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Alimentation et cancers

Publié en ligne le 1er janvier 2025 - Alimentation -

Étudier les liens entre l’alimentation et le risque de cancer est un travail compliqué. L’alimentation elle-même est un sujet complexe : décrire celle d’une personne nécessite de recueillir beaucoup de données qui doivent être ensuite résumées en quantités de protides, de glucides, de lipides, de vitamines et de minéraux, puis détaillées par source des protéines, type de glucides (lents ou rapides), type de lipides, nature des vitamines et des minéraux. Les modes de conservation et de préparation doivent également être pris en compte ainsi que des facteurs non directement liés à l’alimentation comme l’activité physique. Par ailleurs, les liens entre alimentation et risque de cancer dépendent du type de cancer.

Si l’on étudie de très nombreuses caractéristiques de l’alimentation pour savoir si elles sont associées à un risque particulier, on va très vraisemblablement en trouver au moins une, positive en apparence, par le simple jeu du hasard. C’est ainsi que, d’une manière générale en santé publique, de nombreux résultats publiés sont des faux positifs et ne sont pas confirmés par la suite [1].

Pour établir de façon convaincante une association entre la consommation d’un aliment et le risque d’un cancer chez l’Homme, il faut pouvoir s’appuyer sur plusieurs enquêtes différentes avec des résultats relativement concordants. Une fois le risque confirmé, il faut le quantifier afin d’établir des priorités dans la gestion de la santé publique.

Les connaissances relatives aux liens entre nutrition et cancer reposent sur différentes méthodes épidémiologiques (voir encadré ci-après).

Le Fumeur, Frans Hals (c.1582-1666)

En France, en 2023, le nombre total de nouveaux cas de cancer est estimé à 433 000 [2]. Plus de 40 % des cancers sont attribuables à des facteurs de risque évitables. Après le tabac, cause de 20 % des cancers, les trois principales causes de cancers pouvant être prévenus concernent la nutrition et représentent 19 % des cancers évitables (alcool, alimentation déséquilibrée et surpoids ou obésité) [3].

Études épidémiologiques sur les liens entre alimentation et cancer


Les données sur les relations entre l’alimentation et le risque de cancer proviennent surtout d’enquêtes ép idémiologiques de cohorte ou cas-témoins. Il est en effet quasi impossible de faire des essais randomisés parce qu’il faudrait que les sujets tirés au sort acceptent de respecter des contraintes sur leur alimentation pendant plusieurs décennies. Néanmoins, les effets sur la santé des suppléments alimentaires comme le bêta-carotène ont pu être étudiés dans des essais randomisés avec un suivi de quelques années [1].

Ainsi, différents types d’études peuvent être mis en œuvre :

Enquête de cohorte. Dans une enquête de cohorte, des personnes sont interrogées sur leur alimentation puis suivies sur une longue période pour identifier les cas de cancers afin de comparer leur alimentation à celle du reste de la cohorte.

Enquête cas-témoins. Dans une enquête cas-témoins, on interroge des patients atteints de cancer (les « cas ») et des personnes sans cancer (les « témoins ») sur leur alimentation passée. Ceci pose un sérieux problème de mémoire et de fiabilité. Ce problème est résolu si l’on fait une enquête cas-témoins imbriquée dans une cohorte. L’alimentation de chaque « cas » (personne de la cohorte avec un cancer diagnostiqué) est alors comparée celle d’un ou plusieurs « témoins ». Les « témoins » sont appariés au « cas » pour certaines caractéristiques, et sont indemnes de cancer après la même durée de suivi que le « cas ».

Dans ces enquêtes épidémiologiques, l’information sur l’alimentation des participants est recueillie au moyen d’un questionnaire sur la fréquence habituelle de consommation d’une longue liste d’aliments au cours d’une année, complétée parfois par un journal décrivant l’alimentation des dernières 24 heures. Or le décalage chronologique entre une cause alimentaire et la survenue d’un cancer est probablement important, mais on ne le connaît pas précisément. Si les enquêtes épidémiologiques obtiennent des informations détaillées sur l’alimentation, ces informations ne sont parfois recueillies qu’à l’entrée d’une personne dans l’étude, or l’alimentation se modifie souvent avec l’âge.

Essais randomisés. Dans un essai randomisé, on constitue deux groupes par tirage au sort, l’un recevant le supplément alimentaire et l’autre recevant en général un placebo à l’aspect identique. Les participants sont alors suivis pendant plusieurs années pour observer les effets de la supplémentation sur leur santé.

Référence
1 | Demetrius A, “-Carotene and lung cancer : a case study”, The American Journal of Clinical Nutrition, 1999, 69 :1345-50.

Résultats établis

Le World Cancer Research Fund (WCRF) en partenariat avec l’American Institute for Cancer Research (AICR) a synthétisé plus de mille enquêtes épidémiologiques portant sur un total de plus de 150 millions d’adultes et étudiant le risque de nombreux types de cancer. Cet organisme effectue des mises à jour régulières, la dernière datant de 2018 [4].
Le WCRF hiérarchise ses résultats en fonction de la qualité des études scientifiques sur lesquelles ils s’appuient. Ainsi, des « données convaincantes » prouvent un lien de causalité considéré comme certain, donc peu susceptible de changer dans le futur. Les « données suggestives » (probable evidence en anglais) sont moins solides, mais justifient néanmoins des recommandations visant à réduire le risque de cancer, comme les « données convaincantes » [5].

Données convaincantes
Les effets de l’alcool et de l’obésité ou du surpoids sont parmi les plus convaincants : l’alcool augmente de façon certaine les risques de cancers de la bouche, du pharynx, du larynx, de l’œsophage (seulement ceux les plus fréquents qui surviennent dans les deux tiers supérieurs de l’œsophage), du côlon et du rectum, du foie, et du sein après la ménopause. L’obésité ou le surpoids augmente les risques de cancer de l’œsophage (seulement ceux du tiers inférieur), du côlon et du rectum, du foie, du pancréas, de l’endomètre et du rein, et réduit le risque de cancer du sein avant la ménopause. En dehors de ces deux facteurs, la consommation de viande transformée (charcuterie, viandes conservées par salaison, fumées, etc.) augmente de façon certaine le risque de cancer colorectal, et le bêta-carotène à forte dose augmente aussi le risque de cancer du poumon.

Par ailleurs, l’activité physique diminue de façon certaine le risque de cancer du côlon.

Alimentation et risques de cancer


Augmentation ou diminution du risque de cancer en fonction de l’exposition à certains aliments. Les facteurs de risque qui ne sont pas pertinents pour la population européenne (maté, légumes et poissons conservés par salaison courants en Asie, aflatoxines) n’ont pas été inclus.

(1) Sauf féculents.
(2) Cardia : muqueuse à la jonction entre l’œsophage et l’estomac.
(3) Endomètre : muqueuse qui tapisse l’intérieur de l’utérus

Source
Continuous Update Project, “Diet, Nutrition, Physical activity and the Prevention of Cancer”, World Cancer Research Fund/American Institute for Cancer Research, Summary of conclusions, 2018. Sur wcrf.org

Données suggestives
Il est probable que l’alcool augmente aussi le risque de cancer de l’estomac et du sein avant la ménopause et que l’obésité ou le surpoids augmente le risque de cancer du cardia (partie de l’estomac proche de l’œsophage), de la vésicule biliaire, de l’ovaire et de la prostate. La viande rouge augmente probablement le risque de cancer colorectal.

Les Buveurs, Edvard Munch (1863-1944)

Par ailleurs, il est probable que la consommation de fruits et légumes réduise le risque de cancers de la tête et du cou (bouche, pharynx, larynx, sinus nasal et glandes salivaires), que les consommations de céréales complètes, de fibres et de produits laitiers réduisent le risque de cancer colorectal, que la consommation de café réduise les risques de cancer du foie et de l’endomètre. L’activité physique réduit probablement les risques de cancer du sein avant la ménopause et de l’endomètre, et les boissons alcoolisées réduisent probablement le risque de cancer du rein.

Mesurer les risques

Il ne suffit toutefois pas de conclure que la consommation d’un produit alimentaire augmente ou diminue le risque d’un type de cancer, il faut aussi évaluer l’importance de la variation de ce risque en fonction de la quantité de produit consommé. Le tableau 2 présente celles de ces estimations considérées dans la synthèse du WCRF comme pouvant justifier des recommandations de santé publique (données convaincantes ou suggestives).

Si l’on se limite aux résultats convaincants, beaucoup d’exercice physique réduit de 20 % le risque de cancer colorectal par rapport à peu d’exercice physique. L’augmentation du risque associée à la consommation de 10 g d’alcool pur par jour varie entre 25 % pour le cancer épidermoïde de l’œsophage et 4 % pour le cancer du foie. Passer d’un indice de masse corporelle 1 égal à 25 (limite inférieure du surpoids) à un indice de 30 (limite inférieure de l’obésité) ou passer de 30 à 35 augmente de 48 % le risque d’adénocarcinome de l’œsophage, de 30 % le risque de cancer du foie, de 10 % le risque de cancer du pancréas et de 5 % le risque de cancer colorectal.

Beaucoup de risques augmentent à peu près exponentiellement avec la dose. Certains, comme celui du cancer du foie lié à la consommation d’alcool, augmentent beaucoup plus fortement encore avec la dose d’alcool [6].

Quantification de l’augmentation ou de la diminution du risque

(*) jusqu’à 30 g/jour d’alcool.

(**) à partir d’un IMC de 25.

En gras, les données convaincantes et en italique les données suggestives.

Exposition à plusieurs cancérogènes

L’exposition simultanée à plusieurs molécules est le sujet de nombreux travaux scientifiques. En théorie, les effets combinés peuvent être très variés : antagonistes (le risque avec l’association est inférieur au risque avec chacune des substances), additifs (le risque est égal à la somme des risques), multiplicatifs (le risque est égal au produit des risques), ou même plus que multiplicatifs (synergique, le risque avec l’association est supérieur au produit des risques). Les conséquences de l’association de tabac et d’alcool sur le risque de cancer de l’œsophage illustrent cette situation : le risque avec l’association est presque deux fois plus élevé que le produit des deux risques [7].

Étant donné la très grande quantité de substances intervenant dans l’alimentation, il est difficile d’imaginer des analyses exhaustives.

Causes de cancers en France


Nombre de nouveaux cas de cancer attribuables aux facteurs liés au mode de vie et à l’environnement en France en 2015 parmi les adultes de 30 ans et plus.

  • Les cancers dus aux rayons UV proviennent de l’exposition au soleil (10 000) et des cabines de bronzage (400).
  • Les cancers dus aux radiations ionisantes proviennent du radon (4 000) et des examens radiologiques (2 300).
  • Les cancers dus aux hormones concernent les femmes et proviennent du traitement de la ménopause (2 200) et de la pilule contraceptive (600). Pour la pilule, ne sont pas comptabilisés ici les cancers évités.
  • Les 1 500 cancers attribués à la pollution de l’air extérieur correspondent à une exposition annuelle moyenne aux particules fines PM2,5 dépassant 10 microgrammes/m3.
  • Les détails pour l’alimentation (hors alcool), sont donnés dans le graphique ci-dessous.

Source : Centre international de recherche sur le cancer, « Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine », Rapport d’étude, 2018. Sur gco.iarc.fr

Alimentation et cancer : hiérarchiser les risques

Le rapport sur les causes du cancer en France [3] qui date aussi de 2018 a pris en compte à peu près les mêmes expositions que le rapport du WCRF et des risques relatifs peu différents. Mais il présente en plus une estimation de la fraction des cancers attribuables à l’alcool, aux différentes caractéristiques de l’alimentation, au surpoids et obésité, et à l’inactivité physique et les compare à d’autres facteurs de risque environnementaux [8].

Ces ordres de grandeur (voir encadré précédent) permettent d’identifier où les efforts seront les plus pertinents, qu’ils soient individuels ou dépendent des politiques de santé publique.

Ainsi, l’importance de la consommation d’alcool, de l’alimentation, du surpoids et de l’obésité sont des facteurs majeurs de causes de cancers. L’activité physique est utile, mais avec un plus
faible potentiel dans la prévention du cancer.

Les Mangeurs de ricotta, Vincenzo Campi (1536-1591)

Des sujets largement médiatisés n’apparaissent pas. C’est par exemple le cas des résidus de pesticides pour lesquels une récente expertise collective de l’Inserm (2021) notait que « les risques potentiels liés à l’alimentation semblent maîtrisés selon l’état des connaissances actuelles » [9]. L’alimentation bio a aussi été présentée, sur la base d’une interprétation très discutable d’une étude menée en France [10] comme pouvant réduire le risque de cancer. L’Institut national du cancer parle d’une « infox dangereuse » à propos de cette interprétation : d’une part, « il n’y a pas de preuve scientifique qui indique qu’une alimentation “bio” réduit le risque de cancer par rapport aux recommandations nutritionnelles générales pour la prévention de la maladie dans la population générale », et d’autre part, cette affirmation risque de détourner des véritables enjeux liés à l’alimentation [11].

Discussion

Les risques pris en compte peuvent être un peu différents d’une analyse à l’autre, mais l’ensemble est assez cohérent. Les 136 monographies du Circ étudient chacune une ou plusieurs expositions dont les boissons alcoolisées (vol. 44 et 96), l’arsenic (vol. 84 et 100C), les viandes transformées et la viande rouge (vol. 114), ainsi que le café (vol. 51 et 116). Les 19 Handbooks of cancer prevention évaluent les fruits et légumes (vol. 8), les légumes crucifères (vol. 9) ainsi que d’autres facteurs tels que le contrôle du poids (vol. 16) et l’activité physique (vol. 6) ; le volume 19 sur la prévention du cancer de la bouche recommande l’arrêt de la consommation d’alcool.

Conclusion

Notre alimentation s’est beaucoup modifiée ces dernières décennies. La consommation d’alcool a nettement diminué en 70 ans, passant entre 1950 et 2022 de 350 à 165 grammes d’alcool pur par semaine et par adulte de 15 ans et plus ; ceci a nettement réduit l’incidence des cancers causés par l’alcool [12]. Cette consommation, estimée en répartissant l’alcool uniformément dans toute la population de 15 ans et plus, est encore beaucoup trop élevée, dans la mesure où il est recommandé de ne pas dépasser 100 grammes d’alcool pur par semaine. D’après les données collectées par l’Insee, entre 1960 et 2016, la consommation de fruits a été multipliée par 2,5 et celle de légumes frais par 1,8. Ensuite ces deux consommations ont un peu diminué et sont, en 2023, égales à 2,2 et 1,4 fois les consommations de 1960 [13].

La fréquence de l’obésité a aussi beaucoup augmenté (voir par ailleurs dans ce dossier), ce qui augmente les risques de certains cancers. Les autorités encouragent l’activité physique, qui peut être aujourd’hui l’objet d’une prescription médicale.

Références


1 | Hill C, « Perturbateurs endocriniens et troubles du comportement : l’art d’alarmer la population sur des bases incertaines », SPS n° 323, janvier 2018. Sur afis.org
2 | Santé publique France, « Cancers », page web, 24 juillet 2024.
3 | Centre international de recherche sur le cancer, « Les cancers attribuables au mode de vie et à l’environnement en France métropolitaine », Rapport d’étude, 2018. Sur gco.iarc.fr
4 | World Cancer Research Fund International, “The Third expert report”, 2018. Sur wcrf.org
5 | World Cancer Research Fund International, “The Grading Criteria with the Global Cancer Update Programme”, Rapport, 10 novembre 2023. Sur wcrf.org
6 | Bagnardi V et al., “Alcohol consumption and site-specific cancer risk : a comprehensive dose-response meta-analysis”, British Journal of Cancer, 2015, 112 :580-93.
7 | Prabhu A et al., “The synergistic effects of alcohol and tobacco consumption on the risk of esophageal squamous cell carcinoma : a meta-analysis”, The American Journal of Gastroenterology, 2014, 109 :822-7.
8 | Hill C, « Fréquence et causes des cancers en France », SPS n° 316, avril 2016. Sur afis.org
9 | Inserm, « Pesticides et effets sur la santé : nouvelles données », Synthèse, 2021.
10 | Hill C, « L’alimentation bio et le risque de cancers : état des connaissances », SPS n° 327, janvier 2019. Sur afis.org
11 | Institut national du cancer, « Manger “bio” permet-il de diminuer le risque de cancers ? », Les éclairages, 1er avril 2021. Sur leseclairages.e-cancer.fr
12 | Hill C, « Effets de l’alcool sur la santé : démêler le vrai du faux », La revue du praticien, 2024, 74 :594-8.
13 | Institut national de la statistique et des études économiques, « Comptes nationaux annuels base 2020 – Consommation finale effective – Ménages hors entrepreneurs individuels – Collecte des ordures ménagères – Prix courant », site de données, 21 juin 2024. Sur insee.frs

1 Indice de masse corporelle : poids en kilogrammes divisé par le carré de la taille en mètres, exprimé en kg/m2.