Aliments ultra-transformés : le mal incarné ?
Publié en ligne le 21 janvier 2025 - Alimentation -
Depuis quelques années, une nouvelle catégorie d’aliments fait couler beaucoup d’encre. À moins que vous ne cuisiniez l’intégralité de vos repas, il y a fort à parier que vous aussi, vous en consommez. Cette catégorie, c’est celle des aliments ultra-transformés. Si leur notoriété ne cesse de s’accroître, c’est qu’ils sont accusés d’augmenter le risque de maladies chroniques. De nombreuses instances de santé plaident désormais pour une diminution de leur consommation au profit de produits plus bruts. S’agissant de l’impact de l’alimentation sur la santé, le degré de transformation devraitil désormais prévaloir sur sa composition en nutriments ? Devrions-nous donc systématiquement éviter ces aliments ? Comme bien souvent en nutrition, la nuance est de mise.
Qu’est-ce qu’un aliment ultra-transformé ?
Qu’il s’agisse de la cuisson, de la fabrication du pain ou encore de la mise en conserve, la transformation des aliments ne date pas d’hier. Néanmoins, l’augmentation de notre consommation d’aliments industriels ainsi que l’évolution des processus de transformation inquiètent désormais une partie de la communauté scientifique. C’est ainsi qu’en 2009, Carlos A. Monteiro, professeur titulaire au département de nutrition à l’université de São Paulo, affirme qu’en matière de nutrition et de santé, « le problème n’est pas tant la nourriture, ni les nutriments, mais la transformation » [1]. Il propose alors un nouveau système de classification des aliments. Contrairement à l’approche « classique » qui étudie les liens entre les groupes d’aliments p. ex : féculents, fruits et légumes, viandes) et la survenue de maladies chroniques en fonction de leur composition en nutriments, il suggère d’utiliser à la place une approche selon le niveau de transformation des aliments.
C’est ainsi que la classification Nova a vu le jour, dans laquelle les aliments sont répartis en quatre catégories (voir encadré ci-après) :
- les aliments non transformés ou peu transformés ;
- les ingrédients culinaires transformés ;
- les aliments transformés
- les aliments ultratransformés (parfois abrégés par « AUT »).
Elle fut par la suite utilisée dans de nombreuses études scientifiques, afin d’évaluer les risques de la consommation d’aliments ultra-transformés sur notre santé.
Aliments ultratransformés et santé
C’est donc par le biais de la classification Nova que de nombreuses études épidémiologiques ont, depuis, exploré le lien entre la consommation d’aliments ultra-transformés et la survenue de pathologies chroniques. Les résultats issus de ces études ont été récemment synthétisés dans une revue de la littérature scientifique [2]. En résumé, une consommation élevée d’aliments ultra-transformés serait associée à un risque accru d’une trentaine de problèmes de santé. Il est notamment question de mortalité, de cancers, de maladies cardiovasculaires, de troubles psychiques ou encore de maladies métaboliques (diabète, obésité). Ce risque est par exemple jugé « convaincant » pour le diabète de type 2 et les troubles psychiques, tandis qu’il est jugé « faible » pour l’obésité ou le cancer colorectal.
Catégorie 1 : les aliments non transformés ou peu transformés
Les aliments non transformés (ou naturels) sont les parties comestibles des plantes (telles que les fruits, les feuilles, les tiges, les graines, les racines) ou des animaux (tels que les muscles, les abats, les œufs, le lait), ainsi que les champignons, les algues et l’eau, après leur séparation de la nature. Les aliments peu transformés sont des aliments naturels modifiés par des méthodes comprenant l’élimination des parties non comestibles ou indésirables, ainsi que par des procédés tels que le séchage, le broyage, la pulvérisation, le fractionnement, le filtrage, la torréfaction, l’ébullition, la fermentation non alcoolique, la pasteurisation, la réfrigération, la congélation, la mise en conteneurs et l’emballage sous vide.
Catégorie 2 : les ingrédients culinaires transformés
Les ingrédients culinaires transformés comprennent les huiles, le beurre, le saindoux, le sucre et le sel. Pris isolément, les ingrédients culinaires transformés sont déséquilibrés, car ils sont appauvris en certains ou en la plupart des nutriments. Mais l’essentiel est qu’ils sont rarement, voire jamais, consommés seuls.
Catégorie 3 : les aliments transformés
Il s’agit des légumes en conserve ou en bouteille, ou des légumineuses conservées en saumure, des fruits entiers conservés dans du sirop, des poissons conservés dans de l’huile, de certains types d’aliments transformés d’origine animale tels que le jambon, le bacon, le pastrami et le poisson fumé, de la plupart des pains fraîchement cuits et des fromages simples auxquels on ajoute du sel.
Les procédés de fabrication comprennent diverses méthodes de conservation ou de cuisson et, pour les pains et les fromages, la fermentation sans alcool.
Catégorie 4 : les aliments ultra-transformés
Les aliments ultra-transformés proviennent de formulations d’ingrédients, la plupart du temps à usage industriel exclusif, généralement créées par une série de techniques et de processus industriels (d’où le terme « ultra-transformé »). Parmi les produits ultratransformés les plus courants figurent les boissons gazeuses, les en-cas sucrés, gras ou salés emballés, les bonbons (confiserie), les pains et brioches, les biscuits, les pâtisseries, les gâteaux et les préparations pour gâteaux produits en masse, la margarine et autres pâtes à tartiner, les « céréales » sucrées pour le petit-déjeuner, les yaourts aux fruits et les boissons « énergisantes » ; les plats préparés à base de viande, de fromage, de pâtes et de pizza ; les « nuggets » et les « bâtonnets » de volaille et de poisson ; les saucisses, les hamburgers, les hot-dogs et autres produits à base de viande reconstituée ; les soupes, les nouilles et les desserts « instantanés » en poudre et emballés ; les préparations pour nourrissons ; et bien d’autres types de produits. Des colorants, des arômes, des émulsifiants et d’autres additifs sont fréquemment ajoutés pour rendre le produit final appétissant ou attrayant.
Source
Monteiro CA et al., “Ultra-processed foods, diet quality and human health”, Food and Agriculture Organization of the United Nations, Rapport, 2019. Sur openknowledge.fao.org (choix des extraits et traduction par la rédaction).

Ces nouvelles données ont eu un impact direct sur les recommandations issues des instances de santé publique. Si pendant longtemps, ces messages se concentraient sur les apports en nutriments (le fameux « pour votre santé, ne mangez pas trop gras, trop sucré, trop salé »), les aliments ultra-transformés y sont désormais intégrés. C’est le cas en France, dans le cadre du Programme national nutrition santé, qui recommande désormais de limiter la consommation d’aliments ultra-transformés [3]. Pour certains chercheurs, il faudrait aller encore plus loin et refonder les recommandations, en se fondant d’abord sur le niveau de transformation des aliments [4]. Ils proposent d’introduire un « effet matrice » qui prendrait en compte la manière dont un aliment est préparé : « À composition strictement identique, mais avec des matrices différentes, deux aliments n’auront pas le même impact sur l’organisme et donc, à plus long terme, sur la santé » [5].
Plusieurs types de reproches sont adressés aux aliments ultra-transformés. Premièrement, ils présenteraient globalement un plus mauvais profil nutritionnel. En effet, ils sont à la fois plus riches en sucres libres, sel, graisses de mauvaise qualité, mais également plus pauvres en fibres, protéines, vitamines et minéraux [6]. Deuxièmement, si une alimentation contient une importante part d’aliments ultra-transformés, elle se fera automatiquement au détriment d’aliments plus « bruts » et jugés plus bénéfiques, tels que les fruits, les noix ou les légumineuses [6]. Enfin, la troisième raison, qui, fait encore débat au sein de la communauté scientifique, c’est le processus de transformation en lui-même qui engendrerait des risques pour la santé. Et pour étayer cette hypothèse, plusieurs mécanismes sont avancés.
L’hypothèse de l’ultratransformation
Si de nombreuses études convergentes montrent que la composition nutritionnelle des aliments
ultra-transformés pourrait favoriser la survenue de maladies chroniques, la question du rôle des processus d’ultra-transformation fait encore débat. Ainsi, cinq mécanismes sont habituellement évoqués pour soutenir cette hypothèse :
- L’altération des « matrices alimentaires » : c’est par exemple le cas du jus d’orange. Sa consommation n’équivaut pas à celle de l’orange, puisqu’il se trouve dépourvu de fibres. Compte tenu de leur faible consommation dans la population générale ainsi que de leurs effets sur la santé métabolique [7], cette perte est plutôt dommageable.
- La présence d’additifs alimentaires : bien que la majorité des additifs alimentaires ne soient pas problématiques, certains d’entre eux pourraient avoir des effets délétères et font l’objet d’une attention particulière, comme les émulsifiants, les édulcorants ou encore les nitrates [2].
- Les substances indésirables générées lors des processus de transformation : on peut citer ici l’exemple de la réaction de Maillard à l’œuvre lors du traitement thermique des aliments et qui contribue à leur saveur, leur arôme et leur couleur (brunissement du pain toasté ou lors de grillades au barbecue par exemple). Elle génère des substances qui pourraient favoriser les processus inflammatoires [8]).
- Les contaminants liés aux emballages : le plus connu est probablement le bisphénol A. Cette substance, utilisée pour la fabrication de certains plastiques, est jugée potentiellement toxique par l’autorité européenne de sécurité des aliments [9].
- L’hyper palatabilité : dit autrement, à quel point ils sont appétissants. Cela implique toutes les méthodes visant à rendre l’aliment plus attrayant, qu’il s’agisse de son aspect, sa texture ou encore ses arômes. Ainsi, ces aliments seraient donc consommés en plus grande quantité, favorisant ainsi un surplus calorique quotidien [10].
Un ou plusieurs de ces mécanismes pourraient donc expliquer les effets indésirables des aliments ultra-transformés, indépendamment de leur profil nutritionnel. Cependant, tous les aliments ultra-transformés ont-ils les mêmes effets sur notre santé ?
Une catégorie confuse
La catégorie 4 de la classification Nova regroupe des aliments qui, à l’exception de leur important niveau de transformation, ne se ressemblent pas vraiment. On y retrouve par exemple du pain de mie en tranches, des chips ou des préparations pour nourrissons, placés au même « niveau ». Et c’est là l’une des principales critiques qui est adressée à cette catégorie : son importante hétérogénéité [11]. Certes, de nombreuses études ont rapporté une association entre la consommation d’aliments ultra-transformés et le risque de pathologies chroniques. Mais lorsqu’on se penche plus attentivement sur les résultats de ces dernières, on découvre une réalité plus nuancée. Plusieurs études se sont intéressées à ces associations, selon des sous-groupes d’aliments ultra-transformés. Si les produits ultra-transformés de type boisson ou à base de viande ou de poisson semblent être associés à un risque accru de pathologies chroniques, ce n’est pas le cas des produits ultra-transformés à base de fruits (compote industrielle par exemple), de produits céréaliers ou de substituts végétaux de viande (par exemple, les steaks végétaux à base de soja) [12, 13]. Dit plus simplement, s’il vaut mieux éviter de boire des sodas et de manger des nuggets de poulet, les compotes, steaks végétaux et pains complets en tranches ne semblent pas problématiques.
La recherche dans le domaine des aliments ultra-transformés est encore assez jeune, mais les données que nous possédons aujourd’hui suggèrent que tous ces produits ne semblent pas avoir le même impact sur notre santé. Ainsi, dans une fiche pédagogique sur le sujet, l’Académie d’agriculture de France souligne qu’en voulant s’affranchir de toute considération de composition nutritionnelle, la classification Nova conduit « souvent à confondre aliment industriel et aliment ultra-transformé et ainsi à laisser penser que toute transformation est négative » [14].
Conclusion et positionnement personnel
De nombreuses études ont désormais rapporté un lien entre la consommation globale d’aliments ultra-transformés et le risque de maladies chroniques, avec des niveaux de preuves plus ou moins convaincants. Toutefois, d’importantes différences apparaissent, en fonction des sous-groupes d’aliments ultra-transformés. Il sera sans doute nécessaire à l’avenir d’apporter quelques modifications ou sous-catégories dans la classification Nova. Les effets délétères de certains aliments ultra-transformés semblent d’abord liés à leur mauvais profil nutritionnel, bien que d’autres effets liés à l’ultra-transformation puissent également y contribuer. À ce jour, il ne semble donc pas y avoir suffisamment de preuves pour diaboliser l’intégralité de ces aliments.
« De plus en plus d’aliments font état de leur qualité nutritionnelle, par l’apposition d’un logo en face avant de l’emballage ; en Europe, c’est souvent le Nutri-Score, bien que différents autres systèmes existent. Or la classification Nova ne recoupe que partiellement ces classifications nutritionnelles des aliments. À titre d’illustration, une récente analyse de 9 000 produits alimentaires vendus en Espagne a montré que sur les 5 600 produits classés comme ultra-transformés, environ la moitié était certes de faible ou très faible qualité nutritionnelle (lettres E et D du NutriScore), mais plus d’un quart était de bonne ou très bonne qualité (lettres A ou B du NutriScore) [1]. Ce constat – même s’il s’explique par la différence d’objectif et de construction des deux systèmes – n’en demeure pas moins déroutant pour le consommateur : quelle réaction aura-t-il devant un produit doté du A vert du Nutri-Score mais figurant sur un menaçant cadre noir signalant un produit ultra-transformé, comme certains le proposent aujourd’hui ? Et en restant sur le plan de la formulation et des procédés, on ne peut que rester perplexe en observant que des aliments dont les listes d’ingrédients sont aussi éloignées que celle, par exemple, d’un yaourt aux fruits et d’une glace vegan appartiennent au même groupe des aliments ultra-transformés (AUT), alors qu’ils font appel à des ingrédients et à des procédés technologiques très différents. »
Source
Braesco V, « La classification des aliments, selon leur degré de transformation, par le système NOVA », Académie d’agriculture de France, fiche encyclopédique n° 08.04.Q12, novembre 2023.
Référence
1 | Ferreiro CR et al., “Two dimensions of nutritional value : Nutri-Score and NOVA”, Nutrients, 2021, 13 :2783.
Tandis que certains professionnels de santé ou influenceurs appelleront au principe de précaution et inciteront ainsi à éviter au maximum tous les aliments ultra-transformés, une approche plus pragmatique peut être envisagée. D’abord, parce que certains aliments ultra-transformés semblent ne pas poser problème. Mais aussi parce qu’aujourd’hui, beaucoup de personnes ne vont plus prendre le temps de cuisiner autant qu’à une certaine époque. Cela peut être lié à diverses raisons : manque de temps, d’envie, de compétences culinaires, de matériel de cuisine ou parfois même de place de stockage. Ainsi, pour l’Académie d’agriculture de France [15], plutôt que de rejeter en bloc tous les aliments ultra-transformés, « il serait plus approprié de cibler les points faibles des aliments incriminés, et de les corriger, de favoriser une information et une éducation nutritionnelles suffisantes pour que le consommateur puisse sélectionner les produits, ultra-transformés ou non, qui permettront une alimentation saine, agréable, peu coûteuse et simple à mettre en œuvre ». Le Nutri-Score, système d’étiquetage qui classe les aliments de A (meilleure qualité nutritionnelle) à E (moins bonne qualité nutritionnelle) pour aider les consommateurs à faire des choix alimentaires plus sains, est sans doute plus adapté et présente l’avantage, par rapport à Nova, d’une meilleure validation scientifique.
1 | Monteiro CA, “Nutrition and health : the issue is not food, nor nutrients, so much as processing”, Public Health Nutrition, 2009, 12 :729-31.
2 | Lane MM et al., “Ultra-processed food exposure and adverse health outcomes : umbrella review of epidemiological meta-analyses”, BMJ, 2024, 384 :e077310.
3 | Santé publique France, « Les aliments ultra-transformés : pourquoi moins en manger ? », Programme national nutrition santé « Manger Bouger », page web, 1er décembre 2021. Sur mangerbouger.fr
4 | Fardet A, « L’effet de la matrice des aliments pour prévenir les maladies chroniques : la qualité des calories compte plus que leur quantité », Information Diététique, 2023, 3 :37-49.
5 | Fardet A, « L’effet matrice des aliments, un nouveau concept », Pratiques en nutrition, 2017, 13 :37-40.
6 | Martini D et al., “Ultra-processed foods and nutritional dietary profile : a meta-analysis of nationally representative samples”, Nutrients, 2021, 13 :3390.
7 | Dreher ML, “Whole fruits and fruit fiber emerging health effects”, Nutrients, 2018, 10 :1833.
8 | Kellow NJ, Coughlan MT, “Effect of diet-derived advanced glycation end products on inflammation”, Nutrition Reviews, 2015, 73 :737-59.
9 | Lambré C et al., “Re-evaluation of the risks to public health related to the presence of bisphenol A (BPA) in foodstuffs”, EFSA Journal, 2023, 21 :e06857.
10 | Fazzino TL et al., “Meal composition during an ad libitum buffet meal and longitudinal predictions of weight and percent body fat change : the role of hyper-palatable, energy dense, and ultra-processed foods”, Appetite, 2021, 167 :105592.
11 | Vadiveloo MK, Gardner CD, “Not all ultra-processed foods are created equal : a case for advancing research and policy that balances health and nutrition security”, Diabetes Care, 2023, 46 :1327-9.
12 | Cordova R et al., “Consumption of ultra-processed foods and risk of multimorbidity of cancer and cardiometabolic diseases : a multinational cohort study”, The Lancet Regional Health Europe, 2023, 35 :100771.
13 | Srour B et al., “Ultraprocessed food consumption and risk of type 2 diabetes among participants of the NutriNet-santé prospective cohort”, JAMA Internal Medicine, 2019, 180 :283-91.
14 | Braesco V, « La classification des aliments, selon leur degré de transformation, par le système NOVA », Académie d’agriculture de France, fiche encyclopédique n° 08.04.Q12, novembre 2023.
15 | Braesco V, « Aliments ultra-transformés : comment expliquer que leur consommation soit associée à un risque accru de maladies ? », Académie d’agriculture de France, fiche encyclopédique n° 08.04.Q14, novembre 2023.
Publié dans le n° 350 de la revue
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L'auteur
Nicolas Parel

Diététicien (master of science) et assistant à la Haute École de santé de Genève.
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