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Une tête qui croit en l’astrologie

Publié en ligne le 17 janvier 2009 - Astrologie -

À la table d’un Casino d’Évian, au bord du lac Léman, deux personnes s’entretiennent. Nous sommes en 1987. Lui, ancien ministre, évoque, peut-être avec un peu de nostalgie, sa gloire et son pouvoir passés. Elle, astrologue distinguée, l’écoute sans doute avec intérêt, puis parle de Saturne en opposition avec Vénus, du Scorpion dans le Taureau et de Mercure rétrograde. Est-ce lui qui ose la question ou elle qui, rusée, l’anticipe ? Toujours est-il que l’astrologue promet au responsable politique déchu un avenir radieux : « Je vois pour vous un retour fracassant ». Flatté et frémissant, ne sachant s’il peut y croire, l’ancien ministre scelle un pacte avec sa sibylle d’un soir : « si vous avez raison, alors vous pourrez me demander n’importe quoi ! » (toutes les citations sont extraites de la prose d’Élizabeth Teissier : voir Science et pseudo-sciences n°243, page 40).

L’année suivante, un renversement de majorité met fin à une première cohabitation politique en France, et Jack Lang (« ministre déchu » du lac Léman) retrouve son poste. L’astrologue a-t-elle toujours en tête l’anecdote de l’année passée ? Et si tel est le cas notre homme politique tiendra-t-il sa promesse ?

Le 2 février 1994, Le Figaro annonce sous le titre « L’astrologie au seuil de la Sorbonne » que cette discipline pourrait être à nouveau enseignée dans la prestigieuse université. Elizabeth Teissier (sibylle du lac Léman) donne des interviews sur le sujet. Jean-Claude Pecker et Evry Schatzman, membres de l’Académie des Sciences, s’en inquiètent et écrivent chacun une lettre au Recteur de l’Académie. La réponse est heureusement un démenti formel (voir Science et pseudo-sciences n° 208).

Juillet 2000, dans une interview donnée à Karl Zéro pour Le Vrai papier journal, Elizabeth Teissier accorde quelques indiscrétions au public. Elle revient sur l’épisode du lac Léman et nous apprend qu’au changement ministériel de 1988, elle n’avait nullement oublié la promesse de Jack Lang : « je lui demande illico de me présenter au recteur de la Sorbonne, où l’astrologie devrait retrouver droit de cité ».

Il n’est pas de notre propos d’accorder ou non un quelconque crédit aux « révélations » d’Elizabeth Teissier. Mais, à ce jour, elles n’ont reçu aucun démenti. Notre médiatique astrologue en rajoute même une louche dans Le Nouvel Observateur du 3 août 2000 : « si un homme aussi intelligent que François Mitterrand prenait l’astrologie en compte, pourquoi ne pas la réintroduire comme science ? », interroge-t-elle. Les médias, à l’aube du troisième millénaire, sont toujours aussi conciliants avec les pseudosciences.

Les hommes politiques ne se cachent même plus et avouent tranquillement avoir recours aux « talents » de voyants et d’astrologues. La superstition se banalise. Certains sociologues relativistes nous expliquent que, finalement, la vérité n’est peut-être pas « une » et qu’entre science et pseudo-sciences le fossé que les « rationalistes bornés » s’obstinent à creuser n’a pas vraiment sa raison d’être. Que de motifs d’inquiétude profonde pour qui veut raison garder. L’idée que Jack Lang, ministre de l’Éducation Nationale, a pu traiter des dossiers importants avec « une tête qui croit en l’astrologie », selon la phrase de Jean Rostand, nous inquiète et suscite notre angoisse en nous rappelant les errements passés de Georgina Dufoix, qui usa de ses prérogatives de ministre et de toute sa foi dans les médecines « parallèles » pour tenter de redorer le blason de l’homéopathie (voir Science et pseudo-sciences n° 159).

Dans son passionnant livre Histoire de l’avenir (Fayard, 1996), Georges Minois nous conte le goût immodéré et naïf des politiciens de l’Antiquité pour les prédictions, les divinations et autres oracles (voir encadré). Aujourd’hui, au pays du Siècle des Lumières et en ces temps où l’internationalisation des relations financières, politiques, culturelles et scientifiques exige une vigilance et une rigueur accrues des gouvernants, le comportement irrationnel de certains de nos dirigeants nous apparaîtrait pour le moins désespérant, si nous n’y puisions pas de nouvelles raisons de poursuivre plus que jamais notre action...

Éditorial de Science et pseudo-sciences n° 243, août 2000.

On le sait, François Mitterrand a régulièrement reçu à l’Élysée, à partir de 1989, l’astrologue Elizabeth Teissier. Cette dernière en a tiré un livre, Sous le signe de Mitterrand, dans lequel elle raconte ses sept années d’entretiens avec le président.

L’intéressé ayant disparu avant la publication du livre, on ne saura pas ce que lui-même aurait pensé des propos rapportés : des thèmes astraux de Rocard, Chevènement ou Cresson que l’astrologue affirme avoir dressés, des consultations sur la guerre en Irak, la mort de l’ancien premier ministre Pierre Bérégovoy, et bien sûr, le cancer qui allait emporter le Président, autant de sujets qu’Élizabeth Teissier affirme avoir exploré au travers des astres avec le président disparu.

Avant lui, Charles de Gaulle aurait eu recours aux services d’un astrologue de 1944 à sa disparition en 1969. À 85 ans, Maurice Vasset confie quelques souvenirs au journal Le Nouvel Observateur (3 août 2000) : « Je ne peux rien divulguer parce que je suis doublement tenu au secret, en tant que militaire et en tant qu’astrologue ». Tout juste précisera-t-il que de Gaulle lui aurait écrit « Vasset, vous êtes un bon soldat, mais aussi un bon astrologue ». L’astrologue affirme qu’il avait déconseillé au Président d’organiser le référendum de 1969 qui allait conduire à sa défaite : « je le voyais perdu, il n’a pas voulu me croire ». Là non plus, le principal intéressé n’est plus là pour se défendre.

La prédiction populaire ne fait pas rêver que les excentriques. Elle est aussi utilisée au XXe siècle par les hommes politiques, même les plus réalistes. La consultation des astrologues et voyantes est dans ce milieu fort discrète, mais prouve qu’il y a toujours une part de l’esprit de Catherine de Medicis dans les dirigeants actuels. Joseph Staline recourt aux services d’un voyant géorgien pour les affaires courantes, et à ceux du Polonais Wolf Messing pour la grande politique. Ce dernier, hypnotiseur, astrologue et caractérologue dont les capacités sont reconnues par l’Académie des sciences d’URSS, est consulté régulièrement […]. Dans l’autre camp, on ne manque pas non plus de prophètes. Hitler rencontre en 1923 Houston Stewart Chamberlain, qui lui écrit : « De hautes tâches vous attendent », et qui prédit le triomphe de la race supérieure. Dans l’entourage du Führer, […] on accommode sans peine le caméléon Nostradamus pour en faire un prophète du nazisme. Les dirigeants du IIIe Reich vivent dans une atmosphère millénariste […]. Toute la carrière de Hitler est jalonnée de la présence de devins dont il est bien difficile d’estimer le rôle exact, de Karl Brandler- Pracht, un Viennois, rédacteur de Astrologische Rundschau, conseiller astrologique secret jusqu’en 1937, à un certain Kraft pendant la guerre […]. L’astrologue le plus célèbre du Reich est Eric Hanussen, qui compte parmi ses clients dès le début des années 1920 Roehm, Goebbels, Himmler, Hess, puis Hitler lui-même. […] Après 1933, il dirige l’Okultismus Paläst de Berlin, où il rédige, sur la demande du chancelier, les thèmes astrologiques de Chamberlain, Churchill, Daladier, Staline, Roosevelt, Mussolini et bien d’autres personnalités avec lesquelles le Reich pouvait avoir affaire. Pendant la guerre, la propagande allemande, mais aussi alliée, utilise largement les prédictions astrologiques comme arme psychologique [...].

Astrologues et voyants font traditionnellement partie des conseillers occultes de la présidence américaine. Une des personnalités les plus importantes est Jane Dixon, astrologue, voyante et chrétienne, donc en contact avec toutes les sources d’information sur le futur. Frankin Roosevelt la consulte régulièrement, et l’exploit de sa vie aurait été la prédiction dès 1952 de l’élection et de l’assassinat de J.F. Kennedy. Spécialiste en visions d’attentats, elle aurait également « vu » à l’avance la mort de Gandhi, de Martin Luther King, de Robert Kennedy, et prédit que les Russes arriveraient les premiers sur la Lune, ainsi – tradition oblige – qu’une guerre planétaire en 1999.

Les grands de ce monde ne se vantent évidemment pas de leurs fréquentations astrologiques et extra-lucides, pas plus d’ailleurs que du rôle de leurs conseillers en communication. L’homme public se doit de paraître maître de son destin […]. Où s’arrête la vérité concernant par exemple les prédictions de Mme Fraya, célèbre chiromancienne des débuts du siècle, qui aurait compté parmi ses clients Jean Jaurès, Aristide Briand, Louis Barthou, Albert Sarraut, Georges Clemenceau ? […] En 1917, Raymond Poincaré l’aurait convoquée à l’Élysée pour en savoir plus sur l’issue d’un conflit alors dans une impasse totale […].

Les plus grands de ce siècle se sont laissé tenter. De Gaulle consulte Barbara Harris à Londres […]. De Nixon à Hassan II et de Vincent Auriol à Antoine Pinay, sans compter un grand nombre de simples parlementaires, le monde politique, à tous les niveaux, continue à recourir aux services de la prédiction populaire. À en croire les rumeurs des couloirs de l’Assemblée nationale, astrologie et cartomancie ont encore un bel avenir dans les milieux politiques.

Georges Minois, Histoire de l’avenir, des prophètes à la prospective, Fayard, 1996. Pages 575-577.