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« Suivre la nature » ou connaître la nature pour agir ?, éditorial SPS n°292

Publié en ligne le 12 octobre 2010 -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°292 (octobre 2010)

« En fait, ce qui saute aux yeux, c’est que la Nature accomplit chaque jour presque tous les actes pour lesquels les hommes sont emprisonnés ou pendus lorsqu’ils les commettent envers leurs congénères. Selon les lois humaines, le plus grand crime est de tuer. Or la Nature tue une fois chaque être, souvent après des tortures prolongées, pareilles à celles qu’infligent délibérément à leurs semblables les pires monstres dont l’histoire nous rapporte les méfaits [..]  »

John Stuart Mill, La Nature[1]

Le tsunami qui a dévasté les côtes de l’inde et de l’Asie, causant la mort de plus de 200 000 personnes, le tremblement de terre qui a ravagé Haïti, faisant un nombre de victimes similaire, les récentes inondations au Pakistan et en Chine sont là pour nous le rappeler, Dame Nature n’est pas synonyme de bonté et ne représente pas forcément un exemple à suivre.

« Obéir à la nature » ne saurait constituer une éthique ou un fondement de la morale, expliquait John Stuart Mill : « Tout éloge de la civilisation, de l’art ou de l’invention revient à critiquer la Nature, à admettre qu’elle comporte des imperfections, et que la tâche et le mérite de l’homme sont de chercher en permanence à les corriger ou les atténuer  »[2]

Un siècle et demi après, les termes de la discussion semblent presque identiques. Combien de bonnes intentions se parent de la vertu du « naturel » ? Suivre la nature est-il la bonne manière pour améliorer le sort de l’humanité ? Lorsque l’homme, pour de bons motifs pourtant, s’efforce de modifier le « cours naturel » des choses, son action est bien souvent jugée « contre nature », donc mauvaise évidemment. Que l’on songe à la légèreté de certains arguments lancés dans les controverses sur la modification du génome humain, les OGM, ou encore l’utilisation de l’atome.

Et le même John Stuart Mill nous livrait peut-être déjà le principe que l’homme aurait tout intérêt à observer : « Si par conséquent, l’inutile précepte de suivre la nature est changé en celui d’étudier la nature [..j, on parvient alors au principe fondamental de toute action intelligente, ou plutôt même de l’action intelligente.

Bref, connaître la nature pour utiliser ses lois afin d’en atténuer les conséquences les plus rudes, et non pas la déifier et la vénérer. Dans l’état de nos connaissances, il n’était pas possible d’éviter ou de prévoir avec certitude les tsunamis, les tremblements de terre ou les inondations. Toutefois, les progrès technologiques permettent largement des mesures de précaution (normes et emplacement des constructions), ainsi que la mise en place de systèmes d’alerte. À l’évidence, de telles mesures ont été, pour une bonne part, omises dans les catastrophes évoquées plus haut.

« Connaître la nature » est une meilleure voie à emprunter que « suivre la nature ». Pour autant, la connaissance scientifique des lois de la nature ne saurait être confondue avec l’usage qui en est fait. Les choix d’applications des connaissances sortent du champ de la science et des missions des chercheurs[3]. Ils relèvent des options économiques des systèmes politiques dont les sociétés humaines se dotent. L’histoire présente ou passée fourmille d’exemples parmi lesquels on trouve le pire et le meilleur.

N’imputons pas à la science la responsabilité des erreurs flagrantes dans la prévention ou la gestion des risques, dans les catastrophes technologiques qui surviennent régulièrement, où, de façon évidente, c’est bien l’organisation et les choix économiques qui sont en cause. Et n’accordons pas, dans le même temps, vertu et bonté à Dame Nature. Cette dernière n’a ni intention, ni morale, mais représente simplement des lois physiques régissant un environnement plein de dangers et dans lequel l’Homme, par ses découvertes, a su commencer à sortir des contingences qu’elle impose.

Science et pseudo-sciences

Références


1 | John Stuart Mill, La Nature, éditions La Découverte 2003, page 68, probablement rédigé entre 1854 et 1858 et publié à titre posthume en 1874.
2 | ibid, page 62. ibid, page 59.
3 | Leur mission de chercheur consiste aussi à éclairer les choix. En tant que citoyens, ils sont concernés et impliqués comme n’importe quels citoyens.

Publié dans le n° 292 de la revue


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