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Thérèse d’Avila. Très sainte ou cintrée ?

Publié en ligne le 2 octobre 2011
Thérèse d’Avila. Très sainte ou cintrée ?
Étude d’une folie très aboutie

René Pommier
Éditions Kimé, 2011, 164 pages, 20 €

Thérèse d’Avila est une carmélite du XVIe siècle, qui a réformé son ordre religieux et a fondé de nombreux couvents. Elle est un personnage typique du Moyen Age : elle croit que les hommes vivent en permanence sous le regard du bon Dieu — qui souhaite les attirer à lui — et sous l’influence du diable — qui fait tout pour les entraîner en enfer.

Sa foi dans l’enseignement de l’Église est absolue. Le diable est omniprésent. Pour pouvoir le mettre en fuite, Thérèse garde toujours sur elle une gourde d’eau bénite. Non seulement elle pense au diable, mais elle le voit comme une réalité matérielle. Ainsi, au moment où elle veut lire son missel, le Malin s’assied dessus de façon à empêcher la lecture. Au moins à deux reprises, elle visite l’enfer et assiste aux tortures des damnés.

Heureusement, le Christ est constamment à ses côtés. Au début de ses apparitions, il lui montre ses mains, avec les plaies de la crucifixion. Ensuite, il montre son visage et enfin tout son corps, enveloppé d’un manteau d’une blancheur éclatante. À la première apparition, il lui commande de ne plus fréquenter les non-spirituels : « C’était la première fois que Dieu m’accordait la faveur d’un ravissement. J’entendis ces paroles : Je ne veux plus que tu converses avec les hommes, mais avec les anges. [...] Ces paroles eurent leur accomplissement, car jamais depuis je n’ai pu contracter une amitié durable, me lier d’affection ni trouver de plaisir qu’avec des personnes qui aiment Dieu et le servent.  » Parmi les spirituels, qui seront ses amis : Philippe II et le sinistre duc d’Albe, qu’elle considère comme de grands serviteurs de Dieu. Il est vrai que, pour elle, le plus grand fléau de son époque est la propagation du protestantisme.

Au fil du temps, le Christ apparaît de plus en plus souvent pour lui dicter des actions, l’encourager, la féliciter, la consoler. Ainsi, lorsqu’elle a froid, il lui dit : « Ne tiens pas compte du froid. Je suis la chaleur véritable  ». Un jour, il lui annonce qu’elle sera désormais son épouse. Grâce à ces conversations, Thérèse obtient des guérisons et sauve des âmes. Elle voit des religieuses sortir de terre, après leur séjour au purgatoire, puis monter au Ciel. Elle voit aussi des saints, la Sainte Vierge, des anges, des démons (qui ont l’aspect de petits nègres munis de cornes). Elle voit même le Saint-Esprit (sous la forme d’une colombe) et Dieu le Père. Elle met en doute les visions d’autres religieuses, mais nullement les siennes, car, dit-elle, leur beauté surpasse infiniment tout ce qu’elle pourrait imaginer.

René Pommier, dont on connaît le talent de démystificateur 1, présente les faits essentiels de la vie de Thérèse d’Avila, l’enseignement que le Christ lui donne personnellement, sa vision de Dieu, du monde et des hommes, sa personnalité (notamment son immense orgueil, dissimulé sous le refrain que tout ce qu’elle fait bien n’est que don de Dieu). Pommier fonde ses hypothèses et explications sur un abondant appareil de citations, soigneusement référencées (on peut regretter que les 44 pages de notes en fin d’ouvrage soient présentées dans des caractères qui requièrent une vue acérée).

Un des intérêts de la lecture de cet ouvrage est de faire réfléchir sur la crédulité et les illusions, non seulement de contemporains de Thérèse, mais encore de gens d’Église d’aujourd’hui. On peut comprendre que le Grand Inquisiteur, Don Gaspar de Quiroga, lui ait demandé d’intercéder pour lui auprès de Dieu, mais on reste sidéré d’apprendre que le pape Paul VI lui a conféré le titre de « Docteur de l’Église » en 1970 (c’était la première fois qu’une femme recevait ce titre, après que 30 hommes l’avaient reçu). On peut s’étonner d’autant plus que Paul de Tarse — le fondateur de la théologie chrétienne — avait écrit aux Corinthiens : « Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la parole ; qu’elles se tiennent dans la soumission, ainsi que la Loi même le dit. Si elles veulent s’instruire sur quelque point, qu’elles interrogent leur mari à la maison ; car il est inconvenant pour une femme de parler dans une assemblée » (1 Cor 14 : 33-35). Il est vrai que le Christ en personne avait apporté à Thérèse un correctif à ces règles qu’on lui avait souvent rappelées. Il avait dit : « Dis-leur qu’ils ne se conduisent pas d’après un seul passage de l’Écriture, mais qu’ils considèrent les autres  » (Relations spirituelles, ch. XV).

L’ouvrage fait également réfléchir à la facilité de produire des interprétations et d’y adhérer. Voici un exemple, qui n’est pas sans rappeler des pratiques psychanalytiques d’aujourd’hui. Pour décrypter, dans Le Cantique des cantiques, le sens de ces mots de l’Épouse à l’Époux « Fortifiez-moi avec des pommes  », Thérèse déclare que qui dit « pommes » dit « pommier », qui dit « pommier » dit « arbre », qui dit « arbre » dit « croix ». « Fortifiez-moi avec des pommes » signifie donc « Donnez-moi des épreuves, Seigneur, donnez-moi des persécutions  ».

1 Voir dans Science et pseudo-sciences, son article Amnésie infantile ou fariboles freudiennes ? sur la conception freudienne de l’amnésie infantile (2010, n° 293, p. 66-72) et nos notes de lecture dans SPS 282, Sigmund est fou et Freud a tout faux p. 55-56 et SPS 295, René Girard p. 96-97. Soulignons surtout son Assez décodé !, qui lui valut le prix de la critique de l’Académie française et dont une édition revue et corrigée a paru en 2005 chez Euredit.


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Auteur de la note

Jacques Van Rillaer

Professeur émérite de psychologie à l’université de (...)

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