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Le lourd bilan des fausses alertes sanitaires

Publié en ligne le 23 octobre 2016 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°318 (octobre 2016)

La plupart du temps, ceux qui se qualifient de « lanceurs d’alertes » utilisent le seul terrain médiatique en s’affranchissant de l’obligation de soumettre à la communauté scientifique les preuves de leurs allégations. Peu importe si l’alerte est infondée : mieux vaut prévenir que guérir. Le problème, comme le souligne le sociologue Gérald Bronner [1], est qu’« en réalité, ils rendent, la plupart du temps, un bien mauvais service à la société. Ils instillent un poison d’inquiétude qui pourrait s’apparenter à une hypocondrie collective [qui] occasionne des séquelles sanitaires, économiques et politiques ».

Ainsi, on se souvient de la controverse sur l’usage des statines en prévention des risques cardiovasculaires (controverse qui a culminé en 2012 et 2013 avec la publication de deux ouvrages à succès : Le Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux des Professeurs Even et Debré, La vérité sur le cholestérol du Professeur Even, préfacé par le Professeur Debré). C’est le lien entre cholestérol et maladies cardiovasculaires qui était remis en cause, d’où l’inutilité affirmée du traitement par statines et un rapport risques/bénéfices négatif [2]. Malgré les mises au point des autorités de santé et des associations professionnelles de médecins, bon nombre de patients ont arrêté leur traitement. Une très vaste méta-analyse [3] que vient de publier The Lancet confirme de façon très nette, s’il en était besoin, le bénéfice des statines. Mais cette étude s’intéresse également aux conséquences des controverses à leur sujet. Celles-ci n’ont pas concerné que la France et l’étude estime à environ 200 000 le nombre de personnes qui, au Royaume-Uni, ont interrompu leur traitement avec, pour conséquence, entre 2 000 et 6 000 événements cardiovasculaires supplémentaires. En Australie, c’est 60 000 personnes qui auraient cessé la prise de statines, entraînant entre 1 500 et 3 000 crises cardiaques et AVC évitables et potentiellement mortels. En France, une récente étude [4] (juillet 2016) a cherché à évaluer l’« impact d’un événement médiatique public sur l’utilisation des statines dans la population française », en l’occurrence la polémique des années 2012-2013. L’arrêt de la prise de statines, qui était de 8,5% par an, est passé à 11,9 % dans les neuf mois qui ont suivi la publication du livre de Philippe Even, soit une recrudescence de 40 % du nombre de patients qui ont arrêté le traitement qui leur était prescrit. L’étude révèle également, pour cette année, une surmortalité de 17%, soit, pour le Professeur Moore, l’un des signataires de l’étude et le chef du département Pharmacologie au CHU de Bordeaux [5], « entre 9 000 et 10 000 morts de plus [à l’échelle nationale] en 2013 qu’en 2011 et 2012 ». Julien Bezin, premier signataire de l’étude précise cependant qu’« il est difficile d’établir un lien direct entre communication médiatique et arrêt de traitement, on peut juste observer qu’à partir du moment où le livre est sorti, il y a eu plus d’arrêts de traitement par statines, alors que sur le plan scientifique, il n’y a pas eu de nouveautés majeures pendant la période étudiée pouvant l’expliquer. »[6]

Les fausses alertes mobilisent d’importantes ressources. « Combien sont-elles exactement, s’interroge Gérald Bronner, les victimes de ces vertueux “inquiéteurs”, tous les individus dont la vie aurait pu être sauvée si les coûts impliqués par la chasse aux risques illusoires avaient été convertis en politique de prévention ou de recherche ? ». Bien entendu, le système de santé publique, tel qu’il existe, est perfectible. L’affaire du Médiator n’est pas sortie facilement, mais Irène Frachon, qui l’a révélée, a produit des études sérieuses et rigoureuses. Une mission de service public s’appuyant sur les travaux scientifiques validés sera toujours une bien meilleure base pour les décisions en santé publique qu’une expertise autoproclamée s’affranchissant de toute évaluation scientifique.

Science et pseudo-sciences

Publié dans le n° 318 de la revue


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