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L’écologie, la science et la politique

Publié en ligne le 7 octobre 2020 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°334 (octobre 2020)

Permettre à près de huit milliards d’habitants (et sans doute près de dix milliards en 2050) de vivre décemment, de se soigner, de se nourrir correctement et d’avoir accès à l’eau potable et à l’électricité est un enjeu majeur du XXIe siècle. Il s’agit d’un objectif dicté par des valeurs et le choix des moyens pour l’atteindre est un choix de société (avec ses fortes dimensions économiques et sociales). Y parvenir dans un contexte de lutte contre le changement climatique rend la tâche singulièrement complexe. Albert Einstein, dans son recueil de textes Conceptions scientifiques, morales et sociales (Flammarion, 1952) le résumait ainsi : « Les énoncés scientifiques de faits et de relations ne peuvent pas produire de règles morales. » Cependant, ajoutait-il, « des directives morales peuvent être rendues rationnelles et cohérentes par la pensée logique et la connaissance empirique ». La science peut ainsi fournir des outils pour atteindre les buts que la société se fixe, mais la connaissance scientifique en elle-même n’est porteuse d’aucune valeur éthique.

Au regard de l’importance des enjeux environnementaux pour la société, l’écologie est devenue un terme largement revendiqué dans le débat public. Historiquement, le terme désigne la discipline scientifique qui s’intéresse aux relations des organismes avec le monde environnant, à leurs interactions avec leur habitat et avec les êtres vivants qui s’y trouvent. Il a été introduit en 1866 par le biologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919) à la suite des travaux de Darwin [1]. Cependant, dans l’esprit du public, l’écologie évoque aujourd’hui non pas la discipline scientifique avec ses concepts, ses méthodes et ses résultats, mais différents courants de l’écologie politique. Et c’est là que tout se brouille.

Les courants politiques sont porteurs de valeurs et d’aspirations qu’ils cherchent à promouvoir et sur lesquelles les citoyens sont appelées à se prononcer. Ils se structurent en partis et décident de leur nom. Des termes comme « démocrate », « républicain », « libéral » ou « écologiste » sont largement repris dans de nombreux pays sans pour autant induire de consensus sur leur sens, sans conférer ipso facto un quelconque caractère cohérent avec le nom choisi ni attribuer une quelconque légitimité ou exclusivité aux partis sur le champ concerné par l’appellation choisie.

Ainsi, l’écologie en tant que science renvoie à des connaissances scientifiques, « à ce qui est ». L’écologie, revendiquée par différents courants de pensée ou en tant que référence politique, relève de valeurs et s’intéresse « à ce qui doit être ». Il y là une ambiguïté terminologique. La science traite, dans le cadre de la discussion scientifique, du vrai et du faux, et il est bien tentant d’importer à son profit le poids de ces valeurs dans les débats et controverses.

Les discours politiques se revendiquant de l’écologie sont très variés. Si certains respectent l’intégrité et l’autonomie de l’expression scientifique, d’autres en arrivent à une forme quasi-mystique (avec parfois des conceptions irrationnelles et un déni des faits d’observation) postulant une nature réputée bonne par essence et diabolisant par principe de nombreuses activités humaines.

L’écologie, en tant que discipline scientifique, ne peut pas dicter nos décisions collectives. Mais elle est un outil indispensable pour comprendre et éclairer nos choix. La confusion entre science et valeurs, entre connaissance scientifique et projet de société, empêche souvent la science écologique de jouer dans le débat public le rôle qui devrait être le sien, à savoir d’éclairer les discussions et les décisions sans imposer de parti pris.

Diffuser les connaissances scientifiques sur l’environnement, ce que nous tentons régulièrement de faire dans nos colonnes, nous semble une contribution nécessaire au débat public.

Références

1 | Montagne P, « Aux origines de l’écologie », Innovations, 2003, 2:27-42.


Mots-clés : Écologie

Publié dans le n° 334 de la revue


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