitation à ouvrir les yeux.

Et plus enrichissante encore est cette confrontation faite par l’auteur entre les diverses croyances ou philosophies d’une part, et la science d’autre part. Son livre se présente d’ailleurs aussi comme une excellente vulgarisation de nos dernières découvertes et beaucoup de notions sont exposées avec clarté et pédagogie. Par exemple, l’explication du phénomène d’inflation qui aurait suivi le Big Bang ou encore la présence, en fin d’ouvrage, de longues annexes qui explicitent certaines notions.

L’auteur renvoie ainsi plus ou moins dos à dos les diverses pensées qui forment la riche histoire humaine, réclamant, à juste titre, qu’elle accorde une plus grande part au savoir scientifique. Somme toute très récent, celui-ci devrait prendre toute sa part dans la réflexion de l’humanité sur elle-même. Il va d’ailleurs jusqu’à proposer une « théologie rationnelle », définissant un Dieu « acceptable ». Cette partie est bien sûr très personnelle à Michel de Lastelle et il laisse libre cours à un lyrisme qui le pousse peut-être à un enthousiasme exagéré... Mais il a le mérite de proposer une « métaphysique positive que même un athée ne peut rejeter » (p.411), permettant de tracer une frontière intéressante entre « ce qui, dans la religion, va contre la raison ou la science » et « ce qui est compatible, car on est dans autre chose ». Une frontière importante, car le mot « religion » est beaucoup trop vaste pour espérer désigner quelque chose de clair. Il importe donc, effectivement, de délimiter ainsi ses facettes, notamment pour savoir ce qui est dangereux, ce qui est faux, ce qui est acceptable, etc 1. Chacun est seul devant le mystère du monde...

Le centre du livre de Lastelle est de montrer combien il est dangereux de croire en un Dieu unique, et sa démonstration convainc. La construction très personnelle de sa métaphysique, peut-être, un peu moins, mais elle est davantage une invitation à se fabriquer son propre « bricolage », qui ne peut être qu’individuel.

1 Michel Onfray, par exemple, parle aussi de cette frontière : pour lui, Dieu ne doit pas « intervenir dans la vie des hommes ». C’est dès lors que l’on parle en Son nom que les problèmes commencent...