Accueil / Éditos / La guerre de l’information est-elle efficace ?

La guerre de l’information est-elle efficace ?

Publié en ligne le 13 avril 2022 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°340 (Avril 2022)

Selon le Portail de l’intelligence économique, la guerre de l’information (ou « infoguerre ») désigne « une combinaison d’actions humaines ou technologiques destinées à l’appropriation, la destruction ou la modification de l’information ». Ses outils sont la « manipulation de la connaissance, [la] maîtrise des canaux de diffusion et [l’]interdiction d’émission » [1]. Le site note que l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, couplé à la compréhension croissante de l’importance majeure du rôle de l’information, font que la guerre de l’information s’est aujourd’hui largement immiscée dans les sphères économiques et civiles.

Alexandre Koyré (1892-1964), philosophe et historien des sciences, constatait que le mensonge est « toléré et admis » dans de nombreux domaines (comme le commerce). S’il reconnaissait qu’il peut être « juste et bon d’en user » dans des périodes de guerre, il s’inquiétait que ces périodes « d’état exceptionnel, épisodique, passager » puissent devenir « un état perpétuel et normal » où le mensonge « deviendrait une règle de conduite » pour « un groupe social qui se verrait et se sentirait entouré d’ennemis » [2].

De fait, avec Internet, cette guerre de l’information a largement envahi la société civile et, en particulier, les controverses à l’interface entre science et société que Science et pseudo-sciences aborde dans ses colonnes. La pandémie de coronavirus en a fourni de nombreuses illustrations (vaccination, mesures sanitaires, traitements). Mais d’autres thèmes (par exemple les biotechnologies ou l’énergie nucléaire) font l’objet de guerres de l’information similaires. Bien entendu, sur ces sujets, il est difficile de distinguer le mensonge assumé de la « désinformation de bonne foi », celle liée à l’aveuglement partisan par exemple. Mais peu importe la volonté réelle ou supposée de ceux qui propagent les fausses informations, la question reste entière : comment exercer son esprit critique ?

L’esprit critique, c’est d’abord la capacité à remonter à des sources d’informations fiables et à graduer la confiance qu’il est raisonnable de leur accorder. Les questions relatives aux controverses « science et société » font référence à un corpus de connaissances scientifiques qui s’appuient sur une même méthode d’élaboration : les connaissances qui permettent d’établir l’efficacité d’un vaccin, la dangerosité d’une molécule et la contribution à l’effet de serre d’un procédé de production d’électricité sont universelles. Les résultats qui sont produits proviennent d’équipes de recherche et d’institutions scientifiques situées dans des pays différents. Ils sont évalués au travers des processus explicites et codifiés. Certes, ces processus ne sont pas infaillibles et les mauvaises pratiques en science existent. Mais, à moins d’envisager un complot mondial concerté, remonter à ces sources d’informations est un moyen relativement fiable pour, à terme, distinguer le vrai du faux. Ainsi, si l’on sépare bien la science de la décision, exercer son esprit critique dans ces domaines est possible, même si ce n’est pas forcément simple.

L’arme de la désinformation est-elle efficace ? Une vision optimiste mettrait en avant son caractère contreproductif, arguant que la réalité scientifique finit par s’imposer et que la vérité se retourne alors contre ceux qui ont véhiculé les fausses informations. Une vision plus pessimiste soutiendra que le temps est un allié de la désinformation. Et force est de constater que, sur de nombreux sujets, au moment où des décisions politiques sont prises, l’opinion majoritaire du grand public n’est pas conforme au consensus scientifique. Reste que, pour nous, l’information scientifique rigoureuse et la défense de l’intégrité scientifique sont indispensables.

1 | « Guerre de l’information », Portail de l’Intelligence économique (portail-ie.fr). Consulté en février 2022.

2 | Koyré A, Réflexions sur le mensonge, 1943 (édité chez Allia, 2016).

Publié dans le n° 340 de la revue


Partager cet article