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Courrier des lecteurs : janvier à mars 2015

Publié en ligne le 18 juin 2015 - Rationalisme -

La médecine, pays des Bisounours ?

Bonjour, abonné à votre revue, j’attache beaucoup d’importance à distinguer sciences et pseudo-sciences. Ce n’est pas toujours facile pour le citoyen lambda qui doit se débrouiller avec toutes sortes d’allégations qu’il n’a pas les moyens de vérifier, votre revue contribue à y voir plus clair. Mais je viens de lire l’article de Harriet Hall de votre dernier numéro (« 44 arguments contre la médecine scientifique passés au crible »), et plusieurs passages me gênent beaucoup. Elle présente la médecine et les médecins comme un monde de Bisounours qu’ils ne sont pas.

La science est une méthode sans rivale. Mais les usages des résultats de la science ne sont pas la science, et ses méthodes peuvent être falsifiées. Les études scientifiques des effets des traitements médicaux, quand elles sont bien faites et bien utilisées, sont un guide précieux, mais la pratique médicale qui s’en inspire n’est pas elle-même scientifique. Lors de mes études médicales, il y a bien longtemps, j’ai appris que la médecine est un art. Je suis psychiatre, c’est encore plus vrai en psychiatrie.

Que l’article de Harriet Hall sorte en même temps que celui sur le tabac est d’ailleurs saisissant, puisque la fraude de certains laboratoires pharmaceutiques est comparable par ses méthodes à celle des cigarettiers. Je n’ai pas besoin de citer les exemples que tout le monde connaît. On sait que bien des laboratoires pharmaceutiques font leur possible pour ne publier que les études favorables à leurs produits. Il est remarquable d’ailleurs que les gouvernements ou les instances de vérification n’exigent pas ce qui paraît pourtant évident : que toute étude soit annoncée avant sa mise en oeuvre, et que ses résultats soient publiés quels qu’ils soient. Comment ne pas en déduire que les politiques reçoivent des pressions auxquelles ils se soumettent ?

Il y a aussi que les médecins (c’est d’ailleurs une spécialité française) ont tendance à croire qu’une consultation doit obligatoirement se conclure par une prescription médicamenteuse. La prévention n’est pas au niveau optimal, loin de là, elle n’est d’ailleurs pas encouragée par le système. Bien souvent la seule information que reçoivent les médecins sur les nouveautés médicamenteuses leur est donnée par les visiteurs médicaux. Les médecins n’ont pas les moyens de vérifier les allégations présentées de façon si convaincante. La revue Prescrire s’emploie à combler ce manque. Je ne sais pas combien de médecins la lisent, ni son niveau de fiabilité.

Je ne comprends pas non plus ce refus « éthique » de l’effet placebo. L’hypnothérapie, risée des scientifiques il n’y a pas si longtemps, mais prise au sérieux depuis que les méthodes récentes d’imagerie cérébrale démontrent ses effets non seulement à court mais à long terme, est en un sens une systématisation de l’effet placebo. Ça marche, et pas seulement de façon temporaire. Bien accueillir son patient favorise l’effet placebo, alors la relation médecin-malade doit-elle être neutre comme doit l’être le scientifique dans ses recherches ?

La méditation fait aussi partie de ces pratiques ancestrales dont l’effet est maintenant démontré, on commence à l’enseigner aux médecins. Combien d’autres pratiques non vérifiées scientifiquement seraient confirmées si leurs tenants avaient les moyens de faire des études scientifiques sur leurs effets ? Combien de pratiques vérifiées (comme la méditation) restent minoritaires dans leur prescription parce que le matraquage publicitaire des firmes pharmaceutiques continue à promouvoir des médicaments qui marchent moins bien ?

Au fond cet article, qui contient aussi beaucoup de bonnes choses, pèche pour les mêmes raisons que ceux qu’il critique, par son parti pris peu nuancé, par la confusion qu’il entretient entre la méthode scientifique et ses usages.

Dr Jean-Pierre Ledru, psychiatre-psychothérapeute

Merci de votre courrier. Vous avez peut-être manqué le propos principal de mon article, et l’avez utilisé comme support pour vos propres critiques, parfois confuses, envers les médecins. Mon article portait sur les critiques injustes dirigées contre « l’EBM », la médecine basée sur des preuves, par les partisans des médecines alternatives. Vous en ajoutez d’autres, pour la plupart justifiées, et que les médecins, au sein de la communauté scientifique, ont eux-mêmes identifiées et s’efforcent de résoudre. Par exemple, les registres d’essais cliniques ont été conçus pour rechercher et surmonter le problème des études négatives non publiées (le fameux « file drawer problem »). L’idée est d’enregistrer les études en cours, ce qui permet de rechercher celles qui n’ont pas été publiées. Et les études non enregistrées au préalable ne sont plus censées être acceptées. La prévention n’est pas encore optimale, mais les journaux médicaux sont remplis d’articles tentant de l’améliorer. Les médecins sont bien conscients de la propagande des laboratoires pharmaceutiques et tentent d’éviter d’être trop influencés ; aux États-Unis, par exemple, de très nombreux docteurs refusent purement et simplement tout don ou même de recevoir des représentants des compagnies pharmaceutiques.

Enfin, des sources impartiales d’informations sur les médicaments sont faciles à trouver sur Internet. Je suis bien sûr d’accord avec vous pour dire que la pratique médicale ne suit pas toujours la science rigoureuse ; c’est pourquoi mes collègues et moi-même avons créé le blog d’« EBM » (ou SBM : Science-Based Medicine). Ces sortes de pensées floues dont vous faites état sont exactement ce que nous essayons de combattre.

Je ne comprends pas vos commentaires sur l’hypnothérapie. Vous semblez dire qu’elle a été reconnue comme efficace mais aussi qu’elle est un placebo systématisé. Les deux ne peuvent être vrais en même temps : la définition du placebo est d’être une substance inerte, sans effet spécifique. Vous semblez prôner des traitements inefficaces pour leur possible effet placebo, une pratique que l’éthique médicale dénonce unanimement car elle implique de mentir à ses patients. Il y a un certain effet placebo (qu’il vaudrait mieux appeler « effet contextuel ») inhérent à toute relation médecin/patient qui permet d’ajouter encore à l’effet d’un traitement efficace ; mais si un médecin trompe sciemment ses patients avec des traitements inefficaces, comment peut-il espérer conserver leur confiance ?

Certaines de vos critiques de la médecine sont injustifiées. Certes, trop de médecins, spécialement en France, terminent leurs consultations par une prescription… Mais les bons docteurs savent qu’il n’est pas toujours nécessaire de prescrire un médicament : le meilleur choix est parfois un traitement non médicamenteux ou même pas de traitement du tout. Le problème vient souvent de la demande du patient...

Vous pensez qu’il a été prouvé que la méditation était efficace, mais vous n’indiquez pas pour quoi. Je ne connais pas de preuve scientifique comme quoi la méditation est préférable à d’autres traitements pour aucune maladie. Elle est actuellement à l’étude, et pourrait, pourquoi pas, déboucher sur des possibilités de « mieux-être », mais sans doute pas pour « soigner ». Je ne suis pas d’accord avec vous sur un point. La médecine n’est pas un art ; c’est une science appliquée. Il y a des arts au sein de la médecine, comme l’art de communiquer avec un patient ou de soigner une blessure ; mais choisir un traitement pour un patient n’est pas un art. C’est le meilleur choix rationnel auquel on arrive en utilisant la meilleure information scientifique existante dans le cas de ce patient précis. Utiliser des traitements non testés est un risque, pas un art. La seule façon de savoir si un traitement non testé est efficace ou non est de le tester scientifiquement.

Vous demandez combien de traitements non encore testés seraient confirmés si leurs partisans avaient les moyens de faire des études scientifiques. L’histoire de la médecine nous enseigne que la réponse est « pas beaucoup ». Et des fonds de recherches sont déjà disponibles auprès de nombreux organismes pour étudier tout traitement qui montre vraiment des promesses.

Harriet Hall

De bonnes raisons de s’abonner !

[…] J’en suis venue à m’abonner à votre revue après un long parcours de sceptique solitaire (m’interroger en permanence sur toute chose, être vue comme celle qui n’arrête jamais de (se) poser des questions, devenir le poil à gratter des groupes que je fréquente et m’en sentir fort contrite). Le doute et la suspension du jugement comme démarche personnelle m’ont conduit au rejet du milieu dans lequel je gravite (artistique, underground, bio, etc.), et ce à force de constater la puissance des fausses croyances et la diffusion d’idées – et par répercussion de comportements – que je considère au mieux comme superficiels, au pire comme liberticides. C’est en pleine crise existentielle que j’ai senti la nécessité de structurer ma pensée (lectures, visionnage de conférences, écoute de podcasts, recherches Internet), cherchant d’autres réponses que toutes les allégations de bonne foi auxquelles je suis confrontée au quotidien, et surtout me demandant comment mettre des mots sur les doutes qui m’assaillent, reconnaître les raisonnements fallacieux, me faire comprendre sans m’emporter et de façon à faire réellement avancer les discussions pour chacun.

Car le manque d’esprit critique me « prend littéralement au coeur », je n’ai pas plus de distance que d’outils pour résister aux affronts intellectuels, au cours de discussions de groupes ou d’échanges individuels, ce qui décrédibilise ma parole si je m’exprime maladroitement ou pleine d’affects.

Je n’ai aucune formation scientifique, avec, qui plus est, peu de capacité à l’étude et une phobie des mathématiques. Je suis simple trentenaire qui pratique le métier de comédienne avec une humble prétention pédagogique, ayant suivi un court cursus littéraire… et je me sens en déficit de formation critique/ scientifique, tout comme ce que j’ai pu constater de mon environnement. C’est cependant mon goût pour la probité intellectuelle, une conscience de la liberté par acquisition d’un esprit critique et un acharnement à chercher la vérité par le savoir et une réflexion mesurée, qui m’ont guidée jusqu’à la communauté sceptique. Croyez que dans le monde dans lequel je vis, la rencontre avec cette forme de rationalisme est une véritable bouée de sauvetage ! J’ai cherché à trouver comment contrer les alertes de mon entourage enclin au pseudo-scientifisme et souffrant de conspirationnite aiguë. C’est à force de recherches et de lectures que je suis tombée sur une série de conférences qui m’ont enfin aiguillé vers divers sites-ressources dont votre revue.

Je me suis souvenue de lointains cours de philosophie qui évoquaient l’épistémologie et d’une intervention de l’équipe de Henri Broch dans l’émission Mystères du temps où adolescente, la télévision constituait une grande part de mon ouverture au monde : j’avais avec enthousiasme retenu le mot « Zététique » et c’est d’abord par cette occurrence que ma démarche s’est engagée.

Bref, je rencontre enfin « ma famille intellectuelle » dont j’ignorais jusqu’à peu l’existence, comme je l’ai entendu dans la bouche d’un participant à un congrès sceptique interviewé par J.-M. Abrassart. J’ai faim de nourriture intellectuelle et votre revue est enfin là pour me sustenter.

J’espère qu’une fois les forces prises, je pourrais devenir utile à la vulgarisation scientifique et à ceux qui œuvrent pour la formation à la pensée critique, participer aux conférences ou groupes locaux (y en a-t-il aux environs de Rennes ?) ou tout simplement, entretenir des rapports constructifs avec mes congénères en apportant ma pierre à l’édifice d’une saine raison. Avec l’immense soulagement de vous trouver sur mon chemin.

Isabelle Legros

Merci de ce témoignage touchant. Nous saluons votre démarche, que nous aimerions voir plus souvent : nul besoin d’être scientifique ou de graviter près de la science pour épouser la démarche qui est la nôtre ! Nous tâcherons d’être à la hauteur de vos espérances, dont nous vous remercions et qui nous sont un puissant encouragement.

Pour ce qui est des « environs » – au sens large ! –, nous avons notre comité local, ANAIS, à Nantes… (http://afis44.free.fr). Espérons qu’il sera possible d’en constituer un à Rennes, avec votre aide.