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Haut potentiel intellectuel : le mal du siècle ?

Publié en ligne le 26 avril 2023 - Cerveau et cognition -
Introduction du dossier

Haut potentiel intellectuel, haut quotient intellectuel, zèbre, surdoué, enfant intellectuellement précoce… Nombreux sont les termes utilisés pour décrire une réalité souvent mal comprise. Depuis quelques années, c’est même devenu un sujet à la mode, à la une de dossiers de grands magazines et objet de nombreux sites Internet « spécialisés ». Il sert même de trame à la série française HPI, diffusée depuis 2021 sur TF1 ; elle met en scène une femme (interprétée par Audrey Fleurot) avec « 160 de QI » et « une bonne dose d’insoumission », et qui « va voir son destin de femme de ménage chamboulé lorsque ses capacités hors norme sont repérées par la police ».Les livres spécialisés sont légion avec des titres décrivant souvent une situation problématique : Trop intelligent pour être heureux ?, Apprendre à faire simple quand on est compliqué, L’Adulte surdoué à la conquête du bonheur : rompre avec la souffrance. Les personnes à haut potentiel intellectuel (HPI) sont parfois présentées dans des reportages ou des articles comme des curiosités, sortes de « bêtes de foire », tel ce jeune garçon de douze ans qui obtient un master en physique quantique et qui « [n’a] pas trouvé ça si difficile » [1] ou cette petite fille qui, à 4 ans, est « une surdouée [avec] un QI proche de celui d’Einstein » qui « posait régulièrement des questions dont [les parents devaient] chercher la réponse sur Google » [2].

Il s’agirait ainsi très souvent d’individus forcément en difficulté, inadaptés à leur environnement, asociaux, hypersensibles, en échec scolaire, quand ils ne sont pas abusivement présentés, du seul fait de leur haut potentiel, comme dyslexiques, autistes ou avec des troubles envahissants du comportement.

Portrait d’un jeune homme à ses études, Lorenzo Lotto (1480-1556)

Situation assez paradoxale en apparence quand « le sens commun suggérerait au contraire que les enfants les plus intelligents ont les meilleures chances de réussite dans tous les domaines » [3]. Certes, une certaine « victimisation des surdoués » peut trouver un écho bienveillant auprès de certains grands médias « qui ont horreur des récits scientifiques en demi-teinte et des thèses modérées » et préfèrent décrire les surdoués « comme les damnés de la terre, souffrant de troubles variés, instables et rejetés » [3]. Mais elle ne saurait à elle seule rendre compte de la confusion qui entoure ce sujet.

Entre mythe et réalité, ce dossier essaie de faire un état des lieux scientifique sur le haut potentiel intellectuel.

Le haut potentiel intellectuel

Un QI supérieur à 130

Aujourd’hui, le terme scientifique consacré pour désigner les surdoués est celui de « personne avec haut potentiel intellectuel ». La définition généralement retenue au niveau international est celle d’un QI (quotient intellectuel) très supérieur à celui de la population générale : en pratique, un QI supérieur à 130, qui caractérise alors environ 2,3 % de la population (le QI de 100 est, par définition, le QI médian d’une classe d’âge). La valeur de 130 est un peu arbitraire et les chercheurs parlent en réalité d’un continuum de l’intelligence, sans aucun effet de seuil.

Le haut potentiel intellectuel n’est pas une pathologie
Il est important de souligner que le haut potentiel intellectuel n’est pas une pathologie mentale, ni un trouble neurodéveloppemental.

Portrait de Benjamin Franklin, David Martin (1737-1797)
Benjamin Franklin est l’un des plus grands polymathes de l’Histoire. Après des débuts comme journaliste et imprimeur, il s’intéresse au domaine des sciences (électricité, météorologie, etc.) autant qu’à celui des lettres et de la politique, dans son État de Pennsylvanie mais aussi à l’échelle nationale. Acteur clé de l’indépendance américaine, il devient le premier ambassadeur des jeunes États-Unis en France, où les philosophes des Lumières le considèrent comme un modèle politique et intellectuel.

Il n’est pas mentionné dans les grandes classifications des troubles mentaux (DSM [4] ou CIM [5]). À la différence des troubles neurodéveloppementaux, il n’est pas caractérisé à ce jour par un fonctionnement cérébral spécifique (voir l’article de Katia Terriot, « Le haut potentiel intellectuel : fauteur de troubles ? »).

Bien entendu, être une personne avec un haut potentiel intellectuel n’empêche pas l’éventualité d’avoir un trouble neurodéveloppemental. Mais attribuer à tort les symptômes observés au HPI comme le font malheureusement certains praticiens – psychologues ou neuropsychologues – peut conduire à retarder un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA) ou d’un autre trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH). Ainsi, pour le bien-être des patients, il est nécessaire qu’une prise en charge correcte de leur trouble puisse être mise en place, sans que le diagnostic ne soit parasité par les fausses croyances associées au HPI (voir l’article de Sébastien Henrard « Troubles de l’attention et hauts potentiels intellectuels »).

Les fausses caractéristiques attribuées aux personnes HPI

La liste des fausses caractéristiques attribuées au HPI est longue (voir l’article de Catherine Cuche « Haut potentiel intellectuel : entre mythes et réalités »).

Les difficultés sociales que rencontreraient les personnes HPI est un des mythes les plus souvent véhiculés. Les surdoués seraient victimes d’une « solitude subie » car ils seraient « dans l’incompréhension la plus totale par rapport aux règles sociales et sociétales qu’il y a dans le monde », ils auraient « beaucoup de mal parfois à comprendre les règles implicites de comment fonctionne l’amitié, comment fonctionnent les règles relationnelles de la société » [6]. Dans le monde du travail, « la norme sociale [serait] un obstacle » pour eux [7]. La réalité est bien différente : les adultes HPI n’ont pas plus de difficultés relationnelles (couple, amitié, relation de travail) que les autres [8]. Il se peut cependant qu’un effet indirect soit observé. Ainsi, un enfant précoce pourra s’ennuyer en classe en se trouvant dans un environnement qui ne lui convient pas, voire avec des élèves d’âge différent s’il a sauté plusieurs classes. Là, ce n’est pas sa caractéristique de HPI qui rendra compte d’éventuelles difficultés sociales (avec la souffrance associée qu’il ne faut pas nier), mais un effet du contexte et de l’environnement de l’élève.

Le Génie de la France entre la Liberté et la Mort (détail), Jean-Baptiste Regnault (1754-1829)

De même, c’est à tort que l’on attribue aux personnes avec HPI plus de troubles mentaux que le reste de la population, ou des troubles mentaux spécifiques (voir encadré ci-dessous). Bien entendu, une personne avec HPI peut être aussi atteinte, par exemple, d’un trouble du spectre de l’autisme. Le diagnostic de ces troubles étant plus compliqué à l’âge adulte, des personnes atteintes de ce handicap peuvent alors rester longtemps en errance thérapeutique si leurs symptômes sont mis sur le compte du HPI (voir l’article de Jacques Grégoire « Autisme et haut potentiel intellectuel »).

HPI et troubles mentaux ?


Une vaste étude [1] a été menée sur le lien entre haut potentiel intellectuel et troubles mentaux. Constatant que « les études rapportant que les in dividus très intelligents ont plus de troubles de santé mentale ont souvent un biais d’échantillonnage, des groupes de contrôle inexistants ou inadéquats, ou une taille d’échantillon insuffisante », les auteurs se sont appuyés sur les données référencées dans la vaste banque UK BioBank composée de 500 000 individus britanniques âgés de 40 à 69 ans. Dans le cadre de leur suivi au sein de cette cohorte épidémiologique, les participants ont été conduits à effectuer une variété de tests cognitifs lors de chacune de leurs visites au centre d’évaluation. En procédant à une analyse des résultats (un peu plus de 250 000 personnes retenues pour lesquelles l’estimation du « facteur g » était jugée fiable), l’étude « fournit des preuves solides que les individus très intelligents n’ont pas plus de troubles de santé mentale que la population moyenne. Une intelligence élevée apparaît même comme un facteur de protection contre l’anxiété générale et le SSPT [syndrome de stress post traumatique]. »

L’un des auteurs précise [2] que, au-delà des résultats sur les troubles psychiatriques, l’étude confirme que les personnes à HPI « ne souffrent pas plus de solitude ni d’insomnie, et elles souffrent moins d’isolement social que les autres ». En outre, elles ont « un sentiment de bien-être équivalent à la population générale, et des scores de névrosisme inférieurs ». Curiosité observée : « Les deux seuls types de troubles qui semblent avoir une prévalence plus élevée […] sont des maladies non psychiatriques : certaines allergies et la myopie. Ces deux résultats peuvent sembler étonnants mais ont en fait déjà été rapportés dans d’autres études antérieures. Ils ne sont pas parfaitement compris mais plusieurs hypothèses ont été évoquées pour les expliquer. »

Références
1 | Williams CM et al., “High intelligence is not associated with a greater propensity for mental health disorders”, European Psychiatry, 2003, 66 :e3.

2 | Ramus F, « Le haut QI est-il un facteur de risque pour les troubles mentaux ? », Ramus Méninges, Blogs Pour la science, 28 décembre 2022. Sur scilogs.fr

Des élèves en échec scolaire ?

L’éducation nationale emploie parfois le terme d’élèves intellectuellement précoces (EIP) pour désigner les enfants avec HPI [9]. Ces enfants seraient-ils plus en échec scolaire que les autres ? Cette affirmation a abondamment été relayée dans la presse avec un chiffre de 70 % parfois avancé [10]. Ennui, manque de confiance en soi, manque de goût pour l’effort, manque d’attention, intelligence différente, fragilité particulière : les explications invoquées ne manquent pas [11]. Mais avant de rechercher une possible explication, assurons-nous du fait. Une étude portant sur près de 35 000 collégiens français [12] a montré que les élèves à HPI réussissent mieux que leurs pairs sans HPI, confirmant ainsi des études menées aux États-Unis [13].

Soulignons un « biais d’échantillonnage » : les parents qui vont solliciter une aide ou vont rejoindre une association sont ceux dont les enfants sont confrontés à des problèmes. Dès lors, « les membres de ces associations, ne voyant quasiment que des surdoués à problèmes, en concluent naturellement qu’être surdoué est un problème, ou est associé à des problèmes » [3]. C’est ce même biais qui va toucher les professionnels qui voient en consultation des enfants qu’ils détectent à haut potentiel.

Par ailleurs, pour un parent, il est sans doute plus facile d’entendre que son enfant est avec HPI et que c’est là l’explication de ses difficultés, plutôt qu’il souffre d’un trouble neurodéveloppemental.

Reste, bien entendu, que les élèves avec un haut potentiel intellectuel peuvent nécessiter une meilleure prise en charge et la mise en place d’un environnement adapté dans lequel ils pourront plus facilement s’exprimer et progresser. Mais face à un élève en difficulté, le praticien ne doit pas se contenter d’un simple test de QI pour déterminer le possible HPI : il devra rechercher d’autres troubles possiblement explicatifs [14].

Le business du HPI

Sur Internet, les sites proposant un test en ligne pour déterminer si l’on est potentiellement surdoué sont légion. Selon une enquête du journal L’Express [15] de mai 2021, « parmi les 3 953 psychologues référencés sur Doctolib, 16 % proposent des tests de QI. Avec un tarif qui oscille entre 200 et 600 euros, ces derniers représentent un filon économique. » Certains sites proposent des tests gratuits visant souvent à attirer vers des séances d’aide et de prise en charge. Ainsi un cabinet, après avoir proposé un petit test rapide, invite à « un programme de 10 séances d’accompagnement ayant pour objectif spécifique de vous aider à mieux comprendre ce que cela signifie d’être à haut potentiel intellectuel » [16]. La validité de tels tests est très sujette à caution et les mises en garde sur la portée des résultats proposés ne sont pas systématiques.

En réalité, détecter le haut potentiel intellectuel n’est en général pas nécessaire si aucune difficulté n’est rencontrée dans la vie. Et en cas de difficulté, ce n’est pas forcément le HPI qu’il convient d’identifier. De plus, vouloir réduire un test complet de QI (long et coûteux) à un ensemble de questions plus simples conduit en général à des fausses évaluations et à la reproduction de clichés sur les hauts potentiels (voir l’article de Ghislaine Labouret et Nicolas Francois, « Détecter le haut potentiel intellectuel »).

Conclusion

Des psychologues et neuropsychologues ont monté un vrai business sur les tests de QI. Les journaux grand public ainsi que plusieurs bestsellers ont favorisé un engouement pour ces tests. Si un enfant ou un adulte a des soucis dans sa vie, il devient courant de lui conseiller de se faire « diagnostiquer » HPI (rappelons que le HPI n’est pas un trouble et de ce fait n’est pas à « diagnostiquer »). Le risque, en plus du coût de tests souvent inutiles, c’est de passer à côté d’un vrai diagnostic de trouble psychiatrique ou neurodéveloppemental. Le retard dans la prise en charge peut avoir des conséquences négatives importantes.
Il est alors nécessaire de remettre un peu de données scientifiques au milieu des allégations infondées et des clichés associés au HPI.

Références


1 | « Belgique : “Je n’ai pas trouvé ça si difficile”, un garçon de 12 ans obtient un master en physique quantique », Le Parisien, 13 juillet 2022. Sur leparisien.fr
2 | « À 4 ans, une petite Britannique surdouée a déjà un QI proche de celui d’Einstein », Madame Figaro, 29 mai 2021.
3 | Ramus F, Gauvrit N, « La pseudoscience des surdoués », Ramus Méninges, Blogs de Pour la science, 3 février 2017. Sur scilogs.fr
4 | American Psychiatric Association, DSM-5 : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, Elsevier Masson, 2015.
5 | Organisation mondiale de la santé, CIM-11 : classification internationale des maladies onzième révision, 2022. Sur who.int
6 | « Pourquoi les surdoués sont seuls ? », blog « Comprendre son haut potentiel ». Sur connectthedots.fr
7 | Dutriaux C, « La norme sociale, un obstacle pour les hauts potentiels intellectuels dans le monde du travail  », The Conversation, 26 avril 2021. Sur theconversation.com
8 | Rinn AN, Bishop J, “Gifted adults : a systematic review and analysis of the literature”, Gifted child Quarterly, 59 :213-35, 2015.
9 | Ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, « Les enfants à haut potentiel », Mallette des parents, 23 avril 2020. Sur mallettedesparents.education.gouv.fr
10 | Quillet L, « 70 % des surdoués sont en échec scolaire », Le Figaro Étudiant, 23 novembre 2012. Sur etudiant.lefigaro.fr
11 | Grand C, « L’école », site Précoces et surdoués. Sur surdoues.e-monsite.com
12 | Guez A et al., “Are high-IQ students more at risk of school failure ?”, Intelligence, 2018, 71 :32-40.
13 | Rommelse N et al., “High intelligence and the risk of ADHD and other psychopathology”, Br J Psychiatry, 2017, 211 :359-64.
14 | Terriot K, “Enfants doublement exceptionnels”, in Psychologie du haut potentiel, Deboeck, 2021, chapitre 17, 247-69.
15 | Da Silva A, « “Il y avait de l’argent à se faire” : le business des surdoués », L’Express, 27 mai 2021. Sur lexpress.fr
16 | « Programme HPI, 10 séances pour comprendre son fonctionnement et trouver un équilibre plus épanouissant », site Hi-mind. Sur cabinet-himind.ch

Publié dans le n° 344 de la revue


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L' auteur

Séverine Gratia

Ingénieure de formation, docteure en biologie et désormais professeure agrégée de biochimie.

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