Accueil / Intégrité scientifique / Restaurer l’intégrité scientifique après la crise Covid-19

Restaurer l’intégrité scientifique après la crise Covid-19

Publié en ligne le 4 octobre 2022 - Covid-19 -

Si la crise de la Covid-19 a été l’occasion de progrès scientifiques extraordinaires, sans précédent à cette échelle et dans un temps aussi court, elle a également donné lieu à tous les types de méconduites scientifiques. Certaines ont été dénoncées au cours même des événements. En revanche, d’autres nécessitent une prise de recul et donc un peu de temps pour être bien identifiées.

Le Charlatan, Giovanni Domenico Tiepolo (1727-1804)

La prescription de l’hydroxychloroquine par des médecins hospitaliers
La prescription d’hydroxychloroquine a fait l’objet de nombreuses controverses. Rappelons que, si « le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance », il ne peut le faire que « dans les limites fixées par la loi compte tenu des données acquises de la science ». Il doit par ailleurs « tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles » (article 8 du code de déontologie des médecins, article R.4127-8 du code de la santé publique [1]).

Une enquête réalisée en mai 2020 à laquelle ont répondu 400 praticiens hospitaliers français (infectiologues et internistes) révèle que 45 % ont déclaré avoir prescrit de l’hydroxychloroquine en dehors de tout essai clinique [2]. Si, au moment de l’enquête, et depuis le 25 mars 2020, l’utilisation de l’hydroxychloroquine était autorisée pour les patients hospitalisés (après avoir obtenu un consentement éclairé et sur la base d’une décision collégiale), aucune preuve probante d’une quelconque efficacité de la molécule n’était disponible (et aucune n’a jamais pu être produite).

Les médecins se répartissent à peu près équitablement entre ceux qui ont prescrit de l’hydroxychloroquine et ceux qui s’y sont refusés. Mais il est intéressant de noter que parmi les premiers, seuls 13,8 % fondaient leur décision sur une croyance en l’efficacité de la molécule. En revanche, 85 % des non-prescripteurs ont mis en avant des critères pertinents de médecine fondée sur les preuves.

Ces données hospitalières françaises sont-elles transposables aux médecins de ville ? Sont-elles révélatrices d’une réalité également présente hors d’un contexte d’urgence sanitaire ? En tout état de cause, cette étude nous interroge sur la formation des médecins, qui peut conduire un nombre significatif d’entre eux à prescrire en dehors du cadre de la médecine fondée sur les preuves.

Protéger l’intégrité scientifique dans la décision politique
Protéger et développer l’intégrité scientifique au sein des agences de santé publique est une condition indispensable pour de meilleures décisions réglementaires ou politiques. Pourtant, une influence du pouvoir politique sur les décisions des administrations a été constatée lors de la pandémie dans plusieurs pays. De nombreux cas documentés sous l’ère du président Trump aux États-Unis ont poussé l’administration Biden à demander à 48 experts de 29 agences publiques américaines d’enquêter sur le sujet. Le rapport produit [3] a eu une large diffusion dans des revues scientifiques prestigieuses. Il demande une meilleure protection de la science vis-à-vis des influences politiques et reprend en partie des recommandations de l’administration Obama faites en 2009 (voir encadré ci-dessous).

Recommandations de l’administration Obama (2009)


Recommandations pour restaurer l’intégrité scientifique dans la décision publique fédérale.

(a) La sélection des candidats aux postes scientifiques et technologiques au sein du pouvoir exécutif doit être fondée sur les connaissances, les qualifications, l’expérience et l’intégrité du candidat.
(b) Chaque agence doit avoir des règles et des procédures appropriées pour assurer l’intégrité du processus scientifique en son sein.
(c) Lorsque des informations scientifiques ou technologiques sont prises en compte dans les décisions politiques, celles-ci devraient être soumises à des processus scientifiques bien établis, y compris un examen par les pairs le cas échéant, et chaque agence devrait restituer de manière appropriée et précise ces informations dans le respect et l’application des normes légales pertinentes.
(d) À l’exception des informations dont la divulgation est dûment restreinte en vertu de procédures établies conformément à la loi, à la réglementation, à un décret ou un mémorandum présidentiel, chaque agence doit mettre à la disposition du public les découvertes ou conclusions scientifiques ou technologiques prises en compte ou sur lesquelles s’appuient la politique et les décisions.
(e) Chaque agence devrait avoir mis en place des procédures pour identifier et traiter les cas dans lesquels le processus scientifique ou l’intégrité des informations scientifiques et technologiques peuvent être compromis.
(f) Chaque agence devrait adopter les procédures supplémentaires, incluant la protection appropriée de ceux qui rapportent des faits de méconduite, nécessaires pour garantir l’intégrité des informations et des processus scientifiques et technologiques sur lesquels l’agence s’appuie dans sa prise de décision.

Extrait de : “Memorandum for the heads of executive departments and agencies”, 9 mars 2009. Sur obamawhitehouse.archives.gov


(traduction par la rédaction de SPS).

L’intégrité scientifique à l’épreuve de l’urgence sociale et sanitaire
La pandémie de coronavirus a créé une situation très particulière pour la recherche scientifique, mélange de pressions politiques, d’urgence sanitaire et sociale, d’inquiétudes du public, mais aussi de curiosité scientifique. Dans ce contexte, les chercheurs ont-ils tendance à changer leurs pratiques et ajuster leur vision de l’éthique et de l’intégrité scientifique ? C’est à cette question qu’a tenté de répondre une étude menée par des chercheurs de l’université du Texas [4]. Plus précisément, il a été demandé si la pandémie de Covid-19 « justifiait certaines modifications ou limitations de la conception de l’étude, telles que l’acceptation d’une taille d’échantillon plus petite, l’absence de randomisation ou le non-respect des critères d’évaluation ».

Après la tempête, Ivan Aïvazovski (1817-1900)

Environ la moitié des chercheurs interrogés ont expliqué que le contexte de la pandémie ne devrait pas servir de prétexte à modifier leurs pratiques. Cependant, certains d’entre eux ont reconnu avoir finalement décidé d’accepter certaines adaptations, à condition qu’elles soient très clairement explicitées dans la publication de l’étude. Certains ont directement admis la nécessité d’« arrondir les angles » et transiger sur le niveau de qualité méthodologique.

Dans les raisons avancées pour accepter d’enfreindre les normes de la pratique scientifique, on peut noter la crainte d’un risque jugé plus important : celui de ne pas acquérir de connaissance sur le sujet étudié, de ne pas les acquérir suffisamment rapidement ou encore le fait que certaines normes ne seraient pas essentielles dans certaines études.

Mais des bénéfices possibles ont aussi été mis en avant par certains des chercheurs interrogés : possibilité accrue de publication de nouveautés concernant la recherche sur la Covid-19, processus de publication plus rapides (examen par les pairs accéléré), transparence plus grande sur les limitations des études, amélioration à long terme de la qualité de la recherche par la multiplication d’études similaires, donc de tentatives de réplication. D’autres chercheurs ont, à l’inverse, mis l’accent sur les problèmes posés par cette situation : baisse de la qualité des travaux, publications prématurées, réutilisation par les pairs de sources de données non évaluées…

Des chercheurs soulignent également la grande difficulté à publier sur un sujet autre que celui de la Covid-19. Ainsi, l’un d’entre eux rapporte avoir vu une méta-analyse rejetée par une prestigieuse revue médicale généraliste, au motif qu’elle ne portait pas sur le SARS-CoV-2 mais sur les statines. À ce moment, regrette-t-il, le journal est devenu « un journal uniquement Covid » alors que, pourtant, l’impact des maladies chroniques reste toujours très important.

Références


1 | Conseil national de l’ordre des médecins. Code de déontologie. Sur conseil-national.medecin.fr

2 | Bosquet A et al., “Outside any therapeutic trial prescription of hydroxychloroquine for hospitalized patients with covid-19 during the first wave of the pandemic : a national inquiry of prescription patterns among French hospitalists”, PLoS One, 2022, 17 :1-13

3 | National Science and Technology Council, “Protecting the integrity of government science”, janvier 2022.

Sur whitehouse.gov

4 | Smith EMR et al., “Research integrity during the COVID-19 pandemic : perspectives of health science researchers at an Academic Health Science Center”, Accountability in Research, 6 février 2022, doi :10.1080/08989621.2022.2029704


Thème : Covid-19

Mots-clés : Science