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L’esprit critique ? éditorial SPS n°290

Publié en ligne le 11 avril 2010 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°290 (avril 2010)

« S’il est quelque espoir de venir, un jour, à bout […] des illusions qui nourrissent les fausses sciences, c’est moins par l’opposition directe que par le moyen d’une éducation convenable, d’une hygiène préventive du jugement. Enseigner aux jeunes l’esprit critique, les prémunir contre les mensonges de la parole et de l’imprimé, créer en eux un terrain spirituel où la crédulité ne puisse prendre racine, leur enseigner ce que c’est que coïncidence, probabilité, raisonnement de justification, logique affective, résistance inconsciente au vrai, leur faire comprendre ce que c’est qu’un fait et ce que c’est qu’une preuve – et surtout les mettre en garde contre le témoignage humain, en leur faisant apprendre par cœur l’histoire de la “dent d’or” et en les faisant réfléchir sur celle des rayons N...[1] »

Jean Rostand se présentait lui-même comme un autodidacte de l’incrédulité. Il savait que de nombreux livres ne sont que des ramassis d’impostures, de mensonges ou d’erreurs ; que les gens les plus instruits et les plus brillants peuvent se fourvoyer et ne sont pas forcément à l’abri d’une méprise de jugement, qu’ils peuvent, comme tout le monde, se laisser tromper par leurs sens et leurs émotions. Il était bien conscient que même un témoin loyal peut déformer, même involontairement, la réalité des faits qu’il relate. Et il était attentif au moindre détail susceptible d’avoir tout faussé et de transformer un fait en une image peu fidèle et peu fiable.

Jean Rostand déplorait que ce trésor de scepticisme dont il semblait jouir soit impossible à communiquer comme un savoir ou à transmettre comme une information. « Quand on le porte en soi – disait-il – l’on paraît atteint d’une sorte de doute névrotique, alors qu’on possède simplement le minimum de défiance qui s’impose. »

Ces lignes, écrites il y a 52 ans, s’appliquent parfaitement à ce début du XXIe siècle. La mémoire de l’eau a remplacé les rayons N, mais l’histoire de la « dent d’or » garde toute son actualité. Fontenelle nous mettait alors en garde contre les explications que l’on peut trouver à des faits qui n’existent pas. C’était en 1687.

Jean Rostand, « Science fausse et fausses sciences », republié dans Confidences d’un biologiste, page 163.

Science et pseudo-sciences

Références


1 | Les Rayons N, « découverts » en 1903 par le physicien René Blondot (1849-1930) et baptisés en l’honneur de la ville de Nancy où les expériences ont été faites, étaient parés de propriétés remarquables. Juste après la découverte des rayons X, la mise à jour de « nouveaux » rayons a suscité un véritable engouement en France, avant que l’on ne constate que ces rayons n’existaient que dans l’imagination du physicien et de son équipe (de bonne foi semble-t-il).

Publié dans le n° 290 de la revue


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