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La science n’est pas là pour rassurer

Publié en ligne le 12 janvier 2006 -
par Pascal Lapointe

La recherche médicale donne généralement de bonnes nouvelles. Mais il arrive aussi qu’on la malmène afin de rendre ses conclusions plus dramatiques qu’elles ne le sont réellement.

Imaginons par exemple qu’une recherche associe l’aspirine, médicament-fétiche par excellence, à un risque moindre d’avoir le cancer du sein. Difficile de résister, n’est-ce pas ? Qui ne voudrait pas croire en la possibilité que l’aspirine combatte cette terrible maladie ?

Mais chemin faisant, reprochent trois médecins dans une analyse récemment publiée par le Washington Post, ceux qui, à la télé et dans les journaux, ont résumé cette étude, ont oublié de poser deux questions.

1) Quel est le vrai pourcentage ?
Selon l’étude, parue en 2004 dans le Journal de l’Association médicale américaine, les femmes qui prennent de l’aspirine courent 20% moins de risques de développer un cancer du sein. À première vue, c’est impressionnant. Mais 20% de moins que quoi ?

Les chercheurs de l’Université Columbia (New York) ont interrogé 3000 femmes de 55 à 64 ans, avec ou sans cancer du sein. Avant même d’avoir fait cette étude, on savait déjà que, dans cette tranche d’âge, 20 femmes sur 1000 développeront un tel cancer d’ici cinq ans. Notre « 20% moins de risques », c’est donc à ses 20 femmes sur 1000 qu’il s’applique. Donc, « 20% moins de risques », cela veut dire qu’au lieu d’avoir 20 femmes sur 1000, on n’aura plus que 16 femmes sur 1000 à développer un cancer du sein d’ici cinq ans.

Dit comme ça, c’est beaucoup moins impressionnant.

2) Est-ce vraiment l’aspirine qui est la cause ?
Les chercheurs ont prudemment écrit que l’usage de l’aspirine était associé à un risque réduit de cancer du sein. Ils n’ont pas dit que l’aspirine était la cause de cette réduction.

En quoi cette différence est-elle importante ? Eh bien, il se pourrait qu’il y ait autre chose dans le décor. « Imaginez par exemple, écrivent nos trois cliniciens, qu’il y ait un gène qui protège contre le cancer du sein mais qui rende aussi plus susceptible à la douleur ». Résultat, ces femmes, qui seront plus nombreuses à prendre de l’aspirine pour combattre la douleur, n’auraient jamais développé un cancer du sein de toutes façons.

En conséquence, pour savoir si c’est vraiment l’aspirine qui est responsable de moins de cancers, ce dont on a besoin, ce n’est pas d’une analyse de données - comme cette étude - mais d’une étude en double aveugle, où la moitié des femmes prend le médicament et la moitié un placebo, aucune ne sachant ce qu’elle a avalé.

La différence entre "causalité" et "corrélation" est cruciale en science. Mais il arrive fréquemment qu’on mélange les deux - en partie parce qu’on veut souvent croire de tout notre être qu’on a trouvé une cause. C’est tellement plus rassurant.


REF : Lisa M. Schwartz, Steven Woloshin et H. Gilbert Welch, Overstating Aspirin’s Role in Breast Cancer Prevention, Washington Post


Mots-clés : Science


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