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L’erreur est humaine

Publié en ligne le 12 janvier 2019
L’erreur est humaine
Aux frontières de la rationalité

Vincent Berthet
CNRS Éditions, 2018, 218 pages, 22 €

Vincent Berthet, diplômé en science politique et docteur en sciences cognitives, enseigne à l’université de Lorraine. Il présente, de façon claire et didactique, des apports essentiels de la psychologie cognitive permettant de mieux comprendre des erreurs de jugements et les limites de l’économie néoclassique, selon laquelle l’individu fait toujours des choix qui maximisent leur utilité. Des erreurs typiques ont été mises en évidence depuis longtemps. C’est le cas du biais de confirmation ou du passage d’une corrélation à une explication causale. D’autres erreurs ont été méthodiquement étudiées depuis quelques dizaines d’années, grâce notamment aux recherches de Daniel Kahneman (prix Nobel d’économie en 2002) et d’Amos Tversky. Ces psychologues ont réalisé « en laboratoire » diverses expérimentations de raisonnements économiques : des situations simplifiées de choix, de prédictions, d’achats, d’investissements. Leurs travaux sont au départ de ce qu’on appelle « l’économie comportementale ».

L’Homo sapiens traite correctement une série d’informations dans sa vie quotidienne, sans quoi cette espèce aurait disparu. Toutefois, il y a des situations où nous avons tendance à commettre les mêmes erreurs (appelées « biais cognitifs ») parce que nous nous fions à des opérations mentales automatiques (appelées « heuristiques »). Ainsi nous jugeons la fréquence ou la probabilité d’événements en fonction de quelques exemples saillants : nous croyons la mort par homicide plus fréquente que par cancer de l’estomac (« heuristique de disponibilité »), nous pensons pouvoir prédire des événements parce que nous avons expliqué facilement des événements passés (« biais de rétrospection »), nous prenons en compte des coûts passés pour poursuivre une activité non ou peu productive (« biais des coûts irrécupérables »).

Depuis les années 1940, des chercheurs ont montré que, dans quelques domaines (notamment le diagnostic de certains troubles mentaux), des opérations statistiques fournissent de meilleurs diagnostics et prédictions que des experts qui se basent sur leur expérience. Aujourd’hui, l’application de méthodes d’intelligence artificielle aux « Big Data » permet de capturer des régularités statistiques que le jugement humain ne décèle pas. Des décisions, par exemple de libérer ou non un délinquant peuvent y gagner beaucoup en efficacité.

L’auteur évoque l’utilisation des connaissances sur les biais cognitifs pour résoudre des problèmes sociaux. Il discute de l’efficacité et des problèmes éthiques de techniques qui les utilisent, par exemple la technique du choix par défaut, exploitant l’inattention et l’inertie de la majorité des gens (le don d’organe est proche de 100 % dans les pays où le consentement est présumé ; il est infime quand il ne l’est pas et qu’il doit être formulé).

L’auteur termine sur le constat qu’Internet est loin de nous prémunir contre des erreurs de jugement. Il écrit : « Le Web a renforcé la polarisation des opinions par la mécanique du communautarisme idéologique. Quelle que soit votre opinion, vous trouverez toujours sur le Net un groupe de personnes partageant la même opinion que vous, ce qui renforcera votre conviction. Or les animaux rationnellement limités que nous sommes tendent à croire que l’intersubjectif et l’objectif possèdent le même statut épistémique : croyance partagée équivaut à vérité. […] Le Web permet de toucher en masse cette “démocratie des crédules” selon les termes du sociologue Gérald Bronner, sur laquelle prospèrent les désinformateurs, les marchands de doute, et les auteurs de fake news » (p. 202) 1.

1 Le « statut épistémique » signifie : la valeur de connaissance. Pour une présentation du livre de G. Bronner, La démocratie des crédules (PUF, 2013, 360 p.), voir La démocratie des crédules.