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Courrier des lecteurs d’avril à juin 2013

Publié en ligne le 11 mars 2014 - Rationalisme -

Peur, raison et idéologie

Je consulte régulièrement votre site pour acheter des livres. J’aurais [quelques] questions à vous poser :

Est-ce que vous ne pensez pas que c’est humain d’avoir peur de quelque chose qui pourrait [nous] exploser à la figure même si il y a très peu de chance que cela arrive ? Si on pense nucléaire, on aura tendance à penser aux champignons atomiques plutôt qu’aux petits oiseaux... En partant de ce constat, pensez-vous qu’on puisse faire disparaître cette peur par la raison ?

En psychologie sociale, on sait désormais (en simplifiant beaucoup) que plus on aura tendance à critiquer une certaine position, plus les tenants de cette position vont s’enfermer dans leur idéologie (je pense aux travaux de Joule et Beauvois). En partant de ce constat, l’action des sites sceptiques est-elle vraiment efficace ?

Comment pouvez-vous vous prémunir de l’idéologie ? Je pense en particulier à cette phrase dans cet article 1 : « Le charbon tue ; il a beaucoup tué et il tuera encore. Pas le nucléaire ? Il y a eu Tchernobyl. Mais, comme l’a dit en son temps un polémiste vigoureux, Tchernobyl n’est pas un accident nucléaire, c’est un accident soviétique... De même pour Tchernobyl : ce n’est pas l’énergie nucléaire qu’il faut supprimer, c’est le régime soviétique. C’est fait. »

G.B.

C’est bien effectivement parce que c’est humain d’avoir peur (entre autres) qu’il est si utile d’employer la raison dès que nécessaire. Et ce d’autant plus que dans une controverse, la peur sera plus « efficace » que la raison. Comme le souligne le sociologue Gérald Bronner, notre perception des risques est « naturellement » biaisée et influe sur nos opinions relatives aux décisions d’intérêt général. Et dès lors, il me semble effectivement que seule la raison peut nous aider à faire face aux dangers. Regardez l’entraînement des astronautes : ce qu’ils font à longueur de journée est d’imaginer les pires pannes ou problèmes pouvant survenir, et l’entraînement leur permet d’affronter ensuite ces dangers avec le maximum de calme et de raison (je pense à Apollo XIII, par exemple).

Pour votre 2e point, là aussi, il paraît raisonnable de penser que les plus convaincus ne changeront pas d’avis... Il y a heureusement des exceptions, comme d’ex-psychanalystes qui ont compris la vacuité de cette pratique, ou d’autres, parfois spectaculaires, comme Mark Lynas, cet ancien activiste qui s’est excusé d’avoir diabolisé les OGM (voir notre n° 304, p. 77).

Mais plus largement, je pense que le public que l’on vise n’est pas celui des opposants, mais les indécis ou les mal informés qui ne demandent qu’à l’être mieux (et accessoirement, nous souhaitons donner aussi les meilleures armes possibles aux sceptiques déjà convaincus). Ajoutons aussi que nous travaillons probablement pour le moyen ou même le long terme. Comme le soulignait Jean Bricmont (dossier « Héritage des Lumières » de notre numéro 304), « nos ancêtres adhéraient à un grand nombre de croyances irrationnelles auxquelles plus personne ne croit aujourd’hui. Comment le passage s’est-il opéré, si ce n’est, en partie au moins, parce qu’entre temps des gens ont montré, au moyen d’arguments rationnels, qu’elles étaient fausses ? ».

Et pour finir, sur l’idéologie, il est sans doute impossible d’y échapper totalement... Ce que nous essayons de faire, c’est de mettre en évidence l’aspect scientifique des controverses. Le mélange des genres est une pratique bien trop répandue qui ne fait que brouiller les choses ! Combien d’anti-OGM le sont-ils uniquement par « hostilité aux multinationales » ? Ce combat est respectable, mais pourquoi l’escamoter derrière un risque de poison ou de danger non établi ? Inversement, relever l’absence de danger des OGM commercialisés n’apporte pas un quelconque jugement sur les actions de ces sociétés sur le plan social ou économique, pas plus que ça ne légitime une organisation économique.

Il s’agit simplement de deux terrains différents. Rester sur celui de la science est l’objectif que nous nous fixons. Mais c’est aussi un combat à mener sur nous-mêmes, vous avez raison.

Nicolas Gauvrit et Martin Brunschwig

Universalisme... ou hégémonie ?

Je lis régulièrement avec grand plaisir votre revue qui prolonge au présent l’esprit des Lumières et de l’engagement rationaliste contre les superstitions, fussent-elles habillées aux couleurs de la science. Il importe en effet de dénoncer les usurpateurs de scientificité qui diffusent leur prose anxiogène et qui confortent ainsi le climat général de peur, de pessimisme et de dénigrement pseudo-écologique du genre humain. J’invite toutefois les rédacteurs de la revue au doute méthodique à propos de plusieurs questions que, s’agissant d’un courrier de lecteurs et non d’un article, je ne puis ici qu’énumérer et argumenter très sommairement.

Dans le numéro 303 de janvier 2013, M. Franck Ramus vilipende « l’exception française » en médecine à propos du classement des maladies mentales. Son article semble frappé au coin du bon sens puisque la science est d’essence universaliste. Mais les choses ne sont pas si simples quand il s’agit de santé mentale [...]. Les classifications d’origine anglo-saxonne, qui s’imposent surtout du fait de l’écrasante hégémonie mondiale des États-Unis et des revues états-uniennes et de la langue anglo-américaine, ne peuvent être prises comme allant de soi [...] Il faut démontrer qu’une conception est juste – conséquemment qu’elle mérite d’être universalisée – et non qu’elle est mondialement dominante ; il faut prouver que la thèse opposée est fausse, et non pas seulement qu’elle est « exceptionnelle » car, pour pasticher Héraclite, « s’il a raison, un seul vaut dix mille » [...].

Sur le fond, comment ne pas voir que l’orientation comportementaliste et largement biologisante de la psychiatrie dominante aux « States » – et de plus en plus en France même – n’est pas moins idéologique, dans sa vision anti-culturaliste de la santé mentale que ne l’était en sens inverse le « psychanalysme » ultra-culturaliste (et naïvement anti-biologique) des années 70.

G.G.

Autant le message précédent s’inquiétait de « notre » idéologie, autant le vôtre s’attache à une idéologie qui serait propre à la science... Mais vous avez répondu vous-même à ce problème : nul, probablement, n’échappe totalement à une forme d’idéologie, ne serait-ce que « l’idéologie ambiante » d’une période historique. Mais ce que la démarche scientifique a mis en place avec le succès que l’on sait, c’est la vérification des hypothèses. Ces dernières ont probablement de bien diverses origines, sans doute peu scientifiques pour certaines d’entre elles (intuitions, idées préconçues, etc.) mais la rigueur de la démarche scientifique permet, comme vous le soulignez, de rendre ces vérités universelles. Le mot « science » recouvre diverses réalités. Certaines peuvent être concernées par l’idéologie, comme peut-être les décisions politiques de financements, mais la démarche scientifique de vérification ou de validation d’une hypothèse ne l’est pas.

Ajoutons quelques mots au sujet du DSM sur lequel portait l’article que vous citez. Il est capital pour la recherche scientifique d’avoir un classement commun des maladies et des troubles. Le DSM a d’abord été inventé dans ce but : réduire les décalages que l’on observait dans les prévalences en fonction des pays, décalages qui provenaient seulement du fait que les psychologues des différents pays n’avaient pas la même définition des troubles. Il s’agit en l’occurrence plus d’une « convention » que de « vérité », mais la science a tout à perdre si chaque pays utilise une convention de son cru. Le DSM ne dit pas d’où viennent les troubles et ne présente aucune théorie. Il se contente de classer et de définir des critères de classement.

N.G. et M.B.

L’eau de Javel dans les hôpitaux

L’article de Bernard Meunier (SPS n° 304, avril 2013) sur l’eau de Javel me semble injuste par certains côtés. Il est sûr que l’intérêt de l’eau de Javel dans la désinfection de l’eau de boisson est indéniable et efficace. Cependant, vous déplorez l’abandon de ce produit dans les hôpitaux. En fait, il s’agit de l’abandon dans la désinfection des surfaces, l’eau du réseau restant traitée à l’eau de javel, avec ou sans filtration supplémentaire si besoin. En effet, ce désinfectant – encore une fois efficace – nécessite une détersion préalable, car l’hypochlorite de sodium est inhibé par les particules organiques ; dans ces conditions, il faut au préalable passer un détergent, puis rincer et passer l’eau de javel. Cette triple opération est trop longue, et elle est avantageusement remplacée par un produit double – aussi efficace – appelé détergent-désinfectant qui ne nécessite qu’une seule opération [...]. On ne peut pas dire que l’arrêt de l’eau de Javel dans les établissements de santé pour le traitement des surfaces ait été décidé sur une fausse croyance.

B.B, pédiatre épidémiologiste

Merci pour vos précisions sur mon article. Il n’en reste pas moins que la campagne contre l’eau de Javel conduit à des désastres, comme celui du choléra en Haïti. Nous sommes passés de l’abandon de l’eau de Javel en milieu hospitalier à l’abandon tout court, sans autre explication. La voix des épidémiologistes ne porte plus suffisamment haut pour éviter les catastrophes comme celles d’Haïti (largement passée sous silence par les médias classiques et sur laquelle les associations environnementalistes n’ont rien dit !).

Bernard Meunier

Du chlore dans l’eau de Javel... et dans le sel.

Ancien professeur de physique chimie, l’article Bernard Meunier m’a beaucoup intéressée. Mais je voudrais parler d’une confusion que j’ai toujours eu du mal à combattre : beaucoup confondent l’odeur de l’eau de Javel avec celle du chlore. On peut toujours dire qu’il n’y a aucun rapport, rien n’y fait. Même pas d’expliquer que le chlore a servi de gaz pendant la guerre 14-18 et que s’il y en avait dans les piscines, cela poserait quelques problèmes de santé, que le chlore est un gaz irrespirable et que sa manipulation demande des précautions infinies. La réaction est :« Mais il y a bien du chlore dans l’eau de Javel ? » À quoi l’on répond « oui, mais il y en a aussi dans le sel ou chlorure de sodium (soyons précis...) et cela ne sent
rien ». À ce moment là, on ne vous dit rien, mais l’interlocuteur ne semble pas convaincu... Que l’enseignement de la chimie est difficile !

G.D.

Oui, l’enseignement de la chimie est parfois difficile, comme celui du grec ancien ou de la mécanique des fluides ! Un point de chimiste : verser de l’eau de Javel sur du vinaigre conduit à la formation de chlore gazeux, comme celui de la guerre de 14-18. Mais on ne demande pas aux personnes de laver leurs saladiers à l’eau de Javel. C’est le bon usage qui doit être enseigné. Un couteau de cuisine est utile dans une cuisine, pas ailleurs. Le monde médiatique est un peu « binaire » : le Bien / le Mal, les Bons / les Méchants, le Naturel / le Chimique. Le monde réel est juste un peu plus compliqué, il faut réfléchir au lieu d’accepter les slogans. C’est la noble tâche de notre métier de « passeurs d’idées », d’enseignants.

Bernard Meunier

Pesticides naturels et pesticides artificiels

Comme d’habitude j’ai lu avec intérêt votre dernier numéro (304 avril 2013). J’ai remarqué une coquille dans le cadre page 15, que je souhaitais diffuser auprès de mes amis car ces faits sont trop souvent méconnus. Au premier paragraphe, il est dit que 0,09 mg de pesticides sont consommés par an, alors qu’au troisième paragraphe, il est dit que cette même quantité est consommée par jour. J’espère que cette erreur n’invalide pas l’argument et que 0,09 mg est bien comparable à 1500 mg. Quelle est donc la véritable quantité ?

R.C.

Merci pour votre vigilance. C’est bien une coquille qui s’est glissée dans notre traduction de l’article [1]. 0,09 mg est bien la quantité moyenne de pesticides de synthèse consommés par jour par les Américains, et non pas par an. Et que cette quantité est bien à comparer aux 1500 mg de pesticides « naturels » consommés par jour. Ce qui est rapporté à l’année, c’est la quantité de produits naturels connus comme cancérigènes ingérés dans une simple tasse de café, qui équivaut à la quantité de pesticides de synthèse connus comme cancérigène consommée... en une année. Les auteurs ajoutent même que seulement 3 % des produits composant le café torréfié ont été testés pour leur cancérogénicité...

[1] http://toxnet.nlm.nih.gov/cpdb/pdfs...