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Aux origines du genre

Publié en ligne le 15 novembre 2022
Aux origines du genre
Anne Augereau et Christophe Darmangeat (dir.)
PUF, 2022, 107 pages, 9,50 €

La publication de ce petit livre s’inscrit dans le contexte du succès d’ouvrages comme ceux de Marylène Patou-Mathis 1 ou de l’équipe de Lady Sapiens 2, qui visent à « revaloriser » la place des femmes dans les sociétés préhistoriques. Ces entreprises éditoriales, au fort écho médiatique, postulent que ces femmes ont été invisibilisées du fait notamment du sexisme des archéologues, qui, longtemps, ont été essentiellement des hommes. Selon elles, des découvertes récentes viendraient bouleverser ces conceptions surannées et obliger à reconsidérer les femmes préhistoriques, et notamment celles du paléolithique, pour les envisager en quelque sorte comme des « femmes puissantes » qui pouvaient très bien être comme les hommes, selon les lieux et les époques, chasseresses ou guerrières.

Dans la continuité d’une tribune d’octobre 2021 signée d’un collectif d’anthropologues et préhistoriens et intitulée « Lady Sapiens, les femmes préhistoriques, d’un stéréotype à l’autre ? » 3, ce livre met en garde contre la tentation de prendre des désirs pour des réalités et de projeter sur le passé ce que l’on aimerait que le futur ou le présent soit. Plusieurs contributions reviennent sur des points précis du débat : le paléoanthropologue Pascal Picq propose une mise au point éthologique sur ce que l’on sait des relations de sexe et de genre chez les singes, la perspective comparatiste pouvant éventuellement éclairer les origines de ces relations dans l’espèce humaine ; sa consœur Dominique Henry-Gambier envisage les « fantasmes et réalités » autour de la Dame du Cavaillon, un squelette découvert en Italie en 1872 et qui fut d’abord connu sous le nom…d’« Homme de Menton » ; les ethno-archéologues John C. Whittaker et Kathryn Kamp fournissent une petite synthèse à propos des données disponibles quant à la participation des femmes à la chasse dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs ; l’archéo-anthropologue Aline Thomas nous introduit aux réflexions méthodologiques des archéologues quand ils – ou « elles », peu importe – veulent faire parler les tombes à propos de la question du genre ; enfin Oren Falk, spécialiste de l’histoire culturelle du Moyen Âge, aborde les enjeux autour d’une tombe suédoise pour laquelle une équipe a proposé en 2017 une relecture conduisant à envisager la perspective de guerrières vikings ayant un statut social élevé.

Au-delà de ces très pédagogiques études de cas, l’introduction globale signée d’Anne Augereau et Christophe Darmangeat, intitulée « Le passé du genre et ses enjeux contemporains », cerne les problèmes de fond posés par tous ces débats, en balayant l’historiographie et les principales thématiques soulevées. Les deux auteurs appellent ainsi à « se méfier d’une tendance qui, au nom de la nécessité de s’affranchir des préjugés masculinistes, souvent avec un goût prononcé pour le sensationnalisme, dépeint volontiers les sociétés disparues au prisme des légitimes aspirations féministes actuelles. En réalité, selon une règle de méthode bien connue, plus une découverte est censée contredire les lois générales établies, plus on est en droit d’exiger d’elle un niveau de preuves élevé. Non seulement une telle attitude n’entravera en rien l’exploration archéologique du genre, mais elle seule permettra d’avancer de manière rigoureuse, et donc solide, dans la découverte du passé. »

1 Patou-Mathis M, L’Homme préhistorique est aussi une femme, Allary Ed., 2020, 352 p.

2 Cirotteau T, Kerner J, Pincas E, Lady Sapiens, Les Arènes, 2021, 256 p. L’ouvrage est couplé à un documentaire et à un jeu vidéo du même nom.

3 Augereau A, Bocquentin F, Boulestin B, Darmangeat Ch, Henry-Gambier D, Le Quellec JL, Perlès C, Teyssandier N, Touraille P, “Lady Sapiens : les femmes préhistoriques, d’un stéréotype à l’autre ? ”, Tribune, blog Sciences² de Sylvestre Huet, 11 octobre 2021. Sur lemonde.fr/blog/huet.