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Dossier Masculin - Féminin : Introduction

Publié en ligne le 11 novembre 2014 - Masculin et féminin -

Les femmes restent minoritaires dans les filières scientifiques et continuent à se heurter à de multiples discriminations dans l’accès à l’emploi, aux promotions et dans l’obtention de salaires à la hauteur de leurs compétences. Des stéréotypes largement répandus sur les préférences et les aptitudes des femmes et des hommes contribuent sans aucun doute à cette situation. Face à ces injustices, les études de genre mettent en évidence des mécanismes sociaux qui modèlent les conceptions que nous avons de l’homme et de la femme, induisent des stéréotypes et favorisent les discriminations. Les résultats des études de genre sont parfois utilisés pour affirmer que toutes les différences cognitives entre hommes et femmes sont attribuables à de tels mécanismes sociaux.

Est-ce vraiment ce que montrent les études de genre ? Que sait-on vraiment sur les différences entre les sexes et sur leurs origines ? Les sciences cognitives disposent de nombreuses données (largement méconnues) sur les différences cognitives, cérébrales, hormonales, génétiques entre les sexes, qui permettent de répondre à ces questions de manière dépassionnée.

Au-delà des différences entre les sexes, la sexualité des êtres humains peut s’envisager sous de multiples angles scientifiques : biologie évolutionnaire (de la reproduction), physiologie (des organes reproducteurs), médecine (dysfonctionnements sexuels), ethnologie et sociologie (des pratiques sexuelles)... Un fait bien souvent ignoré est que le sexe se passe avant tout dans notre tête. Il n’est pas qu’une affaire d’organes sexuels, c’est aussi une activité fondamentalement cognitive. Motivation pour le sexe, attraction préférentielle vers certains partenaires, comportements de « cour » et de séduction, désir sexuel, contrôle, inhibition... Le sexe engage de nombreuses fonctions cognitives et une large part de notre cerveau. Il n’est donc pas étonnant que cet organe soit appelé à se retrouver sur le devant de la scène dans les débats portant sur le sexe. Woody Allen avait peut-être bien perçu cette évidence en faisant déclarer à l’un de ses personnages : « My brain ? It’s my second favorite organ ! » (Mon cerveau ? c’est mon deuxième organe préféré !).

Aujourd’hui largement désacralisé, le sexe reste toutefois un sujet sur lequel les recherches sont considérées avec suspicion, en particulier lorsqu’elles portent sur des écarts entre individus, qu’il s’agisse de décrypter les différences entre hommes et femmes ou de comprendre l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. Dès que des chercheurs se penchent sur l’origine de ces différences et envisagent des facteurs autres que psychosociaux, ils sont immédiatement accusés, tantôt de vouloir réduire l’être humain à un paquet de neurones, tantôt de chercher des justifications pour mieux discriminer les femmes ou les homo/bi/trans-sexuels, tantôt de vouloir médicaliser des choix personnels et « traiter » l’homosexualité, quand ce n’est pas carrément de nourrir des visées eugénistes !

Pourtant, il ne devrait pas être tabou d’essayer d’expliquer les différences interindividuelles, en gardant bien évidemment en tête que les résultats de telles recherches ne pourront jamais, quelles qu’elles soient, justifier le sexisme.

Y a-t-il quelque chose de plus fascinant à comprendre que ce qui fait de chacun de nous un être unique et différent des autres ? De ce point de vue, la recherche fondamentale sur les origines de l’orientation sexuelle ou des différences entre hommes et femmes est tout aussi passionnante que celle sur les origines de l’autisme ou du langage. Et bien entendu, il n’y a pas de raison de mener de telles recherches avec des œillères, en ne considérant que des facteurs psychologiques et sociaux au détriment des facteurs biologiques qui, nous le verrons, jouent aussi un rôle important.

 Si on ne commence pas tout de suite, dans trente mille ans, la femme ne sera pas encore libérée !...
 Qu’est-ce que j’apprends ! ? Ton fiancé refuse de te battre ? ! !
Deux sophismes courants

Plusieurs sophismes appliqués spécifiquement aux différences hommes-femmes sont doublement néfastes. Ils peuvent être utilisés pour promouvoir une vision sexiste du monde, ce qu’il faut dénoncer, mais à l’inverse ils sont souvent utilisés pour dénigrer la science ou nier des évidences, sous prétexte que certains les utiliseraient pour justifier le sexisme.

Prenons un exemple volontairement choquant : Jenny Bivona et Joseph Critelli ont interrogé plus de 300 femmes sur leurs fantasmes sexuels. Conformément à de nombreuses études antérieures, ils montrent que plus de 60 % d’entre elles ont eu au moins une fois le fantasme d’être soumise ou violée (les hommes peuvent aussi avoir des fantasmes d’être violés). Comment réagir à cette conclusion ? Beaucoup seront tentés d’incriminer les auteurs, voire la psychologie dans son ensemble, et refuseront de croire que l’étude est sérieuse. Une des raisons de ce rejet provient de l’idée que l’existence de tels fantasmes justifierait le viol, et c’est que se trouve l’erreur. Car il y a bien sûr une différence entre un fantasme et un désir concret et explicite : dire que beaucoup d’hommes et de femmes ont eu des fantasmes violents ne signifie aucunement qu’ils voudraient réellement les vivre. Ce résultat ne peut avoir, juridiquement comme moralement, aucune incidence sur notre condamnation des agressions sexuelles. On n’imagine pas que la justice pourrait relâcher un meurtrier au prétexte que sa victime aimait les films policiers, et prenait donc du plaisir à voir des personnages mourir !

Autre sophisme, celui que Diane Halpern, grande spécialiste du dimorphisme sexuel, propose de nommer « women have less fallacy », autrement dit « le sophisme de la femme inférieure ». Il s’agit d’un réflexe récurrent consistant à croire que toute différence entre hommes et femmes qui sera mise au jour par les chercheurs rabaissera les femmes. Ce n’est évidemment pas le cas. La plupart des découvertes sont simplement neutres : il n’est ni mieux ni moins bien d’avoir plus de désir sexuel ou un métabolisme plus ou moins lent. Quant aux différences qui ne sont pas neutres, elles peuvent être en faveur des femmes ou des hommes : les hommes réussissent mieux en moyenne les tâches de rotation mentale et les femmes ont une meilleure fluence verbale. Personne n’est gagnant ou perdant dans cette histoire. Et en tout état de cause, le principe moral qui nous enjoint l’égalité des droits n’est pas conditionné à un quelconque résultat spécifique de la science.

Références :
Bivona J. and Critelli J. (2009). The Nature of Women’s Rape Fantasies : An Analysis of Prevalence, Frequency, and Contents. Journal of Sex Research, 46 (1), 33-45.
Halpern, D. F. (2011). Sex differences in cognitive abilities. Psychology press.

Dossier coordonné par Nicolas Gauvrit et Peggy Sastre, avec la contribution de Franck Ramus.

Nicolas Gauvrit est maître de conférence en mathématiques à l’Université d’Artois, docteur en sciences cognitives, et membre du comité de rédaction de Science et pseudo-sciences.

Franck Ramus est directeur de recherches au CNRS, Institut d’Étude de la Cognition, École Normale Supérieure. Il est également membre du comité de parrainage scientifique de l’AFIS et de la revue Science et pseudo-sciences.

Peggy Sastre est docteur en philosophie des sciences, spécialiste de Nietzsche et de Darwin. Auteur et traductrice, ses travaux d’essayiste s’orientent principalement autour d’une lecture biologique des questions sexuelles. Elle a notamment signé Ex Utero – Pour en finir avec le féminisme (La Musardine, 2009), ainsi que Le sexe des maladies – l’impact méconnu des différences hommes/femmes sur la santé (Favre, 2014). Elle collabore par ailleurs à divers titres de presse, en priorité sur Internet.