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La rhétorique du principe d’inquiétude, éditorial SPS n°282

Publié en ligne le 2 juillet 2008 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°282 (Juillet 2008)

Les controverses autour des applications technologiques se suivent et se ressemblent par divers aspects. Pour le citoyen curieux et rendu inquiet par certaines descriptions alarmistes de conséquences sanitaires ou environnementales, il est difficile de se faire sa propre opinion, difficile de bien comprendre ce qu’est un organisme génétiquement modifié, difficile de comprendre ce que sont ces ondes qui nous entourent, que l’on ne peut ni voir ni ressentir, mais dont on peut facilement constater la réalité des applications (la télévision, la radio, le four à micro-ondes, le téléphone sans fil, le téléphone mobile, sans oublier ses antennes relais … et le dernier en date dans la liste qui ne cesse de s’allonger : le wifi, le sien, celui du voisin ou de la voisine, celui de la borne du quartier).

Peu ou prou, tous les développements technologiques deviennent objets de polémique et de médiatisation. Pour autant, est-ce que cela va dans le sens d’une meilleure information du public ? Est-ce que les controverses, parfois passionnelles, permettent au citoyen d’exercer son sens critique, aux politiques de définir les réglementations adaptées ? On peut en douter.

Différents ingrédients reviennent régulièrement et rapidement dans toutes les discussions évoquées.

L’enchaînement est presque toujours le même. Tout d’abord, des allégations font état de dégâts importants d’ores et déjà « constatés » sur la santé et l’environnement (ce qu’on appelle en novlangue : « lancer une alerte »). Interpellés les médias « enquêtent » : un cas particulier est propulsé sur les devants de la scène ; par exemple une personne, sincère et à laquelle chacun peut s’identifier, expose, filmée à son domicile, que sa vie a basculé et qu’elle ressent tel ou tel trouble, c’est concret et émouvant. Le reportage est logiquement suivi d’un autre sur une autre chaîne. La presse n’est pas en reste, et nombreux sont les grands journaux qui emboîtent le pas, donnant ainsi crédit et consistance à ce qui n’était peut-être (ou peut-être pas) qu’une rumeur. Faute d’un minimum de formation scientifique de beaucoup de journalistes, et aussi parce que le recours à l’émotion est plus efficace que l’appel à la raison quand on fait métier de communication, le reportage va cultiver le sentiment anxiogène, le catastrophisme, et va faire la part belle, voire exclusive, au témoignage.

Viennent ensuite les mises au point scientifiques quand les rumeurs ne sont pas fondées et que les sujets sont d’importance. Et c’est là que tout se brouille et que les mécanismes bien connus de la théorie du complot se mettent en place : on-ne-nous-dit-pas-tout. L’intégrité des institutions scientifiques et des scientifiques eux-mêmes est mise en cause ; les lobbies industriels sont pointés du doigt ; des « études et rapports accablants » sont cités (rapports qu’un non-spécialiste ne comprendra bien entendu pas et qui parfois disent le contraire de ce qui est allégué). Des « comités de recherche et d’information » autoproclamés « indépendants » fleurissent. Le « principe de précaution » est évoqué exigeant des mesures immédiates tant que des « recherches additionnelles » ne sont pas conduites (recherches qui parfois ont déjà été menées). Dès lors, pense-t-on, si les autorités s’appuyant sur le « principe d’attention » annoncent de nouvelles recherches, telle est bien la preuve de la validité de « l’alerte ». Si les autorités campent sur l’inexistence de fondements scientifiques à ces craintes exprimées, telle est bien la preuve… du risque que l’on nous cache : « pourquoi ne pas accepter de faire une recherche s’il n’y a rien à cacher ? ». « L’histoire du tabac et de l’amiante se répète » nous dit-on[1]. Sans que soit précisément décrit ce qui se répète, et ce qui permet de l’affirmer.

Enfin, dernier volet, conceptions politiques, choix économiques et visions sociétales vont venir instrumentaliser la controverse, teintant ou coloriant franchement les « divers points de vue scientifiques ». Ne faut-il pas ainsi s’inquiéter qu’une « “démocratie participative” devenue la loi de la rue se substitue à l’avis d’une science, certes faillible mais contrôlée »[2].

Dans tout cela, quelques grands absents : l’information scientifique objective et la réflexion non passionnelle sur les choix techniques, économiques ou politiques.

Plus grave, on en arrive parfois à des décisions coûteuses et inutiles pour se prémunir de risques imaginaires, alors que des risques avérés et quantifiés, mais non médiatisés, font l’objet de peu d’attention et de peu de moyens pour s’en prémunir[3]. Les priorités de l’action publique en termes de santé et d’environnement deviennent dictées par des considérations éloignées des vrais enjeux et des dangers avérés. Enfin, cette vision manichéenne laisse bien peu de place aux interrogations, au doute quand il existe ou quand il est raisonnable. Cette rhétorique du « principe d’inquiétude » amène à qualifier tout autre attitude d’insouciance face aux risques environnementaux ou sanitaire, quand ce n’est pas directement de complicité intéressée.

Pour illustrer ces propos, il suffit d’observer les controverses présentes ou passées à propos des OGM, des ondes électromagnétiques (wifi et téléphones portables), des radiations ionisantes, de la vache folle, etc. Loin de nous l’idée de mettre toutes ces questions dans un même sac. Mais pour toutes, on retrouve un ou plusieurs des ingrédients décrits ici.

Science et pseudo-sciences

Références


1 | Mais bizarrement, l’interdiction désastreuse du DDT pour le traitement des maisons dans les zones impaludées, application d’un principe de précaution avant la lettre, n’est jamais évoquée. Voir SPS n° 260 (décembre 2003)
2 |Voir l’article d’Alain de Weck dans ce numéro : « Science contrôlée ou science parallèle : un nouveau phénomène de société »
3 |Voir de nombreux exemples dans Les prêcheurs de l’apocalypse, pour en finir avec les délires écologiques et sanitaires, Jean de Kervasdoué, Plon 2007

Publié dans le n° 282 de la revue


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