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Les chemins de la désinformation, éditorial SPS n°299

Publié en ligne le 18 janvier 2012 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°299 (janvier 2012)

La presse pourrait jouer un rôle majeur dans la clarification des controverses aux frontières de la science et de la société. Par l’information scientifique, la vulgarisation des concepts mis en jeu et l’exposé clair et précis de l’état des connaissances sur le sujet considéré, elle pourrait permettre au grand public de mieux s’y retrouver, en contribuant à identifier ce qui relève réellement de l’exercice de la démocratie, avec ses options politiques, sociales et économiques.

Malheureusement, force est de constater que c’est trop souvent l’inverse qui se produit, avec pour conséquence la création de toutes pièces de « controverses scientifiques » qui n’existent en réalité pas, ou peu, et à interdire tout débat sur les questions sociétales ou économiques sous-jacentes. Ainsi, pour prendre quelques exemples : les OGM aujourd’hui commercialisés sont bien plus contrôlés que le reste des autres cultures, et ne présentent pas de dangers sanitaires ou environnementaux. La fausse controverse scientifique a obscurci un véritable enjeu de société, à savoir quel développement agricole nous voulons, en France, à l’échelle de l’Europe, à l’échelle planétaire pour satisfaire à la fois les besoins alimentaires et assurer un développement durable. De même, la « controverse » sur la dangerosité supposée des antennes-relais, de la téléphonie mobile, ou des lignes à très haute tension, outre qu’elle entretient et développe chez certains une psychose aux conséquences sanitaires bien réelles, empêche toute concertation sereine sur le déploiement des infrastructures. En outre, cela rend plus difficile de sensibiliser nos sociétés aux vrais enjeux de santé publique, tels que l’alcool, le tabac, l’obésité ou la baisse de la couverture vaccinale.

Les chemins de la désinformation médiatique sont divers. Prenons quelques exemples empruntés à l’actualité de ces dernières semaines.

Un récent communiqué d’une association militante (voir l’analyse dans ce numéro de SPS) adressé à l’AFP rend compte d’une sorte d’enquête de voisinage réalisée auprès d’habitants d’une cité HLM à propos des impacts perçus de la présence d’antennes-relais sur le toit. Sans aucune valeur scientifique, cette enquête se transforme pourtant en « étude », et le communiqué de l’agence reprend les propos militants sans la moindre nuance, mettant en avant de nouvelles preuves sur la prétendue dangerosité des antennes. Puis, comme une traînée de poudre, le communiqué est repris de rédaction en rédaction, presque toujours sans distanciation. Faut-il incriminer le nombre de plus en plus réduit de journalistes scientifiques ou spécialistes de santé dans les rédactions ? Toujours est-il que très rares sont les articles pointant l’absence totale de validité de l’enquête, et surtout, rappelant l’état de la connaissance sur les antennes-relais.

Autre exemple, illustrant la faible compétence dans les rédactions sur des sujets tels que l’épidémiologie ou le fonctionnement de la recherche médicale, il ne se passe pas une journée sans que ne soit révélée par un journal (et repris par ses concurrents) une « nouvelle étude publiée dans une revue scientifique » faisant état de « nouveaux dangers ». Exemples récents : « Le WiFi pourrait nuire aux spermatozoïdes et à la fertilité », « Aspartame, les dangers pour la femme enceinte ». Dès lors, cette nouvelle étude semble tout balayer. Disparues les analyses passées, les méta-analyses, les expertises collectives[1]. Que l’étude en question porte sur l’animal ou sur l’homme, que les auteurs eux-mêmes mettent des réserves, appellent à reproduire l’expérience pour lever les biais possibles, autant de conditions qui disparaissent au fil de la transmission d’information (voir l’illustration ci-contre – Le cycle de l’information scientifique). Seul reste le danger extrapolé et non pas l’information factuelle et objective. S’ensuit alors la rhétorique du principe de précaution et du nécessaire moratoire.

La vulgarisation de la science fondamentale offre un autre exemple de biais que l’on retrouve également à propos du traitement médiatique des questions environnementales ou de santé publique : la recherche du sensationnel, surtout celui qui « fait s’écrouler les anciennes conceptions ». La recherche du scoop ne permet pas le recul nécessaire. Les « neutrinos voyageant plus vite que la lumière » ont valu la une de bon nombre de journaux avec des titres accrocheurs : « Einstein contredit », « Einstein battu par les neutrinos ». Pourtant, l’expérience des chercheurs du CERN appelle d’abord à reproduction, et l’urgence médiatique aurait été de prendre du recul. Gageons que, si l’expérience n’est pas reproduite, un correctif ne sera disponible que dans les journaux spécialisés, ou sous forme d’entrefilet dans les pages intérieures. Comme cela a été le cas pour la mémoire de l’eau (légende encore bien tenace) ou la fusion froide.

Bien entendu, loin de nous l’intention de mettre toute la presse ou tous les journalistes dans le même sac (il existe encore d’excellents journalistes scientifiques, et aussi, d’excellentes pages « santé » dans des grands quotidiens), ni la volonté de rendre les médias seuls responsables d’une confusion grandissante dans le traitement des controverses « science et société » (il faudrait au premier plan souligner le rôle de l’autorité publique et également analyser la complexité grandissante des questions scientifiques, etc.). Mais il n’en reste pas moins que, de par son impact, et en se dotant de davantage de compétences scientifique et médicale, journaux et télévision pourraient contribuer à éclaircir bon nombre de débats ou déjà commencer par ne pas en créer de factices.

Science et pseudo-sciences

Références


1 | À l’image de celles de l’INSERM, destinées à apporter « un éclairage scientifique sur un sujet donné dans le domaine de la santé à partir de l’analyse critique et de la synthèse de la littérature scientifique internationale ».

Publié dans le n° 299 de la revue


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