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Consensus scientifique, unanimité et vérité

Publié en ligne le 11 janvier 2021 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°335 (janvier 2021)

Dans le champ des sciences fondamentales, majorité ne fait pas vérité. Il est des théories célèbres, portées au début par des voix isolées, qui ont révolutionné leur domaine après avoir parfois rencontré un fort scepticisme. Le rêve de tout chercheur est d’être celui dont les découvertes auront fondé la discipline sur des bases nouvelles remettant en cause le consensus existant. Ainsi, la science peut « se tromper », le consensus des chercheurs d’un domaine peut être invalidé ou peut évoluer. Ce processus se fait dans un cadre collectif, sur la base de preuves et d’arguments, par le partage des résultats d’expérimentations, l’évaluation par les pairs et les discussions entre scientifiques où l’unanimité est rarement la règle.

Il ne faudrait cependant pas en déduire une vision relativiste affirmant qu’il n’existerait aucune vérité et que ce qui est admis aujourd’hui sera rejeté demain. La connaissance scientifique est largement cumulative. Si la théorie de la relativité générale a radicalement changé la compréhension de l’espace et du temps en proposant des concepts complètement nouveaux, elle n’a pas invalidé les calculs balistiques fondés sur la mécanique newtonienne (mais elle a permis d’appréhender des phénomènes hors de portée de cette dernière). La validité d’une théorie scientifique est aussi largement confirmée par ses applications, et celles-ci ne cessent pas de fonctionner quand la théorie se transforme.

La notion de consensus prend une autre dimension dès lors que la science sert à éclairer un processus décisionnel intéressant la société. En effet, les sujets traités sont en général moins matures ou plus spécifiques. Par exemple, si la microbiologie dispose de bases solides, la connaissance particulière du virus SARS-Cov-2 est encore bien fragmentaire. Le doute scientifique reste de mise et la communauté concernée voit plus souvent se développer en son sein l’expression des désaccords éventuels. Mais la société (autorités politiques et opinion publique), dès lors qu’elle souhaite mettre en oeuvre des décisions rationnelles, a besoin d’être informée sur l’état des connaissances, sur ce qui fait consensus et aussi sur ce qui fait l’objet d’incertitudes. Dans de nombreux domaines (gestion des risques, santé publique, environnement, etc.), ce processus est codifié par les méthodes d’évaluation mises en place par les agences sanitaires et les expertises collectives. C’est ce regard croisé de différents experts, cette vision contradictoire fondée sur une méthodologie robuste (métaanalyses, qualité de la preuve, etc.), mais aussi la transparence de la procédure et la qualité des experts, qui donnent leur valeur aux avis émis.

Pas plus que pour la science fondamentale, le consensus d’experts pour la décision ne signifie unanimité ou vérité définitive. Mais il énonce des connaissances qu’il est raisonnable de prendre pour vraies à un instant donné. Et, là aussi, ces connaissances peuvent évoluer : elles sont d’ailleurs sans cesse reconsidérées, réévaluées, mises à jour. Mais il est rare qu’elles contredisent complètement ce qui a été exprimé à un moment donné. Et, comme nous le répétons régulièrement, ces connaissances ne dictent pas les décisions à prendre. Au regard d’une expertise inchangée, par exemple sur la toxicité d’un produit, la société peut ainsi décider de modifier sa gestion du risque (interdire le produit ou le ré-autoriser).

Par ailleurs, si le doute et le désaccord scientifique sont intrinsèques à l’aventure scientifique, il ne faudrait pas en déduire que tout désaccord relève de la science et que toute théorie qui conteste le consensus est révolutionnaire. Le « syndrome de Galilée », souvent invoqué par des voix marginales ou décrédibilisées, ne suffit pas à transformer le propos en assertions refondatrices de la discipline ou du sujet considéré. Enfin, si la controverse fait partie intégrante du débat scientifique, il ne faut surtout pas confondre débat médiatique et débat de spécialistes.

Publié dans le n° 335 de la revue


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