Jacques Van Rillaer (1944-2025)
Publié en ligne le 28 décembre 2025 - AFIS -
Jacques Van Rillaer nous a quittés le 26 décembre 2025 à l’âge de 81 ans. Jacques était professeur émérite de psychologie à l’Université de Louvain et membre du comité de parrainage de l’Association française pour l’information scientifique (Afis). Les lecteurs de Science et pseudo-sciences l’ont bien connu grâce à ses nombreux articles autour de la thématique de la psychologie.
Atteint d’un cancer que les derniers traitements novateurs mis en œuvre n’arrivaient plus à contrôler, Jacques a fait le choix de recourir à l’euthanasie, comme la loi belge l’autorise. Jacques considérait sereinement cette issue, me précisant dans un message « qu’il faut davantage de courage pour continuer à vivre dépendant et grabataire ». Il a mis à profit les derniers jours où il était encore capable d’utiliser un ordinateur pour finaliser un dernier article pour Science et pseudo-sciences 1.
Ceux qui ont connu Jacques garderont en mémoire le souvenir de sa gentillesse, de son ouverture aux autres, de sa rigueur scientifique et de son humilité.
De la psychanalyse à la psychologie scientifique
Jacques, c’est d’abord un engagement sans faille en faveur de ce que l’on pourrait appeler l’evidence-based psychologie [1] : une prise en charge thérapeutique des troubles psychologiques fondée sur les preuves scientifiques, mais alliant également l’expérience du praticien et prenant en compte les besoins et souhaits du patient dans une approche bienveillante.
Jacques a longuement décrit son évolution scientifique de la psychanalyse à la psychologie scientifique dans un article de son blog personnel [2] . Nous nous appuyons ici en partie sur ce texte que Jacques nous a autorisé à republier [3]. Jacques a résumé son évolution en ces termes : « J’ai été psychanalyste dévot (de 1967 à 1973), puis psychanalyste sceptique (de 1974 à 1978) et enfin renégat (en 1979). Au début des années 1980, je me suis formé aux thérapies comportementales et cognitives, que je pratique encore aujourd’hui avec beaucoup de satisfaction » [4].
À la fin de ses études secondaires, Jacques avait le projet de devenir prêtre et d’entrer dans l’Ordre des Dominicains. Sur l’insistance de ses parents, il accepte de différer cet engagement et d’entreprendre des études supérieures. Son choix se porte sur la psychologie, autre façon à ses yeux d’« aider son prochain ». Dans les années 1960, en Belgique comme en France, « qui pensait psychothérapie pensait psychanalyse » [3]. Il rejoint alors de la branche belge lacanienne de la discipline tout en ignorant les raisons du schisme qui avait séparé les deux courants, freudiens et lacaniens. Envoyé six mois à l’université de Nimègue aux Pays-Bas pour compléter sa formation, il y découvre une équipe qui commence à s’éloigner des pratiques psychanalytiques. Le manque de scientificité de l’approche, des interrogations sur l’efficacité des prises en charge, mais également des explications aux troubles psychologiques invariablement réduites à des causes intra-personnelles, sont à l’origine de cette prise de distance. La graine du doute est semée dans l’esprit de Jacques. Il est ainsi retourné en Belgique « avec la conviction que, comme en médecine, le souci de scientificité, loin de s’opposer de facto à une attitude respectueuse de la personne, est une condition d’efficacité sine qua non pour traiter certains troubles » [3]. Il décrit alors avoir enduré pendant une dizaine d’années « une intense dissonance cognitive ». Si celle-ci est désagréable, il a constaté qu’elle avait été « propice à l’étude, l’observation et la réflexion ».
La question de l’efficacité des prises en charge psychanalytiques a été la pierre angulaire de son évolution. Les approches comportementales, plus efficaces, commencent à s’imposer, en particulier pour traiter des troubles fréquents, parfois très invalidants, comme les phobies. En 1974, à l’âge de trente ans, Jacques obtient un poste de chargé de cours à l’Université de Louvain-la-Neuve (il deviendra professeur en 1980). Cette situation lui permet de prendre du recul et de réfléchir à la valeur de la psychanalyse. Tout en continuant à fréquenter les milieux psychanalytiques, il se convainc progressivement qu’il s’agit en fait plus de bluff et de charlatanisme que d’une approche scientifique.
C’est à la fin des années 1970 que sa conversion s’achève définitivement. Invité par son éditeur à écrire un nouvel ouvrage sur la psychologie, il propose le titre « Science et illusions en psychanalyse » afin de faire la part des choses entre ce qui est validé et ce qui ne l’est pas dans cette pratique. Mais au fur et à mesure de l’avancement de son manuscrit, Jacques constate qu’il trouve « de moins en moins de science et de plus en plus d’illusions » [3]. En 1981, le livre sort finalement sous le titre « Les illusions de la psychanalyse » (chez l’éditeur Mardaga). Nous écrivions alors, dans nos colonnes : « il ne sera désormais plus possible de parler de psychanalyse sans l’avoir lu » [5]. Le livre suscita de vives controverses et de nombreuses réactions hostiles de la part des tenants de la psychanalyse. Jacques fit beaucoup de conférences autour de son ouvrage et les débats furent passionnés. Mais Jacques s’en lassa assez vite, préférant se consacrer à ses travaux autour de la psychologie scientifique avec la publication plusieurs ouvrages grand-public : La gestion de soi (Mardaga, 1995, plusieurs fois réédité), Les thérapies comportementales (Bernet-Danilo, 1996), Peurs, angoisses et phobies (Bernet-Danilo, 1998), Les colères (Bernet-Danilo, 1999), Psychologie de la vie quotidienne (Odile Jacob, 2017)…
Cependant, certains événements conduisirent Jacques à réintervenir dans les controverses sur la psychanalyse. Ce furent tout d’abord les violentes réactions d’une partie des psychanalystes qui s’opposèrent à un amendement déposé en 2003 par le député Bernard Accoyer visant à réglementer la profession de psychothérapeute dans un souci de protection des patients [6]. Ce furent ensuite les réactions encore plus virulentes lors de la publication en 2004 d’un rapport de l’Inserm qui concluait à la faible efficacité de la psychanalyse en comparaison des thérapies cognitivo-comportementales [7]. Dans une conférence donnée lors de l’assemblée générale de l’Afis en 2005, Jacques revenait sur cet événement [8]. Tout d’abord, rappelait-il, « pour qui connaît la littérature scientifique internationale sur la psychothérapie, [la conclusion de l’Inserm] n’a rien d’étonnant ». Mais, ajoutait-il, « aux yeux des mandarins de la psychanalyse, il est absolument intolérable que l’Inserm l’ait rendue publique ». Ainsi, pour Jacques, la publication de ce rapport a porté un « coup terrible » à « la situation monopolistique de la psychanalyse en France ». Cédant aux protestations des partisans de la psychanalyse, Philippe Douste-Blazy, le ministre de la Santé de l’époque, décida de retirer le rapport de l’Inserm du site du ministère. Jacques commenta cette décision en ces termes : « En l’an 1300, le pape Boniface VIII publia une bulle par laquelle il interdisait toute dissection humaine. Au XVIe siècle, le Concile de Trente assimila la curiosité scientifique au péché originel. Au XXIe siècle, le Ministre français de la Santé interdit la publication, sur le site du Ministère, du rapport sur l’efficacité des psychothérapies réalisé par des experts de l’Institut national de la Santé et de la Recherche médicale de son pays » (cité dans [6]). Face à cette décision, l’éditeur Les Arènes décida de préparer un ouvrage qui ferait un bilan critique précis et détaillé de la psychanalyse. Jacques y participe avec une quarantaine d’autres contributeurs. Cela ne l’enchantait guère, selon ses propres mots, car il avait tourné la page de la pratique psychanalytique depuis une vingtaine d’années. Mais il l’a fait en pensant « aux malheureux qui s’imaginent que la psychanalyse est le top des psychothérapies et aux étudiants qui s’épuisent à mémoriser des textes lacaniens, auxquels leurs enseignants eux-mêmes ne comprennent pas grand-chose et attribuent les significations les plus fantaisistes ». Le Livre noir de la psychanalyse est ainsi publié en 2005 suscitant là encore une très violente controverse en France [9], dans un pays où la psychanalyse reste très populaire.
À nouveau en 2011, Jacques est intervenu en défense de Sophie Robert attaquée en justice par trois psychanalystes lacaniens apparaissant dans son documentaire « Le Mur – La psychanalyse à l’épreuve de l’autisme ». Ce film révèle des aspects peu connus du grand public et met en évidence l’indigence de la prise en charge en France des enfants avec autisme, sous l’égide de méthodes d’inspiration psychanalytique. Le film a été interdit par la justice en 2012, avant que les plaignants ne soient finalement déboutés en appel et que le film soit ré-autorisé [10].
Ami de l’Afis et contributeur de premier plan à la revue Science et pseudo-sciences
Jacques a rejoint l’Afis à la fin des années 1990 et a été très vite associé à ce qui allait devenir le comité de parrainage de l’association. Pendant une trentaine d’années, il a régulièrement contribué à la revue Science et pseudo-sciences avec plus de cent-trente textes (chroniques, articles et notes de lecture) toujours précis et documentés [11]. Quand en 2009 nous lui avons proposé que ses contributions deviennent des chroniques régulières, le titre proposé de « Psychologie scientifique » lui a semblé d’emblée très adapté : « Cela laisse beaucoup de possibilités, en même temps que cela souligne l’existence d’une psychologie “scientifique” ». Citons ainsi quelques titres de ces textes que l’on pourra relire avec intérêt sur le site de l’Afis : « La croyance en un monde juste », « Se ronger les ongles : facteurs et traitements », « Le trac de l’orateur : facteurs et traitement », « Les leçons de la première recherche de psychologie scientifique », « Le traitement psychologique des cauchemars », « Les images mentales comme outils de gestion de soi », « Us et abus du concept de “volonté” », « Le test des taches d’encre de Rorschach : sa place ne serait-elle pas au musée ? » ou encore « Hyperventilation, attaques de panique et autres maux ».
Il a su donner aux lecteurs de Science et pseudo-sciences un autre regard sur la psychologie, différent de celui encore trop présent dans le monde francophone empreint de psychanalyse. Conscient que sa discipline est « une science molle, juvénile […] qui véhicule de nombreuses erreurs et illusions », Jacques restait optimiste car, disait-il, « en définitive, cette discipline progresse, son étude a largement contribué à mon bonheur et à celui que j’ai pu apporter à d’autres » [3].
L’Afis perd un ami de longue date. Elle adresse ses sincères condoléances à Nadine, sa femme, à Emmanuel et Lionel, ses fils, à sa belle-fille, ses beaux-enfants, ses petits-enfants, à toute sa famille et à tous ses amis.
1| Durieux N et al., « Introduction à l’evidence-based practice en psychologie », Le Journal des psychologues, 345(3), 16-20, 2017.
2| Le blog de Jacques Van Rillaer sur le site Mediapart.
3| Van Rillaer J, « De Freud et Lacan aux thérapies cognitivo-comportementales : l’itinéraire du psychologue Jacques Van Rillaer », sur www.afis.org, 29 décembre 2025
4| Van Rillaer J, « Bénéfices cachés de la psychanalyse », Science et pseudo-sciences n°261, mars 2004.
5| Rouzé M, Note de lecture sur le livre de Jacques Van Rillaer, Les Illusions de la Psychanalyse, Science et pseudo-sciences 1981.
6| Freixa i Baqué E, « Le pouvoir (pas le moins du monde occulte) des psychanalystes », Science et pseudo-sciences n°293 (hors-série psychanalyse).
7| Canceil O et al., « Psychothérapie : trois approches évaluées », Rapport de recherche, Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). 2004.
8| Van Rillaer J, « Le “dressage pavlovien” des freudiens. Comprendre le conflit psychanalyse », sur le site www.afis.org, 11 septembre 2005.
[9| Krivine JP, « Les arguments des détracteurs du Livre noir de la psychanalyse », Science et pseudo-sciences n°271, mars 2006.
10| Axelrad B, « Psychanalyse et autisme : levée de l’interdiction du documentaire “Le Mur” », sur le site www.afis.org, 18 janvier 2014.
11| Liste des articles de Jacques Van Rillaer sur le site www.afis.org (page auteur).
1 Article qui sera publié dans le numéro 356 d’avril 2026
Thème : AFIS
Mots-clés : Psychologie
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L'auteur
Jean-Paul Krivine
Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (…)
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