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Ex-gourou : le témoignage d’une ancienne guide ésotérique

Publié en ligne le 7 juillet 2019 - Ésotérisme -
Depuis cette interview, Jessica Schab est retournée à ses anciennes croyances et se présente à nouveau comme « guide spirituelle » New Age. Cette courte vidéo (11mn) permet d’en savoir plus sur ce revirement : https://youtu.be/bB1JuDaC9Kk?t=155
Mise à jour d’Élisabeth Feytit du 20 février 2022
© Tanja Bochnig

Élisabeth Feytit : Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les idées-phare de l’ésotérisme New Age ?

Jessica Schab : L’une des idées fondatrices du New Age est la croyance selon laquelle notre réalité est le reflet exact de nos pensées, qu’elles soient conscientes ou inconscientes. Nos pensées seraient des « unités énergétiques » positives ou négatives qui renverraient une vague équivalente à la personne qui les émet. Ainsi, si j’ai des problèmes personnels ou de santé, c’est que je projette des idées négatives. Dans la même logique, si je veux améliorer ma vie, il faut que je favorise les pensées positives. Ça s’appelle la « loi de l’attraction ».

En 2006, ce sont le livre et le film documentaire Le Secret (aujourd’hui diffusé sur Netflix) qui ont largement contribué à populariser cette idée, pseudo-sciences et théories du complot à l’appui.

Une autre idée-phare, c’est que l’humanité aurait des capacités divines et illimitées, mais qu’elle serait enfermée dans une matrice qui la maintiendrait dans l’ignorance, du fait d’une « fréquence vibratoire » basse. Dans cette histoire, les forces obscures sont des extra-terrestres reptiliens qui ont infiltré nos gouvernements et systèmes bancaires. Ils contrôlent la Terre et aspirent à un nouvel ordre mondial dirigé par les Illuminati. Pour lutter contre cette esclavagisation énergétique, des êtres venus d’autres planètes seraient ici pour nous aider. Ce sont les Starseeds (ou Êtres de lumière).

Moi-même, j’étais considérée par la communauté New Age comme la première « Enfant cristal » venue s’incarner sur Terre pour sauver l’humanité !

© Anastasiap83 | Dreamstime.com

Qu’est-ce qu’un Enfant cristal précisément ?

Dans le milieu ésotérique, on entend souvent parler d’ « Enfants indigo » dont le rôle est d’éveiller les consciences. Les Enfants cristal, c’est le niveau au-dessus. Il s’agit d’âmes très sensibles qui ont transmuté leurs émotions négatives et voient l’amour en tout. Ils se souviennent de leurs vies sur d’autres planètes et sont là pour aider les autres à se souvenir de leur origine divine. Tout cela aidera l’humanité à augmenter son niveau vibratoire, ce qui, bien entendu, est ce dont la planète a le plus besoin ! Vibrons ensemble mes frères.

Qu’ils soient indigo ou cristal, les « Travailleurs de lumières » sont là pour défier les croyances rationnelles, se connecter à leur « moi supérieur » et à leurs guides, accéder à toutes leurs mémoires de vies passées, futures et multidimensionnelles, maintenir leur paix intérieure, méditer, faire du yoga et manger de manière consciente. Leur mission consiste à dénoncer les Illuminati, ouvrir des portails spatiotemporels, rendre l’invisible visible, faire fusionner les énergies masculines et féminines, et trouver leur âme-sœur pour donner naissance à des Enfants cristal.

Tout un monde ! On se croirait dans un film de science-fiction.

C’est tout à fait ça ! La croyance New Age, c’est un mélange d’imagination, de film fantastique et de livre de science-fiction. Pour ceux qui y adhèrent, le film Matrix reflète une réalité qui nous est cachée. C’est bien plus attirant qu’une religion ; les héros sont séduisants et les pouvoirs puissants. Télépathie, télékinésie, chamanisme, bilocation (être à deux endroits en même temps), voyage dans le temps, clairvoyance, voyage astral… Vous voyez comme ça peut être excitant ?

Vous évoquez le yoga, la méditation, l’alimentation. Quel lien avec l’ésotérisme ?

Le « New Cage » ou « Neuneu Age » comme j’aime l’appeler maintenant, c’est un peu le bric-à-brac de la spiritualité : on y trouve tout et on y met ce qu’on veut. Toutes ces pratiques ne sont pas forcément spirituelles au départ, comme le yoga ou l’alimentation végétarienne, par exemple. Mais elles sont très présentes dans le milieu et on leur attribue le pouvoir de libérer des énergies négatives, d’atteindre une conscience supérieure.

Ces choses auxquelles vous avez cru semblent tout de même assez extrêmes. Est-ce que toutes les personnes qui croient à la loi de l’attraction croient en tout ça ?

J’ai été une extrémiste, en effet, et quelqu’un de très prosélyte, hélas. Mais prenons l’exemple des gens qui fréquentent les salons du bien-être ou les stages de développement personnel, foyers principaux de transmission de ces idées. Nombre d’entre eux cherchent à améliorer leur vie, à trouver une pratique ou une voie qui les aidera à traverser un moment difficile, à donner un sens à leur vie. D’autres sont déjà bien engagés dans ces croyances (qui s’acquièrent par étapes), et viennent chercher une chose en particulier qui leur permettra de passer à un niveau supérieur de leur apprentissage spirituel. On peut entrer dans le New Age par souci écologique, parce qu’on a un prof de yoga un peu perché, ou bien parce qu’on a un reste de croyance chrétienne liée aux anges gardiens.

Chacun prend ce qui l’arrange, ce qui peut correspondre à son besoin du moment et ce qui lui est acceptable, parce qu’en accord avec son vécu ou ses croyances religieuses. Moi par exemple, je croyais à la réincarnation et aux chakras, mais je rejetais l’idée de karma (le fait de payer ses fautes dans ses vies suivantes) parce que c’était trop fataliste à mon goût. De même, je n’aurais jamais ô grand jamais tiré les cartes !

© Rolffimages | Dreamstime.com

Comment en êtes-vous arrivée à croire à tout cela ?

Je suis entrée dans l’ésotérisme à la suite d’une tragédie, lorsque ma sœur est morte. J’étais adolescente. Juste après cet événement, mon père a commencé à dire qu’il recevait des messages d’anges venus le guider. Il parlait d’extraterrestres et me disait que ma sœur n’était pas vraiment morte et que j’avais un très important message à transmettre sur Terre. J’en voulais beaucoup à mon père de tenir de tels propos parce que j’avais le sentiment que ça ne nous aidait en rien. Je me suis opposée à lui pendant des années et je lui ai même dit des choses affreuses. Mais l’endoctrinement a quand même fait son œuvre.

Lorsque mon père est mort, je me suis sentie tellement coupable de la manière dont je l’avais traité que j’ai fini par me dire que mes mots l’avaient tué. Ne m’avait-il pas répété pendant des années que nos pensées créent la réalité ? Mon père me manquait terriblement et j’ai soudain décidé de me dévouer totalement à ses enseignements. Ça me donnait le sentiment d’être proche de lui et qu’il serait fier de moi « de l’autre côté ».

J’ai commencé à publier des vidéos sur Internet et à la fin des années 2000, j’ai été interviewée par un média majeur du mouvement, ce qui m’a rendue célèbre du jour au lendemain. À partir de là, je n’ai cessé d’être demandée partout dans le monde pour donner des conférences, des interprétations spirituelles, des soins énergétiques individuels ou à distance, et des interviews radio.

J’avais l’impression de transmettre des informations importantes et inédites. Je croyais vraiment que je pouvais faire des miracles parce que les gens me disaient que j’avais fait disparaître leur douleur. En fait, c’était juste du placebo.

Tout me disait que ce que je faisais changeait les choses. De plus en plus de personnes venaient à moi pour que je les aide. À chaque étape, j’essayais de faire de mon mieux et j’ai développé un sérieux complexe de sauveuse.

Vous aviez énormément de succès ! Qu’est-ce qui vous a amenée à renoncer à ce mode de vie et à avoir un regard critique ?

Au bout de quelques années, j’ai eu une sorte de burn-out et, surtout, j’ai commencé à me rendre compte que mes croyances ne me permettaient pas de gérer mes propres problèmes personnels. En fait, j’ai compris plus tard qu’elles les aggravaient, mais je n’étais pas capable de l’admettre à l’époque.

J’étais en couple avec un homme psychologiquement abusif jouant la carte de la culpabilité pour me faire faire ce qu’il voulait, sachant parfaitement que c’était mon talon d’Achille. Il a fini par nous exploiter financièrement, les gens qui me suivaient et moi-même. Je ne comprenais pas que ma spiritualité ne puisse m’aider dans une telle situation.

En parallèle, j’ai commencé à me rendre compte que les guides spirituels parlaient tous d’amour et de lumière mais n’étaient pas capables d’appliquer ce qu’ils prêchaient. À mon grand désarroi, j’ai réalisé que la plupart d’entre eux étaient des escrocs qui exploitaient délibérément des esprits fragiles pour le pouvoir, le divertissement ou la reconnaissance. D’autres avaient tout simplement perdu la raison.

Peu à peu, j’ai aussi réalisé que les gens qui me suivaient étaient accros à la spiritualité. Ils n’en avaient jamais assez ; ils attendaient toujours la vidéo suivante, l’étape qui leur permettrait de passer d’élève à maître. Je me demandais à contrecœur si tout cela aidait vraiment, mais je trouvais toujours une justification du type : on n’a pas encore assez travaillé sur nous-mêmes spirituellement.

Finalement, j’ai décidé de partir loin de tout, en Asie. Je voulais m’évader, voir autre chose, faire de nouvelles rencontres.

Et c’est en Asie que vous avez trouvé l’illumination, si je puis dire ?

On peut dire ça, oui ! Mais le processus a été long et douloureux. Voyager dans ces endroits exotiques m’a déçue ; j’ai découvert que les lieux considérés comme sacrés par le milieu spirituel étaient en fait sexistes, superficiels et hypocrites. Par exemple, au Temple du tigre en Thaïlande, les moines bouddhistes sont supposés être en état de Zen avec les animaux sauvages. En réalité, les tigres sont des prisonniers sous sédatif, les tendons des griffes sectionnés. Quelle farce !

Après quelques mois en Asie, juste avant la « fin du monde » de 2012 1, j’ai décidé d’aller à Bali pour organiser un atelier de préparation au grand changement. C’est là-bas que j’ai rencontré une personne qui ne faisait pas partie du milieu ésotérique ; l’une des premières depuis des années !

Au début, j’étais triste pour cet homme qu’il n’ait pas de connexion spirituelle et je voulais l’aider. Mais il me demandait :  « Es-tu bien sûre que c’est vrai ou est-ce que tu veux juste que ça le soit ? »,  « Que veux-tu dire exactement par état vibratoire ? »,  « Peux-tu penser sans tes croyances ? »

Plus il me faisait parler de ma vie et de mes croyances, plus il devenait clair que la spiritualité peut avoir le même effet qu’une drogue et que j’étais consumée par elle. C’était extrêmement difficile parce que je ne savais pas comment réfléchir ni qui j’étais sans elle, ayant toujours pensé au travers du filtre de croyances religieuses et spirituelles. Elle était ma fondation, ma solution et mon réconfort.

Comment expliquez-vous que vous ayez accordé autant d’attention aux remises en cause de cet homme ?

Il avait quelque chose de mystérieux que j’interprétais comme mystique, à tel point que je pensais qu’il représentait la vraie spiritualité. Et puis, il avait une démarche épistémique, c’est-à-dire qu’il ne critiquait pas directement mes croyances ; il me demandait de les lui expliquer et ne faisait que pointer les incohérences. C’était à moi de réfléchir, étant mise face à mes contradictions. Mais je crois que ce qui m’a vraiment réveillée, c’est quand il m’a demandé si j’étais sûre d’aider les gens.

Ça a été terrible pour moi de réaliser que je n’étais pas juste dépendante de mes idéaux ésotériques, mais que, parce que je les répandais, j’étais aussi un dealer !

Le documentaire dont vous êtes le personnage central adopte-t-il cette démarche de questionnement épistémique ?

Oui, et c’est toute sa particularité. Non seulement il informera en détail sur les risques de l’ésotérisme au travers de mon histoire personnelle, mais il a l’ambition d’amener le spectateur à se questionner sur ses propres croyances irrationnelles. Et nous en avons tous !

1 La fin du monde a été annoncée par certains adeptes de courants ésotériques pour le 21 décembre 2012, en relation avec un moment particulier du calendrier maya. Une rumeur a circulé selon laquelle le pic de Bugarach dans les Pyrénées abriterait une grotte gigantesque où des extraterrestres attendraient, avec leurs vaisseaux, les heureux « élus » pour les sauver de l’apocalypse (voir Axelrad B, « La fin du monde en 2012 ? », SPSn° 295, avril 2011. Sur afis.org).


Thème : Ésotérisme

Mots-clés : Croyance

Publié dans le n° 327 de la revue


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Les auteurs

Jessica Schab

Jessica Schab, alias Jessica Mystic, a été « guide spirituelle » pendant plus de dix ans. Ses vidéos et (...)

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Élisabeth Feytit

Élisabeth Feytit est productrice, auteure et monteuse de films documentaires proposant une exploration rationnelle (...)

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