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Est-il encore possible de parler sereinement du nucléaire ?, éditorial SPS n°298

Publié en ligne le 17 octobre 2011 -

Est-il encore possible de parler sereinement du nucléaire ?

À ce jour, l’accident à la centrale nucléaire de Fukushima n’a fait aucun mort, et on peut raisonnablement espérer qu’il n’y aura finalement que très peu de victimes, voire aucune, du fait de la radioactivité[1].

Et pourtant, cet accident a généré un très fort sentiment de peur. Dans certains pays, il a conduit à des décisions importantes en termes de politique énergétique. Le contexte d’abondance ad nauseam d’informations anxiogènes est peu propice à des prises de décisions rationnelles, et encore moins à des débats sereins. Les médias, valorisant plus l’émotion et le sensationnel que l’information objective, ont joué un rôle évident. Michel Onfray évoque à ce propos un traitement médiatique « hystérique, incantatoire, acéphale » (Le Point 22 mars 2011). Mais ce serait réducteur de tout ramener aux seules conséquences du traitement médiatique. Les questions énergétiques ont aussi une dimension politique et idéologique, et l’accident de Fukushima est devenu un enjeu pour des questions plus générales.

Par ailleurs, la perception du public est, aujourd’hui, un élément majeur des controverses technologiques. Au-delà de ce qu’il faut bien appeler désinformation, ou a minima, absence d’information sérieuse, l’accident dans la centrale nucléaire japonaise a rappelé l’aversion, dans le grand public, du sentiment de perte de contrôle. Les dizaines de milliers de victimes directes du tsunami et la dévastation qui en ont résulté marquent moins les esprits que les reportages montrant la lutte des pompiers pour essayer de faire baisser la température des réacteurs ou les longs mois qui seront encore nécessaires pour leur maîtrise. Les milliers de morts dues à l’industrie du charbon (en 2010, et uniquement en Chine, les chiffres officiels font état de 2433 victimes) sont également oubliés quand il s’agit d’évaluer les conséquences de nos choix énergétiques.

Restent les questions de fond auxquelles Science et pseudo-sciences consacre l’essentiel de ce numéro : quelle politique énergétique ? Quels sont les risques réels du nucléaire civil ? Quel est l’état de la connaissance en termes de conséquences des irradiations ? Peut-on prévoir les risques sismiques ? Quelle place pour l’innovation dans le futur énergétique ? Comment analyser la perception du public ? Science et pseudo-sciences n’entend pas apporter une réponse à chacune de ces questions, mais propose à ses lecteurs une réflexion argumentée et dépassionnée. En particulier, les décisions concernant la politique énergétique, ou encore les actions pertinentes à mettre en œuvre pour prendre en compte les impacts des différents scénarios d’évolution climatique, sont des choix de société qui intègrent des dimensions économiques, sociales, voire idéologiques, sur lesquels la science et la connaissance ne peuvent apporter qu’un éclairage partiel.

Nous souhaitons simplement que ces décisions soient raisonnées et s’appuient sur l’état réel de la connaissance. La peur est probablement au dessus des moyens que nos sociétés pourront consentir de façon durable[2].

Science et pseudo-sciences

Références


1 | Pour autant, l’accident de Fukushima a bien des conséquences, venant s’ajouter à celles du tsunami, avec le déplacement de populations, l’angoisse générée et des zones qui prendront du temps à être décontaminées avant un éventuel relogement.
2 | Jean de Kervasdoué, La peur est au-dessus de nos moyens - Pour en finir avec le principe de précaution, Plon, 2010 (voir la note de lecture dans SPS n° 295, p. 89)

Publié dans le n° 298 de la revue


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