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Dialogue avec nos lecteurs

Publié en ligne le 22 septembre 2018 - Rationalisme -

 Science et pseudo-sciences n°324 — avril / juin 2018

Nous ne pouvons pas publier tous les courriers reçus, ni publier dans leur intégralité les lettres sélectionnées. Les choix opérés et les coupures faites sont de la seule responsabilité de la rédaction.

Quand les mutuelles s’emmêlent

Notre journal [Viva], reçu par beaucoup de mutualistes, vient de publier […] un grand article mettant en avant la kinésiologie pourtant dénoncée maintes fois.

J’apprécie beaucoup vos articles concernant et dénonçant les pseudo-médecines. Je remarque que malgré maintes mises en garde et dénonciations, ces « soins », exercés jusque dans les hôpitaux, très lucratifs, sont mis en avant et remboursés par bien des mutuelles (d’où, sans doute leurs coûts élevés, même pour ceux qui n’ont pas choisi d’être remboursés pour des soins placebo ou d’effet nul…).

Marie-Christine D.

[Viva est un magazine qui revendique une diffusion « à 460 000 exemplaires, principalement auprès d’adhérents à des mutuelles de santé ». L’article évoqué par notre lectrice décrit ainsi la pratique promue : « Pour les kinésiologues, le corps a une mémoire, en particulier des événements stressants, et celle-ci peut même se transmettre à travers les générations. Les secrets de famille pourraient donc même venir se nicher au cœur de nos muscles les plus profonds ? C’est certain, estiment les kinésiologues. En bref, ce que la psychanalyse est pour le mental, la kinésiologie pourrait bien l’être pour le corps ».]

SPS Effectivement, les thérapies dites douces font leur entrée à l’hôpital et sont remboursées par un nombre semble-t-il croissant de mutuelles. Certaines en font même un argument marketing pour se démarquer de la concurrence. Comme vous avez pu le lire dans la rubrique « Sornettes sur Internet » du numéro 323 de Science et pseudo-sciences, consacrée à la thérapie cranio-sacrée (qui est une discipline proche de la kinésiologie), ce phénomène prend une ampleur inquiétante puisque, d’après la Miviludes, 40 % des français – dont de nombreux malades du cancer – y ont recours. Les dérives sectaires associées à ces fausses thérapies représentent ainsi un quart des 2 000 signalements reçus en moyenne tous les ans. Le fait que ces pratiques soient remboursées peut légitimement interroger car cela pose une question importante : comment justifier que des mutuelles remboursent de fausses thérapies qui peuvent écarter les malades d’un parcours de soin efficace et provoquer ainsi une aggravation potentiellement irréversible de leur affection ?

Sébastien Point

L’Encyclopædia Universalis complaisante

Lecteur depuis quarante ans de l’Encyclopædia Universalis, je tenais à partager ma stupéfaction avec vous concernant ma découverte d’un article de la dernière livraison d’un supplément annuel de ladite encyclopédie, supplément faisant partie d’une collection intitulée « La science au présent » […]. La qualité de vos interventions dans Science et pseudo-sciences m’a fait tout naturellement penser à vous pour partager une saine indignation […]. J’ai peur que peu à peu, et de moins en moins peu à peu, les forces d’un mal destiné à saper les fondements mêmes de l’humanisme finissent par gagner la partie […]. [Mais je me rassure en constatant] que Sciences et pseudo-science est devenue la revue la plus lue, et de loin, de ma salle d’attente !

Vincent B.

[Notre lecteur, médecin, joint à son courrier une copie d’un article de l’Encyclopædia Universalis intitulé « Homéopathie, entre critique et banalisation » où l’auteur, professeur émérite d’histoire contemporaine, affirme développer un discours neutre, « entre critique et banalisation », mais où il développe en réalité un discours bien complaisant affirmant des « résultats difficiles à mesurer selon les normes de l’expertise pharmacologique classique »].


Du rôle de Science et pseudo-sciences

Lecteur régulier de votre revue, j’ai trouvé le dernier numéro particulièrement riche et il m’incite à vous faire part des quelques réflexions suivantes. La revue n’est pas une revue scientifique. Je veux dire par là que son public n’est pas exclusivement composé de scientifiques et que ses articles ne sont pas assimilables à des communications scientifiques. Pourtant certains des rédacteurs écrivent comme s’ils s’adressaient à des scientifiques et limitent donc, du moins en apparence, tout leur argumentaire à exposer pourquoi telle ou telle théorie est scientifiquement acceptable ou doit être rejetée […].

Concernant les OGM, vous vous appuyez sur les études scientifiques pour répéter leur innocuité pour la santé humaine… Et vous en restez là. Pour beaucoup cela apparaît comme une justification de l’emploi des OGM. Or […] c’est juste la démonstration que l’un des arguments des « anti-OGM » est faux. Mais bien d’autres arguments peuvent justifier que l’on s’oppose à leur utilisation en matière agricole […]. Nous avons besoin d’arguments scientifiques irréfutables mais nous devons ne jamais oublier qu’à côté de la démarche scientifique, il y a la place pour les débats en particuliers sociétaux. L’oublier, me semble-t-il, c’est amoindrir l’effet des arguments scientifiques.

Jean-Pierre G.

SPS Nous partageons votre première remarque : un certain nombre de nos articles sont encore d’un accès parfois un peu difficile. Mais notre objectif est bien de nous adresser à tout public, en ne supposant aucune connaissance scientifique préalable. Et nous partageons également votre second commentaire : la connaissance scientifique est loin d’épuiser les questions au centre des controverses, objets de décision. Notre volonté d’objectivité, concrétisée par la séparation appelée de nos vœux entre l’expertise scientifique (ce que dit la science) et la décision (que la science ne dicte pas) nous fait parfois apparaître comme les promoteurs d’une technologie par le simple fait que nous ne la décrions pas de manière aveugle… Mais dans un contexte médiatique où le scepticisme fait défaut et les discours sont parfois inlassablement répétés sans esprit critique, nos analyses peuvent apparaître à contre-courant de la « pensée facile » et donner le sentiment que la revue cherche à déployer des arguments complexes pour défendre, par exemple, la technologie OGM, les compteurs communicants ou encore l’énergie nucléaire... Cela vient probablement en partie du fait que nous évoluons dans un monde où le relatif est roi et dans lequel chacun est sommé en permanence de prendre position. Ce phénomène est probablement à rapprocher de ce que Jones et Davis, dans leur théorie de l’inférence correspondante, nomment la désirabilité sociale d’une attitude ou d’une action : moins les attitudes d’un sujet correspondent à une norme culturelle, plus les observateurs ont tendance à attribuer ces attitudes à des dispositions particulières du sujet, qui seraient, dans notre cas, une volonté de défendre les technologies médiatiquement décriées.

Sébastien Point

Faux souvenirs et expertise

Dans l’article « L’exploitation d’une affaire de mémoire “récupérée” » paru dans le numéro de janvier 2017, Mme Brigitte Axelrad rappelle que « la théorie de la mémoire traumatique mise en avant par Flavie Flament, l’idée que le souvenir d’un tel événement peut disparaître du fait de la violence de ce dernier et qu’il peut remonter petit à petit par introspection ou cure thérapeutique, n’est pas fondée scientifiquement ».

Trouvant cette information pertinente, je l’ai donc introduite dans l’article « Flavie Flament » de Wikipédia […]. Une contributrice [a introduit] des informations qui, selon elle, relativisent la thèse de Brigitte Axelrad. Dans son résumé de modification, elle dit : « Position controversée de la théorie des faux-souvenirs : thèse d’Axelrad à relativiser » en citant trois sources [1,2,3]. Mme Axelrad n’est pas la seule à parler de la « théorie des faux-souvenirs ». Intéressé, mais non compétent dans cette matière, je me permets donc de demander des informations complémentaires quant à ce sujet.

Jean-Marie H.
[1] Lopez G, Kedia M, Vanderlinden J, Saillot I, Dissociation et mémoire traumatique, Dunod, coll. Psychothérapies, 2012.
[2] Bremner JD, Krystal JH, Southwick SM et al., “Functional neuroanatomical correlates of the effects of stress on memory”, J Trauma Stress, 1995, 8:527-533.
[3] Williams LM, “Recovered Memories of Abuse in Women with Documented Child Sexual Victimization Histories”, J Trauma Stress, 1995, 8:649-673.

SPS Je vous remercie de votre intérêt pour ce sujet et je vais m’efforcer de répondre au mieux à votre demande d’information. Tout d’abord, une remarque préliminaire : les faux souvenirs ne sont pas une « théorie ». Leur existence a été prouvée notamment grâce aux travaux d’Elizabeth Loftus et al. À l’inverse, la mémoire traumatique est une hypothèse qui n’a pas été jusque-là scientifiquement validée. On ne peut évidemment pas expérimenter sur les humains en les violant, en les torturant ou en les bombardant pour vérifier dans un laboratoire qu’un certain pourcentage de sujets humains développera ou ne développera pas d’amnésie traumatique. Aussi, de nombreuses études scientifiques ont été effectuées sur la base de questionnaires. Elles ont été l’objet de méta-analyses. L’une d’entre elles, publiée en 2012, concluait en faveur de l’existence de la mémoire traumatique [1]. Dans une méta-analyse plus récente, ces conclusions ont été examinées par des spécialistes du fonctionnement de la mémoire en 2014 [2]. Ce qu’il en ressort, c’est que la majeure partie de la communauté scientifique émet de sérieux doutes sur l’existence de l’amnésie et de la mémoire traumatiques et sur la validité scientifique de ces notions [3].

Des chercheurs en psychologie sociale et cognitive ont publié, dans Le Monde du 22 novembre 2017, un article intitulé « Faire entrer dans la loi l’amnésie traumatique serait dangereux » [4]. Ils écrivent notamment : « En effet, si une méta-analyse [une analyse globale des différentes études sur un sujet précis] parue en 2012 proposait des conclusions favorables à l’existence de la mémoire traumatique, un examen méticuleux de ces travaux a toutefois été effectué par des chercheurs en psychologie spécialisés dans le fonctionnement de la mémoire et leur réponse a fait l’objet d’une publication en 2014. Leur conclusion est sans équivoque : “[…] les auteurs ont répété les erreurs commises par beaucoup de défenseurs [de ce phénomène…]. Plus précisément, [les auteurs] passent trop rapidement de données corrélationnelles à des conclusions causales, ne considèrent pas de façon adéquate l’absence de corroboration des allégations étudiées dans les publications […]” ». En clair, les chercheurs émettaient de sérieux doutes sur la rigueur scientifique de cette méta-analyse et, de fait, sur la fiabilité de ses conclusions.

La contributrice que vous citez fait référence à des travaux anciens, datant de 1995, qui sont dépassés par des recherches ultérieures dont le livre de Gérard Lopez ne semble pas tenir compte.

Brigitte Axelrad
[1] Dalenberg CJ, Brand BL, Gleaves DH, Dorahy MJ, Loewenstein RJ et al., “Evaluation of the Evidence for the Trauma and Fantasy Models of Dissociation”, Psychological Bulletin, 2012, 138:550-588.
[2] Lynn SJ, Lilienfeld SO, Merckelbach H, Giesbrecht T, McNally RJ et al., “The Trauma Model of Dissociation : Inconvenient Truths and Stubborn Fictions. Comment on Dalenberg et al. (2012)” Psychological Bulletin, 2014, 140:896-910.
[3] Dodier O, Verkampt F, Payoux M, Ginet M, « Faire entrer dans la loi l’amnésie traumatique serait dangereux », Le Monde, 22 novembre 2017.

Le mot « science »

Je suis tombé au détour d’une exploration web sur une page du site de l’Afis […]. J’ai une question sans doute simple pour vous : qu’est ce vous donnez comme définition au mot science dont vous êtes les défenseurs ?

Hervé B.

SPS Dans un de nos articles, nous avions écrit ceci : « Le mot science, tel qu’il est couramment utilisé, a au moins quatre significations différentes :

  1. il désigne une démarche intellectuelle visant à une compréhension rationnelle du monde naturel et social ;
  2. il désigne un corpus de connaissances actuellement acceptées ;
  3. il désigne la communauté des scientifiques, avec ses mœurs et sa structure sociale et économique ; et, finalement,
  4. il désigne la science appliquée et la technologie ».

Le problème, c’est que très souvent, on utilise une critique d’une des facettes du terme pour en remettre en cause une autre, ou pour rejeter la science en général (par exemple, il y aurait de la corruption au sein de la communauté scientifique, et donc la science serait invalide ; ou la science, ce sont des armes de destructions, donc la science fait de l’idéologie, etc.). Nous essayons, pour notre part, de bien préciser à chaque fois, dans nos articles, de quoi nous parlons (la démarche scientifique, un chercheur, une institution, une connaissance acquise, etc.). Reste que cette polysémie est forcément source d’ambiguïté dans les discussions, si l’on n’est pas un minimum précis. Dans nos textes, nous essayons de clarifier le propos autant que possible.

Jean-Paul Krivine