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Chronologie de l’« affaire » des pesticides SDHI

Publié en ligne le 23 septembre 2020 - Pesticides -

Une importante controverse médiatique s’est développée autour d’une famille de pesticides utilisés en agriculture. Elle a conduit à de très vives accusations à l’encontre de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Pour mieux comprendre cette controverse, un exposé de sa chronologie est indispensable.

Les SDHI, ou inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (en anglais, succinate dehydrogenase inhibitors), sont des fongicides utilisés depuis une vingtaine d’années « sur céréales et en traitement de semences pour contrôler des maladies majeures de type septoriose, helminthosporiose, ramulariose, charbons et autres champignons non pythiacées », mais également « sur vigne, en arboriculture, grandes cultures (autres que céréales), cultures légumières et ornementales, afin de contrôler les maladies majeures de type sclérotinia, pourriture grise, phoma, et autres champignons de ce type ». Ils agissent en bloquant la respiration des cellules de champignons affectant les cultures. Aujourd’hui, en France, onze substances actives appartenant à cette famille font partie des composants de produits phytosanitaires autorisés [1].

Pierre Rustin, biochimiste et directeur de recherche au CNRS est responsable d’une équipe de l’Inserm spécialisée dans les maladies mitochondriales liées au dysfonctionnement d’une enzyme intervenant dans la fonction respiratoire (la succinate déshydrogénase ou SDH). C’est à l’issue d’une recherche bibliographique que ces chercheurs découvrent que des molécules inhibitrices de la SDH sont utilisées en agriculture et c’est légitimement qu’ils s’inquiètent « que l’on puisse utiliser cette molécule librement » sachant que « la chaîne respiratoire est présente dans tous les organismes, des bactéries à l’Homme » [2].

Fin novembre 2017, ils contactent donc l’Anses. Le directeur scientifique de l’agence, Gérard Lasfargue, répond que « pour l’instant,

Chemin dans les blés à Pourville, Claude Monet (1840-1926)

l’évaluation scientifique des risques liés à l’usage de ces produits, qui prend en compte le mécanisme d’action, conclut à une absence de risque inacceptable » et ajoute ne pas avoir, à ce stade, d’éléments « pour les interdire ou les suspendre sur la base d’hypothèses tirées de leur mécanisme d’action ». Mais, déclarant prendre toujours très au sérieux les alertes qui lui sont adressées, le directeur de l’agence demande à Pierre Rustin de lui envoyer ses données. Après examen, celles-ci n’ont pas permis à l’Anses de trouver des « éléments nouveaux qui permettraient d’alimenter une réévaluation des risques ». Pierre Rustin a été invité à l’agence pour être auditionné et « consulter […] les dossiers d’évaluation de ces fongicides [et] en discuter de façon très ouverte » [3].

Le 29 mars 2018, Pierre Rustin et ses collègues publient dans la revue bioRxiv [4] un preprint[1]rendant compte de tests in vitro sur l’effet de molécules de la famille des SDHI ; ceux-ci suggèrent que l’action des SDHI pourrait être également délétère pour des organismes noncibles. Le seul élément scientifique à l’appui de leur hypothèse est un tableau montrant quatre courbes d’inhibition de la succinate déshydrogénase. Aucun résultat brut, pas de paragraphe « matériel et méthode » ni de discussion des résultats ne sont présents, comme il est pourtant d’usage dans les publications scientifiques.

En conclusion, le texte demandait que, « compte tenu du danger qu’ils représentent, les SDHI devraient être ajoutés d’urgence à la liste des pesticides dont l’utilisation devrait être interdite ou strictement limitée ».

Le 15 avril 2018, soit deux semaines après le dépôt de l’article, sept des signataires publient une tribune dans Libération [5] appelant à « suspendre l’utilisation de ces produits [les SDHI] utilisés dans l’agriculture tant qu’une estimation des dangers pour la santé n’aura pas été réalisée par des organismes publics et indépendants des industriels ».

L’Anses se saisit du sujet le jour même et met en place un groupe d’expertise collective d’urgence. Les signataires de la tribune sont auditionnés le 14 juin 2018.

Le 15 janvier 2019, l’Anses rend son avis [1] : « Les informations et hypothèses évoquées n’apportent pas d’éléments en faveur d’une alerte sanitaire pour la santé humaine et l’environnement en lien avec l’usage agricole de ces fongicides qui pourrait justifier la modification ou le retrait des autorisations de mise sur le marché. » Elle ajoute que, « au regard des sources consultées, il n’a pas été identifié de données suggérant une augmentation de l’incidence des cancers spécifiques associés au déficit en SDH, chez l’Homme non porteur de mutation (chez les professionnels exposés par exemple), malgré une commercialisation parfois ancienne de ces molécules SDHI, ni de données suggérant un impact pour les organismes de l’environnement ». Pour autant, l’Anses considère « que le dossier n’est pas clos et poursuit les investigations ».

Étude de coquelicots, Emmanuel de La Villeon (1858-1944)

En juin 2019, les chercheurs signent une nouvelle tribune publiée dans Le Monde [6] dénonçant « l’incapacité des experts en toxicologie à protéger la nature et possiblement l’Homme des méfaits des pesticides » et adressent, aux côtés de l’association Pollinis, une pétition au Parlement européen [7].

Le 25 juillet 2019, l’Anses fait le point sur les travaux en cours et annonce que « à ce jour, aucun nouvel élément n’est venu confirmer l’existence d’une alerte sanitaire qui conduirait au retrait des autorisations de mise sur le marché en vigueur, conformément aux règlements nationaux et européens relatifs aux produits phytopharmaceutiques » [8]. Elle rappelle qu’elle a saisi l’Inserm afin que la question des effets des SDHI sur la santé soit bien intégrée dans la mise à jour de son expertise collective sur les effets sanitaires liés aux pesticides.

Le 11 septembre 2019, le journaliste Fabrice Nicolino publie un livre intitulé Le crime est presque parfait – L’enquête choc sur les pesticides et les SDHI (voir la note de lecture de C. Hill).

Verger en fleurs et vue d’Arles, Vincent van Gogh (1853-1890)

Le 7 novembre 2019, paraît dans PLoS ONE l’article scientifique de Pierre Rustin et ses collègues [9]. C’est la première fois depuis le début de l’histoire en novembre 2017 (soit au bout de deux années) que des données scientifiques sont publiées par les chercheurs sur le sujet. Il s’agit d’une étude in vitro sur l’inhibition de la succinate déshydrogénase sur quatre types cellulaires : champignons, lombrics, abeille et Homme.

Le même jour, dans un entretien accordé à Libération [10], Pierre Rustin déclare qu’il n’est pas possible de « se permettre d’attendre la catastrophe comme l’Anses semble le faire » et accuse l’agence de mentir « par omission ».

Le lendemain de la publication de PLoS ONE, l’Anses publie un troisième communiqué indiquant que l’article publié la veille « apporte des données nouvelles » et demande à l’Inserm de les prendre en compte dans son expertise en cours. L’agence rappelle cependant qu’« il est hasardeux de comparer les valeurs […] obtenues in vitro dans des conditions de laboratoire avec les concentrations de SDHI qui pourraient résulter des applications des pesticides sur les cultures, comme le soulignent les auteurs dans leur article » [11].

Le 19 novembre 2019, la Commission nationale de déontologie et alerte en santé publique et environnement rend un avis [12] reconnaissant que « la situation est constitutive d’une alerte ». Pour elle, « les données scientifiques présentées par l’équipe de chercheurs sur les dangers des fongicides SDHI sont de qualité et posent un doute sérieux sur des dangers qui ne sont pas actuellement pris en compte dans les procédures de toxicologie appliquées selon la réglementation européenne ». Elle souligne que « des incertitudes substantielles demeurent néanmoins sur les risques qui seraient induits chez l’Homme lors de l’exposition à cette famille de fongicides » et appelle à « la poursuite des recherches et donc des financements dédiés ». Enfin, la commission ajoute que, selon elle, « l’Anses a traité le signalement qui lui a été communiqué par l’équipe de chercheurs de manière réactive et approfondie » et l’invite à « poursuivre dans ce sens ».

Le 21 janvier 2020, Le Monde publie un appel de 450 scientifiques contre les SDHI [13]. Fabrice Nicolino, président de l’association « Nous voulons des coquelicots » annonce le lancement d’une action en justice contre l’autorisation toujours accordée par l’Anses à trois pesticides SDHI en déclarant : « Nous ne voulons plus compter les morts, nous voulons les éviter » [14].

Le 22 janvier 2020, une réunion est organisée à l’Anses à laquelle toutes les parties prenantes qui le souhaitent sont invitées (associations, organismes publics…). Fabrice Nicolino et l’association « Nous voulons des coquelicots » déclinent l’invitation car, selon eux, « accepter un strapontin dans une commission aux échanges préformatés n’est pas à la hauteur de l’enjeu sanitaire que posent les SDHI ». À la place, ils organisent une manifestation devant l’agence au moment même de la réunion [15].

Le 23 janvier 2020, une audition est organisée par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques où sont invités Pierre Rustin et Roger Genet, le directeur de l’Anses [16].

Dans la mise à jour du 21 janvier 2020 de sa page relative aux SDHI, l’Anses rappelle que, dès 2018, elle avait informé les autorités européennes et nord-américaines « du signal concernant les fongicides SDHI et de son auto-saisine sur le sujet » , que début 2019 elle avait transmis à l’EFSA (l’Autorité européenne de sécurité des aliments) et aux États-membres ses conclusions afin qu’ils « se montrent particulièrement attentifs à toute nouvelle donnée lors des processus d’évaluation et de réévaluation en cours ». Et elle réaffirme que « à ce jour, aucun nouvel élément n’est venu confirmer l’existence d’une alerte sanitaire qui conduirait au retrait des autorisations de mise sur le marché en vigueur, conformément aux règlements nationaux et européens relatifs aux produits phytopharmaceutiques » [17].

Références


1 | « Fongicides inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) : l’Anses présente les résultats de son expertise », 15 janvier 2019. Sur anses.fr
2 | Assemblée nationale, « Commission d’enquête sur l’alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l’émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance », compte rendu de l’audition de M. Pierre Rustin, 24 mai 2018. Sur assemblee-nationale.fr.
3 | Schaub C, « Alerte scientifique sur les fongicides », Libération, 15 avril 2018.
4 | Bénit P et al., “A new threat identified in the use of SDHIs pesticides targeting the mitochondrial succinate dehydrogenase enzyme”, bioRxiv, mis en ligne le 29 mars 2018.
5 | « Une révolution urgente semble nécessaire dans l’usage des antifongiques », tribune publiée par « un collectif de chercheurs et de médecins », Libération, 15 avril 2018.
6 | « Il faut stopper au plus vite l’usage des pesticides », tribune publiée dans Le Monde, 4 juin 2019.
7 | « Pétition au parlement européen sur l’évaluation des risques des fongicides SDHI pour la santé humaine, les écosystèmes et les insectes pollinisateurs », 3 juin 2019. Sur pollinis.org
8 | « SDHI : l’Anses fait le point sur les travaux lancés suite à l’avis de janvier 2019 », 25 juillet 2019. Sur anses.fr.
9 | Bénit P, “Evolutionary conserved susceptibility of the mitochondrial respiratory chain to SDHI pesticides and its consequence on the impact of SDHIs on human cultured cells”, PLoS ONE, 7 novembre 2019.
10 | Schaub C, « Fongicides SDHI : “On ne peut se permettre, comme l’Anses, d’attendre la catastrophe” », Libération, 7 novembre 2019.
11 | « Point sur les SDHI », Anses, point d’actualité du 8 novembre 2019.
12 | « Avis sur le signalement de possibles risques liés à l’utilisation de fongicides agissant par inhibition de la succinate déshydrogènase (SDHI) », 18 novembre 2019. Sur alerte-santeenvironnement-deontologie.fr.
13 | « Pesticides SDHI : 450 scientifiques appellent à appliquer le principe de précaution au plus vite », tribune publiée dans Le Monde, 21 janvier 2020.
14 | « Contre les pesticides SDHI, des associations écolos saisissent la justice », Reporterre, 22 janvier 2020. Sur reporterre.net.
15 |« SDHI – les Coquelicots invitent (à nouveau) Roger Genet de l’Anses à discuter. En vain », chaîne de l’association « Nous voulons des coquelicots », YouTube, 22 janvier 2020.
16 | Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, « Audition plénière – Fongicides SDHI », jeudi 23 janvier 2020. Sur videos.senat.fr.
17 | Anses, « Fongicides SDHI »,. mise à jour 21 janvier 2020.