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Analyse de la thèse de Madame Élizabeth Teissier

Publié en ligne le 15 août 2001 - Astrologie -

Paru initialement sur le site et repris dans le Hors-série Astrologie, juillet 2009.

Thèse soutenue le 7 avril 2001 à Université Paris


Introduction

La-non-thèse de sociologie d’Élizabeth Teissier

Bernard Lahire, Sociologue, Professeur à l’ENS Lettres et Sciences Humaines
avec la collaboration de
Philippe Cibois, Sociologue, Professeur à l’Université de Versailles St-Quentin
Dominique Desjeux, Anthropologue, Professeur à l’Université Paris V

Une non-thèse qui cache mal une vraie thèse : un plaidoyer pro-astrologique

Jean Audouze, Astrophysicien, Directeur du Palais de la découverte
Henri Broch, Physicien, Professeur à l’Université de Nice Sophia-Antipolis
Jean-Paul Krivine, Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences.
Jean-Claude Pecker, Astrophysicien, Professeur honoraire au Collège de France, membre de l’Institut
Denis Savoie, Historien des sciences, Palais de la Découverte

Remarques philosophiques conclusives

Jacques Bouveresse, Philosophe, Professeur au Collège de France

Lundi 6 août 2001

Introduction générale

Suite aux diverses réactions publiques qui ont suivi la soutenance de thèse de Madame Élizabeth Teissier, le 7 avril 2001 à l’Université Paris V, le directeur de la thèse ainsi qu’une partie des membres du jury ont immédiatement réagi en s’indignant du fait que l’on puisse se prononcer sur une thèse sans l’avoir lue. Ceux qui s’élevaient contre un très probable dysfonctionnement des procédures universitaires étaient ainsi accusés de manquer du minimum de sérieux requis. Comme il est fréquent en pareil cas, ce sont ceux qui ne respectent aucune des règles les plus élémentaires de la rigueur intellectuelle (sans même parler de rigueur scientifique) et commettent les plus grandes fautes, qui accusent ceux qui ont l’audace d’en parler de faire preuve d’un manquement caractérisé aux règles.

Mais l’argument selon lequel on ne peut juger que « sur pièce », même s’il était en l’occurrence utilisé comme un moyen de faire taire le doute légitime, est évidemment parfaitement recevable. La thèse n’était pas lue, il fallait donc prendre le temps de la lire. Et en tout premier lieu, il revenait à des sociologues de se prononcer, puisque la thèse (Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes) était une thèse inscrite en sociologie, dirigée par un professeur de sociologie, évaluée par un jury composé essentiellement de sociologues.

Une fois établie l’absence de sociologie tout au long de la thèse qui prétend pourtant se rattacher à l’une des grandes traditions sociologiques (cf. « La non thèse de sociologie d’Élizabeth Teissier »), le rapport de lecture pourrait se conclure sur un jugement de dysfonctionnement des procédures universitaires, pour ne pas dire plus. Mais la thèse se place elle-même sur un terrain qui échappe totalement au sociologue. Par ses multiples références à des mécanismes célestes et par la revendication permanente de la légitimité académique et scientifique du discours astrologique, l’auteur de la thèse oblige le lecteur-sociologue à passer le relais aux physiciens et astrophysiciens afin qu’ils se prononcent sur le degré de sérieux des références et citations scientifiques utilisées, ainsi que des arguments ou des « preuves irréfutables en faveur de l’influence planétaire » (cf. « Une non-thèse qui cache mal une vraie thèse : un plaidoyer pro-astrologique »). Enfin, parce qu’il est question d’épistémologie dans la thèse, que les références à des philosophes sont multiples et que la philosophie était représentée dans le jury de thèse, il paraissait logique d’examiner la thèse à partir d’un point de vue philosophique (cf. « Remarques philosophiques conclusives »).

Un tel rapport de lecture était indispensable pour qu’un peu plus de vérité sur cette thèse soit portée à la connaissance du public. Il a demandé un long et minutieux travail sur le texte, et ceux qui ont contribué à sa rédaction ont consenti à un tel investissement avec l’espoir qu’il soit utile au plus grand nombre.

Le 6 août 2001

La non-thèse de sociologie d’Élizabeth Teissier

par
Bernard Lahire, Sociologue, Professeur à l’ENS Lettres et Sciences Humaines
avec la collaboration de
Philippe Cibois, Sociologue, Professeur à l’Université de Versailles St-Quentin
Dominique Desjeux, Anthropologue, Professeur à l’Université Paris V

Le samedi 7 avril de cette année, Madame G. Élizabeth Hanselmann-Teissier (dite Élizabeth Teissier) soutenait une thèse de sociologie (intitulée Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes) à l’Université Paris V, sous la direction de Michel Maffesoli 1, Françoise Bonardel 2 et Patrick Tacussel 3 (Gilbert Durand 4 s’étant excusé de ne pouvoir être présent et Patrick Watier 5 n’ayant pu se rendre à la soutenance en raison de grèves de train) - lui ont accordé la mention « Très honorable ». Cette mention est la plus haute qu’un candidat puisse recevoir et le fait qu’elle ne soit pas assortie des félicitations du jury n’ôte rien à l’appréciation très positive qu’elle manifeste (de nombreux universitaires rigoureux ne délivrant la mention « très honorable avec les félicitations » que dans les cas de thèses particulièrement remarquables). Deux professeurs avaient préalablement donné un avis favorable à la soutenance de cette thèse sur la base d’une lecture du document : Patrick Tacussel et Patrick Watier. Formellement, Madame Élizabeth Teissier est donc aujourd’hui docteur en sociologie de l’université de Paris V et peut - entre autres choses - prétendre, à ce titre, enseigner comme chargée de cours dans les universités, solliciter sa qualification afin de se présenter à des postes de maître de conférences ou déposer un dossier de candidature à un poste de chargée de recherche au CNRS.

Une lecture rigoureuse et précise de la thèse dans son entier (qui fait environ 900 pages si l’on inclut l’annexe intitulée « Quelques preuves irréfutables en faveur de l’influence planétaire », p. XII-XL) conduit à un jugement assez simple : la thèse d’E. Teissier n’est, à aucun moment ni en aucune manière, une thèse de sociologie. Il n’est pas même question d’un degré moindre de qualité (une “mauvaise” thèse de sociologie ou une thèse “moyenne”), mais d’une totale absence de point de vue sociologique, ainsi que d’hypothèses, de méthodes et de “données empiriques” de nature sociologique.

Ce sont les différents éléments qui nous conduisent à ce jugement que nous voudrions expliciter au cours de ce rapport de lecture en faisant apparaître que la thèse 1) ne fait que développer un point de vue d’astrologue et 2) est dépourvue de tout ce qui caractérise un travail scientifique de nature sociologique (problématique, rigueur conceptuelle, dispositif de recherche débouchant sur la production de données empiriques...).

UN POINT DE VUE D’ASTROLOGUE

Que l’astrologie (l’existence bien réelle d’astrologues), les modes d’usage et les usagers (à faible ou forte croyance) de l’astrologie constituent des faits sociaux sociologiquement étudiables, que l’on puisse rationnellement (et notamment sociologiquement ou ethnologiquement, mais aussi du point de vue d’une histoire des savoirs) étudier des faits scientifiquement perçus comme irrationnels, qu’aucun sociologue n’ait à décider du degré de dignité des objets sociologiquement étudiables (en ce sens l’astrologie comme fait social est tout aussi légitimement étudiable que les pratiques sportives, le système scolaire ou l’usage du portable), qu’un étudiant ou une étudiante en sociologie puisse prendre pour objet d’étude une réalité par rapport à laquelle il a été ou demeure impliqué (travailleur social menant une recherche sur le travail social, instituteur faisant
une thèse de sociologie de l’éducation, sportif ou ancien sportif pratiquant la sociologie du sport...), ne fait à nos yeux aucun doute et si les critiques adressées à Michel Maffesoli et aux membres du jury étaient de cette nature, nul doute que nous nous rangerions sans difficulté aux côtés de ceux-ci. Tout est étudiable sociologiquement, aucun objet n’est a priori plus digne d’intérêt qu’un autre, aucun moralisme ni aucune hiérarchie ne doit s’imposer en matière de choix des objets, seule la manière de les traiter doit compter.

Mais de quelle manière E. Teissier nous parle-t-elle d’astrologie tout au long de ses 900 pages ? Qu’est-ce qui oriente et structure son propos ? La réponse est assez simple, car il n’y a aucune ambiguïté possible sur ce point : le texte d’E. Teissier manifeste un point de vue d’astrologue qui défend sa « science des astres » du début jusqu’à la fin de son texte, sans repos. Et pour ne pas donner au lecteur le sentiment d’un parti-pris déformant, nous multiplierons les extraits tirés du texte de la thèse en indiquant entre parenthèses la référence des pages (afin de donner la possibilité de retourner aisément au texte) 6.

Des commentaires astrologiques

La première caractéristique notable de cette thèse est l’absence de distance vis-à-vis de l’astrologie. On y découvre de nombreux commentaires astrologiques sur des personnes, des événements, des époques. Par exemple, sous le titre « Application de la méthode astrologique : l’analyse du ciel natal d’André Malraux », les pages 120 à 131 de la thèse relèvent clairement d’une « analyse astrologique » de la destinée de l’écrivain et ancien ministre (« plutonien grand teint »). M. Weber est qualifié de « taureau pragmatique » (p. 38) et l’on « apprend » diversement que G. Simmel est « Poisson », que W. Dilthey est « Scorpion », que le psychologue C. G. Jung est « Lion » (p. 250), que l’ancien PDG d’Antenne 2, Marcel Jullian, est « Verseau », etc. à chaque fois l’auteur, nous gratifie d’une analyse mettant en correspondance le « ciel natal » de la personnalité et sa pensée.

E. Teissier est d’ailleurs très claire quant à la primauté de l’explication astrologique sur tout autre point de vue (dont le point de vue sociologique qu’elle est censée mettre en œuvre dans le cadre d’une thèse de sociologie) pour comprendre les faits sociaux. Critiquant une citation de Serge Moscovici qui évoque les causes sociales des crises, elle écrit : « il nous semble qu’il occulte en l’occurrence la dimension cosmique desdits phénomènes ; une dimension qui, selon le paradigme astrologique - et notre conviction - vient coiffer le social. En effet, le social est loin d’expliquer toutes les “crises... qui se produisent dans la société”. à preuve les actions totalement illogiques, non linéaires, non-logiques et inexplicables autrement que par le paramètre astral qui joue alors le rôle de paramètre éclairant et englobant coiffant le non-logique apparent. » (p. 525). C’est l’astrologie qui explique les faits psychologiques, sociaux et historiques.

Et c’est E. Teissier qui conclut elle-même son premier tome par un lapsus (sociologiquement compréhensible) ou un aveu, comme on voudra, consistant à parler de sa réflexion comme relevant d’un travail d’astrologue et non de sociologue : « Le travail de l’astrologue sera maintenant d’interpréter ces données, de tenter aussi de les expliquer. Et ce, ainsi que nous sommes convenus depuis notre étude, à travers l’outil de la compréhension. Rappelons-nous en quels termes Weber définit la sociologie dans Wirtschaft und Gesellschaft... » (p. 463)

L’astrologie est à ce point structurante du propos que, bien souvent, la manière dont E. Teissier conçoit son rapport à la sociologie consiste à puiser dans les textes de sociologues des éléments qui lui « font penser » à ce que dit ou fait l’astrologie. Dans la sociologie, une astrologie sommeille :

[à propos de la notion astrologique d’interdépendance universelle] « Une notion qui, en sociologie, peut être rapprochée du Zusammenhang des Lebens (liaison du vécu au quotidien) de Dilthey, d’une cohérence de la vie où chaque élément est pris en compte et complète le donné social » (p. XIV) « à noter que la typologie zodiacale rappelle la théorie wébérienne de l’idéal-type, dans la mesure où chaque signe correspond au prototype purement théorique d’une personnalité, en liaison avec le symbolisme du signe. » (p. 248)

Point de vue normatif et envolées prophétiques

Le point de vue sociologique n’est pas un point de vue normatif porté sur le monde. Le sociologue n’a pas, dans son étude des faits sociaux, à dire le bien et le mal, à prendre partie ou à rejeter, à aimer ou à ne pas aimer, à faire l’éloge ou à condamner. En l’occurrence, une sociologie de tel ou tel aspect du « fait astrologique » ne doit en aucun cas se prononcer en faveur ou en défaveur de l’astrologie, dire si c’est une bonne ou une mauvaise chose. Or, Élizabeth Teissier demeure en permanence dans l’évaluation normative des situations, des personnes et des points de vue, prouvant qu’elle écrit en tant qu’astrologue et non en tant que sociologue des pratiques astrologiques. Ce jugement normatif se manifeste, comme nous le verrons tout au long de ce rapport de lecture, à différents niveaux :

1) Dans l’évaluation positive (défense) de l’astrologie. De ce point de vue, tous les moyens sont bons pour prouver l’intérêt de l’astrologie. E. Teissier se sert de façon générale de la légitimité des « grands » qui auraient accordé de l’intérêt pour l’astrologie 7, quelle que soit la nature de leur « grandeur » (elle peut ainsi tout aussi bien citer Balzac, Goethe, Fellini, Thomas d’Aquin, Bacon, Newton, Kepler, Einstein, Jung, Laborit, le roi Juan Carlos d’Espagne ou l’ancien Président François Mitterrand) : politique, cinématographique, philosophique, littéraire et, bien sûr, scientifique.

2) Dans l’évaluation négative de la partie des astrologues jugés peu sérieux, mais aussi de la voyance et autres pratiques magiques. Si E. Teissier ne se prive pas d’être dans le jugement positif à l’égard de l’astrologie qu’elle qualifie de « sérieuse », elle n’hésite pas à porter un regard négatif sur les autres pratiques. En portant de telles appréciations, elle se comporte alors en astrologue en lutte pour le monopole de la définition de l’astrologie légitime, et nullement en sociologue.

3) Dans l’évaluation négative des scientifiques (astronomes notamment, mais pas seulement) qui ne veulent pas reconnaître la légitimité de la « science des astres » (cf. infra « L’astrologie victime d’un consensus socioculturel et de la domination de la “science officielle” »).

4) Dans l’évaluation négative de nombres de journalistes ou de médias qui se moquent des astrologues et de l’astrologie (cf. infra « Les données » : anecdotes de la vie personnelle, médiatique et mondaine d’E. Teissier).

Mais de même qu’il ne doit être ni dans l’éloge ni dans la détestation, le sociologue n’étudie que ce qui est et non ce qui sera. Or, E. Teissier annonce l’avenir à de nombreuses reprises, prophétisant ce qu’elle désire ou, comme on dit plus ordinairement, prenant ses désirs pour des réalités (à venir). Si l’astrologue critique la lecture de l’avenir dans le marc de café, elle n’hésite cependant pas elle-même à prédire l’avenir sur la base de ses simples intuitions personnelles :
« Nous oserons même tenter une incursion imaginaire dans l’avenir, à la recherche, en quelque sorte, du temps futur et de l’évolution probable du phénomène socio-astrologique » (p. 69)
« Car la raison sèche, la raison ratiocinante a fait son temps. Voici venir l’âge d’une raison ouverte, d’une « raison plurielle », réconciliée avec la passion et le vital en l’homme, sa libido - ou pulsion vitale - véhiculant à la fois sa sensibilité et son feu intérieur. » (p. 834)
« Mais les nouvelles énergies sont en marche, comme l’annonce Abellio, “l’incendie de la nouvelle science fera irruption dans le monde” » (p. 850)

L’astrologie est une science, voire la plus grande des sciences

Une lecture exhaustive de la thèse fait apparaître que l’auteur soutient que l’astrologie est une science. L’auteur parle diversement de la « science des astres » (à de très nombreuses reprises tout au long de la thèse) ou de « la science empirique des astres » (p. 258), de « la science par excellence de la caractérologie » (p. XI), de « la science par excellence de la personnalité » (p. 92 ou 815), de la « science de la qualité du temps » (p. 112), d’une « science empirique par définition » (p. 769) ou de « la reine des sciences » (p. 72) 8. Parfois l’astrologie est considérée comme une science sociale parmi d’autres, parfois comme une « science de l’esprit » opposée aux « sciences de la nature » ou une « science humaine » (p. 98) opposée à l’astronomie comme « science de l’observation ».

Mais on trouve aussi, toujours dans l’ordre de la référence scientifique, des revendications de plus grande dignité et de supériorité. Non seulement l’astrologie est une science, mais c’est la plus haute des sciences :
« Elle apparaît de ce fait comme peut-être la seule science objective de la subjectivité, avec ce qu’elle peut contenir d’hénaurme, au sens ubuesque du mot, et de dérangeant. » (p. 250) « L’astrologie est la mathématique du tout (dans la Rome antique, les astrologues étaient d’ailleurs appelés les mathematici). Elle est holistiquement logique, au contraire d’une logique fragmentaire, linéairement rationnelle. » (p. 501) « Que connaissaient-ils tous de cette science ? Car à nos yeux, c’en était une, une science humaine bien plus charpentée que beaucoup d’autres, qui étaient respectées, elles. D’où venait que la plus vérifiable était justement la plus tabou, la plus salie, la plus rejetée ? à croire que la vérité était maudite quelque part. » (p. 597-598)

Il ne faut cependant pas attendre de l’auteur trop de cohérence au sujet de la scientificité de l’astrologie, car elle peut tout aussi bien soutenir à d’autres moments que ce savoir se situe entre le mythe et la science ou qu’il est finalement en lien avec la plupart des sciences humaines et sociales, la philosophie, la poésie, la religion et la mythologie. Cette variété des définitions hétérogènes participe de la volonté de mettre en évidence l’extraordinaire richesse et l’irréductible complexité de l’astrologie (p. 21, 210, 478, etc.).

Ailleurs encore, l’astrologie est présentée comme étant presque à l’avant-garde du « Nouvel esprit scientifique » et participant d’une « épistémologie de la complexité ». Non seulement elle est une science, et l’une des plus grandes d’entre elles, mais en plus elle s’avère plus avancée que toutes les autres :

Le « système astrologique » est « orienté sur la loi hermétique des correspondances, sur l’idée de sympathie universelle, autrement dit sur la notion, essentielle pour le Nouvel Esprit scientifique, d’interdépendance universelle » (p. XIV) « l’astrologie [...] non seulement ne serait pas en contradiction avec le paradigme du Nouvel esprit scientifique, mais serait au contraire depuis toujours en congruence totale avec ce dernier » (p. 752)

Mais si l’astrologue est si en avance, c’est - nous explique l’auteur sans rire - qu’à la différence de l’astronome « qui a en général une approche purement physique et mécaniste de sa science » et qui « est hypnotisé par la petitesse des astres, leur éloignement, leur faible masse par rapport au Soleil », lui, « en écoute la musique » (p. 98). La tristesse du savoir de celui qui « évalue le poids et la matière du disque, ses dimensions et sa température, suppute sa densité » (p. 98) est grande face à la joie de celui qui sait écouter « la musique des sphères, chère déjà à Plotin, avant qu’elle ne fasse rêver Kepler » (p. 98).

L’astrologie victime d’un consensus socioculturel et de la domination de la « science officielle »

Pourquoi, se demande E. Teissier, l’astrologie ne bénéficie-t-elle pas de la légitimité académique (universitaire) et scientifique (au CNRS) ? Sa réponse - formulée à maintes reprises dans le texte - est la suivante : l’astrologie (« la sciences des astres ») est victime d’un rapport de domination qui est parvenu à instaurer un véritable consensus socioculturel en sa défaveur. La science, souvent rebaptisée « science officielle », « pensée unique » ou « conformiste », opprime l’astrologie et fait croire au plus grand nombre qu’il s’agit d’une « fausse science » en cachant la réalité des choses (« conjuration du silence », p. 816). La « science officielle » est donc considérée comme une idéologie dominante, un « lieu totalitaire », un « impérialisme » ou un « terrorisme » face à cette « contre-culture » astrologique qui est maintenue dans un véritable « ghetto ». Pire encore, la science n’est qu’affaire de « mode » et de « convention » et ne parvient à maintenir sa domination que par un enseignement officiel qui dicte à tous ce qu’il est bon de penser.

Les « préjugés » et les « clichés » sont ainsi du côté de la « science officielle ». Les rationalistes sont « agressifs », « dogmatiques », « attardés » et sont accusés de manque de curiosité pour ne pas vouloir s’intéresser à l’astrologie et, surtout, pour ne pas lui trouver de l’intérêt : « Aujourd’hui, l’obscurantisme, l’opposition aux Lumières n’est plus du côté que l’on croit. » (p. 816).

L’argument relativiste

On voit bien qu’invoquant le consensus socio-culturel et la domination, E. Teissier avance les éléments clefs de la position la plus naïvement relativiste. Remplacez les enseignants de physique par des enseignants d’astrologie, appelez l’astrologie la « science des astres » et imposez la à tous ceux qui passent par l’institution scolaire et vous verrez que la Théorie de la Relativité ne vaut guère mieux que l’analyse astrologique du ciel natal. Tout est affaire de mode et d’imposition purement arbitraire. Tout est relatif.

Il suffirait donc de changer les « critères scientifiques » et de conception de ce que l’on appelle une « preuve » pour faire passer l’astrologie de l’état de connaissance opprimée à l’état de véritable science :
« chaque fois, on voulut faire rentrer l’astrologie dans le moule des critères classiques de scientificité, et celui de Procuste était chaque fois trop petit, on s’en doute. » (p. 743)
« Tout le problème [...] réside dans l’acception qu’on peut donner du mot preuve, car ce que les astrologues allégueront sous ce nom sera dénié par les scientifiques hostiles à l’astrologie. » (p. XIV)

Par ailleurs, si E. Teissier insiste à de nombreuses reprises sur l’absence d’enseignement de l’astrologie à l’université et sur l’absence de département de recherche astrologique au CNRS, c’est bien pour défendre la thèse de la valeur relative de la science actuelle et de l’enseignement tel qu’il est pratiqué. à partir d’un tel argument, fondé sur l’idée de vérité comme pur effet d’un rapport de force, on pourrait tout aussi bien dire qu’en enseignant officiellement l’« art de lire dans les lignes de la main » et en rebaptisant la chiromancie « science de la prédiction des destins individuels » on pourrait imposer un nouvel état de la pensée scientifique, ni plus ni moins valable que le précédent ou que le suivant.

E. Teissier émet donc des commentaires astrologiques, se livre à une défense de l’astrologie qui est, pour elle, la « reine des sciences » et adopte sans discontinuité le point de vue normatif de l’astrologue plutôt que le point de vue cognitif du sociologue étudiant l’astrologie. Est-ce que, malgré tout, ce point de vue d’astrologue et ce plaidoyer pour l’astrologie s’accompagnent d’une réflexion et d’un travail de recherche sociologiques ? L’objet de notre deuxième partie est de montrer qu’il n’en est rien.

LE MAUVAIS TRAITEMENT DE LA SOCIOLOGIE

Il n’y a, dans le texte d’E. Teissier, aucune trace de problématique sociologique un tant soit peu élaborée, de données empiriques (scientifiquement construites) ou de méthodes de recherche dignes de ce nom. L’« hypothèse » floue annoncée (« à savoir cette ambivalence sociétale où prime cependant la fascination, ambivalence qui frise parfois le paradoxe et qui fait figure de schyzophrénie (sic) collective », p. 7) n’est d’ailleurs qu’une affirmation parmi d’autres qui ne débouche sur aucun dispositif de recherche en vue d’essayer de la valider (mais telle qu’elle est formulée, on a en effet du mal à savoir ce qui pourrait être validé ou invalidé).

En revanche, on a affaire, comme nous allons le voir, à de nombreux usages douteux des références sociologiques, à des propos clairement a-sociologiques et anti-rationalistes exprimés dans un style d’écriture pompeux et creux, ainsi qu’à des « données » anecdotiques et narcissiques (E. Teissier à la télévision, E. Teissier et la presse écrite, E. Teissier et ses démêlés avec les scientifiques, E. Teissier et les hommes de pouvoir, Le courrier des lecteurs d’E. Teissier...) suivis de commentaires le plus souvent polémiques (règlements de compte ou récits des règlements de compte avec telle ou telle personnalité de la télévision, tel ou tel scientifique, etc.) ou d’une série de citations d’auteurs rarement en rapport avec les propos qui les précèdent et avec ceux qui les suivent.

Contresens et mauvais usages

La thèse est truffée de références sociologiques souvent affligeantes pour leurs auteurs (Durkheim, Weber, Berger et Luckmann...) et se lance parfois dans des critiques qui montrent que les auteurs critiqués n’ont pas été compris. Il faudrait évidemment des dizaines de pages pour relever chaque erreur de lecture, chaque absurdité, chaque transformation des mots et des idées des auteurs cités et expliquer pourquoi ce qui est dit ne veut rien dire étant donné ce que les auteurs commentés voulait asserter.

Par exemple, le sociologue allemand Max Weber est particulièrement mal traité, systématiquement détourné dans le sens où l’auteur de la thèse a choisi de le faire témoigner. Weber, présenté comme le défenseur d’un « subjectivisme compréhensif » (p. 37) est ainsi inadéquatement invoqué à propos de l’« interactionnisme » :

[à propos des gens qui sont nés le même jour et qui se rendent compte qu’ils ont des points communs] : « On a ainsi des questions du genre : “Au fait, que vous est-il arrivé en 1978 ? N’avez-vous pas comme moi divorcé ?” Et l’autre de rétorquer : “Tiens donc, c’est intéressant. C’est bien fin 1978 que mon couple a connu la crise la plus forte et il est vrai qu’avec ma femme nous avons songé à nous séparer...” à n’en pas douter, ce genre de similitude crée des liens, dans la mesure où l’on se retrouve peu ou prou dans l’Autre et/ou que l’on s’y projette. à travers le dialogue qui s’instaure, on a affaire à un véritable interactionnisme qui, selon Weber, est “une activité [...] qui se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel s’oriente son déroulement” » (p. 405-406)

La « sociologie compréhensive » est invoquée à tort et à travers. L’auteur écrit qu’elle va mettre en œuvre « la méthode de la compréhension » (p. VII) en interprétant vaguement la « sociologie compréhensive » comme une sociologie qui donnerait raison aux acteurs (et, en l’occurrence, aux astrologues). Ne pas rompre avec l’astrologie, lui (se) donner d’emblée raison et voir en quoi tout ce qu’on peut lui reprocher est de mauvaise foi : voilà ce qu’E. Teissier comprend du projet scientifique de la sociologie compréhensive appliquée à l’astrologie. Et l’on pourrait faire les mêmes remarques à propos des références à l’« interactionnisme symbolique » dont l’auteur semble à peu près ne connaître que le nom :
« à travers ce que l’on pourrait appeler une herméneutique de l’expérience, c’est la recherche de ce sens, aussi complexe qu’il se révèle, qui sera l’objet du second volet, où nous pratiquerons une sorte d’interactionnisme symbolique (selon l’école de Chicago). Recherche du sens sous-tendu par cette Lebenswelt de l’astrologie, par le donné social, à l’aube de ces temps nouveaux. » (p. 463)

L’on voit aussi se développer les « talents » d’argumentation critique de l’auteur dans ce commentaire de Durkheim, où l’on saisit que l’idée de traiter les faits sociaux comme des choses est « abusive, et donc difficile à admettre parce qu’inadéquate » : « Dans Les règles de la méthode sociologique, Durkheim affirme que “les faits sociaux sont des choses”. Encore qu’à coup sûr il faille compter la mouvance astrologique dans les faits sociaux, cette identification, qui consiste à chosifier ainsi un phénomène qui est de l’ordre de l’esprit et du vivant, nous paraît abusive, et donc difficile à admettre parce qu’inadéquate. » (p. 278)

Et que faire, sinon rire, face au drolatique contre-sens sur la pensée de Michel Foucault concernant l’« intellectuel spécifique ». L’auteur de la thèse n’ayant de toute évidence pas lu Michel Foucault invoque la soi-disant critique des « intellos spécifiques » (sic) par un Michel Foucault qui justement défendait (en grande partie contre Sartre) la figure de l’« intellectuel spécifique » contre celle d’un « intellectuel universel » : « quoique puissent en dire les “intellos spécifiques”, hostiles au savoir transdisciplinaire, stigmatisés par Michel Foucault » (p. 860)

Des propos a-sociologiques et parfois anti-rationalistes

On a déjà fait remarquer que l’auteur de la thèse privilégiait le point de vue astrologique sur l’explication sociologique. Mais souvent les explications apportées sont clairement a-sociologiques et trop floues ou trop générales pour être considérées comme de véritables explications. Qu’elle évoque l’« atavisme » ou les « dispositions humaines ataviques » (p. 62), « la part d’ombre » (p. 8) de chacun d’entre nous, la « reliance astrologique intemporelle inscrite au cœur de l’humanité » (p. 62), le « réflexe de l’homme, archaïque et intemporel, universel et omniprésent, qui le porte depuis la nuit des temps à voir une admirable homothétie entre la structure de l’univers et la sienne propre d’une part, la nature qui l’entoure d’autre part » (p. 200), l’« héritage génétique » et le « ciel de naissance » (p. 243), l’« Urgrund commun à toute l’humanité » (p. 253), « la permanence et la similitude de la nature humaine, à la fois sur le plan diachronique et synchronique » (p. 483), E. Teissier explique la fascination des uns et le rejet des autres par la nature humaine, les planètes ou une vague « intuition miraculeuse ». Ainsi, commentant les résultats d’un sondage effectué par le journal Le Monde, outre sa polémique avec le journal, E. Teissier se demande face à l’information selon laquelle les femmes seraient plus intéressées que les hommes par l’astrologie : « Faut-il y voir la conséquence d’un syncrétisme ontologique qui la porte à davantage de perméabilité spontanée à tout ce qui est de l’ordre de la Nature, sans la mettre en porte-à-faux avec une intuition qu’elle ne renie pas... » (p. 280). Les exemples de la sorte sont très nombreux.

Mais c’est plus généralement toute explication un tant soit peu rationnelle qui est explicitement rejetée par l’auteur. Devant la trop grande complexité des choses, il faudrait abandonner tout espoir de parvenir à en rendre véritablement raison et laisser parler l’intuition sensible et le langage des symboles. Il est vrai que l’auteur est bien aidée dans cette voie par les auteurs qu’elle ne cesse de citer et qui s’affirment assez nettement anti-rationalistes : « une question primordiale apparaît être la suivante : faut-il voir dans l’approche astrologique une émanation de l’Absolu qui, bien qu’éloignée des religions révélées, serait une tentative humaine pour appréhender, à travers l’ordre cosmique conçu par un Dieu créateur, la manifestation d’une transcendance ? Ou bien doit-elle être considérée comme le code explicatif et immanent d’une influence astrale purement physique, phénomène à rapprocher des sciences de la nature ? Et dans ce cas, quelle serait la source ontogénétique de cette miraculeuse adéquation universelle, le primum mobile ? La réponse à cette question ontologique ne peut qu’être individuelle, car elle se place hors du domaine de la Raison pure, dans celui de l’indémontrable. » (p. 263)

[Citation en exergue de Michel Maffesoli] « Le rationalisme classique (en sociologie) a fait son temps... » (p. 813)

Refus de toute objectivation

On aura compris que tout ce qui pourrait permettre d’objectiver et de saisir même partiellement la réalité censée être étudiée est rejeté par l’auteur fascinée, séduite (« Simmel étant par ailleurs - et avant tout - un philosophe de la vie, au même titre que Schopenhauer, Bergson ou Nietzsche, cela également était fait pour nous séduire [...] », p. 50) par « la vie » dans toute sa complexité ; complexité que les rationalistes, les sociologues positivistes, etc., s’acharnent à vouloir réduire et abîmer. La « méthode » qui convient à un objet aussi complexe et subtil est celle qui est « sensible à l’univers mystérieux, voire insondable, de l’âme humaine ». Cette « méthode » est indistinctement désignée par les termes de « méthode phénoménologique », d’« empathie » ou de « sociologie compréhensive ». La pensée de l’auteur fonctionne à la façon de la pensée mythique, sans crainte de la contradiction. Pour elle, le « quantitatif » s’oppose au « qualitatif » comme le « carré » s’oppose au « courbe », le « simple » au « complexe » (ou au « subtil »), l’« artificiel » au « naturel », etc. Si elle n’aime pas les méthodes quantitatives, c’est à cause de leur « caractère plaqué et artificiel » (p. 57) ; si elle n’apprécie pas les statistiques, c’est parce qu’elle sont trop « carrées et linéaires » (p. 295), etc.

Mais si les statistiques sont trop grossières pour l’esprit subtil d’E. Teissier, elles peuvent aussi à l’occasion être utiles si on peut leur faire dire des choses positives sur l’astrologie. Par exemple, commentant un sondage sur l’astrologie publié dans Science et vie junior (p. 287-290), elle réagit au fait que les jeunes soient apparemment les plus intéressés par l’astrologie de la manière suivante : « on peut d’ailleurs se demander si cela ne traduit pas un lien avec le cosmos resté plus vivant - et pourquoi pas diraient les adeptes de la réincarnation, un résidu des vies antérieures ? » (p. 288). D’un seul coup d’un seul, les pauvres statistiques se transforment, tel le crapaud devenant prince charmant, en preuves irréfutables du sérieux et de la véridicité des analyses astrologiques : « il y a les statistiques qui sont favorables à l’astrologie d’une façon à la fois péremptoire et éclatante » (p. XV).

Et l’auteur se lance parfois elle-même hardiment dans l’évaluation chiffrée, mais totalement intuitive, des faits sociaux : « je pense que ceux qui aujourd’hui en France, font profession d’astrologue et chez qui la spécialité “astrologie” proprement dite constitue effectivement 90 % et plus de la pratique professionnelle, doivent être moins d’un millier. C’est plus une impression qu’un décompte minutieux, mais ce chiffre me paraît plausible. » (p. 302).

Un étrange discours de la méthode

Le discours de la méthode chez E. Teissier est aussi précis que ses hypothèses et sa « problématique ». Tout d’abord, l’« objectivité » est selon elle un idéal parfaitement inatteignable (un paragraphe entier est consacré au thème de « L’utopie de l’objectivité », p. 28-31). Mais, comme à son habitude, peu hantée par le principe de non-contradiction, E. Teissier peut critiquer la prétention « positiviste » à l’« objectivité » et dire que les scientifiques manquent d’objectivité, ou encore affirmer qu’elle est elle-même animée par un « souci d’objectivité ». La question de la possibilité ou l’impossibilité d’une objectivité est donc beaucoup plus complexe que ce qu’un lecteur rationaliste peut modestement imaginer : son sort dépend de la phrase dans laquelle le mot « objectivité » s’insère. Et l’on comprendra que l’auteur revendique l’« objectivité » lorsqu’il s’agit pour elle de défendre l’astrologie.

Pour E. Teissier tout est « méthode ». Par exemple, lorsqu’elle écrit : « D’où l’importance essentielle de la démarche méthodologique choisie, qui consistera à cerner les motivations et sources secrètes des attitudes et comportements sociaux. » (p. 20), on constate qu’une vague volonté de « cerner des motivations » équivaut pour elle à une « démarche méthodologique ». Lorsqu’elle écrit aussi que, dans sa thèse, « la méthode empirique paraît s’imposer » et qu’« elle sera (son) outil de référence » (p. 10), on voit que le mot « méthode », équivalent d’« outil de référence », est utilisé avec l’imprécision la plus grande : « la méthode empirique » semble s’opposer à d’autres « méthodes » (qui ne le sont pas), mais on ne sait pas de quelle méthode précisément il s’agit.

Les termes « méthodes », « paramètres », « facteurs », « outils », etc., sont, en fait, utilisés de manière sémantiquement aléatoire, tant la fonction essentielle de ces usages lexicaux réside dans l’effet savant que l’auteur entend produire sur elle-même et sur le lecteur. Le fait que dans la citation suivante, E. Teissier dise que les « paramètres » dont elle parle (équivalent ici de « notions ») apparaîtront « ici où là, au hasard de cette étude », fait bien apparaître le caractère extrêmement rigoureux de la « démarche méthodologique » mise en œuvre...

« Et si les dieux me sont favorables, peut-être pourrons-nous apporter quelques modestes lumières sur l’univers astrologique d’aujourd’hui par rapport à cinq paramètres élémentaires qui, selon NISBET, caractérisent plus que tout autre la sociologie : communauté, autorité, statut, sacré, aliénation, toutes notions qui, ici où là, au hasard de cette étude, la marqueront d’une empreinte en filigrane » (p. 44)

En sachant tout cela, tout lecteur peut mesurer l’effet comique de la prétention toute verbaliste à la rigueur qu’affiche l’auteur de la thèse : « nous avons eu l’occasion de développer l’esprit de rigueur dont l’exigence nous habite depuis toujours. à cela s’ajoutait un souci de rationalité, de cohérence, mais cela à travers une forte curiosité intellectuelle au service d’une recherche de la vérité » (p. VIII). Visiblement, l’esprit ne parvient pas à guider les gestes.

Les « données » : anecdotes de la vie personnelle, médiatique et mondaine d’Élizabeth Teissier

Si l’on entend par « données empiriques » des matériaux qui sont sélectionnés, recueillis et/ou produits en vue de l’interprétation la plus fondée possible de tel ou tel aspect du monde social, c’est-à-dire à des corpus de données dont les principes de constitution et de délimitation sont explicitement énoncés, on peut dire sans risque que la thèse d’E. Teissier ne contient strictement aucune donnée empirique. Si l’auteur avait une conception un tant soit peu empirique de la pratique de recherche en sociologie (rappelons qu’elle dit mettre en œuvre « la méthode empirique »), elle n’oserait par exemple pas écrire avec autant de légèreté et d’inconscience empirique qu’elle va suivre l’évolution de l’astrologie « à travers le temps et l’espace dans les sociétés les plus diverses, de la nuit des temps à nos jours » en annonçant explicitement qu’elle se livrera « à un rapide survol, aussi bien chronologique que géographique, diachronique que synchronique... » (p. 93). Mais pourquoi se donner la peine de mettre en place un véritable dispositif de recherche lorsque l’on pense que « la vitalité de l’astrologie aujourd’hui ne fait aucun doute » et que « pour preuve, il suffit d’ouvrir les yeux et les oreilles » (p. 792) ?

De même, comment apporter une preuve de « l’intérêt de plus en plus marqué des médias pour l’astrologie » ? E. Teissier répond : « il n’y a pas une semaine où nous ne soyons pas sollicitée à participer, ici ou là, en France ou à l’étranger, à une émission de ce genre » (p. 274). En fait, E. Teissier enchaîne de manière aléatoire les anecdotes personnelles au gré de l’association de ses souvenirs : « Dans le contexte de l’être-ensemble, une autre histoire nous revient à l’esprit, où nous étions à la fois témoin et partie » (p. 412) ; « Une autre histoire exemplaire nous revient à l’esprit. » (p. 383), etc. Elle raconte ce qu’on lui a dit ou écrit et ce qu’elle a répondu. Ses commentaires, quand il y en a, se contentent de prolonger la polémique lorsqu’il y avait polémique (avec les journalistes, les animateurs de télévision, les scientifiques, etc.) et de souligner l’intérêt pour l’astrologie - malgré le consensus culturel en défaveur de l’astrologie et la ghéttoïsation de cette dernière - qu’illustrent certaines anecdotes. L’anecdote tirée « au hasard » (signe sans doute d’objectivité à ses yeux) fait toujours preuve.

Si elle fait également le compte rendu d’échanges de courriers avec certains lecteurs, pour « preuve » de l’ambivalence fascination/rejet vis-à-vis de l’astrologie (« C- Le courrier des lecteurs et téléspectateurs, baromètres de notre société », p. 311-386), il n’est aucunement question de constituer un corpus, ni même de faire une analyse sociologique, mais de donner à lire le courrier reçu, ainsi que les réponses envoyées (« Voici ce que nous avons répondu à ce lecteur :... », p. 319 ; « Voici la réponse que nous adressâmes à cette lectrice désorientée », p. 327). On n’a pas même d’évaluation précise des différents types de courriers qu’elle reçoit. Ainsi, à propos des lettres qu’elle range dans la rubrique « Les appels à l’aide », elle écrit de manière approximative : « Il s’agit certainement, quantitativement parlant, de la masse la plus importante de lettres reçues » (p. 312) ou encore que « Parmi les appels à l’aide, les lettres émanant de prisonniers ne sont pas rares » (p. 321)

Et l’on va ainsi d’une anecdote à l’autre : E. Teissier en « face-à-face avec un astronome monolithique dans son agressivité » (p. 543), E. Teissier et Marcel Jullian, PDG d’Antenne 2 (p. 588-629) à propos de l’émission Astralement vôtre, E. Teissier et l’émission allemande Astrow-show entre 1981 et 1983 (p. 645 et suivantes), E. Teissier et l’émission Comme un lundi de Christophe Dechavanne du 8 janvier 1996 (p. 671-685), E. Teissier et l’émission Duel sur la cinq du 10 juin 1988 (p. 709-725), etc. Et à chaque fois, l’auteur émet des jugements péremptoires, polémique, formule des réponses agressives. Elle n’étudie donc pas les réactions à l’astrologie, elle la défend. Elle ne fait pas l’analyse des polémiques autour de l’astrologie, mais est dans la polémique, continuant dans cette thèse - comme sur les plateaux de télévision, sur les ondes radiophoniques ou dans la presse écrite - à batailler contre ceux qui considèrent que ce n’est pas une science.

Dans tous les cas, le narcissisme naïf est grand, bien que totalement dénié : « Bien que nous refusions dans ce travail de nous mettre en avant pour des raisons à la fois d’objectivité et d’une décence de bon aloi, on aura remarqué que nous fûmes à travers toute l’émission la seule astrologue à être prise à parti... » (p. 686). Non seulement les exemples pris par E. Teissier ne concernent qu’E. Teissier (alors même qu’elle aurait pu s’intéresser à d’autres collègues astrologues), mais les récits mettent toujours en avant la vie héroïque ou passionnante d’E. Teissier. C’est ainsi qu’elle raconte par exemple comment la rencontre de l’astrologie fut « le grand tournant de sa vie » : « Nous eûmes droit à notre nuit de Pascal - nuit boréale en réalité, car l’“illumination” dura quelque six mois, le temps d’apprendre les fondements cosmographiques et symboliques de l’art royal des astres, suffisamment pour être éblouie des “convergences” d’une part psychologiques, d’autre part événementielles avec notre caractère et notre vécu, ou ceux de notre entourage » (p. X). Ou encore, faisant le récit du contexte dans lequel elle a été contactée pour présenter l’émission allemande Astro-Show : « Lorsque, au tout début de 1981, à notre retour d’un voyage en Inde, nous trouvâmes trois messages consécutifs et quelque peu impatients de l’ARD (première chaîne télévisuelle allemande), nous fûmes plutôt surprise. Jusque-là en effet notre rayon d’action n’avait pas passé les limites du Rhin. » (p. 646).

Une écriture boursouflée et creuse

Le problème essentiel avec le style d’écriture que l’on trouve dans une thèse comme celle d’E. Teissier, réside dans le fait que l’on aura beau multiplier les « échantillons », répéter les citations en vue de prouver que l’on a affaire à une écriture jargonnante, peu rigoureuse, souvent incompréhensible, parfois proche de l’absurde, d’autres verront au contraire dans les mêmes extraits toutes les marques de la profondeur ou de l’intelligence du propos. Devant un grand nombre de passages de cette thèse, nous pourrions émettre le jugement suivant : dans la mesure où nous croyons savoir ce que parler en sociologue veut dire, nous pouvons témoigner du fait que nous n’avons rien compris à ce qui a été dit. Mais qu’y aurait-il à comprendre lorsque rien n’a été vraiment dit ?

Délire sémantique ou esbroufe verbale, plaisir des mots savants qui sonnent bien accolés les uns aux autres pour asserter des banalités sur un ton sérieux, enchaînements des citations d’auteurs aussi ésotériques les unes que les autres, la panoplie de l’écriture pseudo-savante et réellement floue est assez complète. Donnons-en un exemple long pour garantir au lecteur que l’effet d’étrangeté n’est pas le produit d’une injuste décontextualisation :
« Tout au long de notre thèse, nous avons à l’instar de ce qui est la vocation et l’objectif du chercheur, tenté de déceler les prémices sous-jacents, les frémissements de ce qui est “en train de naître” et qui se font sentir dans la réalité sociétale aujourd’hui. Cela en pratiquant ce que G. Durand appelle une “pensée concentrique”, c’est-à-dire une “pensée formant un système ouvert qui refuse de rester au centre mais qui va glaner ce qui se passe et se propage en périphérie à la recherche de l’humus sous-jacent”. Autrement dit, il s’agissait de suivre un processus de va-et-vient, en vases communiquants, tout en refusant de rester prisonnier d’une idée, d’aller à la rencontre de l’inconnu, de ce qui se vit dans le donné social, de ce qui émerge dans le champ expérimental du chercheur. De tout ce vécu, de cet observé, nous avons tenté de dégager la dynamique à travers une synergie de la pensée, en délaissant son contraire : la pensée unique, sous forme d’une doxa synonyme d’apparence. Nous avons ainsi pu faire état de ce maillage multiple, de ces innombrables passerelles qui s’effectuent entre échanges de savoirs, dans un désir commun de s’ouvrir à d’autres connaissances et de partager son intérêt, mais aussi à travers ces nouvelles technologies, longuement évoquées, où tout un chacun fait un pied-de-nez à cette pensée conformiste représentée par ceux qui détiennent un pseudo-savoir - un “demi-savoir” selon J.-C. (sic) Domenach. Au fil de notre travail, nous avons pu mettre le doigt sur la confusion qui émerge par rapport à ces données, où sont mis à mal ceux qui croyaient détenir le savoir, cette pensée bien gardée, convenable, intellectuellement correcte, tout en montrant que son impérialisme peu à peu se désagrège - et ce en dépit d’un combat d’arrière-garde qui se voit voué à un échec à long terme. Comme nous avons montré, pensons-nous, l’inanité d’un intellectualisme desséché. “Le règne absolu de l’idée ne peut s’établir ni surtout se maintenir : car c’est la mort” (in Le suicide de Durkheim cité par Maffesoli dans sa préface aux Formes élémentaires de la vie religieuse, p. 11). En paraphrasant K. Jaspers, on pourrait dire que “c’est dans la communication qu’on atteint le but de l’astrologie (la philosophie)” (Introduction à la philosophie, p. 25), dans cet échange chaleureux (dionysiaque ?) entre esprits branchés sur des intérêts semblables, orientés en l’occurrence sur les arcanes célestes. » (p. 861)

CONCLUSION

Que les choses soient claires : E. Teissier ne peut être tenue pour responsable de ce qui s’est passé à la Sorbonne et elle n’aurait pas même eu l’idée de frapper à la porte de notre discipline pour trouver un lieu de légitimation de ses propres intérêts d’astrologue si celle-ci n’était pas le refuge d’enseignants-chercheurs dépourvus de rigueur et parfois très explicitement anti-rationalistes.

Revenons à notre point de départ : des « collègues » (abondamment cités dans cette thèse) ont délivré un droit de soutenance à l’auteur de cette thèse, puis, avec d’autres, ont décidé de lui attribuer la mention « Très honorable ». Après lecture du compte rendu précédent, on comprend à quel point le sentiment de scandale du lecteur de la thèse est grand.

Espérons que les diverses réactions saines à cette affaire malsaine puissent donner l’occasion d’une réflexion collective sur le métier de sociologue et sur les conditions d’entrée dans ce métier.


Une non-thèse qui cache bien mal une vraie thèse : un plaidoyer pro-astrologique

par
Jean Audouze, Astrophysicien, Directeur du Palais de la découverte
Henri Broch, Physicien, Professeur à l’Université de Nice Sophia-Antipolis
Jean-Paul Krivine, Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences.
Jean-Claude Pecker, Astrophysicien, Professeur honoraire au Collège de France, membre de l’Institut
Denis Savoie, Historien des sciences, Palais de la Découverte

Un des thèmes récurrents de la thèse est d’affirmer que l’astrologie est scientifique et vérifiée. Une annexe entière est même consacrée aux « preuves irréfutables » en faveur de l’influence des astres. L’abandon du terrain sociologique au profit d’un plaidoyer pro-astrologique est en fait ouvertement revendiqué : « Si à première vue on peut émettre un doute quant à l’opportunité d’élargir notre sujet sur ce thème, on en admet très vite l’utilité, dès lors que la situation épistémologique de l’ars regia est profondément solidaire de sa cohérence interne, voire de sa relative scientificité » (p. 93). Le « rejet », l’un des deux termes de l’ambivalence annoncée dans le titre de la thèse, est même expliqué par la confusion qui existerait entre l’astrologie, déclarée scientifique, et les pratiques divinatoires, non-scientifiques. « Comme nous avons l’intention de faire état du syndrome du rejet - ainsi que de son étiologie, en quelques sortes - ; un rejet lié essentiellement à la confusion et à l’amalgame fait autour de pratiques telles que la voyance, tarots et autres... » (introduction, p. XV). Reste donc, comme « preuve sociologique » à établir que l’astrologie est scientifique, ce que la thèse prétend faire : « Dans le mesure du possible, nous nous soumettrons à l’adhésion de la preuve, ce qui nécessitera une interprétation à la fois causale et explicative, en adéquation avec les exigences wébériennes. » (p. 79). Les toutes dernières lignes du deuxième volume sont édifiantes et résument finalement bien l’objectif, de la thèse, la vraie thèse qui se cache derrière une façade sociologique : « La science officielle va-t-elle finir par rendre hommage à la vérité expérimentale, reconnaître les faits ? En tout cas, la victoire paraît éclatante pour l’Astrologie, car les faits sont les faits ; ils ont l’insolence de l’évidence ». (page XL de l’annexe).

Les astronomes et les astrophysiciens sont, de façon générale, opposés aux principes mêmes de l’astrologie, qui s’appuie sur une astronomie du XVIe siècle et ignore la masse de savoir accumulée depuis lors. Les distances des astres, inconnues à l’époque sont trop considérables pour qu’ils puissent exercer les influences que les astrologues leur prêtent. Les interactions entre les astres et les terriens passent par l’intermédiaire de forces connues et la physique les a cataloguées. Des interactions éventuellement inconnues devraient néanmoins dépendre de la distance, aucune action ne pouvant être plus rapide que la vitesse de la lumière, 300.000 km/s, ce selon Einstein, auteur fréquemment cité (et mal cité) par Madame Teissier. Ces arguments ont été résumés, et publiés, par l’un d’entre nous comme suit (Jean-Claude Pecker, « Cinq réponses à un amateur d’astrologie », Science et pseudo-sciences n° 206) :

On nous offre régulièrement des horoscopes... Pierre est Taureau, Paul est Scorpion... Cela indiquerait des traits de caractère de l’un ou de l’autre. Cela orienterait même son avenir... Or, qu’est-ce que cela veut dire : « Pierre est Taureau » ? Cela veut dire que quand Pierre est né, le Soleil, qui parcourt le ciel constellé en une année, se trouvait dans la région du ciel qu’occupe le signe du Taureau. Le caractère de Pierre, selon l’horoscope, est calqué sur ceux qu’on prête à l’imaginaire mythique brodé autour de l’image de la constellation astronomique du Taureau... Or le Taureau, constellation, était dans le signe du Taureau il y a deux mille ans il n’y est plus maintenant... Maintenant c’est le Bélier qui s’y trouve ! Cet horoscope simpliste est donc une mystification. Que valent les horoscopes dans de telles conditions ? Rien !

Les astrologues les plus savants en astronomie tiennent compte du glissement des constellations par rapport aux signes du Zodiaque, un glissement qui se continue, depuis 2000 ans que l’on a défini l’astrologie sous sa forme actuelle. Mais tiennent-ils compte de ce qu’il y a TREIZE, et non DOUZE, constellations traversées par le Soleil en un an ? La treizième, entre Scorpion et Sagittaire, c’est Ophiucus, le Serpentaire... Savent-ils, ces savants astrologues, que le Soleil reste près de deux mois dans la constellation de la Vierge, à peine 10 jours dans celle du Scorpion, et le reste à l’avenant ? Que veulent donc dire ces horoscopes qui classent les gens en tranches d’un mois, chaque mois en trois décans ? Rien... Encore une mystification ! L’horoscope, même celui qui tient compte du glissement des constellations, n’a aucun sens.

L’astrologie suppose une action des astres sur les hommes. Ceci était raisonnable au moyen âge, quand on croyait que les étoiles étaient des lampes fixées sur une voûte cristalline mobile. La hauteur de cette voûte était assez faible pour qu’on pût loger les dieux au delà. Aujourd’hui, on sait que les distances sont considérables. La lumière parcourt, en une seconde, 300.000 km, le Soleil est à 150 millions de km de nous, -huit minutes de lumière ! Les plus proches des étoiles sont à des années de lumière, 10 000 100 000 fois plus loin que le Soleil et les planètes. Le ciel constellé, loin de nous, est aussi profond. Les constellations ne sont qu’apparences, effets de perspective. Deux étoiles du Taureau, par exemple, sont à des distances de nous très différentes bien qu’elles apparaissent proches sur le ciel. Les dessins qui ont donné leur nom aux constellations sont artificiels. Vues d’un autre point de l’Univers, aucune de ces représentations pittoresques ne se maintiendrait... Par ailleurs, les Chinois donnent d’autres noms aux constellations. Le destin des Chinois obéirait-il aux astres d’une façon différente du nôtre ?

On justifie souvent l’astrologie en invoquant les correspondances mystérieuses entre les signes du Zodiaque et les parties du corps humain... Le cœur serait gouverné par le Lion, le sexe par le Scorpion, les pieds par les Poissons... La médecine du moyen âge a largement utilisé (à tort !) ces correspondances, - et elle ne soignait pas grand-chose. Cela avait un sens il y a mille ans. Ciel et Terre étaient complémentaires, mais essentiellement différents : le monde des hommes est périssable, fragile ; il est dominé par le monde du ciel, éternel et puissant... Ce genre d’idées ne tient plus dés lors que nous savons que la nature physico-chimique des astres est la même que celle des êtres vivants : hydrogène, oxygène, carbone..., tout cela constitue la matière des étoiles, celle du Soleil celle des hommes. Il n’y a pas de correspondance ou d’analogie mystérieuse. L’unité de la nature est profonde, réelle et non fantastique. Et cela élimine ces analogies sans signification, sous-jacentes pourtant à toute astrologie...

Les planètes jouent dans l’astrologie qui se dit « savante » un grand rôle... Mais quelles planètes ? Quand l’astrologie s’est codifiée... il y a plus de deux mille ans, on connaissait 5 planètes, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne... Uranus, Neptune ou Pluton n’avaient donc pas d’influence avant leur découverte récente ? Aujourd’hui, on connaît autour du Soleil 8 grosses planètes, des milliers de petites, quelques satellites de même nature et de même taille que Mercure ou Vénus, et beaucoup de plus petits. Il y a dans le ciel des milliards de soleils comparables au nôtre, des milliards de planètes comparables aux nôtres... Et pensez que Mars, par exemple, est à une distance de nous qui varie d’un facteur 5 d’une année à l’autre ! Toutes ces planètes, à toutes ces distances de nous, ont-elles une influence ? Pourquoi pas, si l’on croit à l’influence de certaines d’entre elles ? La vérité est que l’astrologie planétaire n’a pas plus de valeur que l’astrologie zodiacale et qu’elles ne sont que de la poudre aux yeux...

Ces arguments sont clairs, à notre point de vue. L’auteur de la thèse y répond-elle elle-même ? A l’évidence, non. La lecture détaillée des 1000 pages confirme cette opinion.

ASTROLOGIE ET ASTRONOMIE

Seuls les astrologues sont déclarés habilités à juger l’astrologie...

« L’astrologie se fonde donc sur l’astronomie, c’est à dire sur une science exacte. Elle s’en démarque par l’interprétation » (p. 98). Mais paradoxalement, les astronomes ne seraient pas compétents pour juger de ces « fondements » : « En quoi un astrophysicien, préoccupé de l’aspect matériel et mesurable des éléments du ciel et en rien familiarisé avec l’astrologie dont le propos est d’étudier l’impact des corps célestes sur la Terre et ses habitants, serait-il habilité à émettre un tel jugement négatif ? » (p. 731). Élizabeth Teissier va même plus loin, exigeant des contradicteurs qu’ils se fassent établir et analyser leur thème avant de prétendre pouvoir parler en connaissance de cause de l’astrologie (p. 757). Bref, seuls les astrologues pourraient juger de l’astrologie... qui pourtant prétend se fonder sur l’astronomie. L’astronomie est appelée en appui à la thèse défendue, mais les astronomes seraient disqualifiés pour juger du sérieux du recours à l’astronomie...

à la recherche d’influx mystérieux

A plusieurs reprise dans la thèse il est question d’une sorte de force à la base de l’astrologie. De mystérieux « influx planétaires » (page 112 par exemple) sont évoqués. Mais impossible de chercher à les mettre en évidence : « Quoiqu’il en soit, les défenseurs de la conception influentielle de l’astrologie pensent que la science officielle, ayant négligé jusqu’ici de se pencher, pour des raisons à la fois épistémologiques et sociologiques, sur la problématique soulevée par cette discipline, n’aurait donc pu, de ce fait, concevoir des instruments assez subtils, assez sophistiqués pour mesurer l’influx astral. » (p. 765). Bref, on affirme à la fois l’existence d’un phénomène et on explique qu’aucune expérience ne peut le mettre en évidence. A ce titre, on peut affirmer tout et n’importe quoi sans grand danger d’être contredit.

La précession des équinoxes

La précession des équinoxes, phénomène astronomique déjà connu des Grecs est un des arguments souvent invoqué par les astronomes pour illustrer l’astronomie simpliste utilisée par les astrologues. Ce phénomène astronomique est dû à une sorte de mouvement de toupie de l’axe de rotation de la Terre. La conséquence est que, « signes » du zodiaque et « constellations » ne coïncident plus.

Notons que la coïncidence est toute relative, mise dans sa réalité historique. Pendant des siècles, chaque carte céleste était différente ; les limites des constellations surtout étaient très variables d’un auteur à l’autre. Aussi au début du siècle, le besoin s’est fait sentir chez les astronomes de mettre de l’ordre dans le ciel. En 1930 est paru à Cambridge l’ouvrage officiel fixant les limites des constellations, en respectant l’héritage historique et certaines habitudes (« Délimitation scientifique des constellations », par l’astronome belge Delporte). Le ciel boréal et austral fut donc découpé en 88 constellations par des arcs de méridiens et des cercles de déclinaisons ou de parallèles célestes. Le zodiaque lui-même subit des modifications et fut découpé en 13 constellations, la treizième constellation, connue depuis des siècles et ignorée des astrologues est celle d’Ophiucus, située entre le Scorpion et le Sagittaire. L’aspect irrégulier des constellations a des conséquences sur le temps que met le Soleil à les traverser. Traditionnellement, chaque signe zodiacal est censé être traversé par le Soleil pendant un mois. Or dans le nouveau système, le temps de parcours est totalement différent. Pour preuve, on donne ci-dessous les dates d’entrée du Soleil dans les 13 constellations zodiacales valables pour la fin du vingtième siècle (calcul D. Savoie) :

Entrée dans les Poissons : 12 mars
Entrée dans le Bélier : 19 avril
Entrée dans le Taureau : 14 mai
Entrée dans les Gémeaux : 21 juin
Entrée dans le Cancer : 20 juillet
Entrée dans le Lion : 10 août
Entrée dans la Vierge : 16 septembre
Entrée dans la Balance : 31 octobre
Entrée dans le Scorpion : 23 novembre
Entrée dans Ophiucus : 29 novembre
Entrée dans le Sagittaire : 18 décembre
Entrée dans le Capricorne : 19 janvier
Entrée dans le Verseau : 16 février

On remarque par exemple que le Soleil ne reste cette année que 6 jours dans la constellation du Scorpion, et un mois et demi dans la constellation de la Vierge ! Par ailleurs, la durée de passage de chaque planète dans chaque constellation est différente de celle du Soleil, en raison des délimitations conventionnelles des constellations, et des déclinaisons des planètes.

Il est facile de constater de plus que quelqu’un né un 1er mai n’est pas Taureau mais Bélier.

Élizabeth Teissier écarte l’objection de la précession des équinoxes en précisant qu’elle adopte ce qu’on appelle l’astrologie des saisons ou « astrologie tropique » : « utilisant un zodiaque qui prend pour repère spatio-temporel le point gamma lui-même (qui correspond au printemps), c’est-à-dire un zodiaque des saisons, ce mouvement précessionnel n’intervient pas dans leur calculs. Néanmoins il faut dire que la confusion est grande sur cette question... » (p. 110). Et la confusion est plus que générale dans la thèse elle même. On y parle d’un « point vernal qui quitte les Poissons pour entrer dans le signe du Verseau » (p. 110). Comment le point vernal (ou point gamma) qui sert de repère spatio-temporel pour le zodiaque pris en compte par Élizabeth Teissier peut-il... se déplacer sur ce même zodiaque « pour entrer dans le signe du Verseau » ? Même confusion en page 19 : « le point vernal met 2176 années pour traverser (à reculons) un signe de 30°... », ou encore dans le glossaire en fin du 2e volume : « Point vernal : intersection du cercle de l’écliptique avec l’équateur céleste = 0° du Bélier, début du printemps. Ce point appelé aussi point gamma recule légèrement de 72’‘par an (un signe de 30° en 2176 ans) sur le zodiaque ; c’est la précession des équinoxes. ». La confusion entre les signes et les constellations est totale, prouvant que le phénomène de précession des équinoxes n’est pas compris, et plus généralement, les bases de l’astronomie. Ajoutons que le mouvement de précession des équinoxes n’est pas de 72’‘par an, mais de 50’’,291 (source : Bureau des longitudes, Institut de Mecanique Celeste). Bien d’autres erreurs ou confusions pourraient être relevées. On se rapportera par exemple à l’analyse détaillée faite par l’un d’entre nous (HB) sur le site du laboratoire de zététique.

Le Bélier américain vaut-il un Taureau européen ?

Oublions juste un instant les mélanges de Madame Teissier. Il existe des astrologues, en particulier aux USA, qui prennent en compte d’une autre façon la précession des équinoxes (et là, le point vernal se déplace par rapport à
ces signes). Madame Teissier souligne le grand sérieux de ces écoles. Une question se pose alors, qui n’est nulle part évoquée dans la thèse : une même personne sera, par exemple Taureau pour l’astrologie d’Élizabeth Teissier, et Bélier pour l’astrologie américaine. Les interprétations sont elles les mêmes ? Si non, qui a raison ? Si oui, où est la symbolique universelle associée aux signes ?

LES THÈMES ET LEURS INTERPRÉTATIONS

Pour cette partie, ce n’est plus l’astronome qui a quelque chose à dire, mais le scientifique au sens le plus général du terme. De quels faits parle-t-on ? Quelles vérifications ont été faites ?

En guise de « preuves irréfutables », on ne trouve presque exclusivement que des affirmations du genre « il est prouvé que », « les scientifiques admettent que », « on sait que ». Dans une annexe de 40 pages consacrée à ce sujet, on ne dénombre en tout et pour tout que 3 références (plus ou moins précises) auxquelles le lecteur peut se reporter : Lyall Watson, Histoire naturelle du surnaturel, Albin Michel, 1974, K.A. Roberts, Radio-Emission from the planets, 1963 et L’astrologie, M. Gauquelin et J Sadoul, Bibliothèque de l’irrationnel. C’est bien peu, à l’appui de « preuves irréfutables », surtout pour une thèse de doctorat. Sur chacun des sujets évoqués, les références se comptent pourtant par dizaines pour quiconque se donne la peine de rechercher, et tout ce qui va à l’encontre des motivations d’Élizabeth Teissier est systématiquement omis. Par exemple, si l’on ne considère que l’influence de la Lune sur les maladies psychiques (page XVI de l’annexe), là où Madame Teissier ne mentionne aucune référence d’expérience, aucune référence d’article (juste « Les commissariats connaissent bien cette recrudescence (...) en fonction des phases lunaires, des actes criminels »). Nous mettons à disposition des lecteurs qui le demandent, pas moins de 32 références sur ce seul sujet. Et toutes ces références vont à l’exact opposé de la conclusion tirée par Élizabeth Teissier...

Les statistiques de Gauquelin

Les « statistiques » de Gauquelin occupent une place de choix. Elles sont largement utilisées tout au long de la thèse et sont présentées comme l’expérience la plus importante et la plus probante en faveur de l’astrologie. Là encore, alors qu’il existe une bibliographie importante, Élizabeth Teissier ne fait référence qu’aux affirmations de Gauquelin, oubliant en particulier la contre-expérience menée, selon un protocole défini en commun avec Gauquelin lui-même (Benski et al. The Mars Effect, Prometheus Books, 1996). Il s’agissait pourtant d’une des rares expériences où un protocole expérimental a pu être défini et accepté par toutes les « parties ». L’étude a porté sur plus de 1000 sportifs. Les données ont été publiées, elle peuvent être examinées, l’étude peut être vérifiée, et elle l’a été. Et la conclusion est sans appel : aucune influence astrologique n’a été mise en évidence. Cette étude est superbement ignorée, elle va à l’encontre de la thèse soutenue. Mais ce n’est pas suffisant, il faut aussi falsifier les avis des « sceptiques » sur le sujet.

Ainsi, Madame Teissier affirme (Page 608) que « ... les expériences de M. Gauquelin, qui obtinrent pourtant - et ce ne fut pas facile - la sanction, sinon la bénédiction du Comité Belge pour l’étude des faits paranormaux,... ». En réalité, ce Comité Belge dont le vrai nom est « Comité Belge pour l’investigation scientifique des phénomènes réputés paranormaux », dit... exactement le contraire (numéro 43 des « Nouvelles Brèves », revue du Comité, septembre 1976, p. 327-343) : « ... Le Comité conteste la validité des diverses formules adoptées par M.M. Gauquelin pour le calcul des fréquences... (...). Le Comité ne peut donc accepter les conclusions de M. Gauquelin aussi longtemps qu’elles seront basées sur les méthodes et formules que celui-ci préconise. ».

Le hasard, ce n’est pas « une chance sur deux »...

Les statistiques sont souvent invoquées en faveur des « preuves de l’astrologie ». Examinons la compréhension de ce concept à travers la thèse. Tout d’abord, Élizabeth Teissier montre qu’elle confond le nombre de valeurs que peut prendre une assertion avec la probabilité a priori de réalisation de chacune de ces assertions. Ainsi, un dé peut présenter 6 faces distinctes. Si le dé n’est pas pipé, chacune des possibilités est équiprobable et le hasard donnera une chance sur six pour chacune des faces. Mais ce n’est pas le cas de toutes les affirmations. Toutes les possibilités ne sont pas toujours équiprobables, et le « hasard » ne peut donc être invoqué aussi simplement. Par exemple, « il va pleuvoir au moins une fois en 2001 » peut prendre 2 valeurs (vrai ou faux). Mais la probabilité a priori des deux n’est pas équivalente, et un astrologue qui revendiquerait de bonnes performances en proclamant « alors que le simple hasard donnerait une chance sur deux, nous avons pronostiqué mieux en affirmant qu’il ferait beau au moins un jour sur deux en 2001 » aurait l’air peu sérieux. Or c’est exactement ce que fait Élizabeth Teissier dans sa thèse : « Il faut préciser que leur conclusion [aux opposants à l’astrologie] consistait à dire que les ressources prévisionnelles de l’astrologie ne dépassaient pas le hasard, à savoir une chance sur deux. Comme notre expérience nous avait donné des résultats très différents (environ 4 prévision sur 5 avérées), nous n’étions pas prête à laisser l’astrologie malmenée ». (p. 760). Non, le hasard, ce n’est pas « une chance sur deux ».

Toujours à propos des statistiques, Madame Teissier invente également de nouveaux concepts qu’elle ne définit jamais, comme par exemple les statistiques carrées et linéaires. « En effet, la synthèse subtile de mille facteurs qu’elle [l ’astrologie] nécessite de même que leur enchevêtrement complexe (...) apparaissent comme autant de contre-indications à des statistiques carrées et linéaires. » (p. 295).

Les expériences

Mais il n’y a pas que les statistiques qui sont malmenées. La mécanique quantique est invoquée pour disqualifier des expériences qui ne concluent pas en faveur de l’astrologie : « Il faut dire que l’intention d’un chercheur, on le sait maintenant depuis Heisenberg, déteint sur les résultats d’une recherche ». Le principe d’incertitude d’Heisenberg n’a en fait strictement rien à voir avec l’intention de l’expérimentateur. Il concerne le lien entre deux paramètres d’une particule, sa vitesse et sa position, qui ne peuvent être connus simultanément qu’avec une précision limitée.

Mais examinons plus en détail ce qui est affirmé. Le Principe d’incertitude d’Heisenberg est invoqué pour disqualifier une étude qui va à l’encontre des affirmations des astrologues. Si une expérience est entreprise, soit elle conclut en faveur de l’astrologie, et tout va bien pour Madame Teissier, soit elle ne le fait pas, et alors, l’expérience est à remettre en cause, l’expérimentateur étant (mal) intentionné. Pile, je gagne, face tu perds... Notons au passage qu’Élizabeth Teissier ne s’interroge pas pour savoir si les « expériences » prouvant à ses yeux la réalité de l’astrologie ne seraient pas également victime de ce « syndrome d’Heisenberg » et de l’intention des expérimentateurs (souvent d’ailleurs, des expérimentateurs peu formés aux exigences de l’expérimentation scientifique).

DE MULTIPLES APPLICATIONS AVEC DES AFFIRMATIONS SANS PREUVE

L’astrologie est quasi-universelle. C’est la science des sciences. Là encore, des affirmations sans preuve, sans argument, sans référence.

Psychologie : « L’astrologie se veut la science par excellence de la personnalité, assorti de la révélation d’un destin probable (élément qui est également dans ses cordes) » (p. 9). « N’est il pas révélateur par exemple que les psychologues fassent souvent appel aux astrologues du “plus” certain que l’art royal des astres peut leur apporter, en particulier en ce qui concerne l’étiologie - ou les causes profondes - d’un complexe, d’une névrose ou d’une psychose ou tout simplement à cause de la richesse et de la subtilité de l’analyse astrologique en général, alors que l’inverse semble être l’exception ». (p. 746).

« Les » psychologues, lesquels ? Ils font « souvent » appel. D’où sort ce « souvent » ? D’où sortent toutes ces affirmations ? Les références sérieuses de publications en psychologie faisant référence à l’astrologie sont toujours attendues.

Médecine : « De récentes recherches nous ont en effet permis d’établir la corrélation entre cancer, voire sida, avec des dissonances de ces deux planètes par rapport au thème natal. » (p. 213). « En revanche, il est dans les cordes de l’astrologie de pouvoir focaliser sur des points lumières ou des points sombres afférents à l’évolution d’une maladie, ce qui est certes un des avantages les plus notoires et les plus précieux de la science des astres. Pouvoir dire à une personne qui souffre et qui a perdu l’espoir d’une guérison prochaine quand son calvaire s’arrêtera - est, à n’en pas douter, un plus certain de la consultation astrologique ». (p. 394)

Quelles sont ces « récentes recherches » établissant une corrélation entre sida, cancer et astrologie ? Où sont les expériences qui prouveraient que l’astrologie permet de prédire une guérison, une date de « fin de calvaire »  ? Mystère.

Bourse et économie : « Devant les résultats souvent spectaculaires - et inexplicables en dehors de la logique des astres - de certains conseillers astrologues auprès de grands décideurs intrigués » (p. 430).

Recrutement des entreprises : « L’astrologie vient s’ajouter à la graphologie et aux éventuels psychotests [pour le recrutement]. Et cela à juste titre... » (p. 420)

Ajoutons enfin ces explications inédites aux tremblements de terre et au volcanisme : Élizabeth Teissier qualifie de « documents pointus sur sa discipline » ce qu’un correspondant lui écrit : « L’électricité négative solaire arrive la première. Elle peut former des couches dans l’atmosphère, qui induit des séismes ou des éruptions volcaniques ; celles-ci peuvent être considérées, en partie du moins, comme des explosions d’électricité
positive du manteau ».
(p. 367). Ne cherchons plus les explications de ces phénomènes dans les mouvements telluriques...

CONCLUSION

La thèse est bel et bien un plaidoyer en faveur de l’astrologie, cherchant à « démontrer » que l’astrologie est scientifique. Mais il s’agit systématiquement d’affirmations sans preuve, de commentaires ignorant les références existantes, d’interprétations erronées, le tout couronné par une confusion sur les sujets scientifiques invoqués.

Concernant les principaux arguments mis en avant à l’encontre de l’astrologie par les scientifiques, ils sont en général traités par le mépris et par une dénégation de principe, sans argument. Au vrai, ils sont ignorés la plupart du temps. Et de ce fait, la thèse n’apporte même pas le point de vue d’un astrologue sur ces arguments pourtant vieux de plusieurs siècles.


Remarques philosophiques conclusives

par
Jacques Bouveresse, Philosophe, Professeur au Collège de France

La thèse soutenue par Madame Élizabeth Teissier le 7 avril de cette année sous le titre « Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes » soulève en premier lieu la question de savoir ce que vient faire exactement le mot « épistémologique » dans le titre. Même si elle cite un nombre considérable de scientifiques et d’épistémologues éminents (qu’elle interprète généralement à contresens, comme elle le fait également, de façon à peu près aussi systématique, avec les sociologues qu’elle utilise), elle ne comporte aucune analyse épistémologique réelle. La candidate était d’ailleurs, de toute évidence, bien incapable d’en fournir une seule. Et il ne s’agit pas non plus d’un travail de sociologie des sciences (ou, si l’on préfère, des pseudo-sciences), une discipline dont la candidate ne maîtrise pas davantage les exigences, les principes et la méthode. On se demande, de toute façon, ce que peut bien avoir à faire, dans ce qui est supposé être une thèse de sociologie des croyances et des pratiques astrologiques, un appendice intitulé « Quelques preuves irréfutables en faveur de l’influence planétaire ». La sociologie peut avoir, en l’occurrence, à recenser et à décrire les « preuves » qui sont utilisées par les défenseurs et les adeptes de l’astrologie et la façon dont elles le sont ; mais elle n’a pas à adopter, en tant que telle, un point de vue normatif et évaluatif quelconque sur le discours apologétique qu’elle étudie et à se prononcer sur la validité des arguments utilisés et la vérité des conclusions qu’ils sont censées justifier. C’est à la logique, à l’épistémologie et à la méthodologie des sciences qu’incombe en principe ce genre de tâche ; mais ce n’était pas supposé être l’objet de la thèse. Dans la plupart des cas, il vaudrait mieux, du reste, parler de psychologie ou de psychosociologie élémentaires et même rudimentaires que d’épistémologie proprement dite.

On peut remarquer au passage que, si Madame Teissier avait eu la moindre envie de faire un travail épistémologique réel, elle aurait commencé par prendre un peu plus au sérieux la remarque de Popper selon laquelle la difficulté, dans le cas de disciplines comme l’astrologie, n’est pas de trouver des confirmations (il n’y a rien de plus facile, en tout cas pour les convaincus), mais plutôt de trouver des faits susceptibles, le cas échéant, de constituer une réfutation de la théorie. Si l’on pouvait dire de la thèse qu’elle défend un point de vue épistémologique précis, il faudrait ajouter immédiatement qu’il présente toutes les faiblesses bien connues de la position confirmationniste naïve. La présence de l’annexe sur le caractère « irréfutable » des preuves ne fait, bien entendu, que confirmer explicitement le fait que, sous le déguisement transparent d’une étude de sociologie, il s’agit en réalité essentiellement et pratiquement d’un bout à l’autre d’un plaidoyer en faveur de l’astrologie, appuyé essentiellement sur 1) l’intime conviction et le témoignage personnel, 2) le consensus et 3) la thèse relativiste, caractéristique de la mentalité et du mode de raisonnement « postmodernes », de l’égale dignité et de l’égale valeur de toutes les convictions et de toutes les croyances.

Comme beaucoup d’autres travaux du même genre, la thèse essaie de faire simultanément deux choses contradictoires : elle revendique pour l’astrologie la dignité très convoitée de science et même de science par excellence (un point qui, de façon curieuse et inquiétante, semble avoir échappé à Alain Touraine) ; mais, en même temps, en pratiquant un effacement systématique des différences et des frontières, elle ruine définitivement toute possibilité de tracer une ligne de démarcation quelconque entre la science et la non-science. « L’astrologie, nous est-il dit, n’a pas encore sa place parmi les sciences dignes de ce nom » (p. XII), mais elle l’aura un jour ; et, si elle ne l’a pas déjà, ce « retard » ne s’appuie sur aucune raison objective et est dû uniquement à l’intolérance des rationalistes et de la science officielle. Mais on peut se demander ce que l’astrologie aura gagné quand elle aura conquis la place en question, puisque la distinction entre la science, la pseudo-science, la superstition et la mythologie sera probablement devenue en même temps complètement vide, ce qui constituera sans doute le triomphe définitif, vers lequel on s’achemine visiblement de plus en plus en plus, de la démocratie et de l’égalité parfaites en matière de croyance et de raisonnement. Un vrai « libéral » n’a déjà plus guère de choix qu’entre reconnaître que toutes les croyances sont vraies et admettre que la question de savoir si elles le sont ou non n’a aucune pertinence et aucune légitimité : la poser sérieusement est déjà pratiquement une forme d’intolérance. Il va sans dire que ce qui est en question ici n’est pas, contrairement à ce qui est affirmé ou suggéré sans cesse, la distinction des sciences dures et des sciences molles et la prétendue tyrannie que les sciences exactes sont censées exercer sur la pensée et la culture en général : Madame Teissier est visiblement tout aussi ignorante des principes de la méthodologie des sciences humaines et de ce qui peut autoriser à qualifier de « scientifique » ce qu’elles font qu’elle l’est de l’épistémologie des sciences exactes.

La thèse procède la plupart du temps par une accumulation, destinée à créer une impression d’érudition et de sérieux irréprochables - la candidate connaît manifestement les règles du jeu universitaire -, de citations de personnalités illustres de toutes les époques, utilisées sur le mode de l’argument d’autorité. Madame Teissier a trouvé, en particulier, un nombre considérable de déclarations de grands scientifiques qui disent des choses qu’elle interprète comme des arguments en faveur de la reconnaissance de l’astrologie comme discipline scientifique. Mais elle devrait, dans ce cas, se demander pourquoi les représentants agréés de ce qu’elle appelle le « nouvel esprit scientifique » n’ont pas encore signé un appel solennel en faveur d’une égalité de traitement entre l’astrologie et l’astronomie (il doit s’agir ici non plus d’intolérance, mais plutôt d’inconséquence pure et simple). On ne peut pas ne pas avoir ici une pensée émue pour Bachelard, un des auteurs dont les textes sont le plus grossièrement mésinterprétés ou détournés de leur sens et qui, quand il a parlé d’un « nouvel esprit scientifique », ne pensait malheureusement pas, comme Madame Teissier, au Colloque de Cordoue. Le comble de l’ironie est atteint quand elle cite un ouvrage comme La Formation de l’esprit scientifique, dont elle a été manifestement incapable d’apprendre quoi que ce soit, en croyant que ce genre de livre apporte de l’eau à son moulin. Tout est bon, à commencer par les déclarations des plus grands scientifiques eux-mêmes, quand il s’agit de balayer devant la porte de la science ; mais rien de ce qui, dans leur discours, pourrait constituer, implicitement ou explicitement, une menace pour la respectabilité scientifique de l’astrologie n’est jamais évoqué.

Il vaut mieux éviter, par charité, de s’attarder sur le défilé des formules rituelles, des clichés, des mésinterprétations, des erreurs et des sottises habituels concernant les leçons épistémologiques révolutionnaires que nous sommes supposés devoir tirer de la physique quantique. Il est plus important de remarquer que, dans la plupart des cas, Madame Teissier ne comprend tout simplement même pas ce qu’elle lit et commente. Quand, par exemple, Boudon écrit qu’« il est des croyances fondées sur des raisons que la plupart des sujets concernés ont des chances de trouver bonnes : qualifions-les de bonnes raisons », elle conclut que « cela a pour nom le consensus socioculturel ». (p. 734). Autrement dit, elle ignore visiblement tout ou ne veut rien savoir du genre de distinction auquel songeaient les penseurs de la tradition rationaliste, quand ils ont opposé les causes (psychologiques, sociologiques, socioculturelles et autres), qui sont indifférentes par rapport à la distinction de la vérité et de la fausseté, et les raisons objectives de la croyance ; et elle fait comme si le consensus lui-même pouvait constituer la meilleure et pour finir la seule raison objective de la vérité d’une proposition ou d’une doctrine. Son argument le plus sérieux en faveur de l’astrologie est, de toute évidence, celui de l’accord entre les croyants : si 58 % des Français croient, d’après un sondage du Monde, que l’astrologie est une science, il y a également 58 % de chances pour que c’en soit une, et même probablement beaucoup plus, puisque, d’une part, un bon nombre de gens qui croient à la scientificité de l’astrologie hésitent à le reconnaître et, d’autre part, un bon nombre de ceux qui n’y croient pas sont simplement conditionnés et influencés par les certitudes dogmatiques et les décrets arbitraires de l’establishment scientifique. Penser qu’une majorité de gens peut croire à un moment donné des choses fausses et même absurdes, ce qui se vérifie pourtant régulièrement, n’est pas une maxime méthodologique saine, que les rationalistes ont, pour une fois, raison d’adopter, mais simplement une preuve de suffisance, d’élitisme, d’intolérance et de sectarisme.

Que la sociologie doive également s’intéresser aux raisons que les individus donnent de leurs croyances et aux jugements de valeur qu’ils formulent, du point de vue épistémique, à propos de la rationalité, de la vérité objective ou de la scientificité de ce qu’ils croient, ne fait évidemment aucun doute. Mais elle n’a pas, que l’on sache, à les entériner, ce que Madame Teissier fait pourtant sans hésiter, tout au moins quand ils vont dans le sens qui lui convient. Que l’opinion d’une minorité (en l’occurrence, celle de la communauté scientifique et de ceux qui, sur la question de l’astrologie, sont du même avis qu’elle) puisse éventuellement s’appuyer sur de meilleures raisons et être davantage fondée que celle du plus grand nombre (qui est peut-être, effectivement, plutôt du côté de Madame Teissier), est une chose qu’elle ne parvient tout simplement pas à envisager.

Les développements sur « la résistible hégémonie de l’idéologie scientiste » ont de quoi décourager le lecteur le plus indulgent par leur caractère positivement affligeant. On a déjà une idée de la précision des connaissances historiques de l’auteur quand on constate que, pour elle, le mot « scientiste » a été introduit en 1911 par Le Dantec et que « ce fut ensuite au tour de RENAN de confondre “science et perfection morale”, montrant par là même une attitude utopiste » (p. 726). A supposer qu’il l’ait réellement fait, Renan avait sans doute tort de confondre science et perfection morale, mais sûrement pas plus que Madame Teissier quand elle nous invite à compter, pour le perfectionnement de l’humanité, sur le développement de la science la plus importante de toutes, à savoir l’astrologie. On se demande d’ailleurs bien pourquoi, la science étant ce qu’elle est, l’astrologie tient à ce point à apparaître un jour à ses côtés et à entrer à son tour dans la Sainte Église des disciplines scientifiques reconnues. Madame Teissier, qui aime le mot « aporie », mais ignore visiblement son sens, parle de « cette aporie qui incite la science à reprocher à la religion ou à tout système para-religieux (astrologie) ses propres déviances » (p. 727). Autrement dit, c’est la science elle-même qui a commencé en se transformant en une religion et qui a été imitée ensuite par d’autres. Mais, au fait, d’après Madame Teissier, l’astrologie est-elle réellement un système para-religieux, ou bien est-ce la science officielle et elle seule qui en est un et qui reproche à tort à l’astrologie de l’être aussi ? Quand il est question du “non-logique” de PARETO, affectant même - et peut-être surtout - ceux qui veulent s’affranchir totalement de l’irrationnel » (p. 727), faut-il comprendre que l’astrologie est à l’abri de ce risque, parce qu’elle ne cherche en aucune façon à s’affranchir de l’irrationnel et l’exploite même ouvertement ? L’auteur, apparemment soucieuse de protéger la science contre ses propres tentations, n’oublie pas de citer Hayek, qui dit que « le danger est maintenant que l’influence du scientisme empêche le progrès des sciences sociales » (p. 728). Mais elle ne se demande pas si, pour ceux qui luttent avec raison contre le scientisme, dans l’intérêt même de la science, la croyance à la scientificité de disciplines comme l’astrologie ne représenterait pas un danger encore bien plus grand. De façon générale, la thèse use et abuse de l’argument Tu quoque !, sans remarquer que soutenir que la science procède finalement de façon aussi irrationnelle que l’astrologie revient à concéder que l’astrologie procède effectivement de façon irrationnelle et à scier la branche sur laquelle on souhaite la faire asseoir, puisque ce que l’auteur voudrait nous faire croire est qu’elle est en fin de compte aussi rationnelle et même, tout compte fait, beaucoup plus rationnelle qu’une science qui a dégénéré en une simple religion, sclérosée, dogmatique et sectaire.

Einstein pensait que la science repose sur une croyance de nature religieuse en la connaissabilité et la compréhensibilité fondamentales du réel. Mais la présence d’une conviction et d’une motivation de cette sorte au fondement de l’activité du physicien ne suffit évidemment pas à faire de la physique une religion, pas plus que le recours aux mathématiques et au langage des mathématiques, que Madame Teissier n’oublie pas d’invoquer comme un argument (notamment quand il s’agit de distinguer la « bonne » astrologie (la sienne) de la « mauvaise ») et dont elle fait visiblement tout un plat, ne suffit à faire de l’astrologie une science. Dans toutes ces discussions, aucun effort sérieux n’est fait, bien entendu, pour distinguer la part des facteurs psychologiques et logiques, subjectifs et objectifs, rationnels et irrationnels, culturels et ontologiques, etc., qui interviennent dans la construction d’une image scientifique du monde, ce qui devrait pourtant constituer l’un des buts principaux d’une réflexion épistémologique digne de ce nom. Le résultat auquel on est conduit est une espèce d’équivalence et d’indistinction généralisées, qui a pour but de rendre incompréhensible et insupportable l’attitude de ceux qui s’obstinent encore à maintenir des différences de statut quelconques, par exemple entre deux disciplines comme l’astronomie et l’astrologie.

Sur ce point, l’auteur applique de façon conséquente la stratégie qui consiste, précisément, à ne mentionner et à n’examiner, pour expliquer l’attitude des représentants de la science (officielle), que des causes psychologiques (l’arrogance, l’autoritarisme, la routine, le préjugé, le manque d’ouverture et de curiosité, la peur de l’inconnu et de la nouveauté, etc.), sans donner jamais la moindre idée des raisons objectives qui pourraient peut-être aussi l’expliquer et la justifier. Quand il est question du « rationalisme sectaire », il faut évidemment considérer l’adjectif comme une épithète de nature. On se demande à quoi pourrait bien ressembler un rationalisme qui ne serait pas sectaire. La seule façon pour lui de ne pas l’être serait, en effet, de reconna^^itre immédiatement que l’astrologie est une science et même beaucoup plus que cela, puisqu’elle est aussi, d’après l’auteur, un art et une sagesse, alors que l’astronomie se contente, plus modestement, d’être une science, et rien d’autre. Mais il faudrait pour cela, évidemment, que le rationalisme commence par renoncer à appliquer aux thèses et au discours de l’astrologie une méthode d’analyse et de critique rationnelles et donc, tout simplement, à être ce qu’il ce qu’il est supposé être. La seule espèce de rationalisme qui pourrait être supportable à la rigueur est, pour les gens comme Madame Teissier, le rationalisme sans exigence de rationalité et sans demande de justification rationnelle.

Rien ne lui interdit, bien entendu, d’essayer de nous persuader que c’est aujourd’hui l’astrologie persécutée qui est dans la position de Galilée et la science officielle dans celle de l’Église ou de l’Inquisition, et que c’est à l’astrologie que l’avenir appartient, comme il appartenait, au moment où le problème s’est posé, à la science galiléenne. A tout prendre, ce genre de déclaration prophétique, qui ne coûte rien et ne surprendra pas de la part d’une astrologue qui, dans le domaine de l’histoire des sciences et de la connaissance en général, se prend manifestement aussi pour une visionnaire, est sûrement plus supportable que les développements pseudo-épistémologiques sur lesquels elle essaie d’appuyer son plaidoyer en faveur de l’astrologie. Mais il est difficile de ne pas être pris d’une forte envie de rire quand on la voit, pour défendre sa discipline et la contribution décisive qu’elle a apportée elle-même à son développement, parler de « l’imperméabilité de la science officielle devant des affirmations trop avant-gardistes » (p. 734) et appeler à la rescousse à peu près tous les grands scientifiques révolutionnaires qui ont été victimes de l’incompréhension de leur époque. Derrière la modestie apparente du propos, qui était exigée par les circonstances, l’infatuation narcissique et la mégalomanie sont évidemment toujours prêtes à faire entendre leur voix. Le fait que le cas de Mesmer soit placé à peu près sur le même plan que celui de Mendel (p. XIII-XIV) donne évidemment à lui seul une bonne idée de la façon dont est traitée l’histoire des sciences et de la vision qu’a Madame Teissier de ce que peut être un scientifique génial incompris. Il n’y a évidemment une fois de plus que les « rationalistes sectaires » qui peuvent éprouver le besoin de faire ici une différence. Du fait que les astrologues sont traités généralement comme des charlatans par la science établie et que certains scientifiques authentiques l’ont été aussi de leur vivant et même parfois encore longtemps après, on est supposé conclure sans autre forme de procès que l’injustice sera à coup sûr réparée par l’avenir dans le premier cas, exactement comme elle l’a été dans le deuxième.

Ce qui est préoccupant n’est évidemment pas seulement la tendance à croire qu’une rhétorique antiscientifique et antirationaliste qui ne fait, pour l’essentiel, que ressasser maladroitement toutes les formules et tous les lieux communs à la mode peut tenir lieu de réflexion épistémologique. C’est aussi et même surtout l’idée que l’acceptation d’une thèse de cette sorte par un jury universitaire constitué de personnalités en principe compétentes donne du niveau d’exigence extraordinairement bas auquel on est aujourd’hui descendu dans les questions de cette sorte. Et il ne serait pas sérieux de prétendre qu’il s’agissait, en l’occurrence, d’une thèse de sociologie, et non d’épistémologie ; car, en plus du fait que cela ne constituerait sûrement pas une excuse, il n’est pas nécessaire d’être sociologue pour se rendre compte au premier coup d’œil que c’est faux. Ce qui est certain, en revanche, est que le fait qu’une thèse de cette sorte ait pu être soutenue et se voir attribuer la mention « Très Honorable » devrait constituer un problème intéressant pour la sociologie de la connaissance en général et celle de l’évolution des normes et des pratiques universitaires en particulier.

C’est évidemment pour des raisons essentiellement socioculturelles et qui n’ont pas grand rapport avec ce que l’Université est censée représenter et défendre, à savoir la science ou, plus modestement, la connaissance en général, que ce genre de chose a été possible. Contrairement à ce qui a été affirmé, il ne s’agissait pas de sanctionner, en utilisant les critères habituels, une recherche objective sur ce qui constitue indiscutablement un phénomène de société tout à fait digne d’intérêt, mais bien de céder à la pression qu’il exerce aujourd’hui de plus en plus sur les représentants du savoir eux-mêmes. Un pas important a ainsi été franchi dans une direction pour le moins inquiétante. On objectera, naturellement, que la plupart des thèses qui se soutiennent chaque année dans l’Université sont loin d’être irréprochables et qu’un travail critique du même genre que celui que les auteurs du présent rapport ont entrepris sur la thèse de Madame Teissier pourrait se justifier aussi dans le cas d’un bon nombre d’entre elles. Justement, non ; car ce n’est pas simplement parce qu’elle est (si j’en juge d’après ma propre expérience) d’une médiocrité autrement plus scandaleuse que ce dont les jurys peuvent être amenés dans certains cas, pour de bonnes ou de moins bonnes raisons, à se contenter, qu’elle pose un problème spécial. On a affaire assurément, dans le cas précis, à un travail dont on serait vraiment heureux de pouvoir se dire qu’il est simplement médiocre. Mais ce n’est, de toute façon, pas le problème le plus important. La plupart des thèses soutenues dans l’Université portent sur des sujets qui n’intéressent qu’un très petit nombre de gens et ne sortent guère des archives de l’institution, ce qui signifie que les affirmations contestables ou erronées qu’elles contiennent ne risquent guère d’être diffusées largement à l’extérieur et d’y exercer une influence quelconque. Mais, en l’occurrence, il ne s’agissait pas simplement, dans les faits, de reconnaître le travail personnel, bon ou moins bon, d’une candidate, mais d’apporter la caution de la compétence et de l’autorité universitaires à une discipline pseudo-scientifique militante qui, par la bouche de Madame Teissier, lutte depuis des années ouvertement pour obtenir, en plus du reste, ce genre de reconnaissance et essaie de profiter de l’atmosphère de laxisme épistémologique radical qui se propage en ce moment un peu partout pour y parvenir. On aimerait savoir, du reste, si le jury, pour compléter le soutien qu’il vient d’apporter à la cause de Madame Teissier, n’a pas recommandé également, pendant qu’il y était, la publication de sa thèse. Convaincre un éditeur commercial tenté par la perspective d’un bon « coup » à jouer et prêt à exploiter le succès de scandale qui accompagnait déjà la soutenance devrait, en tout cas, être encore plus facile pour Madame Teissier que cela ne l’a été de convaincre ses juges universitaires. Les innombrables thésards qui rédigent et soutiennent des travaux en tous points remarquables, pour lesquels ils ne parviennent pas à trouver ensuite un éditeur, apprécieront sûrement le fait de voir paraître sous le nom de « thèse de doctorat » un ouvrage comme celui dont il s’agit.

Feyerabend a soutenu que le seul principe auquel obéit réellement, en toutes circonstances, la science est « anything goes ». Madame Teissier vient de démontrer avec éclat que c’est désormais encore plus vrai en épistémologie et que ca l’est, en tout cas, quand il s’agit de rédiger et de faire accepter une thèse. S’il est logique, un jury capable de considérer comme un travail universitaire sérieux le genre de manifeste en faveur de l’astrologie et de panégyrique de la « science » astrologique qu’a produit Madame Teissier ne devrait pas trouver anormal que la discipline soit réintroduite et enseignée à nouveau officiellement dans l’Université. C’est, comme chacun sait, précisément le résultat que la candidate cherche depuis longtemps à obtenir. Ce n’est pas, d’après elle, de sérieux scientifique ou intellectuel que manque avant tout l’astrologie, mais d’une position dans l’enseignement et, bien sûr, également de subventions. Pour que les choses changent, Madame Teissier avait besoin d’ajouter à la reconnaissance sociale dont bénéficient déjà largement la discipline et, en l’occurrence, une de ses représentantes les plus célèbres et les plus médiatiques, celle de l’institution universitaire elle-même. En s’empressant de la lui accorder, celle-ci, même si elle s’en est défendu hypocritement, en essayant de faire croire que la candidate ne se servirait pas de son titre de docteur pour essayer d’obtenir un poste dans l’enseignement supérieur, lui a tout simplement permis de franchir un premier pas décisif en direction de l’objectif qu’elle poursuit depuis des années. On comprend parfaitement que les sociologues qui ont décerné à Madame Teissier le titre de docteur ne souhaitent pas la voir enseigner un jour la sociologie dans l’Université et ne craignent pas non plus qu’elle essaie de le faire. Mais ils ne pouvaient pas ignorer que ce n’est justement pas la sociologie, mais l’astrologie, qu’elle souhaite y enseigner. On aimerait savoir si cette perspective les laisse décidément indifférents ou, pire encore, si ce n’est pas au fond ce qu’ils souhaitent eux-mêmes. S’il y a des praticiens de la voyance, de la chiromancie ou de la numérologie qui pensent que leur spécialité devrait être admise et enseignée aussi dans l’Université, ils sauront désormais, en tout cas, comment il faut s’y prendre pour réussir à forcer la porte de l’Alma Mater  : commencer par rédiger une thèse de sociologie sur la situation épistémologique de leur discipline, considérée à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes qui sont supposées être les nôtres.

1 Ce n’était pas la première fois que M. Maffesoli faisait soutenir une thèse en rapport avec l’astrologie. Ainsi, en 1989, S. Joubert a soutenu une thèse de doctorat intitulée Polythéisme des valeurs et sociologie : le cas de l’astrologie à l’Université de Paris V, sous sa direction. Le résumé de cette thèse manifeste un style d’écriture d’une aussi douteuse clarté que celui que l’on découvre dans la thèse d’Élizabeth Teissier (Source : Docthese 1998/1). Les membres présents de son jury - il s’agissait, outre son directeur de thèse, de Serge Moscovici[[Directeur d’études à l’EHESS (psychologie sociale).

2 Professeur de philosophie à l’Université de Paris I.

3 Professeur de sociologie à l’Université de Montpellier III.

4 Professeur émérite à l’Université de Grenoble II, Fondateur du Centre de Recherche sur l’Imaginaire

5 Professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg II.

6 Tout ce que nous mettons entre guillemets dans ce texte sont des extraits de la thèse. Les italiques sont des choix de soulignement de l’auteur de la thèse et les gras sont nos propres soulignements de lecteur.

7 Nous ne vérifierons pas ici la véracité des sentiments positifs à l’égard de l’astrologie que l’auteur prête à diverses personnalités.

8 Elle écrit par ailleurs : « D’autre part, la télépathie ne s’est elle pas imposée comme discipline scientifique depuis les expériences de Rhine ? » (p. 281).