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Des menaces contre des scientifiques

Publié en ligne le 4 mai 2021 - Covid-19 -

Dans une lettre publiée par The Lancet Infectious Diseases (juin 2020 [1]), un chercheur brésilien décrit les menaces reçues par un groupe de scientifiques pour avoir publié les résultats d’une étude défavorable à la chloroquine dans la prévention ou le traitement de la Covid-19. L’un des auteurs a été menacé de mort et a dû solliciter une protection policière durant deux semaines. Les propos étaient particulièrement virulents sur les réseaux sociaux, au Brésil mais aussi aux États-Unis. L’auteur visé tire un constat amer : « Lorsque nous avons annoncé pour la première fois que nous allions tester la chloroquine pour traiter la Covid-19, nous étions considérés comme des héros au Brésil, les gens nous ont envoyé des messages encourageants et tout le monde était ravi. Cependant, lorsque les résultats de l’étude sont sortis, l’attitude a changé. » Très vite, l’affaire a pris une dimension politique où le fond scientifique comptait moins que les motivations présupposées d’une « étude financée par la gauche qui a intentionnellement administré des doses extrêmement élevées et utilisé une version moins sûre de l’hydroxychloroquine » ou que les accusations de lien d’intérêt, « les auteurs de l’étude [étant] affiliés au parti financé par l’ancien président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva ». L’auteur de la lettre remarque que les critiques ne sont pas seulement venues de politiciens et militants, mais aussi de certains médecins et scientifiques. Ces derniers opposent des études de faible qualité ou des récits anecdotiques pour soutenir l’efficacité de la chloroquine, illustrant ainsi une autre dimension du problème soulevée par Mauro Schechter, spécialiste en maladies infectieuses et épidémiologiste : « Le principal problème est que les médecins n’ont aucune idée de la façon dont un essai clinique fonctionne ou de ce qu’il faut pour établir qu’un médicament est efficace » (cité dans [1]).

Temps menaçant,
James Charles (1851-1906)

Une autre lettre, publiée le 13 novembre 2020 dans la même revue [2] montre que ce phénomène s’est généralisé dans de nombreux pays. Cette fois, ce sont les auteurs français 1 et suisses d’une méta-analyse montrant l’absence d’efficacité de l’hydroxychloroquine qui dénoncent la violente campagne de cyber-harcèlement dont ils ont été victimes. Ils expliquent avoir reçu « des centaines d’insultes, des messages xénophobes, des appels téléphoniques anonymes et des intimidations, y compris des menaces de mort » et indiquent que leurs adresses personnelles ont été publiquement dévoilées. Tout comme pour le Brésil, « une communication agressive et une campagne de désinformation en ligne contre la méta-analyse ont été partagées par certains professeurs de médecine et de sciences, ainsi que par des personnalités politiques françaises, dépassant le cadre du débat scientifique ».

La science est une des grandes perdantes de ces conflits. Si les controverses scientifiques sont normales, elles doivent s’appuyer sur des expériences respectant la méthode scientifique et les bonnes pratiques en recherche. Un esprit critique permet d’analyser les résultats de la science, d’en connaître les méthodes. Dans les disciplines biomédicales, il existe une hiérarchie de niveaux de preuves [3] : les études de cas ou les témoignages sont peu probants et les essais cliniques contrôlés apportent des preuves plus solides que les études observationnelles. De même, les pétitions sont dangereuses pour évaluer des questions scientifiques [4]. Avec un compte des votes, elles ne sont pas une méthode d’inférence scientifique. Elles créent une fausse certitude alors que la science est incertitude. Quand des élus ou des représentants politiques interviennent pour donner leur propre avis sur l’efficacité d’un traitement, ils sortent complètement de leur rôle et de leurs domaines de compétence. Ils nuisent au développement serein, rigoureux et indépendant de la recherche médicale en transformant le nécessaire débat scientifique en une question politique. Et ils ne peuvent qu’attiser un climat d’insultes et de menaces et renforcer la défiance envers la parole scientifique.

Références


1 | Ektorp E, “Death threats after a trial on chloroquine for COVID-19”, The Lancet Infection Diseases, 2020, 20 :P661.
2 | Peiffer-Smadja N et al., “Hydroxychloroquine and COVID-19 : a tale of populism and obscurantism”, The Lancet Infection Diseases, 2020, doi :10.1016/S1473-3099(20)30866-5.
3 | Haute autorité de santé, « Niveau de preuve et gradation des recommandations de bonne pratique », avril 2013. Sur has-sante.fr
4 | Ioannidis JPA, “Scientific petitions and open letters in the era of Covid-19”, BMJ, 2020, 371 :m4048.

1 Dont Nathan Peiffer-Smadja qui a publié plusieurs articles dans Science et pseudo-sciences[note de la rédaction].