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Didier Raoult contre la méthode scientifique

Publié en ligne le 8 octobre 2020 - Covid-19 -

Le professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection s’est fait connaître du grand public pour sa promotion de l’hydroxychloroquine dans la lutte contre la Covid-19 en s’appuyant sur des études largement décriées. Véritable feuilleton médiatique de l’épidémie, la controverse a une portée qui va bien au-delà des enjeux liés à la seule prise en charge des patients atteints de Covid-19. Elle illustre de façon exacerbée les dangers d’une promotion dans la décision publique d’idées fausses ou non démontrées et l’importance de remettre au centre la méthode scientifique. Face à ceux qui lui reprochaient de ne pas respecter les bonnes pratiques scientifiques en vigueur et d’affirmer des résultats ne correspondant pas à ce que les données révélaient, D. Raoult revendique une certaine prise de distance avec ce qui fonde la méthode scientifique et tente de le justifier théoriquement. Dans un colloque intitulé « Contre la méthode » qu’il a organisé le 13 février 2020 [1], il expose ses principaux arguments qui se révèlent en fait être des arguments contre la démarche scientifique en général. Pour cela, il invoque les historiens et philosophes des sciences que sont Karl Popper, Thomas Kuhn et, surtout, Paul Feyerabend, auteur d’un livre qui donnera le titre du colloque.

Une position relativiste revendiquée

Des théories des deux premiers, il retient les aspects les plus relativistes qu’il résume ainsi : « Toute théorie scientifique est amenée à être fausse » [1]. En réalité, si on relit Thomas Kuhn, et en particulier son célèbre ouvrage La structure des révolutions scientifiques (paru en 1962), il est moins question d’un relativisme radical qui ferait que les vérités d’un jour seraient fausses le lendemain, que de changements dans les cadres conceptuels (paradigmes) qui font qu’une nouvelle théorie va mieux rendre compte de la réalité en ayant recours à des concepts qui ne peuvent plus du tout s’exprimer à l’aide de ceux de l’ancienne théorie (Thomas Kuhn parle d’« incommensurabilité »). Ainsi, le concept d’espace-temps de la théorie de la relativité d’Einstein ne peut se ramener à ceux de la mécanique de Newton. Pour autant, la théorie de Newton reste une approximation du réel tout à fait satisfaisante pour de très nombreuses applications. Elle n’est pas devenue « fausse » du jour au lendemain.

D’une manière plus générale, pour D. Raoult, « la science est en partie le reflet de la culture et des croyances des scientifiques » [2]. Ainsi, par exemple, il a consacré un ouvrage [3] pour expliquer en quoi, selon lui, « il paraît incontestable que la plupart des idées de Darwin sont dépassées ». Pour une discussion sur le fond de ses affirmations sur la théorie de l’évolution, on pourra se reporter à l’analyse de Pascal Picq [4] pour qui, dans cet ouvrage, « Raoult s’égare et se contredit » et « toute la paléoanthropologie passe à la trappe ». Mais il est intéressant de souligner quelques arguments relativistes invoqués. Tout d’abord, le postulat selon lequel « il n’existe aucune théorie scientifique qui ne soit pas dépassée un jour » était déjà mis en avant dans cet ouvrage. La théorie de Darwin y est présentée comme procédant d’une construction culturelle marquée par son époque. Et à ce titre, elle devient [2] « juste une théorie de WASP (Anglosaxons protestants blancs), ceux qui dominaient le Royaume-Uni et les États-Unis- au XIXe siècle », une vision où « les Blancs dominent parce qu’ils ont été sélectionnés et sont les plus forts », une « théorie raciste ». Mais, pour D. Raoult, dans « une histoire de l’évolution écrite par un scientifique bouddhiste, il serait question de cycle, voire de recyclage, et d’êtres mosaïques, ce que l’on retrouve chez Nietzsche » [5]. La validité des théories n’est plus jugée en fonction de leur adéquation au monde réel, mais en fonction du contexte culturel où elles ont émergé.

Un rejet de la méthode scientifique

De Feyerabend, D. Raoult retient que les principales découvertes scientifiques se feraient en ne respectant aucune méthode. Il est certain, comme l’histoire nous l’a souvent montré, que le processus de découverte scientifique suit des chemins qui ne peuvent être normés a priori. Ce qui fait qu’un scientifique imagine une nouvelle théorie qui va révolutionner son domaine n’a aucune raison d’obéir à une démarche particulière et la sérendipité (faire par hasard des découvertes fructueuses) invoquée par D. Raoult n’est qu’un des ingrédients possibles d’une découverte scientifique [6]. Bien entendu, la contestation du consensus est, par essence, une voie intéressante pour imaginer des théories nouvelles. Mais quel que soit le cheminement intellectuel adopté, la charge de la preuve ne peut se passer d’une démonstration rigoureuse (pour se convaincre soi-même et convaincre la communauté scientifique). Les plus grandes découvertes et les théories révolutionnaires n’ont durablement emporté la conviction que sur la base de preuves observables et reproductibles. Il en est de même des découvertes plus mineures. Se refuser à administrer la preuve, c’est mettre au même plan l’opinion personnelle, le « bon sens » et les théories scientifiques… Ce que fait D. Raoult sur le climat en déclarant que

Circé offrant la coupe à Ulysse,
John William Waterhouse (1849-1917)

« le réchauffement climatique, à titre personnel, je ne le vois pas » et que « moi, je regarde les photos satellite, et je ne vois pas de modifications majeures sur la surface de la glace depuis trente ans » [7].

Appliqué au domaine médical

Dans le domaine médical, la posture anti-méthodologique de D. Raoult ouvre ainsi la porte à la justification de n’importe quelle affirmation et à la légitimation de toutes sortes de pratiques thérapeutiques. Ce qu’il confirme d’ailleurs en appelant dans le colloque « Contre la méthode » à « ne pas respecter les guidelines », c’est-à-dire les recommandations visant à uniformiser les prises en charge des patients en fonction de l’état des connaissances acquises sur une pathologie donnée. Il le fait en arguant qu’un « consensus » en science n’a pas de valeur. Bien entendu, en science, un consensus à un moment donné n’a pas vocation à dire définitivement le vrai ou le faux et ne présage pas de ce que sera la connaissance scientifique ultérieure. Il fait sens dans le cadre d’une décision à prendre (et indique, par exemple, ce qui est raisonnablement le plus adapté pour une prise en charge thérapeutique). D’ailleurs, même l’institut que D. Raoult dirige met en ligne des guidelines (protocoles thérapeutiques) et ne renvoie pas à l’opinion de chacun des médecins [8] : les positions relativistes sont vite intenables si on les applique à sa propre pratique. Par ailleurs, le consensus n’a jamais signifié l’unanimité, et l’expression des divergences, si elles sont construites et argumentées, est bien évidemment un stimulateur de la créativité et de l’avancée des sciences.

La méthode des essais cliniques est logiquement rejetée par D. Raoult au profit de convictions personnelles : « La plupart des gens reconnaissent que la découverte ne vient pas des essais randomisés, mais des initiatives individuelles » [9] et les études randomisées « n’ont pas de sens en infectiologie » [1].

Dans sa discipline, il oppose d’autres moyens d’évaluation, comme la mesure directe de la charge virale ou la constatation de la présence ou de l’absence d’un virus pathogène dans un échantillon. Bien entendu, en biologie, l’essai contrôlé est rarement une méthode applicable. De plus, la mesure de la charge virale est un indicateur imparfait de l’efficacité clinique d’une molécule pour guérir une personne. D. Raoult précise que, pour des maladies à très forts taux de létalité 1, « c’est vite fait de savoir si ça marche » [1]. Le problème, c’est que le taux de létalité de la Covid-19 est faible (comparé par exemple à Ebola) et que la quasi-totalité des personnes que son institut a traitées et dont il a rendu compte dans ses études auraient sans doute guéri spontanément, sans intervention. Il n’est donc pas aussi facile que le prétend D. Raoult de constater que « ça marche ». Comme s’interrogeait déjà Claude Bernard il y a plus de 150 ans : « Comment savoir si c’est le remède ou la nature qui a guéri ? » (voir encadré). Et, plus problématique encore, comment s’assurer que le traitement évalué n’a pas des effets négatifs qui viendraient contrebalancer les éventuels bénéfices ?

Essais cliniques contrôlés randomisés


Un essai clinique est une expérimentation sur des patients.

Essai « contrôlé ». Le groupe bénéficiant du traitement à évaluer est comparé à un groupe de référence (« groupe contrôle »). Ce groupe contrôle peut recevoir un placebo ou recevoir le traitement de référence, s’il en existe un.

Essai « randomisé ». Les patients sont répartis de façon aléatoire dans un groupe ou dans un autre. Ce processus d’affectation permet de limiter certains biais qui résulteraient de la non-comparabilité des deux groupes (un groupe qui aurait des patients plus gravement atteints, plus susceptibles d’être malades, etc.).

Essai « en aveugle ». Le patient n’a pas connaissance du groupe auquel il est affecté (et donc du traitement qui lui est réellement administré) (« simple aveugle »). Si le médecin n’a pas non plus cette information, il s’agit d’un « double aveugle ».

Claude Bernard (1813-1878)


Claude Bernard, il y a plus d’un siècle et demi, mettait déjà en garde : « Un médecin qui essaye un traitement qui guérit ses malades est porté à croire que la guérison est due à son traitement. Souvent des médecins se vantent d’avoir guéri tous leurs malades par un remède qu’ils ont employé. Mais la première chose qu’il faudrait leur demander, ce serait s’ils ont essayé de ne rien faire, c’est-à-dire de ne pas traiter d’autres malades ; car, autrement, comment savoir si c’est le remède ou la nature qui a guéri ? » [1]. Il précisera par ailleurs que, « en résumé, il faut laisser là toutes ces prétentions du médecin à être un artiste. Ce sont des idées fausses qui ne sont bonnes qu’à favoriser […] la paresse, l’ignorance et le charlatanisme. La médecine est une science et non un art. Le médecin ne doit aspirer qu’à devenir un savant ; et c’est seulement dans son ignorance, et en attendant, qu’il peut se résigner à être empirique de manière transitoire » [2].

Depuis, la méthode expérimentale en médecine s’est largement affinée. Les essais contrôlés sont devenus la norme et la comparaison ne se fait pas forcément avec un placebo (une absence de traitement), mais avec le traitement de référence quand il en existe un. Un cadre éthique définit précisément l’expérimentation chez les humains (et même, depuis moins longtemps, chez l’animal). Le processus de publication et de validation par les pairs a également largement progressé, même s’il comporte de nombreuses imperfections.

Références
1 | Bernard C, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, Paris, 1865.
2 | Bernard C, Principes de médecine expérimentale, Paris, PUF, 1947 (version posthume d’écrits datant de 1858 à 1877).

D. Raoult met en avant un second argument pour rejeter les essais randomisés et contrôlés : il ne serait pas éthique de constituer un groupe de comparaison en face du groupe traité (préjudice trop important pour les patients ne bénéficiant pas du traitement). C’est en réalité un raisonnement circulaire : comment savoir s’il est préférable de faire partie du groupe traité ou du groupe comparateur, sans justement une connaissance préalable et solide sur l’efficacité et la nocivité potentielle du traitement ? Le professeur marseillais invoque alors son intuition et ses propres constatations, et illustre ceci sur un exemple caricatural, régulièrement repris sur les réseaux sociaux : l’efficacité du parachute n’a jamais été testée dans des essais contrôlés, mais tout le monde peut directement la constater et personne ne la conteste (voir encadré).

L’efficacité du parachute n’a jamais été évaluée dans des essais contrôlés


Un article satirique a été publié dans la revue médicale BJM [1] en décembre 2003 (édition de Noël qui contient souvent ce genre d’articles) visant à « déterminer si les parachutes sont efficaces pour prévenir les traumatismes majeurs liés aux défis gravitationnels ». Toute la structure d’un article présentant les résultats d’une méta-analyse est bien là : objectifs, méthode et sources de données. Les résultats obtenus sont décrits en une seule phrase : « Nous n’avons pu identifier aucun essai contrôlé randomisé sur l’intervention en parachute. » Et pourtant, même sans de tels essais, personne ne conteste l’efficacité du parachute. L’objectif était d’attirer l’attention sur certaines limites des essais contrôlés en comparaison à des études observationnelles. Une autre étude publiée en décembre 2018 dans la même revue [2] présentait, elle, un véritable essai contrôlé. Et le résultat, surprenant, a été que « l’utilisation de parachutes n’a pas réduit de manière significative la mort ou les blessures graves (0 % pour le parachute versus 0 % pour le contrôle) ». Surprenant en apparence seulement, car il est ensuite précisé que « l’essai n’a pu recruter que des participants sur de petits avions immobiles au sol, suggérant une extrapolation prudente aux sauts à haute altitude ». Il s’agissait en réalité d’attirer l’attention sur la prudence requise pour généraliser la portée d’un essai clinique.

Cette métaphore du parachute est devenue un argument très fréquent invoqué pour invalider l’intérêt de la médecine fondée sur les preuves et soutenir de nombreuses thérapies alternatives dont les promoteurs ont invoqué l’éthique pour se soustraire à l’obligation de procéder à des essais contrôlés, se contentant de témoignages ou d’arguments d’autorité tels que « je sais que ça fonctionne », « demandez aux personnes traitées, elles vont mieux ».

Mais cette argumentation n’a en réalité pas de valeur en médecine pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, bien que des personnes aient survécu à des chutes d’avions sans parachute et qu’il y ait des décès malgré l’utilisation d’un parachute, la réduction de la mortalité est très proche de 100 %. Comme le note le Dr Justin Morgenstern [3], « la physiologie humaine est complexe et la plupart des thérapies ont de multiples conséquences » et une telle performance dans le cas d’une thérapie médicale serait exceptionnelle [3] : « en fait, dans une étude de plus de 80 000 revues dans la base de données Cochrane, il n’y avait qu’une seule thérapie qui obtenait de manière fiable une réduction de la mortalité pouvant atteindre 33 % [4] ! Empiriquement parlant, nous n’avons tout simplement pas de parachutes en médecine moderne. » Les auteurs de l’étude de 2018 sur les parachutes précisaient d’ailleurs que les essais contrôlés « restent l’étalon-or pour l’évaluation de la plupart des nouveaux traitements ».

Dans le cas de l’épidémie de Covid-19, nous sommes très loin d’une létalité forte, comparable à celle d’un saut sans parachute. Et l’efficacité supposée de la chloroquine ne peut en aucun cas être comparable à celle du parachute justifiant l’abandon des essais contrôlés pour l’évaluer. Ce que voulaient rappeler les auteurs de l’étude sur le parachute, c’est que la méthode des essais contrôlés est sujette à de nombreux biais et qu’il convient, non pas de l’abandonner, mais au contraire de l’utiliser en étant extrêmement rigoureux dans l’analyse et dans les conclusions que l’on peut en tirer.

Par ailleurs, le parachute fonctionne selon des mécanismes physiques que l’on comprend très bien. Il obéit à des lois qui peuvent faire l’objet de simulations fiables qui permettent non seulement d’en comprendre le fonctionnement précis, mais aussi de l’améliorer. Il n’en est évidemment pas de même en virologie. Si la méthode scientifique est universelle, elle se décline de façon différente selon les objets qu’elle considère, et la physique ou la dynamique ne sont pas la médecine ou la biologie.

Références
1 | Sur ncbi.nlm.nih.gov
2 | Sur bmj.com
3 | Morgenstern J, “Finally, an RCT of parachutes”, First10EM blog, 17 décembre 2018. first10em.com
4 | Sur pubmed.ncbi.nlm.nih.gov

Le « bon sens » ainsi invoqué contre la méthode scientifique (et illustré sur les essais de non-infériorité, voir encadré) n’est rien d’autre que, selon le sociologue Gérald Bronner, « de la démagogie cognitive, c’est-à-dire l’instrumentalisation de nos intuitions erronées sur le monde » [10].

Conclusion

La vision relativiste de la science promue par D. Raoult, tout comme le thème de ses interventions (livres, chroniques régulières pour le journal Le Point ou conférences) dans le débat public depuis une dizaine d’années (santé, évolution des espèces, climat, principe de précaution, gestion des risques, modélisation et prédiction, importance de l’ignorance en science, etc.) relèvent d’abord du débat d’opinions. Mais avec la controverse autour de l’hydroxychloroquine, les enjeux se sont transportés sur le terrain de la décision publique avec des conséquences délétères directes sur la gestion de la pandémie et la prise en charge des patients. Nous ne jugeons pas l’individu ou le chercheur (s’agit-il, comme le suggère le Pr André Grimaldi, d’un scientifique « tombé amoureux de son hypothèse » et ayant recours à tous les procédés pour tenter de la sauver ? [11]), mais les actes et leur théorisation.

L’éthique et les essais de non-infériorité


Pour dénoncer le caractère non-éthique des essais contrôlés, D. Raoult prend comme exemple les études de « non-infériorité » d’un médicament [1]. Le « bon sens » est invoqué : qui pourrait accepter de tester un médicament pour juste évaluer qu’il n’est pas moins bon qu’un traitement existant ? Ces études visent effectivement à évaluer dans quelle mesure un traitement nouveau reste dans une marge d’efficacité acceptable comparé à un traitement existant. Il peut même être légèrement moins efficace. Présenté ainsi, qui pourrait juger l’éthique de tels essais ? Ce que D. Raoult oublie de rappeler, ce sont les avantages attendus du nouveau traitement et qui motivent l’expérimentation [2], comme par exemple la fréquence et la gravité plus faibles des effets secondaires, l’administration orale au lieu d’intraveineuse, une diminution de la fréquence de prise, une dose unique ou un traitement médical en lieu et place d’un traitement chirurgical. Autant d’éléments qui peuvent avoir une grande importance pour les patients et pour lesquels il importe de s’assurer que la perte d’efficacité associée est largement compensée par les gains constatés.

Références
1 | « Contre la méthode », les jeudis de l’IHU, jeudi 13 février 2020. Sur mediterranee-infection.com
2 | Khebir ME, « Essai de non infériorité », Société française de médecine d’urgence. Sur sfmu.org-

Le rejet de la méthode scientifique et la position relativiste, où l’opinion et l’intuition comptent finalement plus que les faits, a logiquement conduit D. Raoult, pendant cette crise sanitaire, à asseoir ses démonstrations sur autre chose que des études rigoureuses et l’évaluation par les pairs. Avec un compte Twitter et une chaîne YouTube, les réseaux sociaux sont devenus son principal moyen de communication. Comme il le note dans un ouvrage publié lors de la crise, « il est possible que les réseaux sociaux jouent un jour le rôle d’un cinquième pouvoir, un autre pouvoir qui obligera les décideurs à tenir compte d’informations alternatives » [12]. Des « informations alternatives » qui se substitueraient à des faits vérifiés et validés, et légitimeraient toutes sortes de pratiques ? Pourtant, en période de crise sanitaire, la méthode scientifique ne change pas : les faits sont établis en suivant les protocoles qui fondent la démarche scientifique. On ne voit pas quels moyens plus efficaces d’accéder à une connaissance fiable pourraient émerger. L’intuition, l’opinion ou le témoignage de patients ne peuvent devenir soudainement des méthodes valides. Ou alors, la moindre allégation non démontrée pourrait être proclamée vérité.

Références

1 | « Contre la méthode », les jeudis de l’IHU, jeudi 13 février 2020. Sur mediterranee-infection.com
2 | Raoult D, « D’où vient Darwin ? », Le Point, 13 décembre 2016.
3 | Raoult D, Dépasser Darwin, Plon, 2010.
4 | Picq P, « Dépasser Darwin, l’étrange évolution du professeur Raoult », L’Express, 28 mai 2020.
5 | Raoult D, « Et si Darwin s’était trompé ? », Le Point, 12 décembre 2011.
6 | Note de lecture de Hubert Krivine sur l’ouvrage de Bourcier D et van Andel P, C’est quoi la sérendipité ?, 15 octobre 2017, sur afis.org
7 | Benz S, Mahler T, « Un scientifique ne devrait pas dire ça : le vrai du faux des déclarations de D. Raoult », L’Express, 4 juin 2020.
8 | Les protocoles thérapeutiques, IHU Méditerranée Infection. Sur mediterranee-infection.com
9 | Raoult D, « L’éthique du traitement contre l’éthique de la recherche », Le Quotidien du médecin, 2 avril 2020.
10 | Bronner G, « La peur est un excellent produit sur le marché de l’information », Le Journal du Dimanche, 9 mai 2020.
11 | Société Louise Michel, entretien avec le Pr André Grimaldi, 6 avril 2020.
12 | Raoult D, Épidémies : vrais dangers et fausses alertes, Robert Lafon, mars 2020.

Le Pr Raoult ne saurait avoir le privilège de se tromper toujours
La boule de cristal,John William Waterhouse (1849-1917)

Le Pr Raoult s’est largement mis en scène à travers des déclarations fracassantes sur YouTube et dans la presse généraliste. Lui qui affirme souvent que les prédictions en science sont vaines ne s’est pas privé d’en asséner tout au long de la pandémie de Covid-19, en particulier lors de ses points d’information réguliers présentés sous forme d’entretiens vidéo (en ligne sur le site de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection dont il est le directeur). Certaines ont très mal résisté au temps. En voici quelques exemples :

21 janvier 2020 : « Il se passe un truc où il y a trois Chinois qui meurent, ça fait une alerte mondiale, l’OMS s’en mêle, ça passe à la radio et à la télévision, s’il y a un bus qui tombe au Pérou, on va dire que les accidents de la route tuent de plus en plus. […] Si à chaque fois qu’il y a une maladie dans le monde, on se demande si, en France, on va avoir la même chose, ça devient complètement délirant. »

17 février 2020 : « L’expérience montre que l’épidémie n’est pas mondiale. Il y a eu cinq morts en dehors de Chine […] il y a très peu de maladies infectieuses qui se répandent dans tous les espaces de la Terre au même moment. Ça n’existe pas… c’est très très rare. Il y a peutêtre les maladies sexuellement transmissibles qui sont comme ça… et encore. […] C’est beaucoup de bruit pour pas grand-chose – pour nous [en France], et y compris la Chine, pour pas énormément. […] Il n’y a pas d’infection virale respiratoire qui ne soit pas saisonnière. Ça n’existe pas. […] La chose la plus intelligente qui ait été dite, c’est par Trump, qui a dit “au printemps, ça va disparaître”.  »

25 février 2020 : « C’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes, la moins chère. […] La seule chose que je vous dis : faites attention, il n’y aura bientôt plus de chloroquine dans les pharmacies. »

Il continue par la suite à distiller les prédictions : « L’histoire du rebond, c’est une fantaisie qui a été inventée à partir de la grippe espagnole » (28 avril 2020), « Trouver un vaccin pour une maladie qui n’est pas immunisante… c’est même un défi idiot. […] Quand on ne sait pas gérer une maladie infectieuse, on nous sort le coup du vaccin ! […] Honnêtement, la chance qu’un vaccin pour une maladie émergente devienne un outil de santé publique est proche de zéro » (entretien à Paris Match, 9 mai 2020).

On pourrait appliquer à D. Raoult la phrase attribuée à Voltaire à propos des astrologues : le Pr Raoult « ne saurait avoir le privilège de se tromper toujours ». Ce ne serait vraiment pas de chance qu’une prédiction ne finisse par s’avérer juste… Mais que cela prouvera-t-il ? La différence entre science et divination, c’est la méthode scientifique, l’évaluation par les pairs… autant d’éléments que D. Raoult remet en cause en promouvant sa seule intuition.

1 Les seules auxquelles il déclare s’être intéressé, justifiant ainsi de « ne jamais avoir fait d’essais randomisés ».