Géobiologie : la démocratie à la baguette
Publié en ligne le 23 mars 2022 - Pseudo-sciences -Nous avons déjà eu l’occasion, dans les colonnes de Science et pseudo-sciences, de démystifier la géobiologie de l’habitat [1, 2], une pratique très en vogue aujourd’hui, mélange de magie, de mesures électriques, de sourcellerie, généreusement saupoudrée d’un amphigouri de notions pseudo-scientifiques tarabiscotées. La géobiologie de l’habitat, comme toutes les autres pseudo-sciences, est en permanence en quête de légitimité. Et elle vient de recevoir un appui aussi inattendu qu’inquiétant, celui de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
Retour aux sources
La géobiologie de l’habitat 1 est une discipline dont on peut trouver une définition sur le site Internet de la Confédération nationale de géobiologie [3]. Il s’agit d’une pratique qui « détermine les caractéristiques du lieu, les facteurs ayant une influence sur le bien-être et l’hygiène du vivant, formule des recommandations et met en œuvre si nécessaire des moyens pour préserver ou améliorer le bien-être des occupants ». Elle utilise, à ces fins, plusieurs outils comme « l’enquête, l’observation, l’entretien, la détection bio sensible et la mesure scientifique ». Plus concrètement, comme l’explique un géobiologue de la Chambre d’agriculture des Pays de la Loire, les experts en géobiologie utilisent « des baguettes de cuivre, un pendule ou une antenne de Lécher, qui se chargent en énergie et réagissent aux différences de potentiel électrique » [4]. L’objectif des géobiologues est par exemple de « détecter les faisceaux des antennes relais et leur portée » [4], mais également les transformateurs électriques à proximité des lieux de vie ou d’élevage, les tensions électriques indésirables dans les sols, des veines d’eau ou failles géologiques favorisant la transmission de courants parasites, qui seraient autant de perturbations néfastes pour le fonctionnement des organismes vivants. Mais les géobiologues auraient aussi pour mission de débusquer « des énergies “subtiles” » qui résideraient dans les murs et dont il existerait deux sortes : les « égrégores » qui seraient « des pensées négatives qui se fixent en quelque sorte dans un endroit » que l’on pourrait combattre grâce, par exemple, à une « étoile en PVC d’un diamètre d’une vingtaine de centimètres » capable d’« absorber les énergies négatives et les dispatcher en positif » ; et les « entités », qui seraient quant à elles « des âmes en migration qui n’auraient pas quitté le domicile en paix » [5]. Certains géobiologues installent même des « menhirs » anti ondes [6].
Des éleveurs atterrés…
Parmi les clients réguliers des géobiologues, des éleveurs désemparés face à des anomalies comportementales et biologiques dans leurs cheptels, et qui, souvent en désespoir de cause, font appel à un géobiologue : en 2009, dans un article 2 de sa revue Cap Élevage [7], la Chambre régionale d’agriculture de Bretagne, présentant les résultats de 19 interventions de géobiologues pour des problèmes de mammites 3 ou de stress, précisait que « l’origine du courant diagnostiqué par le géobiologue est la présence d’une antenne relais téléphonique (38 %), la présence d’un transformateur électrique (33 %), les autres pistes étant la présence de veines d’eau (14 %), de roche (3 %)… pour finir par une mauvaise terre ou une mauvaise clôture ». On apprend aussi que dans la majorité des cas (81 %), « le géobiologue a proposé l’adjonction de matière inerte à des endroits précis (cônes, pastilles de silice, résine ou composite) pour résoudre les problèmes », avec cependant des « évolutions suite à l’intervention […] très variables ». On peut trouver, dans la presse en ligne, de nombreuses illustrations de ces interventions « géobiologiques » au chevet d’éleveurs en difficulté (par exemple [8, 9, 10]).
… et des élus hors sol
C’est dans ce contexte que, afin d’établir un bilan des connaissances scientifiques concernant l’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage et accompagner les éleveurs dont les cheptels présentent des anomalies comportementales ou biologiques a priori attribuées aux ondes et courants parasites, l’Opecst, présidé par le député et mathématicien Cédric Villani, a organisé en février 2021 une audition publique d’un panel d’experts et de représentants ou intervenants du monde agricole, incluant des géobiologues.
Cette audition a fait l’objet d’un rapport établi en mars dernier par Philippe Bolo, ingénieur agronome et député de la septième circonscription du Maine-et-Loire. Le document est consultable sur Internet [11] et il faut reconnaître que l’on y trouve des passages surprenants, venant d’un Office ayant pour mission d’éclairer le Parlement sur les conséquences des choix scientifiques et technologiques.
Y figurent ainsi les témoignages des géobiologues qui font la promotion de leur discipline et de ses « bons » résultats : on apprend ainsi que leur travail consiste, « dans un premier temps, à déterminer où passent les veines d’eau » car « il est connu que l’électricité et l’eau ne font pas bon ménage » et que les corps de l’Homme et des animaux étant composés à 70 % d’eau, ils ressentent « fortement cette énergie ». On nous enseigne également que « les géobiologues sont les seuls à avoir la compétence et la sensibilité pour pouvoir détecter l’eau » et ont donc « un rôle préventif […] en amont de la construction d’édifices comme les bâtiments d’élevage, les salles de traite, les poulaillers, mais également désormais pour les sites éoliens ou les relais téléphoniques ».
Il nous paraît utile de rappeler que les témoignages humains, sur lesquels repose une partie des discussions du rapport, sont par nature largement subjectifs, peuvent être erronés ou approximatifs et constituent de ce fait le plus bas niveau de preuve scientifique : le cerveau humain est sujet à de très nombreux biais cognitifs [1] qui ne permettent pas d’exclure l’hypothèse que les anomalies comportementales ou biologiques a priori attribuées aux ondes ou tensions électriques n’ont absolument aucun lien réel avec elles. La « concomitance entre l’installation d’infrastructures d’énergie ou de télécommunication et l’apparition de troubles comportementaux chez les animaux » est retenue, dans le rapport, sur la base de témoignages comme par exemple celui d’« une éleveuse de poulets et de vaches allaitantes [qui] a estimé que les anomalies constatées chez ses volailles – lots de plus en plus hétérogènes – et chez ses vaches – infertilité croissante – sont apparues à la suite de l’installation d’une antenne relais de téléphonie mobile ».
Référence
1 | Dartevelle P (dir.), Le grand bazar de l’irrationnel, Éditions Aba, 2020.
Rien de bizarre, dira-t-on, à voir des géobiologues défendre leur gagne-pain. Le cautionnement moral de plusieurs élus est bien plus étonnant et problématique : Yves Daniel, député de la sixième circonscription de Loire-Atlantique, estime que « l’effort de recherche doit être poursuivi avec beaucoup de pragmatisme en mobilisant l’ensemble des compétences scientifiques, géobiologiques, celles des agriculteurs sur le terrain et des opérateurs d’électricité » et interroge l’assistance en ces termes : « Comment devons-nous faire évoluer la loi, notamment en termes de reconnaissance de la géobiologie ? Les travaux menés par les différents ministères concernés doivent être mis en commun. » Philippe Bolo précise de son côté, lors de la présentation du compte-rendu des auditions, que « cette discipline, non scientifique, existe bel et bien et permet, dans certains cas, de résoudre les situations, alors même que la science n’y parvient pas. […] Nous avons tous entendu parler ou vu des sourciers qui parviennent à trouver de l’eau. » Même point de vue pour le sénateur Bruno Sido, qui dévoile ainsi sa pensée, sans autre forme de procès : les sourciers « ont rendu des services immenses à un nombre considérable d’agriculteurs, aussi bien en France qu’ailleurs, y compris au Sahara. Ce sont les sourciers qui y ont trouvé l’eau et non les scientifiques. » Quant à Cédric Villani, bien que confessant que « certaines pratiques [de la géobiologie] s’apparentent manifestement à du charlatanisme 4 », il considère qu’« il n’y a rien de plus compliqué que la géologie », qu’il est donc « tout à fait possible qu’il y ait des effets encore non identifiés dans l’interaction entre électromagnétisme et géologie » 5 et il appelle à « faire le lien entre ce sujet et les préconisations […] formulées dans le cadre de l’audition sur l’électrohypersensibilité », trouble dont plusieurs travaux ont pourtant fortement suggéré le caractère psychopathologique en lien avec la multiplication des allégations inquiétantes entourant les ondes (voir par exemple [12, 13, 14, 15]).
Finalement, on apprend, entre autres recommandations de l’Office, qu’une gestion plus efficace des problèmes rencontrés par les éleveurs nécessitera d’« accélérer la structuration du métier de géobiologue en instaurant une obligation de formation et le respect d’un code de déontologie à l’instar de celui édicté par la confédération nationale de géobiologie ».
La raison fossoyée
La géobiologie est une pratique qui enrobe sa nature ésotérique d’un jargon technique et de « mesures » pseudo-scientifiques, et qui entretient de vastes et nombreuses connexions avec d’autres disciplines, comme la domothérapie, la bio-énergétique, la chromatothérapie, l’électroculture ou encore la bio-électronique, autant de pseudo-sciences qui éloignent nos esprits de la rationalité, détournent des malades de leur parcours de soins, endoctrinent des personnes crédules ou souffrantes avec une vision alternative, fantasmée et déformée du monde réel, et hypothèquent de la sorte gravement, par leur emprise grandissante sur nos concitoyens, nos chances de construire une société libérée des pratiques obscurantistes et des dérives sectaires. La Miviludes 6 a déjà pointé du doigt des cas d’exercice illégal de la médecine, notamment en école de géobiologie [16].
Que se passe-t-il donc à l’Opecst pour avaliser pareille charlatanerie ? Peut-être ce que nous rappelons, sans relâche, dans ces colonnes depuis de nombreuses années : un assèchement dramatique de l’esprit critique, à tous les niveaux de notre société, et une perte progressive de la notion fondamentale de plausibilité qui, si elle était plus présente dans les cerveaux de certains de nos élus, les pousserait sans doute à se demander ce qu’il y a de plausible dans le fait de trouver de l’eau avec une baguette de cuivre 7 ; et à s’interroger sur les biais cognitifs poussant à croire en l’efficacité de protocoles magiques à base d’étoiles de PVC…
Le rapport évoque « le rôle croissant de la géobiologie en réponse aux angles morts de la science ».
Nul ne conteste qu’il existe des champs de la réalité encore inexplorés par la science, des lacunes à combler. Mais ce n’est pas en les palliant par des pratiques charlatanesques et occultes que l’on fera avancer notre connaissance du monde.
1 | Brugère H, « La géobiologie, une pseudo-science en expansion », SPS n° 277, 2007.
2 | Point S, « Géobiologie de l’habitat : un simulacre de science », SPS n° 316, 2016.
3 | Sur le site de la Confédération nationale de géobiologie.
4 | Blot AS, « La géobiologie, nécessaire pour la connaissance des sols mais encore mal reconnue », 4 novembre 2019.
5 | Fouya V, « La géobiologie ou l’art de détecter des énergies “subtiles“ dans la maison », 2018. Sur rtbf.be
6 | Marin M, « Saint-Nazaire : Cédric Martel, sourcier et planteur de menhirs », Ouest-France, 2 février 2019.
7 | « Courants parasites : une implication relative sur la santé des bovins »Cap Élevage, 2009, 35. Sur synagri.com
8 | « À Crédin, dans l’élevage des frères Le Strat, des ondes électromagnétiques tueraient les vaches », La Gazette du Centre Morbihan, 2021. Sur actu.fr
9 | Le Du G, « Manche : en six ans, ces éleveurs ont perdu une centaine de vaches », Ouest-France, 29 juin 2021.
10 | « Nous avons fait appel à une géobiologue pour nos laitières », La France Agricole, 30 juillet 2021. Sur lafranceagricole.fr
11 | Bolo P, « L’impact des champs électromagnétiques sur la santé des animaux d’élevage », rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, 2021. Sur senat.fr
12 | Van Rongen E et al., “Effect of radiofrequency electromagnetic fields on the human nervous system”, Journal of Toxicology and Environmental Health, 2009, 12 :572-97.
13 | Poumadère M, Perrin A, « Exposition socio-cognitive et évaluation des risques : le cas de la téléphonie mobile », Radioprotection, 2011, 46 :46-73.
14 | Bräscher K et al., “Are media reports able to cause somatic symptoms attributed to wifi radiation ? An experimental test of the negative expectation hypothesis”, Environmental Research, 2017, 156 :265-71.
15 | Point S, “Advocacy for a cognitive approach to ElectroHypersensitivity Syndrome”,, Skeptical Inquirer, 2020, 44.
16 | Garcia V, « La géobiologie, une inquiétante pseudoscience aux prétentions thérapeutiques », L’Express, 12 août 2020.
1 À ne pas confondre avec la géobiologie scientifique, discipline universitaire dédiée à l’étude de l’interaction entre la biosphère, la lithosphère et l’atmosphère au cours des temps géologiques.
2 Article qui ne questionne jamais la réalité d’une relation causale, semble-t-il admise d’emblée, entre les problèmes des éleveurs et d’éventuels phénomènes électriques.
3 Réaction inflammatoire des mamelles d’origine infectieuse.
4 Cédric Villani reviendra sur son propos plus tard dans le compte-rendu des auditions : « Lorsque j’ai parlé de charlatans, le mot était assurément trop dur. Le terme employé dans la version actuelle du rapport est plutôt celui de “fantaisiste”. »
5 Pourtant, aucun géologue ou géophysicien n’a été auditionné.
6 Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
7 Au début du XIXe siècle, le chimiste Michel-Eugène Chevreul a conduit des expériences ayant permis de comprendre que l’orientation de la baguette des sourciers varie très probablement en fonction de micro-mouvements musculaires provoqués automatiquement par le mouvement des yeux, de sorte que les observateurs et l’expérimentateur peuvent croire que la baguette bouge seule.
Thème : Pseudo-sciences
Mots-clés : Croyance
Publié dans le n° 338 de la revue
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L' auteur
Sébastien Point
Docteur en physique, ingénieur en optique et licencié en psychologie clinique et psychopathologie. Responsable de (…)
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