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« Une croissance infinie dans un monde fini » ?

Publié en ligne le 12 janvier 2023 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°343 (janvier 2023)

Si cette formule souvent utilisée attire l’attention sur l’épuisement des ressources et la fragilité de la planète Terre, elle n’aide cependant pas à éclaircir les enjeux majeurs auxquels nos sociétés sont confrontées.

Laissons de côté l’importante question de la définition précise que l’on peut donner au terme croissance et son lien fort avec la démographie [1] pour noter qu’une croissance sans fin nécessite un temps infini pour, éventuellement, devenir infinie. Il serait ainsi plus adapté de parler de « croissance qui ne s’arrête pas ».

De son côté, le monde est certes fini, mais la question est moins sa finitude dans l’absolu que la distance qui nous sépare de ses « limites ». Au rythme actuel de production, le pétrole et le gaz pourraient arriver à manquer dans une cinquantaine d’années, le charbon et l’uranium dans un peu plus d’un siècle (pour l’uranium, le recours à des réacteurs nucléaires de quatrième génération recyclant ses combustibles – surgénérateurs – permettrait des milliers d’années d’autonomie) [2]. De nombreux matériaux indispensables à la transition énergétique (lithium, cuivre ou cobalt par exemple) deviennent des « ressources critiques » suite à la véritable ruée dont ils sont l’objet. Ce pourrait aussi être le cas d’autres éléments comme le phosphore, crucial pour l’agriculture d’aujourd’hui.

S’agissant de l’impact environnemental négatif des activités humaines, « le grand défi de l’écologie moderne est de savoir mieux articuler [les] niveaux [cellule, organe, organisme, population, communauté d’espèces, écosystème] afin de mieux prédire les répercussions des perturbations sur l’ensemble du système, et à quelles échéances » [3]. Pour rendre tangible la dimension temporelle, en 2009, un groupe d’une trentaine de scientifiques a soumis à la discussion un ensemble de neuf « limites planétaires quantitatives à l’intérieur desquelles l’humanité peut continuer à se développer et à prospérer pour les générations à venir » [4], portant sur différentes dimensions (changement climatique, biodiversité, cycles de l’azote et du phosphore, eau douce, usage des sols, etc.).

Le facteur temps apparaît ainsi fondamental dès lors qu’on s’intéresse aux solutions qu’il est possible d’apporter face à la crise économique, climatique et environnementale à laquelle le monde doit faire face.

La « croissance » porte-t-elle toujours en elle la conséquence délétère que suggère la formule de son développement infini dans un monde fini ? Aux limites des ressources à ne pas franchir pour assurer l’avenir des générations futures, ne faut-il pas associer un seuil économique en dessous duquel les conditions d’existence d’une partie de la population ne sont pas assurées [5] ? La « décroissance » parfois promue ne risque-t-elle pas, par effet collatéral, d’entraîner dans le même temps une décroissance technologique « qui affaiblit tout aussi mécaniquement notre réponse possible à toutes sortes de dangers qui pourraient survenir sur notre chemin collectif » [6] ?

Ainsi, il est probable qu’on ne puisse pas prédire toutes les conséquences d’une croissance ou d’une décroissance et que nos sociétés seront amenées à gérer à la fois des risques sociaux et technologiques présents dans les deux branches de l’alternative.

S’affranchir des formules toutes faites passe par une analyse détaillée de sujets complexes incluant nécessairement l’éclairage que la science procure. Cet éclairage pourrait aussi permettre de mieux comprendre « pourquoi [on détruit] la planète » et dans quelle mesure « le cerveau d’Homo sapiens [est] capable de préserver la Terre » [7].

Science et pseudo-sciences

Références

1 | Krivine JP, « Énergie, climat, croissance et décroissance », SPS n° 339, avril 2022. Sur afis.org

2 | « Réserves de pétrole dans le monde », Connaissance des énergies, 15 décembre 2016. Sur connaissancedesenergies.org

3 | Manifeste du Muséum d’histoire naturelle : face aux limites, Éditions Reliefs, 2020.

4 | Stockholm Resilience Centre, “Planetary boundaries”, 2022. Sur stockholmresilience.org

5 | Raworth K, « Un espace sûr et juste pour l’humanité », Revue Projet, 2017, 1 :10-4.

6 | Bronner G, « Au bord du gouffre, nous n’aurions pas le choix », in Pourquoi détruit-on la planète ?, Le Bord de l’eau, 2022, postface.

7 | Ripoll T, Pourquoi détruit-on la planète ?, Le Bord de l’eau, 2022.

Publié dans le n° 343 de la revue


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