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Courrier des lecteurs : juillet à septembre 2014

Publié en ligne le 25 novembre 2014 - Rationalisme -

Précaution, ou… précaution ?

À chaque fois qu’une femme déclare sa grossesse, elle reçoit un « pack » avec des produits de puériculture, échantillons, et un petit livret « happy baby ». Père de bientôt 3 enfants, mon épouse et moi le recevons donc pour la troisième fois, comme des centaines de milliers de parents en France. Je me permets de vous en faire parvenir une copie en PJ, car j’ai été très surpris de trouver en page 33 une mise en garde contre « les ondes électromagnétiques » : au même titre que le tabac ou l’alcool, les auteurs recommandent en effet la plus grande prudence vis-à-vis de l’exposition à ces ondes. D’autant que l’argument principal est le « dernier rapport Bioinitiative publié en 2013 ». Je vous laisse prendre connaissance du texte en question. Vous ne manquerez pas de noter les deux publicités pour « bellyarmor », le « vêtement de grossesse anti-ondes ». Nous sommes en tout cas en train de confectionner une cotte de maille en plomb, pour protéger notre enfant du risque hypothétique des ondes... Vous avez dit saturnisme ?

Louis D.

Avec toutes nos félicitations pour votre paternité prochaine, nous vous envoyons aussi nos remerciements pour votre message. Vous avez raison de soulever avec humour le vrai danger qu’il pourrait y avoir à se protéger d’un danger inexistant (ou non avéré) ! Il n’y a pas de raison de faire peur de la sorte aux femmes enceintes. Malheureusement, ces dernières représentent une cible privilégiée des vendeurs de prétendues protections contre des effets des ondes en s’appuyant sur le fameux rapport Bioinitiative. Savoir que des conseils pratiques distribués aux femmes enceintes se réfèrent à des sources aussi peu fiables est vraiment désolant (voir notre analyse [1]). Comme vous l’avez bien noté, cela va de pair avec du commerce : une publicité apparaît dans la foulée pour des vêtements de grossesse anti-ondes « élégants, légers et confortables. La protection idéale contre les ondes des téléphones mobiles, tablettes, Wifi, antennes… ». Tout un programme… Et si en plus ces informations inquiétantes et mensongères amènent des femmes à se déclarer hypersensibles aux ondes, c’est encore cela de gagné pour les semeurs de crainte !

Rappelons à nouveau que les symptômes ressentis par les personnes se déclarant électrohypersensibles n’ont jamais pu être reliés avec la présence ou non d’ondes, mais qu’à l’inverse, le fait de recevoir des informations alarmantes sur les effets des ondes est une source désormais prouvée de nuisances. Ceci, amplifié par la caisse de résonance médiatique, entraîne une inquiétude et augmente très nettement la propension de personnes de nature anxieuse à ressentir des symptômes et à se croire sensibles aux ondes [par exemple 2]. Cette vérité-là, établie, trouvera-t-elle son chemin dans la forêt des fausses informations sur les dangers des ondes ?

Anne Perrin et Martin Brunschwig

[1] « Le rapport BioInitiative, ou l’apparence de sérieux scientifique », Jean-Paul Krivine, SPS n° 285, avril 2009
[2] Witthöft M & Rubin GJ, “Are media warnings about the adverse health effects of modern life self-fulfilling ? An experimental study on idiopathic environmental intolerance attributed to electromagnetic fields” (IEI-EMF). J Psychosom Res 2013 ; 74 (3) : 206 – 212.

Les femmes sont-elles victimes de sexisme ?

Science et pseudo-sciences de juillet [n° 309] publie un excellent dossier de 43 pages à propos des différences entre les femmes et les hommes. Mais le titre est peut-être mal venu : « Les hommes sont-ils des femmes comme les autres », dites-vous. Pourquoi pas l’inverse ? Il s’agit ici de cerner ce qui distingue les mâles des femelles de notre espèce. Qu’un certain nombre de caractères soient communs aux deux sexes ne permet pas, pour le moment, d’affirmer que c’est l’homme qui se féminise. […] [Peggy Sastre] oublie aussi une donnée essentielle de l’inégalité en ce domaine [médical]. C’est l’espérance de vie, inférieure de sept ans chez les hommes, par rapport aux femmes. Les raisons sont nombreuses. On peut dire que les femmes se préoccupent plus de leur santé. Elles exercent des métiers moins durs et subissent moins le stress professionnel puisqu’elles travaillent moins longtemps avec moins de responsabilité. Elles prennent moins de risques, se protègent mieux, etc. Par exemple, les produits chimiques agricoles ainsi que l’amiante dans la construction ont fait des victimes essentiellement masculines. L’égalité sexuelle devant la maladie (et la mort) passe aussi par des actions préventives et une attention particulière aux hommes qui ont tendance à négliger l’aspect santé.

Quant à l’introduction (anonyme) à ce dossier, je dois dire qu’elle ne me paraît pas suffisamment explicite. On peut y lire : « Les femmes restent minoritaires dans les filières scientifiques et continuent à se heurter à de multiples discriminations dans l’accès à l’emploi, aux promotions et dans l’obtention de salaires à la hauteur de leurs compétences ». Malheureusement, on n’en saura pas plus concernant les références scientifiques validant ces affirmations. J’ai bien peur qu’un tel discours soit idéologique et inspiré par le lobby féministe.

Pourtant l’INSEE éclaire le problème. Les évaluations scolaires accordent aux filles une nette supériorité en matière de réussite. Elles sont alors mieux armées que les garçons pour entrer dans la vie active et, bien entendu, elles ont aussi la possibilité d’opter pour la recherche scientifique. L’écart salarial, défavorable aux femmes et largement médiatisé, n’est qu’une moyenne. L’INSEE l’explique par de multiples causes objectives : le temps de travail, les heures supplémentaires, l’ancienneté, l’investissement dans l’entreprise, la formation, les capacités acquises, le métier exercé, etc. Je ne vois aucun sexisme là-dedans mais plutôt des choix personnels. La « compétence égale » n’est qu’un élément qui reste à préciser. Si l’on veut déceler une quelconque volonté discriminatoire, il convient de comparer ce qui est comparable. Il est nécessaire de prendre en compte tous les facteurs qui résultent des options prises par les unes et par les autres. À qualification égale, la rémunération peut varier d’une branche à l’autre et, dans la même « boîte », elle peut dépendre de l’ancienneté et des services rendus. C’est une vérification au cas par cas et un travail que même l’INSEE ne peut réaliser. Une moyenne ne signifie donc pas grand-chose. Et enfin, pourquoi voulez-vous qu’un patron se prive d’une collaboratrice compétente pour mettre à la place un homme moins performant ? Jusqu’à preuve du contraire, le mythe du « plafond de verre », qui pénaliserait les femmes, reste du domaine du fantasme. […] En matière de discrimination sexiste, la prudence s’impose. Je pense que Science et pseudo-sciences, qui par ailleurs a le mérite de dénoncer les fausses vérités en s’appuyant sur la vraie science, devrait se méfier d’une idéologie victimaire qui a pour but d’obtenir des passe-droits pour la moitié féminine de la population, sous prétexte de parité et sous forme de quotas.

Henri L’helgoualc’h

Merci de votre riche réaction. En ce qui concerne le titre du dossier, il s’agissait pour nous de prendre le contrepied de l’habitude consistant à placer le masculin ou l’homme comme référence. Les femmes ont certes une espérance de vie plus importante que les hommes, et vous mentionnez des explications possibles, mais cela ne remet pas en cause le fait que les médicaments sont le plus souvent testés, non seulement sur des hommes, mais sur des mâles dans le cas des animaux. C’est le sens de la phrase de Peggy Sastre. Elle ne prétend pas que l’homme a plus de chance en matière de santé, simplement qu’on pourrait améliorer notre système de santé en tenant compte des différences hommes-femmes (ou femmes-hommes). L’introduction (non signée, donc implicitement signée de la rédaction) n’a pas le même statut que le reste du dossier, et le niveau d’argumentation n’est pas le même, comme vous le notez. Néanmoins, et même si vous avez raison de pointer des différences de choix de carrières et d’autres facteurs qui peuvent jouer sur les différences de salaires, par exemple, il reste des éléments objectifs montrant la discrimination à l’encontre des femmes dans certaines situations. De nombreuses études en témoignent, que nous tenons à votre disposition sur simple demande (faute de place pour les indiquer ici). Ces exemples montrent qu’au-delà du sexisme ordinaire, il existe des biais psychologiques inconscients qui conduisent à dévaluer les femmes et préférer les hommes dans les décisions de recrutement et de promotion dans les professions scientifiques.

Franck Ramus et Nicolas Gauvrit

Le lait fait décidément couler de l’encre…

Je viens de lire votre article : « Le calcium du lait est bon pour l’os : une vérité qui dérange » [SPS n°283 d’octobre 2008]. Je tenais à y réagir, car pour moi, seule la vérité compte : je trouve le débat des « pour/contre lait de vache » inaudible quand il est partisan, car chacun vient avec ses arguments comme quoi le lait de vache serait soit excellent, soit très néfaste pour la santé. Question que je me suis posée aussi, étant moi-même diagnostiquée intolérante au lactose. Après une vingtaine d’années de réflexion sur le sujet […], voici ma conclusion : il est vrai qu’aucun autre animal ne boit de lait d’une autre espèce, en particulier après le sevrage : ce n’est certes pas une vérité absolue qui démontrerait que le lait de vache est « contre nature » (ce que vous dénoncez comme idéologique) et mauvais pour la santé, par contre, cela prouve qu’il n’est pas indispensable à l’être humain, surtout après le sevrage. Les pros nous obligent à consommer trois produits par jour et les anti-lait interdisent toute substance provenant du lait…Ce qui est certain est qu’aucun aliment n’est présent et obligatoire sur toute la planète humaine. Il est probable que tout aliment dont on rendrait obligatoire la consommation trois fois par jour causerait des dysfonctionnements. […] Alors, arrêtons de faire du lait un aliment obligatoire qu’il faudrait absolument remplacer par « autre chose », pour immédiatement décrier ces « autres choses », (comme les « faux laits » végétaux...), mais gardons son côté plaisir... pour ceux qui l’apprécient et le supportent... bien sûr ! Par contre, si des études sérieuses et le ressenti des patients corrobore que le lait est un aliment à éviter, autant arrêter d’en faire la publicité et une fausse promotion ! Seuls les bébés ont besoin absolument de lait... et si possible celui de leur mère....

Valérie Draczuk

Merci de votre message qui a le mérite de souligner la stérilité de certains débats, notamment par l’excès des intervenants. Mais je n’ai jamais écrit, ni les autres nutritionnistes sensés non plus, que le lait était indispensable et encore moins que sa consommation était obligatoire 1 ! Si tous les nutriments indispensables peuvent être trouvés dans d’autres aliments, il est possible de se passer du lait. Or, pour quelques nutriments comme le calcium, un régime à base d’aliments courants ne permet pas de satisfaire les besoins de l’organisme. Le lait n’est donc pas indispensable mais, pour quelques nutriments, il est difficilement remplaçable.

Nos ancêtres préhistoriques ne consommaient pas de lait, mais ce n’est pas une preuve de l’inutilité du lait pour l’homme adulte. Malgré sa toute-puissance et sa grande perspicacité, le Créateur n’avait pas prévu le lait pour les premiers hommes, comme il n’avait pas prévu bien d’autres aliments ou outils modernes issus du génie humain et maintenant considérés comme indispensables.

L’homme a bu du lait dès qu’il a pu domestiquer des vaches, des chèvres, des brebis, des chamelles… et qu’il a su les traire (ce que ne font pas les autres espèces !). Quoi qu’il en soit, si l’on veut raisonner de façon finaliste, n’oublions pas que son régime était très riche en calcium (os de petit gibier, arêtes de poisson, chenilles et insectes…) et qu’il pouvait se passer du lait pour l’apport de calcium. Il avait aussi une forte activité physique, préservant son squelette et surtout, son espérance de vie était très faible. Cela se passe encore ainsi dans de nombreux pays pauvres qui ne disposent pas de produits laitiers et où les femmes meurent la plupart avant la ménopause, ce qui ne leur laisse pas le temps de développer une ostéoporose et de risquer des fractures. En revanche, la femme française est à haut risque et doit être protégée pendant plus de 30 ans après la ménopause. C’est un vrai enjeu de santé publique qui doit mobiliser plusieurs moyens de prévention, dont l’apport de calcium et donc de produits laitiers. Évidemment, tous les aliments reconnus comestibles peuvent être consommés sans risque trois fois par jour (et même bien plus !), tout dépendant de la taille des portions. Il en est ainsi des portions usuelles de produits laitiers. Hormis les cas d’allergie passagère aux protéines de lait chez des enfants en bas âge ou d’intolérance sévère au lactose (qui ne concerne pas les yaourts et les fromages affinés), aucune étude scientifique sérieuse ne permet de justifier l’éviction du lait et des produits laitiers, ni d’arrêter leur promotion. Soyez donc rassurée !

Léon Guéguen

1 Je vous renvoie à la première phrase de mon article « Omnivore, végétarien, végétalien ? » paru dans Sciences et pseudo-sciences, 283, 2008 : « Aucun aliment n’est indispensable, seuls les nutriments le sont ».