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Thèse d’Élizabeth Teissier : réactions dans les médias (1)

Publié en ligne le 16 avril 2001 - Astrologie -

Pour la Science, mai 2001

Éditorial : Un point de vue persan

De Tauris, le 18 de la Lune de Saphar

Il y a quelques jours un homme de ma connaissance me dit : « Venez entendre une défense de thèse à la Sorbonne. Les professeurs y sont les maîtres de la pensée, les pourfendeurs de l’ignorance, les colonnes tutélaires de la rigueur. » J’accourus.

En Perse, nous sommes incroyablement ignorants des mœurs post-modernes ! Aussi ne savais-je pas que la pratique universitaire de l’astrologie, autrefois interdite par Colbert, pouvait, dans la vieille Sorbonne, devenir licite quand elle était mâtinée de sociologie. J’en fus instruit.

Je pénétrai dans la salle Liard. Le goût pour les arts, personnifié au fond de la salle par un sévère portrait de Richelieu, était associé au talent, représenté par Corneille et Molière, de part et d’autre de la porte. Au centre, en symbiose, siégeait la candidate dont la réputation astrologique n’était plus à magnifier. En face d’elle trônait un jury dont la curiosité pour l’argumentation de la postulante avait été, on m’en assura, aiguisée par la lecture attentive des 900 pages de la somme. On m’avait, en Perse, enseigné que les fulgurances de la pensée s’exprimaient en termes concis, mais je fus détrompé : l’on travaillait à Paris dans le quantitatif et parmi l’abondance des citations d’une thèse, on m’assura qu’il devait s’en trouver de pertinentes. J’en convins très volontiers, quoique...

... quoique la cavalcade intellectuelle de la candidate m’essoufflait et j’avais quelques troubles à comprendre comment les incertitudes quantiques, au sens de David Bohm, éclairaient les perceptions sociales de l’astrologie. Ces lucidités m’étaient interdites, comme bien d’autres évocations d’un discours où une citation chassait l’autre, où toutes se couraient après. Et je m’émerveillai de la communion de pensée entre le jury et la candidate. Mais j’avais tort de m’étonner : l’examen circonstancié de certaines références bibliographiques crée quelques connivences ambiguës.

Selon la tradition, lors du quolibet, quelques voix se firent entendre. Des fâcheux, m’expliqua-t-on, qui prétendaient que tout ce discours sur l’astrologie n’était que souffle d’Eole. Un irascible osa affirmer que le roi est nu quand, depuis 35 siècles, nul ne voit ses vêtements. On m’expliqua qu’il n’était point bon d’être tant impatient.

Et surtout je compris que, comme les décorations en Perse, certaines thèses d’Etat de la Sorbonne * ne témoignent plus du mérite scientifique : elles récompensent une réussite médiatique, donc sociale, donc sociologique.

* Le 9 avril 2001, Germaine Elisabeth Hanselmann, alias Elisabeth Teissier, a reçu le titre de Docteur en sociologie. Avec la mention très honorable.

Source : Pour la Science, Numéro 283, mai 2001.


Télé 7 jours (semaine du 21 au 27 avril 2001).

Sorbonne

Nous étions bien à la Sorbonne quand Élizabeth Teissier, votre astrologue, a soutenu sa thèse consacrée à « l’épistémologie de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés modernes ».

Cette docte assemblée fut, naguère, le saint des saints de la théologie, au Quartier Latin. Dans la tradition du traité « de consciencia » rédigé ici même par son premier proviseur (XIIIe siècle), un honorable jury jugea « en conscience » la somme (900 pages) de la future docteur en sociologie... Et non pas en astrologie comme feint de le croire un carré d’astrophysiciens dépités, à la démarche plus passionnelle que scientifique.

Future docteur donc... Il faut en effet six semaines pour voir homologué le titre auquel le jury vous déclare digne. Jusque-là, pas de confidences. C’est pourquoi, posant sur le perron de la Sorbonne, les bras chargés de fleurs, E.T., comme elle se surnomme elle-même, crinière rousse au vent et à la pluie, se contenta de sourire aux photographes et de prendre congé sur quelques brassées de politesse. Et pourtant, la télévision était là, les ambassadeurs d’Ardisson, ceux de Fogiel, etc. Mais E.T. résista à la tentation. Elle leur opposa un héroïque refus, payant le juste prix de l’autodiscipline réglementaire. Mais attention : dans le quarteron d’astrophysiciens rassemblés comme pour un bizutage, il se trouva un indélicat personnage, mêlé à quelques porteurs de bombes d’encre, heureusement désarmés, qui fit main basse sur le premier tome de la thèse... Ce scientifique trop intègre pour être honnête se retrouva du rang de vigile engagé à celui du chipeur enragé. A quelles fins ?...

Patrick MAHE - Directeur de la rédaction - Patrick.mahe@hfp.fr


Rubrique Télézoom

Élizabeth Teissier « Ne m’appelez pas encore docteur »

« L’astrologie est un fait social comme les autres, qui mérite une étude sérieuse. La thèse d’Élizabeth Teissier est très bonne, parfaitement recevable dans le cadre d’un travail universitaire en sociologie, avec les réserves d’usage que nous lui avons formulées. Il n’y a aucune complaisance. » Ainsi s’exprimait, samedi 7 avril, un membre du jury, lequel venait de reconnaître l’astrologue de Télé 7 jours « digne du titre de docteur en sociologie », avec mention « très honorable ». Au-delà de la polémique (voir l’éditorial de Patrick Mahé, en page 2), la reconnaissance de dix ans de travail.

Source : Télé 7 jours


Libération 25/04/01

Un membre du jury de la thèse d’Élizabeth Teissier défend le travail de l’étudiante et met en cause les commentaires qu’il a suscités.

Teissier, authentique thésarde par PATRICK TACUSSEL

Patrick Tacussel est professeur de sociologie à l’université

Montpellier-III. Dernier livre paru : « Charles Fourier, le jeu des passions.

Actualité d’une pensée utopique », Paris, Desclée de Brouwer, 2000.

Ni l’implication, ni la célébrité de la candidate ne sauraient constituer un motif d’interdiction de séjour à l’université. ne chose est désormais sûre, le titre de la thèse de sociologie soutenue le 7 avril par Mme Élizabeth Teissier correspond au bon angle pour examiner l’astrologie comme un fait social : « Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes. » La mobilisation des détracteurs de l’astrologie, le soutien de ses adeptes, le déchaînement des passions suscité par la personnalité de la candidate constituent des matériaux dont les chercheurs en sciences humaines devraient se saisir pour enrichir notre connaissance de l’actualité. Il faut pourtant se rendre à l’évidence, la tonalité des articles publiés dans le Monde du 18 avril et Libération du lendemain montre que ce n’est pas la préoccupation principale de certains d’entre eux. Il n’y a guère que le lecteur consciencieux de la presse qui peut se plaindre de l’insuffisance d’information quant au contenu des deux volumes (897 pages et annexes). Aucun détail n’avait pourtant paru indigne de l’intérêt du public. Le tailleur et la coiffure de l’impétrante, l’ambiance dans la salle Louis-Liard, la majesté de son décor, les fautes d’orthographe dans le document pointées par un membre du jury, et même ce bouquet de fleurs offert par ses juges d’un jour à celle qui les a gratifiés en retour d’un frisson médiatique... L’inexactitude de ce point n’est pas accessoire : la confusion involontaire entre un individu qui transmet un cadeau à son destinataire et le véritable donateur ajoute au tableau général une touche cérémoniale propre à désorienter les théories de l’échange symbolique. Mais, dans la mesure où il s’agissait de faire croire que cette soutenance de doctorat était essentiellement une festivité mondaine, chaque élément observable devait concourir à renforcer une hallucination moins lourde à supporter que les débats. Les commentaires et les critiques formulés par les professeurs du jury ne sont guère aptes, il est vrai, à stimuler l’imagination des reporters, le coup de crayon et la plume de l’humoriste n’ont pas cet embarras. Le trac manifeste de l’étudiante, l’humilité des réponses qu’elle a esquissées aux questions des examinateurs, son soulagement à l’issue de cet oral ne méritaient-ils pas d’être pris en considération pour attester de l’authenticité de l’épreuve ? Eh bien non ! Médiatiquement, la cause était entendue.

Devant la commodité de cette pitance livrée à la variété de tous les appétits, il était facile de prévoir que les attitrés du pandémonium universitaire ne tarderaient pas à choisir leurs morceaux, quitte à écraser les enjeux - fussent-ils mal exposés - d’une recherche doctorale et à abolir l’usage déontologique le plus élémentaire : la lecture préalable de la thèse avant d’en parler. Qu’un ancien mannequin, astrologue des puissants, de François Mitterrand (un sujet encore excitant), pythie de la presse populaire, parvienne à inscrire, rédiger et défendre un doctorat, l’affaire ne met-elle pas le cours du fagot au misérable prix de l’allumette ? L’absence d’une réglementation interdisant à Mme Teissier, et à toute une riche galerie d’indésirables profilés en fonction des convictions ou des dégoûts d’un tel ou d’un autre, d’accéder à un diplôme délivré par un établissement public n’a trouvé d’autre voie que la mise en cause de la Sorbonne, à travers l’habituelle procédure interne autorisant la soutenance.

Il faut lever le double malentendu qui est à la source de l’emballement émotionnel et des craintes de plusieurs astronomes et astrophysiciens ou des diverses composantes de la mouvance rationaliste. D’une part, les sciences humaines, ici la sociologie, n’ont pas pour vocation de vérifier puis de hiérarchiser les croyances collectives, mais de les comprendre et de les expliquer socialement et culturellement. D’autre part, le détenteur d’un titre universitaire dans nos disciplines, comme dans toutes celles enseignées dans le même but, demeure l’unique responsable de l’usage ultérieur, bienvenu ou abusif, éventuellement dangereux, qu’il en fait. La loi heureusement sanctionne quelquefois des professionnels qui ont manqué à leurs engagements sur ce plan ou à un niveau éthique plus général ; mais le droit et les règlements des universités interdisent de préjuger des qualités morales et des intentions d’un étudiant lors de sa scolarité. Cette question porte sur la dimension axiologique et normative de la connaissance en général et de ses modes de transmission ; elle me semble trop sérieuse pour être abandonnée à une coterie animée par une indignation savonarolesque aux relents démagogiques (« nos » étudiants, « nos » partenaires, « nos » clients, etc.).

La thèse de Mme Teissier avance l’idée que l’astrologie est un savoir articulé sur un ensemble de relations symboliques entre l’homme et le cosmos. Elle fonctionne comme une matrice cognitive qui a résisté aux différents dispositifs rationnels édifiés par la science moderne pour endiguer son attraction dans les couches et les communautés les plus hétérogènes. Selon elle, l’impérieux besoin de chercher une cause aux aléas matériels et intimes de la vie explique sa permanence et son fondement immémorial : cela concerne bien le domaine de la sociologie de la connaissance et des représentations collectives, et de l’anthropologie culturelle. Ni l’implication ni la célébrité de la candidate ne sauraient constituer un motif d’interdiction de séjour à l’université. Est-il convenable de faire de cette étude, critiquable certes en maints aspects, non exempte, comme de nombreux diplômes de ce niveau, d’erreurs ou de dérapages, le cheval de Troie d’une volonté de normalisation théorique et épistémologique à l’intérieur de la forteresse académique ? Celle-ci doit accueillir et protéger en ses remparts les défis de l’intelligence en se gardant d’une orthodoxie culturelle. J’ai, pour ma part, le sentiment de jouer, depuis le début de cet événement, un rôle moins ridicule, en remplissant mon devoir sans complaisance, que celui endossé avec une suspecte précipitation par certains membres de notre toujours honorable corporation qui se sont exprimés dans la presse.

Source : « Libération » : https://www.liberation.fr/tribune/2001/04/25/teissier-authentique-thesarde_362389


LE MONDE | 23.04.01 | 14h28 | analyse

AU COURRIER DU « MONDE »

Astralement vôtre

Vous référant à ma mention « très honorable », vous écrivez (Le Monde du 10 avril) : « ... Mme Teissier ne sera pas professeur d’université : il aurait fallu, pour qu’elle y prétende avec une chance de succès, qu’elle obtienne les félicitations du jury. » Pure fantaisie. Si cela était vrai, imaginons ce que serait la pénurie dont souffre déjà l’enseignement : l’université aurait l’allure d’un désert. Pour enseigner il suffit de la mention « honorable », la mention « très honorable » représentant la meilleure note - les félicitations sont purement honorifiques.Teissier, contrairement à ce que vous écrivez, est bien mon nom (marital) et non un pseudonyme. Il est très désagréable de voir cette erreur sur mon identité colportée ensuite dans d’autres médias qui vous font confiance.Vous mettez dans la bouche de Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef du bulletin de l’AFIS : « L’illusionniste Uri Geller aurait aussi le droit de soutenir une thèse de doctorat en sociologie... » Cette remarque laisse croire à vos lecteurs qu’il suffit de disposer d’une notoriété et de pondre 300 pages, ou plus, pour soutenir une thèse de doctorat. Uri Geller n’aurait pu le faire qu’à la condition d’avoir suivi le cursus universitaire normal : licence, DES ou maîtrise, DEA... Cursus qui est aussi le mien en l’occurrence.Votre démarche intellectuelle visant à interroger des astrophysiciens (qui, soit dit en passant, se sont avec virulence opposés à ma soutenance) sur la valeur d’un travail sociologique est infondée, leur discipline étant totalement étrangère à la sociologie et ne les habilitant nullement à juger de celle-ci. De même, reproduire l’avis d’un « apprenti sociologue » anonyme pour dévaloriser mon travail procède d’une même aporie douteuse.

Astralement vôtre.

Élizabeth Teissier Paris, Genève

Source ; « Le Monde » :

http://www.lemonde.fr/imprimer_article/0,6063,175209,00.html (lien mort— 3mars 2020)


Éloge de la connaissance ordinaire

LE MONDE | 23.04.01 | 14h28 | analyse

ON veut oublier les outrances verbales, les insultes et les à-peu-près théoriques qui s’apparentent plus à un règlement de comptes qu’à un vrai débat, pour s’en tenir au seul élément conséquent du point de vue de Baudelot et Establet (Le Monde du 18 avril), ce qu’ils appellent le « culte du vécu », ce que, pour ma part, je préférerais nommer la recherche du vivant.

C’est bien sûr dans ce cadre général qu’il convient de situer la thèse de Germaine Hanselmann (dite Élizabeth Teissier) sur « L’ambivalence fascination-rejet de l’astrologie », que j’ai dirigée et qui fut soutenue le 7 avril à l’uni- versité Paris-V, devant un jury présidé par Serge Moscovici.

Les diverses étapes du « contrôle » universitaire ont fait l’objet d’une très grande attention. On peut regretter - je le regrette personnellement - le battage médiatique et mondain autour de cette soutenance. Un titre de docteur dans telle ou telle matière ne garantit en rien ce qui peut être dit ou fait hors de la discipline. Mais nous ne pouvons pas sélectionner les candidats sur leurs intentions. Ou alors (ce pourrait être intéressant), il faudrait élargir le débat et réfléchir en quoi la recherche scientifique conforte ou non la technocratie militaro-industrielle, le saccage de la planète ou la répartition inégale des richesses.

En revanche, pour en revenir à la thèse en question, comme cela fut le cas pour d’autres thèses sur le phénomène de la croyance, ceux qui prendront la peine de s’informer sur le fond (thèse et rapports) verront que l’enjeu social et épistémologique (analyser les formes de croyance en l’astrologie) est d’importance.

Dans une telle perspective, analyser le vivant n’est nullement l’indice d’une abdication de l’esprit, mais bien le contraire. Puisqu’il en est fait état, ma singularité (qui tant en France qu’à l’étranger ne laisse plus indifférent) depuis un quart de siècle consiste à insister sur la nécessité de penser rationnellement ce qui est considéré comme « non rationnel ». Repérer son efficace sociale. Et pour peu que l’on ait de la culture sociologique, l’on sait le rôle qu’occupe le non-logique, la passion, l’imaginaire dans ce que Peter Berger et Thomas Luckmann appellent la « construction sociale » de la réalité. Même Durkheim, qui appelait à traiter les « faits sociaux comme des choses », a insisté à maintes reprises sur l’importance des représentations, quoi que l’on puisse penser de celles-ci. Reprenant comme titre d’un de ses livres l’expression de Bergson « la Machine à faire des dieux », Moscovici a bien montré comment toutes les grandes œuvres sociologiques (Simmel, Weber...) eurent à se colleter à ce problème : la croyance est une réalité, il convient de la penser.

L’astrologie est une de ces croyances et l’analyser sociologiquement ne consiste sûrement pas à lui donner un statut scientifique. Etablir une équivalence entre « ma » sociologie et l’astrologie est un amalgame dont on pouvait penser la pratique révolue.

Mais peut-être faut-il se purger de ses convictions pour bien comprendre l’évolution de nos sociétés ? En tout cas, c’est ce que, depuis longtemps, je m’efforce de faire, et c’est aussi ce que j’essaie d’enseigner à mes étudiants. Ce qui ne manque pas d’irriter mes détracteurs. Mais il me semble que c’est un bonne manière d’analyser ce qui est et non ce que l’on aimerait qui soit.

En effet, la « logique du devoir être » (Weber), source de tout moralisme, est la pire des conseillères. Elle conduit tout droit à la police de la pensée, dont on sait les méfaits. La logique inquisitoriale n’est pas loin, dès lors que l’on s’érige en juge de qui doit être pensé et de comment on doit penser.

Certes, il est possible de cantonner la sociologie à reproduire, sempiternellement, sur la base d’une philosophie sociale héritée du siècle dernier, des débats d’écoles qui n’intéressent qu’elle-même. Il est instructif d’observer la lassitude éprouvée à l’endroit des querelles de chapelles qui ont lieu en sociologie. Là est la vraie « autodérision » d’une discipline qui n’est plus en prise avec la réalité sociale. Plus risquée est une pensée, je ne dirai pas singulière, mais typique, c’est- à-dire ayant l’intuition des idées-forces d’une époque donnée, et s’employant à en faire ressortir les »caractères essentiels » (Durkheim).

Parmi celles-là, à l’opposé d’une structuration institutionnelle de la société, l’émergence d’un imaginaire des « tribus » dans tous les domaines du social. Ou encore la transfiguration du politique, permettant de mieux saisir l’étonnante abstention et l’important phénomène des non-inscrits exprimant la saturation du mécanisme de représentation (philosophique, politique, social) sur lequel se fondent la majeure partie des analyses sociologiques.

Et que dire de la « proxémie » (école de Palo Alto), ou du retour du « nomadisme » sous ses diverses modulations (affectives, idéologiques, professionnelles) ? Est-ce de « l’interprétation gratuite » ou de « l’analyse spontanée » comme on me le reproche ? Peu importe, puisque empiriquement cela a permis et permet de donner un cadre analytique cohérent aux recherches sur les tendances profondes de nos sociétés. L’on pourrait dresser une liste fort longue d’études faites en France, au Brésil, en Corée, sur la musique techno, les effervescences sportives, religieuses, le Minitel, la convivialité sur Internet, les tribus homosexuelles et autres manifestations du lien social ne reposant plus sur le contrat rationnel, mais sur un sentiment d’appartenance beaucoup plus émotionnel.

L’astrologie est une de ces « folies ». A côté de la voyance, du maraboutisme urbain et de divers syncrétismes religieux, il suffit qu’elle soit là pour qu’elle soit, en effet, passible d’une « connais- sance rationnelle ». Pas d’un rationalisme abstrait ayant la réponse toute prête avant même de poser la question mais de ce que j’ai appelé une « raison sensible », s’employant à repérer le rôle des affects, des interactions et de la subjectivité. Toutes choses à l’œuvre à la fois chez les acteurs sociaux et chez le sociologue qui en fait la description.

Quoique nous soyons en France en retard d’une guerre, les débats méthodologiques de pointe dans la sociologie internationale insistent sur le rôle de l’implication, de l’observation participante, de la « typicalité », toutes choses relativisant l’objectivisme suranné dont on peut difficilement faire l’unique critère scientifique.

Si la sociologie est en danger, ce n’est pas de ses audaces et de ses »outsiders », mais bien d’un conformisme de pensée la rendant terne et ennuyeuse à souhait. Je considère que la peur de l’étrange et de l’étranger est cela même qui conforte la dérision dans laquelle on commence à tenir cette discipline. Fermer les verrous de nos universités en ayant peur du vivant engendre, à coup sûr, une folie obsidionale, celle de ce rationalisme morbide qui a peur de son ombre et donc la projette à l’extérieur sur des thématiques interdites et des chercheurs dangereux.

Une raison ouverte à l’imaginaire, au ludique, à l’onirique social est autrement plus riche en ce qu’elle sait intégrer, homéopathiquement, cette ombre qui aussi nous constitue.

Voilà le vrai problème épistémologique soulevé par cette thèse. Voilà le risque que j’ai pris depuis deux décennies en acceptant des sujets de thèse refusés ailleurs. Bien évidemment, j’ai toujours assumé et assume pleinement ce risque.

Au-delà de l’auteure de la thèse en question, pour laquelle la question ne se pose pas, on peut espérer que les menaces à peine voilées contenues dans le texte de Baudelot et Establet ne serviront pas de prétexte, dans le secret des commissions, pour « liquider » des candidats dont le seul tort aura été d’étudier, avec rigueur, des sujets considérés comme tabous. Parmi les différentes manières d’aborder les faits sociaux, aucune n’étant exclusive, celle qui le fait à partir du quotidien, du banal, de l’imaginaire, s’emploie à rester enracinée, sans a priori normatif ou judicatif, dans ce qui est l’existence de tout un chacun. Même si cela paraît paradoxal : une connaissance ordinaire.

On peut se demander, d’ailleurs, si ce n’est pas en étant outrecuidante, arrogante, moralisatrice, bref en ayant un savoir absolu et, en son sens, étymologique totalement abstrait, c’est-à-dire en refusant d’analyser ce qui est, qu’une certaine sociologie dogmatique fait le lit des diverses formes de fanatisme qui, d’une manière sauvage, risquent de proliférer ? La question mérite d’être posée et débattue, si possible sereinement.

par Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est professeur de sociologie à l’université Paris-V, directeur du Centre d’études sur l’actuel et le quotidien.

Source : http://www.homme-moderne.org/societe/socio/teissier/maffesol.html


Libération 19/04/01

En donnant le titre de docteur à une astrologue médiatique, le monde universitaire se ridiculise et laisse la porte ouverte aux pseudo-sciences.

La sociologie, l’antithèse de Teissier par ALAIN BOURDIN

Alain Bourdin est professeur à l’Institut français d’urbanisme-université de Paris-VIII, laboratoire de théories des mutations urbaines, CNRS. Dernier ouvrage paru : « la Question locale », PUF, « La politique éclatée », 2000.

La thèse de sociologie soutenue à l’université René-Descartes par l’astrologue Élizabeth Teissier n’est pas passée inaperçue, et provoque des réactions diverses. En première page d’un quotidien, les Prs Beaudelot et Establet s’indignent au nom de la rigueur sociologique (« La sociologie sous une mauvaise étoile », le Monde du mercredi 18 avril). Faut-il y voir la réaction classique des universitaires à l’égard de tout ce qui leur est extérieur ?

L’astrologie, comme d’autres pseudo-sciences, rencontre actuellement un grand succès : lui consacrer une thèse de sociologie est donc une bonne idée. Qu’une astrologue professionnelle l’écrive est sujet à caution, car on peut s’interroger sur sa capacité à respecter la distance scientifique, mais on a vu d’excellentes thèses de sociologie des religions rédigées par des prêtres catholiques.

Laisser préparer une thèse qui sort des sentiers habituels au monde académique n’est pas un crime. Il y faut juste de la rigueur et de l’éthique. En effet, aucune science ne peut progresser sans prendre de risques et sans accepter à certains moments l’émergence de discours totalement hétérodoxes. Il s’agit alors d’instaurer un débat - souvent violent - entre les chercheurs. L’objectif de l’innovateur et de ceux qui le soutiennent est de parvenir à convaincre ses collègues avec des arguments qui soient recevables par eux. C’est du monde scientifique que les grands découvreurs veulent être reconnus.

On sait que la médiatisation des sciences - même sociales - est aujourd’hui telle qu’on échappe difficilement aux dérapages. Des chercheurs de grande notoriété et la plus célèbre des revues scientifiques furent les principaux acteurs d’un dérapage spectaculaire : l’extraordinaire feuilleton du débat sur la mémoire de l’eau. Une thèse mérite rarement d’être gravée dans le marbre, ce n’est pas une œuvre individuelle isolée, mais une contribution au travail collectif du monde scientifique : certaines thèses excellentes marquent des impasses, quand d’autres contestables ou médiocres ouvrent des perspectives fécondes. Encore faut-il que celui ou celle qui l’écrit accepte les règles de ce jeu collectif.

Je n’exclus pas que la thèse d’Élizabeth Teissier, que je n’ai pas lue, comporte des passages présentant de l’intérêt pour la sociologie ou que la soutenance ait donné lieu à des débats utiles, mais j’en doute, et, quoi qu’il en soit, le projet affiché reste radicalement extérieur au débat scientifique : il s’agit de créer un événement qui se veut le point de départ d’une légitimation de l’astrologie par l’université et qui entre dans la construction de l’image personnelle d’une astrologue.

L’affaire de la mémoire de l’eau impliquait de gros intérêts économiques, et un chercheur reconnu mettait sa réputation en jeu. Ici, quelques universitaires qui confondent sans doute le frisson médiatique avec les risques intellectuels se font les complices d’une aventure personnelle étrangère au monde de la recherche.

Que cela choque à l’intérieur de la discipline sociologique, comme le montrent Beaudelot et Establet, n’est pas un mal : il peut en sortir un débat stimulant. La véritable catastrophe est ailleurs.

Professeur dans un département de sociologie, j’ai choisi, il y a quelques années, de venir enseigner et chercher dans un institut d’urbanisme. Ce type d’organisme est en relation très directe avec les « acteurs », ceux qui produisent et gèrent la ville, les représentants de la société civile, les habitants, les professionnels de la ville... Sans cesse, je suis frappé par la sous-utilisation des acquis de la sociologie et l’extrême difficulté qu’il y a à faire entendre le discours - nécessairement dérangeant - du sociologue, que l’on remplace volontiers par de la pseudo-sociologie. L’on vient d’offrir à ceux que nous gênons un argument massif pour nous ridiculiser ou justifier l’appel aux pseudo-sociologues.

La sociologie - et la sociologie française reste l’une des meilleures - constitue une richesse considérable. La stériliser, c’est se priver d’un instrument pour organiser le présent et imaginer l’avenir. Cette aventure dérisoire caricature un enjeu majeur : la reconquête de la sociologie par la société.

Source : « Libération » : https://www.liberation.fr/tribune/2001/04/19/la-sociologie-l-antithese-de-teissier_361692


La sociologie sous une mauvaise étoile

LE MONDE | 17.04.01 | 13h34 | analyse

POINT DE VUE

LA braderie médiatique dont l’université Paris-V vient d’être le théâtre et l’actrice principale est d’abord une faute collective, commise en connaissance de cause.

Il faut, pour décerner un doctorat, l’accord et la coopération de plusieurs parties : le directeur de la thèse qui accepte le sujet et décide du moment où elle lui paraît achevée, les membres du jury choisis par le même directeur qui cautionnent d’avance, en acceptant de siéger, le sérieux académique de l’entreprise, les deux rapporteurs qui, après avoir lu la thèse, rédigent et signent un document garantissant la qualité intellectuelle du travail en fonction des normes professionnelles en vigueur dans la discipline ; le directeur de l’école doctorale, représentant le conseil scientifique, qui délivre l’autorisation de la soutenance au vu des rapports précédents et de toutes les informations qui ont pu lui parvenir sur le travail accompli ; le président de l’université, enfin, qui engage la responsabilité de son établissement et, au-delà, la personnalité morale de l’université.

Manifestement, les contrôles n’ont pas fonctionné à l’occasion de la soutenance de thèse de l’astrologue Élizabeth Teissier, samedi 7 avril à la Sorbonne. Il a sans doute suffi d’arguer de son statut de professeur, de s’entendre entre soi et de faire confiance à la lâcheté universitaire ambiante, faite de petits compromis et de micro-reniements, pour que l’entreprise aille jusqu’à son terme.

Qu’importe la sociologie, qu’importe l’Université, pourvu que chacun puisse cultiver en paix son petit champ ? Qu’ils le veuillent ou non, les effets et les méfaits d’une telle décision rejailliront pourtant durablement sur tous ceux qui s’en trouvent collectivement responsables.

Des astrophysiciens réputés et des autorités scientifiques ont déjà attiré l’attention du président sur l’imposture que constituait la réhabilitation de l’astrologie par l’Université.

Mais, dira-t-on, il s’agissait de sociologie et non d’astrologie. Depuis plus de cent ans, en France et à l’étranger, des esprits rigoureux s’efforcent de montrer qu’une analyse objective des faits sociaux est possible. Grâce à la diversité de leurs orientations et des moyens mis en œuvre, grâce surtout à leur invention créatrice, ils ont progressivement réussi à donner ses lettres de noblesse à la sociologie, en constituant un corps de savoir sur le monde social qui soit objectif et dans l’ensemble cumulatif.

Cette démarche qui consiste à traiter des faits sociaux comme des choses, à supposer que la réalité sociale peut être l’objet d’une connaissance rationnelle, a toujours rencontré et suscite aujourd’hui encore de fortes résistances de la part de tous ceux qui refusent les principes de l’objectivation. Au sein même de la discipline, Michel Maffesoli, le directeur de thèse d’Élizabeth Teissier, s’est toujours singularisé par ce refus en privilégiant le culte du vécu, l’interprétation gratuite et l’analyse spontanée.

En tentant d’accréditer l’équivalence entre l’astrologie et sa sociologie, il tombe lui-même dans le piège qu’il a tendu à des autorités académiques somnolentes. « La superstition, écrivait Voltaire, est à la religion ce que l’astrologie est à l’astronomie, la fille très folle d’une mère très sage. » On saura désormais que le maffésolisme est « la fille très folle » de Madame Soleil. L’autodérision vient à point sanctionner la dérision.

Mais on ne peut se satisfaire d’une aussi complaisante punition. Aux antipodes d’une cérémonie mondaine, la soutenance d’une thèse n’est pas seulement un rituel vénérable. Pour les apprentis chercheurs, elle constitue une étape essentielle dans l’accès à un marché professionnel très concurrentiel.

La quasi-totalité de nos collègues en sont bien conscients, qui se montrent très exigeants sur la qualité des doctorats qu’ils dirigent ou qu’ils ont à évaluer. Et les jeunes docteurs rivalisent d’efforts pour réunir des données originales, les soumettre à des traitements rigoureux et les ordonner dans une culture sociologique sans cesse enrichie. C’est à elles et à eux, nos étudiant(e)s, que nous pensons d’abord en exprimant notre indignation devant cette mascarade mondaine. Il est insupportable que leurs efforts et leurs titres risquent d’être dévalués par une telle braderie médiatique.

par Christian Baudelot et Roger Establet

Christian Baudelot et Roger Establet sont professeurs de sociologie à l’École normale supérieure et à l’université d’Aix-en-Provence.

Source : « Le Monde »

https://www.lemonde.fr/une-abonnes/article/2001/04/17/la-sociologie-sous-une-mauvaise-etoile_173107_3207.html


Le Figaro (12/04/01)
La voyante n’a pas vu son voleur de thèse.

Guy Baret

C’est une irritante et troublante énigme. Mme Élizabeth Teissier, astrologue de son état, et qui fut, à ce titre, la voyante de François Mitterrand, a soutenu une thèse de doctorat en sociologie. C’était samedi dernier. Il n’y a là rien de vraiment étonnant.

Après tout, ce n’est pas parce que l’on a la tête dans les étoiles qu’elle ne doit pas être couverte de lauriers universitaires. Et l’on admet, bien sûr, son désir pathétique d’être prise au sérieux alors qu’il y a tant d’imposteurs non diplômés qui prétendent dévoiler l’avenir à nos yeux avides. Comment ne pas comprendre aussi le souci de l’ancien président d’être sérieusement éclairé par une astrologue professionnelle au lieu des gourous fantaisistes de son cabinet ?

Sa thèse a obtenu une mention honorable. Rien que son intitulé était impressionnant : Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes. Jusque là, tout va bien, l’Université, qui l’attendait impatiemment, a un nouveau docteur et les clients de Mme Teissier ne vont pas plus mal.

Or, à peine avait-elle soutenu sa thèse, qu’on la lui volait. Pas entièrement : la première partie. L’insoutenable après la soutenance. Un individu s’est présenté à elle en se prétendant astronome à l’Observatoire.

Un presque collègue, comme se serait-elle méfiée ? Elle ne pouvait pas prévoir. Enfin, si... elle pouvait puisqu’elle est voyante. Disons qu’elle aurait pu mais elle ne l’a pas fait, il est difficile d’être en même temps prévoyante et voyante.

Toujours est-il qu’elle constate, peu après le départ du personnage, celui, concomitant, d’une partie de l’original de sa thèse.

Elle se précipite au commissariat et porte plainte. C’est là un juste retour des choses. Il y a tant de voyantes qui se portent au secours de la police en cas de disparition inexpliquée, pour une fois c’est la police qui aide la voyante dans une disparition. Nous ne nous plaindrons pas de la fin du caractère unilatéral de la collaboration police-voyance.

On suppose que cela n’empêche pas Élizabeth Teissier de tenter de localiser sa thèse par traque astrale : deux précautions valent mieux qu’une.

Peut-être faut-il voir la main d’une puissance étrangère, avide de connaître les secrets qu’elle n’avait pas dévoilés à François Mitterrand ?

Cela dit, la DST n’a pas été saisie et aucune piste ne se dessine. Pourtant, on peut supposer, sans hardiesse, que le cercle des suspects est restreint.

Sont-ils vraiment nombreux dans le grand banditisme, ou le milieu de l’escroquerie à la « fausse qualité », à s’intéresser à la « situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes » ? Le filet devrait donc se resserrer rapidement.

Sources : « Le Figaro » 12/04/01


Le Canard Enchaîné

Mercredi 11/04/01
Élizabeth Teissier : une diseuse de Sorbonne aventure.

L’astrologue chic et multicarte a appâté un gros client : un jury de la Sorbonne. Qui lui a décerné le titre de « docteur ». Victime de quel ascendant ?

Cela fait des années qu’elle le demandait : une chaire d’astrologie en faculté. Déjà en 1994 elle avait sollicité Mitterrand, au temps de leurs étonnants entretiens 1. Élizabeth Teissier n’enseignera peut-être pas, mais la voilà parée du titre de docteur, après sa soutenance de thèse samedi dernier, salle Louis-Liard, en Sorbonne, sous les portraits de Richelieu et de Descartes.

A la tribune du jury, Serge Moscovici, universitaire réputé, préside les débats. A sa droite siège Michel Maffesoli, professeur de sociologie à Paris-V et directeur de thèse de la candidate. Aux deux extrémités de la table, Patrick Tacussel, universitaire de Montpellier, et Françoise Bonnardel, philosophe de Paris-I. Leur faisant face, assise à une petite table, Mme Teissier, ex-mannequin, très allurée, accessoirée Chanel. Fièrement, elle a posé les 900 pages en deux volumes intitulés « Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination / rejet dans les sociétés postmodernes ». Ca fait sérieux, non ?

L’affaire est présentée avec moult précautions. C’est une thèse de sociologie, l’auteur s’en est tenu « à la neutralité et à l’objectivité scientifiques », faisant abstraction de son métier d’astrologue professionnelle. Mais E. T. ne tient pas la distance. Au fil des minutes et des questions d’un jury pourtant bienveillant, la forte en thème astral reprend le dessus : oui, l’astrologie est une « science vérifiable », etc. Embarrassé par ce zèle qui menace la mise en scène « sociologique », son directeur de thèse, Michel Maffesoli, lui fait des signes discrets depuis la tribune : qu’elle abrège, ce n’est pas le sujet, etc. Mais Dame Teissier est une teigneuse et n’en démord pas : l’astrologie est vrai.

Va-t-elle tout gâcher ? Les risques sont limités. Une thèse arrivée au stade de la « soutenance » n’est jamais refusée. Le public n’a pas la parole. Il la prend quand même... En milieu de séance, un homme se lève dans l’assistance, et, d’un ton presque douloureux, lance au jury : « Ceci est une farce. » Il quitte la salle, semant pour quelques minutes la désolation à la tribune et dans le public majoritairement acquis aux signes du zodiaque.

Vers 16 heures, celle qui prétend s’appeler Élizabeth Teissier tient son apothéose. Après s’être retiré trois minutes pour délibérer, le jury proclame « Germaine Hanselmann docteur en sociologie » (avec la mention très honorable). Debout face à ses juges, furieuse, la belle rugit entre ses dents en direction du jury : « Je m’appelle Élizabeth Teissier. » D’un geste désolé, le président montre la feuille officielle où figure le vrai nom de l’astrologue. Celle-ci apostrophe à voix basse son directeur de thèse : « Michel ! » M. Maffesoli, que tous ses étudiants ne doivent pas appeler par son prénom, fait un geste impuissant...

La messe est dite. Deux heures et demie d’âneries sur l’astrologie et une seule information à se mettre sous la dent : Élizabeth Teissier s’appelle Germaine Hanselmann...

L’essentiel, c’est que Germaine, désormais « docteur », pourra proclamer que l’astrologie est validée, certifiée, officialisée par la vieille Sorbonne. Lundi, dès l’ouverture des cours, on imagine ces respectables membres du jury faisant la leçon à leurs étudiants au nom de la « rigueur intellectuelle »...

Frédéric Pagès

Source : « Le Canard Enchaîné »


Charlie Hebdo 11/04/01

Escroquerie

Élizabeth Teissier a fait plusieurs citations d’Adorno. Sauf celle-ci : « L’astrologie, c’est la métaphysique des imbéciles »

Élizabeth Teissier reçue docteur en sociologie.

Madame Irma à la Sorbonne.

Disons-le tout net, on était parti pour bien rigoler. Écouter Élizabeth Teissier, tireuse de cartes célestes de François Mitterrand, soutenir une thèse sur « la situation épistémologique de l’astrologie liée à l’ambivalence frustration / rejet dans les sociétés postmodernes », on ne voulait rater ça pour rien au monde. Mais quand le jury de la Sorbonne a déclaré que Miss Nostradamus était « digne du titre de docteur en sociologie, mention très honorable », il faut admettre que le rire nous est resté dans le gosier. Celle qui, dans Votre Horoscope 2000 - son plus grand livre : 24 x 17 cm -, avait prédit pour l’an dernier un come-back du « taureau-Balladur », la « transformation intérieure » de Jacques Chirac et la démission de Lionel Jospin a été prise au sérieux par l’éminents membres de l’enseignement laïque et rationnel.

Depuis des années, Élizabeth Teissier se bat pour que l’astrologie soit reconnue comme une science et enseignée comme telle à l’université. Samedi dernier, elle a réussi à mettre le pied dans la porte, avec la complicité même pas involontaire de quatre professeurs qui ont perdu une grosse partie de leur crédibilité dans cette farce sinistre. L’astrologie est de retour à la Sorbonne, trois siècles et demi après que Colbert l’en a expulsée. Avouez qu’il y a de quoi être mélancolique...

Merlin l’Enchanteur directeur de thèse.

Pourtant, la supercherie sautait aux yeux. Dès qu’on pénètre dans la salle Louis-Liard, bourrée comme un plateau de télévision, on sent d’emblée que ce qui nous attend ressemblera plus à « Ciel mon mardi ! » qu’à une soutenance de thèse digne de ce nom. Ca ne rate pas. Vingt minutes durant, la diseuse de bonne aventure de Télé 7 jours nous assomme avec une ratatouille de mots savants et de clichés pompeux dont le seul but est de servir d’emballage à un plaidoyer pour l’astrologie, laquelle serait tout à la fois « un art, une science et une sagesse ». Elle cite Gaston Bachelard, Edgar Morin, Vilfredo Pareto, Theodor Adorno, Shakespeare et Isaac Newton - mélangeant à dessein astronomie et astrologie -, se gargarise de formules emphatiques et croit avoir tout dit en proclamant que « connaître, c’est naître avec »... Au début du prêche, on se dit qu’elle est entrée dans la maison de Mercure et a fumé la moquette. Mais on se rend vite compte que tout cela est beaucoup moins farfelu qu’il n’y paraît. Peu à peu, Élizabeth Teissier en arrive au vif du sujet, qui n’a rien à voir avec la sociologie. Elle dénonce le « consensus intellectuel ambiant », le « malentendu qui marque notre époque », « l’amalgame » qui conduit à associer la lecture des lignes de la lune à la voyance... En vérité, elle nous le dit, l’astrologie « développe une intuition qui est égale à celles de la psychologie, de la psychiatrie, de la médecine », elle est « la plus vieille connaissance de l’humanité », elle peut « répondre aux désenchantements du monde et à la dissolution des liens sociaux ». Pour finir, l’ex-mannequin Chanel invoque « l’homo astralis » et nous exhorte à « adopter le point de vue de Sirius ».

On n’a pas fini de regretter les années Mitterrand.

Bon. Quand la grande rouquine se tait enfin, on espère que le jury va se lever et lui balancer son paveton de 900 pages à travers le lifting en lui expliquant qu’ici, on est à la Sorbonne, et pas chez Dechavanne. Eh bien non. Au contraire, le directeur de thèse, Michel Maffesoli, loue ce travail de dix années, la « grande pertinence de la candidate, son écriture élégante, son style soigné ». Sa collègue, Françoise Bonnardel, professeur de philosophie, en rajoute une couche épaisse. Elle félicité Teissier pour son chapitre intitulé « Preuves irréfutables de l’influence planétaire », la complimente pour son « parlé vrai, que Platon aurait appelé « l’opinion droite »« , vante la « musicalité de l’astrologie », souligne les méfaits de ce que sa sorcière bien-aimée appelle le « rationalisme sectaire », avoue qu’elle a elle-même beaucoup travaillé sur l’alchimie, et conclut en disant que le mieux serait de conférer à l’astrologie le statut de « science conjoncturelle »... On a compris, cette brave dame doit être prof de philo dans une roulotte à la Foire du Trône.

Du coup, quand le troisième membre du jury fait la liste des erreurs de citations, des contresens et des fautes d’orthographe - Claude Lévi-Strauss avec un y, par exemple -, on n’a même pas le cœur à rire. Et quand le président, Serge Moscovici, reproche à Teissier d’avoir cité des « scientifiques » new-age, rappelle que l’astrologie n’est rien d’autre qu’une forme de magie et réussit à la foutre en rogne en l’appelant par son vrai nom - Germaine Hanselmann -, on se force presque à ricaner. Car au fond, toutes ces petites critiques qui évitent soigneusement le débat de fond, émises sur le ton de la chicanerie polie entre gens du même monde, ne font que conférer à la « thèse » de Teissier le statut d’authentique travail universitaire. Pendant deux heures et demie, dans l’enceinte de la fac la plus prestigieuse de France », on a parlé marc de café et boule de cristal en faisant semblant de croire qu’il s’agissait de sociologie. Le plus scandaleux, ce n’est pas qu’une astrologue ait manœuvré pour infiltrer l’Université, c’est que quatre professeurs l’aient admise sans sourciller comme l’une des leurs. Et lui aient, en prime offert un bouquet de fleurs. Décidément, il n’y a pas que le collège qui soit à la dérive.

Gérard Biard.

Source : « Charlie Hebdo »


« France Soir » 11/04/01

Rendez-lui sa thèse !

Divination. L’astrologue Élizabeth Teissier a porté plainte pour le vol du volume 1 de son ouvrage universitaire : mais comment ne l’avait-elle pas prévu ?

« C’est un gag ? » Michel Maffesoli, sociologue et directeur de thèse à l’Université Paris-V, part dans un grand éclat de rire : « Cela fait des années que j’enseigne. Et je n’ai jamais entendu une chose pareille. » L’une de ses élèves, la très médiatique Élizabeth Teissier, affirme s’être fait voler une partie de l’original de sa thèse, samedi dernier, peu après sa soutenance devant un jury de professeurs émérites de la Sorbonne.

« Une histoire complètement folle, affirme l’intéressée, c’était samedi après-midi, on venait de me proclamer docteur, avec la mention très honorable (intitulé de la thèse : La situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes).

Valeur affective

J’étais tout à ma joie.. Mes amis me sautaient au cou, m’embrassaient. Un petit bonhomme vient vers moi, me demande quand il sera possible de se procurer un exemplaire de ma thèse. Je lui

réponds « plus tard ». Le temps de se retourner : le tome 1 avait disparu ! » Sur les conseils d’amis, la célèbre astrologue se rend au commissariat pour porter plainte.

Pour sa part, Michel Maffesoli souligne l’absurdité de la démarche. « Un original ? Quel original ? On ne peut pas voler un original puisqu’il n’en existe pas. Ca n’a aucun sens. » Un certain nombre d’exemplaires sont imprimés pour la famille, les amis, pour l’université également, puisque les thèses sont en libre consultation au service des doctorats. L’exemplaire d’Élizabeth Teissier n’étant pas manuscrit, il ne peut prétendre au statut d’original.

« c’était tout de même mon exemplaire à moi !, regrette l’astrologue. Sans valeur marchande, certes, mais affective. Je voulais le garder pour mes petits-enfants »

Mais qui a volé la thèse d’Élizabeth Teissier ? Cette dernière avance des pistes, du bout des lèvres. Peut-être un fan. « Il existe tellement de fétichistes de nos jours » L’enquête est en cours.

Eric Juherian.

Source : « France Soir » 11/04/01


ÉLIZABETH TEISSIER

09 Avril 2001 - SOCIETE

Sous les portraits de Pascal et Descartes, l’astrologue a soutenu avec succès une thèse de doctorat en sociologie samedi à la Sorbonne. Sujet d’étude : « La situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination-rejet dans les sociétés postmodernes « . Bigre ! En dépit des anachronismes, contresens, fautes d’orthographe et erreurs sur le fond relevés par une partie du jury, Élizabeth Teissier a décroché la mention « très honorable « . Après avoir commencé sa carrière comme mannequin puis comédienne, parfois légèrement vêtue, elle achève, à soixante-deux ans, son ouvre la plus monumentale. 900 pages pour expliquer pourquoi l’astrologie a une image détestable, véhiculée « par une certaine intelligentsia « , coupable du péché d’incrédulité. L’astrologue en qui François Mitterrand avait placé quelque espoir divinatoire en a profité d’ailleurs pour dénoncer l’absence d’enseignement universitaire de l’astrologie, une « situation qui entraîne ignorances et abus charlatanesques « . De la part de quelqu’un qui a eu tout faux en 1997, en jugeant avant les législatives que la période n’était « pas géniale pour Jospin « , la mise en garde contre les charlatans vaut son pesant de pierre philosophale.

L. V.

Source : « l’Humanité » :

https://www.humanite.fr/node/244597


Élizabeth Teissier, docteur en sociologie, ascendant astrologie

LE MONDE | 09.04.01 | 12h52 | chronique

« JE SUIS RAVIE que ce soit terminé, et épuisée. Comme après un accouchement. » Toujours impeccable, crinière rousse sur tailleur gris, l’astrologue Élizabeth Teissier rayonne. Sous les ors de la Sorbonne, elle a soutenu, samedi 7 avril, sa thèse consacrée à la « Situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascinationrejet dans les sociétés postmodernes ». Le président du jury, Serge Moscovici, s’apprête à l’oindre. « Germaine Élizabeth Hanselmann », commence-t-il, aussitôt interrompu : « Teissier, je m’appelle Élizabeth Teissier ! », dit l’impétrante, plus soucieuse de son pseudonyme que des usages académiques. Le président reprend : « Le jury, après vous avoir entendue, vous déclare digne du titre de... - une hésitation, puis, presque inaudible -...docteur en sociologie, avec mention très honorable. » Tonnerre d’applaudissements et éclairs des flashes masquent la sortie du jury par une porte dérobée.

La veille, l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), présidée par l’astrophysicien Jean-Claude Pecker, membre de l’Académie des sciences et professeur au Collège de France, avait publié une mise en garde : « Depuis des années, Élizabeth Teissier réclame la création d’une chaire d’astrologie à la Sorbonne et il est à craindre qu’elle se servira de son diplôme pour renforcer cette cause. » Jean Audouze, astrophysicien et directeur du Palais de la découverte, partage cette crainte, et avait demandé, sans succès, au président de l’université Paris-V le report de la soutenance et la présence d’astronomes au sein du jury. D’autres scientifiques jugeaient au contraire « contre-productif » de faire de l’astrologue une martyre de la science. On sait maintenant que Mme Teissier ne sera pas professeur d’université : il aurait fallu, pour qu’elle y prétende avec une chance de succès, qu’elle obtienne les félicitations du jury.

« Nous ne sommes pas des censeurs, prévient Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de la revue de l’AFIS. L’illusionniste Uri Geller aussi aurait le droit de présenter une thèse de sociologie. Mais ce n’est pas parce qu’il s’agit de sociologie qu’on peut tolérer des âneries scientifiques. » Autour des petits fours, il tente de convaincre l’unique membre du jury à ne s’être pas éclipsé que la Sorbonne vient de se faire piéger. Patrick Tacussel, épistémologue, n’a pas d’états d’âme : « Nous avons examiné ce texte en profondeur, soulevé des objections méthodologiques et des critiques de fond. » Mais la question n’était pas de se prononcer sur le statut scientifique de l’astrologie. Michel Maffesoli, le directeur de thèse d’Élizabeth Teissier, a rappelé qu’il ne s’agit « pas d’une science, mais d’un fait social qui mérite examen ». Il confesse cependant qu’un chapitre, consacré aux médias, sur les 900 pages résumant dix ans de travail de l’ancienne conseillère astrale de François Mitterrand et d’autres grands de ce monde, constitue un « dérapage » puisqu’il laisse libre cours à la « passion » peu compatible avec la raison universitaire.

Le « show » de sa consœur a en tout cas régalé un apprenti sociologue - »elle se croyait chez Dechavanne ». S’il n’était déjà accaparé par sa thèse, il se fendrait bien d’une étude sur l’entrée en Sorbonne de l’astrologue de Télé 7 jours. La réputation de l’illustre université n’est, selon lui, pas en péril. « Depuis mille quatre cents ans, elle en a entendu, des sottises, et elle en entendra d’autres. »Sur le perron de la Sorbonne, Élizabeth Teissier sourit aux photographes.

Hervé Morin

Source : »Le Monde » :

https://www.lemonde.fr/une-abonnes/article/2001/04/09/elizabeth-teissier-docteur-en-sociologie-ascendant-astrologie_170557_3207.html


Élizabeth Teissier docteur des astres

Polémique universitaire autour de sa thèse de sociologie.

Par CHARLOTTE ROTMAN

Le lundi 9 avril 2001

C’était la thèse la plus controversée et la plus mondaine de l’année. Samedi, à la Sorbonne, Élizabeth Teissier, astrologue chic, prétendait au titre de docteur en sociologie grâce à ses travaux sur « la situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes ». La veille, Jean Audouze, astrophysicien et chercheur au CNRS, directeur du palais de la Découverte, avait demandé au président de l’université Paris V de « surseoir » à cette cérémonie. Il n’était pas seul : les spécialistes de l’AFIS, l’association française pour l’information scientifique, rappelant que « l’astrologie n’est plus une discipline universitaire depuis trois siècles », avaient réclamé à leur tour de faire examiner le texte par un astrophysicien avant sa présentation.

Vaines protestations. A 13 heures samedi, la candidate sortait ses fiches et ses pilules homéopathiques. Brushing frais, elle est arrivée en tailleur-pantalon bleu ciel et escarpins rouges, avec deux sacs à la main : l’un en zèbre, pour ses petites affaires, l’autre en toile pour les deux tomes de son opus universitaire. Habituée des shows, elle tapote dans son micro pour vérifier la sonorisation. Elle tremble. Élizabeth Teissier, célébrissime astrologue, a le trac.

Applaudissements. Pourtant, au premier rang, ses proches lui envoient des ondes positives. Public inhabituel pour une soutenance de thèse : un âge moyen avancé, des femmes pleines de bijoux, de maquillage et d’admiration pour Élizabeth, flanquées de maris somnolents. Devant la candidate, un jury de quatre universitaires. Derrière, quelques scientifiques, venus constater l’ampleur des dégâts. Sous l’effigie de Descartes, Élizabeth Teissier entame la lecture de son introduction, vingt minutes d’un débit continu, où la sociologie tombe dru. « Joie heuristique », « socle kantien », « holisme », « doxa » se bousculent. D’où il ressort que la spécialiste des astres a fait des efforts pour se détacher de sa passion et appréhender l’astrologie comme n’importe quel fait social. Son travail porte donc sur le « malentendu » que l’astrologie véhicule, entre « attraction multiformes » et rejet puisque « cet art » a été « relégué au rang de barbare et de paria ». L’ancien mannequin a donc voulu « chercher les causes de cet abîme ». A la minute près, elle achève son intervention dans le temps imparti, avec une citation de Shakespeare. Dans la salle, le public enthousiasmé applaudit. « On n’est pas au théâtre ! » le rappelle à l’ordre le président du jury, Serge Moscovici.

Le directeur de la thèse, le sociologue Michel Maffesoli, prend la parole pour une molle défense. Un travail comme celui-ci a sa place dans le débat universitaire, estime-t-il. Mais, prudent, il préfère mettre les points sur les i. Il rappelle donc que l’astrologie n’est pas scientifique et, qu’en aucun cas cette thèse ne peut « légitimer une activité professionnelle », hors des murs de l’université. Il tapote les deux tomes, qu’il trouve « bien écrits », avec un « plan cohérent ». « C’est un travail conséquent de 900 pages. » « Un peu plus », lui souffle Teissier. « Taisez vous. Je vous ai dit de n’interrompre personne », coupe son directeur. Le sociologue regrette le chapitre consacré aux médias. Le ton y est « plus cavalier », les références souvent « inutiles et mondaines, pas maîtrisées ». En résumé : « L’aspect polémique ressort. »

« Farce ». En face de lui, en élève peu docile, Élizabeth Teissier s’obstine : « Je ne fais pas amende honorable car j’ai beaucoup réfléchi. » Une philosophe du jury se lance dans une longue intervention plutôt élogieuse. Qui produit un effet inattendu : dans la salle, un spectateur quitte l’amphithéâtre en lâchant tout fort : « C’est une farce ! » A 14 h 30, Élizabeth, interrogée sur le lien social que l’astrologie peut représenter, patauge. Pendant quelques minutes, elle s’embrouille, puis, inspirée : « L’homme de la rue est comme une carte à puces qui réagit selon les rythmes du ciel qui l’ont vu naître. D’où la reliance avec l’autre, et les affinités, oui, comme les Affinités électives de Goethe. » Le jury reste silencieux. Avant de sortir le lance-roquettes. Sur la forme : « Dans schizophrénie, évitez le y ». Sur la méthode : « Vous n’avez pas su maintenir une distance assez forte. » Sur les références : « Vous utilisez les auteurs comme des pavillons de complaisance. »

Élizabeth ne se laisse pas décontenancer. Au contraire. L’attaque la galvanise. La voilà partie vers sa spécialité, l’apologie de l’astrologie. Irrité mais souriant, le président du jury oublie carrément la thèse et se lance sur le même terrain : « Il faudra s’habituer à cette idée : l’astrologie ne relève pas de la science. » L’ancienne astrologue de Mitterrand réplique : « De toute façon, j’ai écrit 900 pages qui ne vous ont pas convaincu, alors... » La sociologie est bien loin, on polémique comme à la télé : « Vous ne pouvez pas taxer l’astrologie de magie, plaide Élizabeth. Il y a des techniques de vérifications empiriques. Cela n’a rien à voir. De toute façon, on sait maintenant que l’unique vérité est vibratoire. »

Cocktail. 16 heures, le jury après délibération, juge Élizabeth Teissier « digne du titre de docteur en sociologie », avec mention très honorable. En clair, une gratification moyenne. Ses fans s’en moquent, et l’acclament debout. Élizabeth fond en larmes. Les scientifiques présents dans la salle sortent les tracts. « Il y a certainement des âneries scientifiques dans ce texte. En plus, elle fait un véritable plaidoyer pour l’enseignement de l’astrologie à l’université. Elle a un discours militant », dénonce ainsi Jean-Pierre Krivine, membre de l’Afis. Écœurés, les chercheurs promettent de passer la thèse au crible, si possible avant sa parution en bibliothèque, dans un mois et demi.

Au pot de thésard, d’ordinaire chips et cacahuètes, Élizabeth Teissier a renouvelé le genre avec petits fours, champagne, et maître d’hôtel. On parle astres, zodiaque, ciel. Aucun thésard ne peut se prévaloir de son titre avant que son ouvrage n’ait trouvé sa place en bibliothèque mais, avisée par les planètes sans doute, Élizabeth Teissier avait anticipé l’obtention de son diplôme et invité sur carton ses amis à fêter son « doctorat en sociologie flambant neuf ». En partant, avant de regagner sa voiture immatriculée en Suisse, la spécialiste des horoscopes pose dans la cour de la Sorbonne, devant une rangée de photographes. Et, enlevant ses verres teintés Chanel, clame fièrement : « Il a fallu attendre 350 ans le retour de l’astrologie à la Sorbonne. C’est beau. »

Source : Libération

https://www.liberation.fr/societe/2001/04/09/elizabeth-teissier-docteur-des-astres_360739


Le communiqué initial de l’AFP :

PARIS, 7 avr (AFP) - Élizabeth Teissier a été faite docteur en sociologie, samedi à Paris, avec la mention « très honorable » par un jury présidé par le professeur Serge Moscovici, a constaté l’AFP.

Malgré les vives critiques de plusieurs scientifiques de renom, l’astrologue a soutenu à la Sorbonne une thèse de doctorat en sociologie qui porte sur la « situation épistémologique de l’astrologie à travers l’ambivalence fascination/rejet dans les sociétés postmodernes ».

Le professeur Jean-Claude Pecker, membre de l’Institut, et Jean Audouze, directeur de recherche au CNRS et directeur du Palais de la Découverte, avaient proposé un report et la formation d’un jury spécial en raison des risques de « l’utilisation dévoyée » que l’astrologue pourrait faire de son titre universitaire.

Le jury a félicité celle qui fut l’astrologue de François Mitterrand pour l’importance de son travail, tout en rappelant à plusieurs reprises que l’astrologie n’était pas une science.

Élizabeth Teissier s’est quant à elle défendue de toute « démarche apologétique », expliquant que son travail, « dénué de tout parti-pris », avait porté uniquement « sur le malentendu » que l’astrologie, « connaissance multimillénaire », véhicule « entre l’attraction multiformes et le rejet qu’elle suscite ».

Précisant que son souci permanent avait été d’éviter toute subjectivité, l’astrologue a affirmé s’être fondée « seulement sur des faits observables et avérés seulement ».

Défendant toutefois à plusieurs reprises la justesse de son art, elle a abordé longuement « le mépris condescendant et ironique de la science des astres depuis 350 ans (...), qui a relégué l’astrologie au rang de barbare et de paria », une image « détestable » de l’astrologie qui repose selon elle « sur un amalgame avec des démarches mercantiles ».

L’astrologue en profite d’ailleurs pour dénoncer l’absence d’enseignement universitaire de l’astrologie, une « situation qui entraîne ignorances et abus charlatanesques ».

Le jury a été visiblement irrité lorsqu’elle a affirmé que « quand la science disposera d’instruments suffisamment subtiles pour mesurer les vibrations, on aura un tout autre vocabulaire qui désignera la croyance de l’astrologie ».

Élizabeth Teissier aborde aussi l’attitude des medias, « épicentre de l’ambivalence fascination/rejet », et insiste sur l’exploitation qu’ils font de l’astrologie « entre sensationnalisme et opportunisme ».

Communiqué disponible sur le site du CZ
http://www.zetetique.ldh.org/et_these.html

1 Sous le signe de Mitterrand. 1997, Éditions n° 1