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Le maniement d’outils chez le chimpanzé (dans La Recherche de novembre 2006)

Publié en ligne le 15 novembre 2006 - Vulgarisation scientifique -

La Recherche vous propose un reportage d’éthologie dans sa rubrique "Portfolio". Le support soigné et travaillé des magnifiques photos n’est pas le seul atout de cet article. Il est assorti d’une étude sur les cultures des chimpanzés (Pan troglodytes verus, sous-espèce) en particulier sur la capacité à manier des outils. L’article est signé de la primatologue Emmanuelle Grundmann (Museum d’histoire naturelle).

Une expérience de laboratoire dans la nature

La primatologue fait état d’expériences menées par son confrère japonais Tetsuro Matsuzawa, de l’université de Kyoto, en République de Guinée, près du village de Bossou. Les habitants y considèrent les chimpanzés comme des animaux sacrés ; ils ignorent donc la peur du chasseur et se révèlent inventifs. L’article ne dit pas si le fait de ne pas être chassé et celui d’être inventif ont un rapport de cause à effet — mais il présente tout de même ces deux situations à la suite l’une de l’autre ! On peut en effet envisager une corrélation forte : que la sérénité des animaux ainsi acquise leur permette une disponibilité du cerveau et du temps libéré pour l’émergence de cultures. Mais revenons à l’étude de T. Matsuzawa. Depuis 1986, il mène une expérience de terrain dans un laboratoire naturel de Bossou, à raison d’une ou deux missions par an. Cette expérience consiste en l’aménagement d’une clairière dans la forêt pour ses observations, dans laquelle il dispose une cinquantaine de cailloux de tailles et masses variées, ainsi que des noix de palme, dont raffolent les chimpanzés. Les cailloux sont tous numérotés. Une palissade de végétation permet à plusieurs chercheurs de se camoufler et de pouvoir les observer et les filmer. Les chimpanzés ne se font pas prier : ils se mettent au travail en coordonnant les trois objets : marteau, enclume, noix. Ils cassent les noix pour en déguster l’amande. Seules trois communautés de chimpanzés sont capables de coordonner le maniement de trois objets, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, et en République de Guinée.

Le cassage de noix : culturel ou génétique ?

L’adulte enseigne-t-il à ses petits le cassage de noix ? À l’observation, il apparaît que la mère, quand elle opère avec son petit dans son giron, ne manifeste pas d’intention d’éduquer, si ce n’est par la liberté qu’elle lui accorde de toucher ou s’emparer d’une noix, lui laissant ainsi accès à son travail. Ce qui ressort de l’observation de ces chimpanzés, c’est surtout la grande attention des petits. Les photos montrent des jeunes penchés sur les outils et les noix, extrêmement intéressés, tournant et retournant les pierres qui ont servi aux chocs. On peut voir sur les photos un jeune de trois ans et demi s’essayer au cassage, sans y parvenir encore. Un chimpanzé parvient à maîtriser cette technique vers 5 ans. Les plus âgés acquièrent même la finesse du geste qui n’écrase pas l’amande à l’intérieur.
Une seule observation dans le monde (parc national de Taï, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire) a montré une mère chimpanzé manifestant une volonté d’éduquer, en tendant volontairement un outil à son petit.

Une fenêtre ouverte entre 3 ans et demi et 5 ans

Toutefois, d’après l’auteure de l’article, l’éducation des jeunes par le seul mimétisme ne peut être déduite de ces observations. En effet, les petits ne sont pas forcément latéralisés comme leur mère, comme cela devrait être dans le cas d’une stricte imitation. L’auteure envisage plutôt un mariage d’imitation et de tâtonnements par essais et erreurs. Frans de Waal appelle cela "le désir d’être comme les autres". Comme nos petits à nous, finalement... même si nous, nous leur forçons bien plus la main dans les apprentissages !

Par ailleurs, T. Matsuzawa constate que les jeunes chimpanzés, s’ils n’ont pas appris la technique avant 5 ans, ne la réalisent plus ensuite. La prériode favorable se situe entre trois ans et demi et cinq ans. Ainsi une jeune femelle issue d’une communauté où le cassage de noix ne se pratiquait pas, et ayant migré à Bossou sur le tard, ne sait pas manier les cailloux, mais a des petits qui le font très bien, l’apprentissage s’étant fait pour eux au sein de la communauté de Bossou. Cela signifie que ces jeunes ont imité leur communauté, pas leur mère. La notion d’apprentissage social et de culture est donc pertinente.

Bonne idée que ce "portfolio" joignant la connaissance à l’esthétique.


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L' auteur

Agnès Lenoire

Agnès Lenoire est enseignante. Elle a été membre du comité de rédaction de Science et pseudo-sciences. Elle (...)

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