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Après Fukushima

Froids raisonnements et chaude émotion

Publié en ligne le 27 août 2011 - AFIS -
Cet article est un complément à l’éditorial du numéro 297 de SPS, consultable ici.
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À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de trente personnes sont décédées des suites de l’infection par la bactérie E. coli entérohémorragique de souche O104:H4. Et aucune n’est décédée des suites de l’accident de Fukushima 1. La panique sur les fruits et légumes qui s’est répandue en Europe a conduit à des comportements irrationnels (en partie attisés par une communication désastreuse) et à une chute des ventes de concombres et de tomates. L’après Fukushima va sans doute conduire à l’arrêt ou au ralentissement des programmes nucléaires dans un certain nombre de pays. Heureusement, il n’est pas question d’un moratoire sur les fruits et légumes, bio ou pas bio.

Pour en revenir aux suites de Fukushima, le choix d’une politique énergétique est une décision de société, et ré-ouvrir ce débat est légitime. On peut être pour ou contre l’énergie nucléaire, mais il faut se déterminer pour de bonnes raisons. Nous revendiquons pour notre part des décisions rationnelles fondées sur des faits et des évaluations objectives. Il est toutefois à craindre que l’émotion l’emporte sur les arguments, les faits et le raisonnement.

Du côté du raisonnement, il faudrait considérer le bilan total, humain et sanitaire, du nucléaire, incluant les perspective à long terme (les cancers, les zones contaminées, celles qui seront rapidement décontaminées, etc.). Il faudrait aussi évaluer l’impact du remplacement du nucléaire par d’autres sources d’énergie. Avant que des politiques d’efficacité énergétique et de développement d’énergies renouvelables ne puissent peser d’un poids significatif, le gaz et le charbon vont largement prendre le relais, avec les conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre. Quelles conséquences sur le réchauffement climatique ? Faisant partie du débat de société, on ne peut ignorer la dimension géopolitique : la dépendance énergétique, le renchérissement des coûts de l’énergie, mais également, en contrepoint, le développent d’une économie autour des industries du renouvelable. A propos de la substitution d’une énergie par une autre, il faut aussi évaluer le bilan humain : sortir du nucléaire pour ré-entrer dans le gaz et le pétrole a un coût humain, à travers les accidents dans les mines, les accidents lors des forages pétroliers.

Du côté des émotions, il y a l’hyper-médiatisation, les informations alarmistes provenant de multiples sources, amplifiées par Internet et la mode du « tout savoir tout de suite ». Il y a également le sentiment du caractère incontrôlable de l’accident de Fukushima, alors que la « bactérie tueuse » s’est éteinte d’elle-même.

Jean de Kervasdoué titrait son dernier ouvrage « La peur est au dessus de nos moyens » 2. Peut-être le raisonnement et la décision rationnelle sont-ils encore au-delà de nos capacités... en particulier dans nos pays suffisamment riches pour se payer encore un peu de peur. Mais pour combien de temps ?

En prenant le temps de la réflexion, nous éclairerons dans notre prochain numéro les aspects techniques et scientifiques de « l’après Fukushima ».

Science et pseudo-sciences
Gaz de schiste : et si on écoutait les scientifiques ?

« En tant que scientifiques, et plus particulièrement en tant que chimistes, le « débat » sur les gaz de schiste, comme d’autres situations similaires, nous interpelle. Peut-on d’ailleurs parler de "débat" pour ce qui est resté une polémique médiatique, sans dimension scientifique ? [...] Sur le sujet hautement technique des réserves énergétiques, au cœur des enjeux de la planète de demain, les scientifiques n’ont pas eu leur mot à dire. Nous avons entendu les avis d’adversaires de tous bords et de toutes origines, lu une multitude d’articles plus alarmistes les uns que les autres, vu en boucle des images apocalyptiques d’eau qui brûle, assisté à un déferlement de discussions sur Internet, tout cela pour aboutir, après une décision d’interdiction, sur un « finalement, on est peut-être allé trop vite », qui commence à réagiter la sphère médiatique.

Les gaz de schiste, à l’égal de beaucoup d’autres sujets, méritent une discussion éclairée, rationnelle, analysée, relativisée, sur des bases solides. Mais personne n’a laissé le temps aux scientifiques d’expliquer les phénomènes, de mesurer les risques et surtout de rechercher et de proposer les antidotes éventuels à ces risques, avant de conclure éventuellement qu’il ne fallait pas emprunter cette voie.

La démarche politique, nourrie par l’emballement médiatique, s’est emparée d’un fait à haute portée symbolique, dans le contexte de Fukushima, pour en tirer un appel à l’action immédiate, qui ne pouvait se traduire que par une interdiction, une suspension, un moratoire [...].

La science a des propositions de réponse à apporter et peut être source de solutions aux différents défis auxquels sont confrontées nos sociétés [...]. »

Extraits d’un appel signé des professeurs Avelino Corma, Gérard Férey, Jean Fréchet, Martin Janssen, Jean-Marie Lehn, Bernard Meunier et Bernard Bigot, président de la Fondation internationale de la Maison de la chimie. Jean-Marie Lehn, prix Nobel de Chimie, est également membre du comité de parrainage de l’AFIS.

L’intégralité du texte est consultable à l’adresse suivante : http://archives.lesechos.fr/archive...

1 Bien entendu, les cancers qui se développeront plus tard sont largement mis en avant, avec la référence à Tchernobyl. Signalons simplement qu’à la différence de Tchernobyl, à Fukushima, il n’y a pas eu de « liquidateurs » devant intervenir sur un « cœur fondu à ciel ouvert », et que les populations ont été évacuées de façon préventive.

2 Jean de Kervasdoué, La peur est au-dessus de nos moyens. Pour en finir avec le principe de précaution (Plon, 2011, 240 pages).

Publié dans le n° 297 de la revue


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