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Le coronavirus s´est-il échappé d´un laboratoire ?

Publié en ligne le 30 septembre 2020 - Covid-19 -

Diverses rumeurs circulent depuis le début de l’épidémie de coronavirus selon lesquelles le virus serait une création humaine. Ces rumeurs se classent en deux catégories : celles qui avancent une hypothèse malveillante et celles qui avancent une hypothèse accidentelle [1].

Dans le premier cas, le coronavirus serait une arme biologique délibérément créée et libérée dans le but de provoquer une épidémie ; dans le second, des chercheurs auraient joué aux apprentis-sorciers et auraient créé le virus dans un but peut-être légitime (à des fins de recherche), mais par laxisme ou incompétence, leur création leur aurait échappé et serait sortie du laboratoire. Entre les deux, on entend également l’hypothèse d’un virus créé délibérément à des fins malveillantes (en tant qu’arme biologique) mais libéré de manière accidentelle – c’est ce qu’a avancé par exemple (sans aucune preuve) le Washington Times du 26 janvier 2020 [2], citant un analyste israélien pour qui le coronavirus est « lié au programme d’armement biologique chinois ».

Alors, qu’en est-il ?

Diversité des coronavirus

On parle couramment, depuis le début de l’épidémie, du coronavirus. Il s’agit néanmoins d’un abus de langage qui, s’il est aisément compréhensible, peut rapidement entraîner une confusion néfaste. Le virus causant l’épidémie actuelle est un coronavirus. Les coronavirus sont une famille de virus connue depuis longtemps puisque les premiers coronavirus pathogènes pour l’Homme ont été découverts dans les années 1960 [3]. Jusqu’en 2019, on en connaissait six différents, affectant l’humain :

Pandore ouvrant la boîte et laissant s’échapper tous les maux de la Terre
© whitemay | istockphoto

-* quatre coronavirus endémiques (présents dans la population de manière habituelle) et faiblement pathogènes (CoV229E, CoV-OC43, CoVNL63, et CoV-HKU1) qui, la plupart du temps, ne causent rien de plus grave qu’un rhume (ils sont collectivement la deuxième cause la plus fréquente des rhumes juste derrière les rhinovirus – on estime qu’environ un tiers des rhumes sont causés par ces quatre coronavirus) ;

  • deux coronavirus hautement pathogènes, le SARS-CoV, responsable de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (Sras, ou SARS en anglais pour Severe Acute Respiratory Syndrome), qui a fait 774 morts (principalement en Asie) en 2002-2003, et le MERS-CoV, responsable du syndrome respiratoire du MoyenOrient (MERS, Middle East Respiratory Syndrome), qui, depuis son émergence en 2012, a fait 791 morts (bilan global de l’OMS en août 2018 [4], et 866 à la mise à jour au 31 janvier 2020 [5]).

Le virus responsable de l’épidémie actuelle est un nouveau coronavirus, qui vient s’ajouter aux six précédemment connus pour être pathogènes pour l’Homme. Il a d’ailleurs été initialement appelé nCoV2019, pour Novel Coronavirus 2019, avant d’être finalement baptisé SARS-CoV-2 en raison de sa ressemblance avec le coronavirus SARS-CoV de 2002-2003 [6].

Ces éclaircissements préliminaires permettent déjà d’établir que la mention « coronavirus » qui apparaît sur les étiquettes de produits désinfectants manufacturés bien avant 2019 (figure 1) n’est pas le signe qu’on nous cache quelque chose ou que les fabricants de désinfectants avaient anticipé l’épidémie avant tout le monde : cette mention fait seulement référence aux quatre coronavirus communs en partie responsables des rhumes, non au SARS-CoV-2, agent de l’épidémie actuelle.

Le brevet de l’Institut Pasteur

Une des théories qui circulent sur l’origine du SARS-CoV-2 est qu’il aurait été créé par l’Institut Pasteur. La preuve en serait un brevet déposé par des chercheurs dudit institut, qui porterait sur l’invention du virus. Le brevet en question existe bel et bien (figure 2) : c’est le brevet européen EP1694829B1 [7] (et les brevets équivalents déposés auprès des bureaux de brevets d’autres pays, comme le brevet 2007/0128224 aux États-Unis [8]).

Mais ce brevet concerne le SARS-CoV (le coronavirus responsable de l’épidémie de Sras entre 2002 et 2003, comme mentionné ci-dessus), et non le SARS-CoV-2. Et il décrit un virus découvert et non inventé. Mais le jargon juridique employé, notamment pour les brevets, ne fait pas cette distinction (formellement tout ce qui est couvert par un brevet est une « invention »).

Plus précisément, le brevet porte sur la découverte d’une nouvelle souche de SARS-CoV, isolée à partir d’un échantillon prélevé sur un patient vietnamien souffrant du Sras – la souche est « nouvelle » parce qu’elle est très légèrement différente des autres souches de SARS-CoV précédemment découvertes au cours de l’épidémie de 2002-2003. Le brevet porte aussi sur la caractérisation de la souche (la détermination de son génome complet), sur la construction d’outils de biologie moléculaire permettant d’étudier le virus en laboratoire, et sur l’élaboration d’un prototype de vaccin.

Figure 2 : La première page du brevet européen EP1694829B1, censé prouver que l’Institut Pasteur a créé le coronavirus responsable de l’épidémie en cours.

Ce que prouve ce brevet, c’est qu’après une épidémie provoquée par un virus que l’on n’avait encore jamais vu, les chercheurs de l’Institut Pasteur se sont attelés à étudier ce virus et à mettre au point un vaccin au cas où on le verrait resurgir plus tard. Autrement dit, l’Institut Pasteur a fait exactement ce pourquoi il existe.

Le laboratoire P4 de Wuhan

On s’est étonné, dès le début de l’épidémie actuelle, de la présence d’un institut de recherche en virologie dans la ville de Wuhan, épicentre de l’épidémie – d’autant plus que cet institut abrite en son sein le seul laboratoire P4 de Chine, le Wuhan National Biosafety Laboratory (les laboratoires dits « P4 » sont des laboratoires de très haute sécurité, spécialement conçus pour l’étude des agents pathogènes les plus dangereux). On a ainsi rapidement insinué que ce laboratoire serait d’une manière ou d’une autre à l’origine de l’épidémie.

Nous verrons plus loin que rien ne vient étayer cette hypothèse, mais arrêtons-nous d’abord un instant sur ce que certains présentent comme une « troublante coïncidence ».

Wuhan est une ville de plus de huit millions d’habitants, la septième ville la plus peuplée de Chine [9]. C’est la capitale de la région de Hubei et un centre économique et culturel majeur. C’est aussi et surtout un important pôle universitaire : la ville abrite des dizaines d’établissements d’enseignement supérieur et des dizaines d’organismes de recherche dans toutes les disciplines scientifiques. S’étonner de la présence d’un institut de virologie dans une grande ville universitaire comme Wuhan serait comme s’étonner de la présence de l’Institut Pasteur à Paris ou du laboratoire Jean Mérieux à Lyon.

Un alchimiste dans son laboratoire,
David Teniers le Jeune (1610-1690)

Les épidémies tendent à éclater (ou à être détectées) dans les zones densément peuplées, comme les grandes métropoles (ainsi l’épidémie de Sras en 2002 à Foshan – 7 millions d’habitants –, la grippe pandémique de 1968 à Hong-Kong, la grippe pandémique de 1957 à Singapour...), et les grandes métropoles ont tendance à accueillir des organismes de recherche.

Comment sait-on que le virus n’est pas artificiel ?

Le brevet de l’Institut Pasteur susmentionné ne prouve pas que ce dernier a créé le virus, et la simple présence de l’Institut de virologie de Wuhan dans la région où l’épidémie a démarré ne suffit pas à prouver qu’il en est à l’origine. Mais quelles preuves a-t-on que le virus est d’origine naturelle ?

Un génome sans trace de manipulation

Les meilleures preuves nous sont fournies par le virus lui-même, et

Monstre à trois têtes dans une fiole alchimique, Salomon Trismosin (XVIesiècle)

plus particulièrement son génome, dont on trouve une copie dans chaque particule virale. Le génome du SARS-CoV-2 a été rapidement séquencé et mis à disposition des chercheurs du monde entier 1. En l’étudiant, on peut apprendre un certain nombre de choses sur les origines probables ou improbables du virus.

Notamment, on peut noter d’emblée que l’on ne trouve dans le génome aucune trace des techniques de biologie moléculaire connues et utilisées en laboratoire pour manipuler ce genre de virus [10]. Du fait de leur grande taille (plus de 30 000 bases, alors que la plupart des virus à ARN ont un génome n’excédant pas 10 000 bases), manipuler les génomes de coronavirus nécessite le développement d’outils de génétique inverse (comme des plasmides ou des chromosomes artificiels de levure) spécifiquement adaptés, et dont des fragments devraient être présents dans le génome du SARS-CoV-2 s’il était issu d’un de ces systèmes.

Ce fait à lui seul rend hautement improbable que le virus soit issu d’une manipulation génétique, sauf à supposer que les manipulateurs ont utilisé des méthodes totalement inconnues du monde académique.

Portrait de famille du virus

Ensuite, en comparant le génome du SARSCoV-2 avec les génomes des coronavirus déjà connus (y compris les coronavirus animaux), on peut retracer « l’historique » de ce virus et en déduire son origine probable. C’est ce qu’on appelle une étude phylogénétique. C’est avec ce genre d’études qu’on a réalisé que le SARSCoV-2 était apparenté au SARS-CoV de 2002-2003, avec lequel il partage environ 70 % de son génome [6] – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle il a été baptisé ainsi.

Il fait donc partie de la famille grandissante des virus dits SARS-CoV-like, qui regroupe les virus apparentés au SARS-CoV (figure 3) : le SARSCoV lui-même, et tous les virus similaires qui ont été identifiés depuis 2003 chez plusieurs espèces (le MERS-CoV de 2012 n’en fait pas partie : il s’agit certes d’un coronavirus, mais il est suffisamment différent pour appartenir à une famille distincte). Dans cette famille, le plus proche cousin du SARS-CoV-2 est un virus de chauve-souris appelé RaTG13, qui partage environ 96 % de son génome avec le SARS-CoV-2.

Bien que l’on ne puisse pas encore déterminer avec certitude la provenance du SARS-CoV-2, l’hypothèse de loin la plus vraisemblable à ce stade est qu’il dérive d’un virus de chauve-souris qui, de mutation en mutation, est devenu capable d’infecter des cellules humaines.

Des indices supplémentaires sur l’origine du virus

Une analyse plus détaillée du génome du SARSCoV-2 révèle qu’il contient trois éléments caractéristiques qui le distinguent de ses cousins de la famille SARS-CoV-like [10] et nous fournissent des indices supplémentaires sur les origines du virus. Tous trois sont situés dans la partie du génome codant pour la protéine virale dite « S » Cette protéine S, ou spike protein, est située à la surface de la particule virale. Elle donne aux coronavirus leur apparence particulière qui leur a valu leur nom de « virus à couronne ».

Pour bien comprendre en quoi l’analyse du génome rend peu plausible l’hypothèse d’une création en laboratoire, il faut se plonger dans un peu de technique (voir les détails sur l’article original en ligne). Les arguments sont de deux ordres : (1) on constate que la partie de la protéine S qui permet la liaison aux cellules pulmonaires humaines n’est pas optimale, or, quiconque aurait voulu produire un virus hautement pathogène aurait pu introduire les mutations bien décrites dans la littérature scientifique pour améliorer cette affinité vis-à-vis des cellules humaines ; (2) on retrouve une « trace » dans la protéine S (au niveau d’un « site de clivage ») qui suggère un contact avec un système immunitaire et qu’il aurait été difficile de créer artificiellement en laboratoire.

L’hypothèse d’une évolution naturelle depuis un virus de chauves-souris ou de pangolins est de loin l’hypothèse la plus vraisemblable.

Merci à @LuciusLeVirus et @SciTania pour leur lecture critique du manuscrit.

Références


1 | « Coronavirus : pour plus d’un Français sur quatre, le Covid-19 a été créé en laboratoire, selon une étude », Franceinfo, 28 mars 2020. Sur francetvinfo.fr
2 | Gertz B, “Coronavirus Link to China Biowarfare Program Possible, Analyst Says”, The Washington Times, 26 janvier 2020.
3 | Weston S, Frieman MB, “Respiratory Viruses”, in : Schmidt TM (dir.), Encyclopedia of
Microbiology (Fourth Edition), Academic Press, 2019, 85-101.
4 | OMS, “WHO MERS Global Summary and Assessment of Risk”, août 2018.
5 | OMS, “Middle East respiratory syndrome coronavirus (MERSCoV) – The Kingdom of Saudi Arabia”, Disease Outbreak News : Mise à jour 24 février 2020.
6 | Gorbalenya AE et al., “The Species Severe Acute Respiratory Syndrome-Related Coronavirus : Classifying 2019-nCoV and Naming It SARS-CoV-2”, Nat Microbiol, 2020, 5 :536-44.
7 | Kunst F et al., “Nouvelle souche de coronavirus associée au Sras et ses applications”, brevet européen 1694829B1, CNRS, Institut Pasteur, université Paris Diderot, 4 août 2010.
8 | van der Werf S et al., “Novel Strain of SARS-Associated Coronavirus and Applications Thereof”, Brevet américain 20070128224A1, CNRS, Institut Pasteur, université Paris Diderot, 7 juin 2007.
9 | “Wuhan : The London-Sized City Where the Virus Began”, BBC News, China, 23 janvier 2020.
10 | Andersen KG et al., “The Proximal Origin of SARS-CoV-2”-, Nat Med, 2020, 26 :450-2.

1 Pas seulement des chercheurs, en fait : les séquences sont disponibles pour quiconque les veut, dans GenBank par exemple.