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Lâcheté politique et expertise scientifique, éditorial SPS n°291

Publié en ligne le 12 juillet 2010 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°291 (juillet 2010)

Faut-il abaisser les seuils de puissance des antennes-relais ? Faut-il ajouter des zones d’exclusion de part et d’autre des lignes à haute tension ? Le consensus scientifique semble assez fermement établi pour répondre qu’aucun fondement scientifique ne vient à l’appui d’un renforcement des normes existantes. Pas plus qu’il n’existait de raisons scientifiques justifiant l’interdiction de la culture du maïs OGM MON810.

Pour autant, une décision analysant le rapport coûts, risques et bénéfices, doit se faire en prenant aussi en compte d’autres critères, tels que l’acceptation sociale, les dimensions économiques, etc. Le maïs MON810 peut alors être interdit à la culture en France pour des tas de raisons (acceptation sociale, compromis politique avec tel ou tel), mais il y a imposture quand on n’explicite pas les vraies raisons et que l’on cherche à les masquer en mettant en avant des prétextes scientifiques (santé ou environnement). Les seuils de puissance des antennes-relais peuvent être abaissés à 0,6 V/m, mais ce ne peut être que pour des raisons sociales (rassurer les personnes inquiètes, même si l’expérience montre qu’un tel abaissement a plutôt tendance à inquiéter davantage), car il n’existe aucun fondement scientifique ou sanitaire pour justifier une telle mesure.

Ainsi, nous revendiquons une séparation claire entre l’acte politique, la décision qui intègre de nombreux facteurs, et la connaissance scientifique. Cette dernière doit pouvoir s’exprimer indépendamment, pour dire ce qui est, ce qui est connu, et ce qui est incertain. Il peut y avoir consensus ou non, et il faut évidemment expliquer les points de dissension quand ils existent, mettre en évidence les incertitudes et indiquer quelles recherches il faudrait conduire pour les lever, et si ces recherches sont tout simplement possibles ou raisonnables.

Les agences de sécurité sanitaire devraient être le lieu où une telle expertise s’exprime. Or, à deux reprises, et très récemment, des experts de l’Afsset[1] ont publiquement dénoncé des dérives qui faisaient fi de l’analyse scientifique réalisée au sein de l’agence même. « À quoi bon réunir des experts pour s’affranchir de leur avis ? » interrogent-ils, s’adressant aux ministres en charge de ces dossiers. À propos des ondes électromagnétiques liées à la téléphonie mobile[2], on se souvient qu’un communiqué de l’Afsset évoquait des effets dommageables non définitivement établis, constituant « des signaux indéniables », là où le rapport de ses propres experts conclut à l’absence d’effets sanitaires au vu des études actuelles. Réédition à propos de l’étude sur les champs basses fréquences générés par les lignes électriques à haute tension[3], où l’avis de l’agence préconise, contre toute justification scientifique, à l’opposé des conclusions de ses propres experts, la création « d’une zone d’exclusion  » de 100 m.

C’est que, pour les pouvoirs publics, la tentation est grande d’instrumentaliser ces agences pour leur faire endosser « scientifiquement » des décisions qui sortent du domaine d’expertise, et relèvent davantage de l’action publique, voire de la pure idéologie. En filigrane, ne peut-on pas lire une certaine lâcheté des décideurs politiques qui préfèrent faire porter à d’autres, et indûment, une décision qu’ils souhaitent prendre pour leurs propres raisons ? Le doute et la peur alimentant le fameux « principe de précaution » sont alors un moyen très puissant pour rendre inaudible l’expertise scientifique, la noyer dans les prétendues « expertises indépendantes » autoproclamées. L’expertise scientifique est instrumentalisée, et les peurs propagées dans l’opinion publique sont sans aucun rapport avec la réalité des risques résiduels[4].

Les agences de sécurité sanitaire ne doivent pas devenir le lieu des « débats citoyens sur la science », mais rester le service public de l’expertise scientifique, fondée sur l’avis d’experts nommés en toute transparence en fonction de leurs titres et travaux. L’inquiétude ne peut qu’être renforcée quand on constate que, dans un autre domaine, les autorités publiques ont jugé bon de mélanger au sein du nouveau Haut Conseil des Biotechnologies (HCB), un comité scientifique (composé d’experts du domaine) et un comité « économique, éthique et social » auquel participent des représentants de divers groupes de pression[5].

Une autre pente démagogique se dessine : la prétendue mise en « débat public » des questions scientifiques, une confrontation entre « experts auto-proclamés » et « lanceurs d’alertes » issus des différents groupes de pression d’une part, et expertise publique, d’autre part, confrontation d’où devrait sortir « un juste milieu ». L’introduction de ce type de controverse artificielle au sein des agences de sécurité sanitaire, ferait porter un risque tout à la fois à l’expertise publique et à la prise de décision démocratique en matière de choix technologiques.

Plus que jamais, l’expertise scientifique doit rester séparée des débats politique, idéologique, et de la prise de décision. Chacun a sa légitimité, mais dans son espace propre.

Science et pseudo-sciences

Références


1 | Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement, agence publique qui a fusioné avec l’Afssa, l’Agence française de sécurité sanitaire de l’alimentation pour donner l’ANSES, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
2 | Voir « Téléphonie mobile : l’expertise de l’AFSSET dénaturée par la communication ? », SPS n°290.
3 | Voir « Ondes électromagnétiques :
à quoi bon réunir des experts pour s’affranchir de leur avis ?
 », sur notre site Internet.
4 | Risques résiduels, car le risque zéro dans toute activité humaine n’existe pas, tout comme, d’ailleurs, le risque zéro d’une inaction…
5 | Voir « Une science parallèle pour servir des objectifs politiques », Marcel Kuntz, SPS n°290.

Publié dans le n° 291 de la revue


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