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Médicaments : à la recherche de l’expert indépendant

[9] Plaidoyer pour une discussion sereine et des solutions réalistes

Publié en ligne le 27 mai 2011 - Expertise -

La discussion soulevée par l’affaire Servier / Mediator et d’autres comme l’affaire Merck / Vioxx soulève des problèmes réels méritant réflexion et solutions. Cette discussion se déroule malheureusement dans un climat émotionnel et outrancier peu propice à des solutions équilibrées. Il met directement en danger la santé publique, peut-être davantage que les conflits d’intérêts qu’il prétend combattre. En effet, la méfiance engendrée dans le grand public à propos des médicaments et des médecins qui les prescrivent ne sera pas éliminée si facilement. Cette méfiance va considérablement gêner la pratique d’une bonne médecine. Pour l’instant tout au moins, à en juger par les blogs, ce n’est guère qu’en France que l’alarme publique sur les médicaments a pris une telle dimension mais il ne faut pas se leurrer ; son extension ailleurs, comme cela a été le cas pour les OGM, ne saurait tarder.

Il vaut donc la peine d’analyser non seulement la nature et la validité des critiques mais aussi la personnalité et les motivations de ceux qui les profèrent. Il y a en principe trois types de critiques, pas toujours faciles à distinguer l’un de l’autre :

  • les vrais lanceurs d’alerte (« whistleblowers ») mus par idéalisme ou mauvaise conscience, mais parfois aussi par simple vengeance ;
  • les chasseurs de sorcières dénonçant un abus réel ou imaginaire, par motivation personnelle idéologique mais parfois aussi pécuniaire ;
  • les Don Quichotte poursuivant des abus fantasmés ou imaginaires.

Dans la hâte des pressions médiatiques et politiques, la recherche de solutions bat son plein. Après un premier volet diagnostique très clairvoyant, le groupe de l’IGAS est supposé délivrer un volet thérapeutique et des propositions de réforme 1. Dans le cadre de l’Assemblée Nationale, deux missions d’investigation parlementaire se penchent sur le problème [100]. Ce n’est du reste pas la première fois 2. Et le président Sarkozy vient de confier une mission similaire au Professeur Bernard Debré, député UMP, en coopération avec le Professeur Philippe Even, son compère de l’Institut Necker 3. Le Pr Even, éternel « indigné de la médecine » 4, est bien connu pour ses positions iconoclastes et son refus des tabous. En tant que contemporain ayant fait un parcours professionnel assez similaire, je partage plusieurs de ses indignations sur la science et la médecine, bien que sous des expressions moins virulentes. Toutefois les deux remèdes prioritaires préconisés par les deux sages et quelques autres 5 me paraissent problématiques et potentiellement contre-productifs. La prise en charge financière totale par l’État de l’AFSSAPS et de toutes les activités de contrôle des médicaments ne serait pas seulement dispendieuse, elle serait également injuste, puisqu’elle aboutirait à un subventionnement occulte de l’industrie pharmaceutique et à une concurrence déloyale. Elle entraînerait immanquablement un appareil bureaucratique d’État lourd et inefficace. Enfin, dans un contexte global où la procédure française serait la seule à être gratuite pour l’industrie, cela aboutirait rapidement à un déséquilibre intolérable de la régulation européenne en incitant les firmes à utiliser la procédure française, la seule devenue gratuite. Quant à la proposition de nettoyer les écuries d’Augias en éliminant toutes formes de conflits d’intérêts pour les experts, nous avons vu toute la prudence et la mesure qu’il faudra appliquer, sous peine de se retrouver en France avec des collèges d’experts aussi inexpérimentés qu’incompétents.

L’affaire Servier / Mediator est un exemple caricatural de ce que j’appelle « le mille feuilles français », l’accumulation de lois, règlements, décrets et instances chargées de les appliquer. C’est du reste bien là que le rapport IGAS identifie la principale source du mal 6 : une multiplication de commissions et sous-commissions parallèles, générant l’immobilisme, l’opacité, la mauvaise transmission de l’information et la dilution des responsabilités, Cette maladie guette toutes les administrations et doit être activement combattue partout, mais elle paraît particulièrement tenace dans la culture administrative française. L’histoire juridique du système de santé en France 7 a pris des dimensions quasi grotesques. En tant que membre associé étranger de l’Académie Nationale de Médecine, je la suis à titre comparatif depuis des années, pour arriver à la conclusion que les meilleures lois ne servent à rien si elles ne sont pas appliquées. Nous en vivons en ce moment d’autres exemples avec la justice. En fait, le mille-feuilles est un plat bien plus nuisible à la santé que les conflits d’intérêts. La sagesse serait de l’abandonner pour une mousse au chocolat homogène. Mais les mondes politiques et professionnels sauront-ils en trouver la recette ? On peut en douter. Ironiquement, pour la solution du mille-feuilles Mediator, un nouveau mille-feuilles d’enquêtes et de propositions se constitue sous nos yeux….

1 Bensadon AC,, Marte E, Morelle A. Enquête sur le Mediator. IGAS Inspectorat Général des Affaires Sociales. Janvier 2011. www.igas.gouv.fr

2 Hermange MT, Payet AM. Les conditions de mise sur le marché et de suivi des médicaments - Médicament : restaurer la confiance. Rapport d’information n° 382. 2005-2006. 8 juin 2006. www.senat.fr

4 Even P : l’indigné de la médecine. 22.1.2011. sur lemonde.fr

6 Bensadon AC,, Marte E, Morelle A. Enquête sur le Mediator. IGAS Inspectorat Général des Affaires Sociales.Janvier 2011. www.igas.gov.fr

7 La politique du médicament en France. 2010. (disponible sur archive.org—27 janv. 2020).


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L' auteur

Alain de Weck

Alain de Weck (1928-2013) a été professeur émérite d’immunologie et allergologie aux universités de Berne (Suisse) (...)

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