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Coronavirus : une punition divine ?

Publié en ligne le 28 mars 2020 - Covid-19 -
Nous reproduisons ici l’entretien accordé par le président de l’Afis à l’hebdomadaire L’Express, avec l’aimable autorisation du journal. Propos recueillis par Thomas Mahler pour l’Express, publié le 25 mars 2020 sous le titre Coronavirus : « Dans les déclarations de Hulot, il y a un relent de punition divine »

Président de l’Association française pour l’information scientifique, Jean-Paul Krivine critique les discours militants qui associent cette crise à la lutte écologique. La nature nous adresse-t-elle un « ultimatum » à travers le coronavirus, comme l’affirment Nicolas Hulot et nombre de figures écologistes ? Président de l’Association française pour l’information scientifique, qui depuis sa création en 1968 s’est fixée pour mission d’œuvrer pour la science et rationalité, Jean-Paul Krivine déconstruit ces discours du type « je vous l’avais bien dit ! ». Comme il le rappelle, la nature n’est ni bienveillante et accueillante, ni au contraire méchante, « elle se contente d’être ». Et face à ce virus des plus naturels, c’est bien vers la science et la médecine que se tournent tous les regards, afin que cette pandémie fasse bien moins de victimes que par le passé.

L’Express : Nicolas Hulot a déclaré que la crise du coronavirus constitue une « sorte d’ultimatum de la nature », et que celle-ci « nous envoie un message ». De son côté, Noël Mamère, dans une tribune publiée par Le Monde, met en cause le fait que « nous portons atteinte au monde sauvage » qui fait que, en détruisant son habitat, nous rapprochons ce monde de nous « au risque de nous transmettre ses virus qui sont pathogènes pour l’homme ». Est-il juste, d’un point de vue scientifique, de relier le coronavirus à des causes écologiques ?

Jean-Paul Krivine : Nombreux sont ceux qui chercheront dans la crise que nous connaissons aujourd’hui une justification a posteriori de tous leurs combats antérieurs. Les déclarations « je vous l’avais bien dit » qui vont fleurir seront accommodées à toutes les sauces et la science sera invoquée par tous comme preuve définitive de leur propos. Ainsi, l’association Nous voulons des coquelicots qui milite pour l’interdiction des pesticides dits de synthèse n’a pas attendu bien longtemps pour voir « les parallèles évidents entre la crise du coronavirus et l’expansion sans fin des pesticides » et pour affirmer que « la science est de [son] côté » et que cette science « montre que les pesticides sont un poison universel ». Face à cela, elle préfère les « pesticides naturels ».

Dans les déclarations que vous citez, il y a un relent de punition divine : nous avons dérangé « la Nature » et elle revient pour nous demander des comptes, « nous tester sur notre détermination » comme l’affirme Nicolas Hulot sur BFMTV. Nous devrions faire pénitence... et adopter les visions de ces nouveaux prédicateurs d’une nature attentionnée et bienveillante à condition qu’on ne la contrarie pas. En réalité, cette pandémie nous rappelle que l’Homme continue à vivre dans une nature qui n’est ni bienveillante, ni accueillante (ni l’inverse d’ailleurs : la nature se contente d’être...), et l’origine de l’épidémie est tout ce qu’il y a de plus naturel (une zoonose virale, c’est-à-dire la transmission à l’Homme d’un virus présent chez l’animal). Elle n’a rien de « synthétique ». À l’inverse, la plupart de nos concitoyens se tournent vers la science, ses produits « synthétiques » et ses biotechnologies dans l’espoir de traitements efficaces. La vaccination, parfois présentée comme non naturelle, est attendue avec impatience dans un pays où la défiance vaccinale est l’une des plus importantes au monde.

L’Homme est souvent présenté comme un prédateur universel qui n’aurait de cesse que de vouloir détruire son environnement. Les impacts des activités humaines sur l’environnement sont réels, mais il faut les étudier scientifiquement et non pas idéologiquement en opposant l’Homme à la nature. C’est le sens de l’initiative One Health (une seule santé) menée au niveau international sous l’égide de plusieurs agences (dont l’OMS au niveau international ou l’Anses en France) qui consiste à appréhender conjointement santé humaine, santé environnementale, santé végétale et environnement.

Que pensez-vous de ceux qui affirment que cette pandémie doit remettre en cause la mondialisation et le système libéral ?

Il est normal qu’un événement de cette ampleur, une fois qu’il sera passé, donne lieu à un débat et que des leçons soient tirées. Chacun mettra en avant le modèle de société qu’il souhaite voir advenir, en particulier sur le plan économique et social. L’Association française pour l’information scientifique n’intervient pas dans ce champ-là. Espérons juste que cela se fasse sur la base de faits et d’arguments rationnels.

Mais la généralisation des échanges internationaux est pointée du doigt...

Nous ne vivons plus dans des tribus séparées les unes des autres et voyager d’un continent à l’autre est d’une très grande facilité. L’épidémie de coronavirus n’a mis que quelques semaines pour embraser toute la planète quand la grande peste du Moyen Âge avait mis plusieurs années pour couvrir la majeure partie de l’Europe et du pourtour méditerranéen. La généralisation des échanges internationaux a, sans conteste, favorisé la dissémination rapide du virus. Mais dans le même temps, la science a mis en commun ses découvertes à l’échelle de la planète et est devenue universelle. La Chine a été capable de séquencer le virus en quelques jours et les connaissances qu’elle a acquises sur la maladie ont été précieuses pour l’ensemble des autres pays. La recherche d’un vaccin se mène au niveau mondial. Certes, il y aura des rivalités, des enjeux économiques et des disparités suivant le niveau de développement de chacun des pays ou le niveau de vie des personnes. Mais c’est la science et la médecine d’aujourd’hui qui permettent de comprendre la pandémie et d’élaborer les réponses adaptées, et on peut espérer qu’ainsi le coronavirus fera bien moins de victimes que la peste noire du Moyen Âge (25 millions de morts, entre 30 % et 50 % de la population européenne avait péri) ou la grippe espagnole (des dizaines de millions de morts à travers le monde).

Les gens vont-ils davantage se tourner vers la science avec cette crise sanitaire ?

C’est vers la science et la médecine scientifique que la plupart des personnes portent leurs espoirs. Les principaux médias eux-mêmes tournent leurs micros vers des experts reconnus, à la différence de ce qui se passe pour d’autres sujets médiatisés comme l’agriculture ou l’énergie où des « experts » autoproclamés issus de mouvements associatifs partisans occupent l’essentiel de l’espace médiatique. Le gouvernement lui-même affirme prendre ses décisions sur la base d’un éclairage scientifique. C’est une bonne chose et ceci ne peut que contribuer à légitimer l’expertise publique et à renforcer la confiance qui lui est accordée. Cela se poursuivra-t-il quand il s’agira de parler de nouveau d’agriculture, d’énergie et de climat ?

Il semble pourtant y avoir des divergences entre experts, à l’image de la très médiatique polémique autour du professeur Raoult... Comment s’y retrouver ?

Oui, et c’est normal : les connaissances sur le virus, son mode opératoire et ses propriétés infectieuses, si elles progressent rapidement, sont encore bien partielles. Il est ainsi difficile d’évaluer précisément toutes les conséquences d’une décision dans le cadre d’une gestion de crise en situation d’urgence. Il y a le risque que chacun se tourne vers « son » expert, celui dont le propos aura sa faveur, en fonction de sa perception, de ses craintes ou de ses espoirs. La controverse autour de la chloroquine pour traiter les patients atteint de Covid-19 l’illustre parfaitement et rappelle aussi que les méthodes de la science sont complexes et difficiles à comprendre pour le grand public, mais aussi pour bon nombre de décideurs.
Il faut donc ramener cela à la dimension collective de l’expertise. C’est la raison d’être des agences de service public composées d’experts choisis exclusivement sur la base de leurs compétences reconnues par les pairs. C’est cette dimension collective qui peut permettre de diminuer l’impact des guerres d’égos ou des convictions personnelles. Cette expertise doit s’appuyer sur des résultats expérimentaux obtenus par des protocoles normalisés, répliqués par des équipes indépendantes. C’est ce qui se fait avec la chloroquine, indépendamment des résultats obtenus par l’équipe du Pr Raoult à Marseille. Il ne s’agit pas là d’une coquetterie scientifique, mais d’un impératif, particulièrement dans le cadre d’une gestion de crise, pour éviter des remèdes pires que le mal et pour bien définir les patients cibles de potentiels bénéfices thérapeutiques.

L’expertise relative à l’évaluation des risques en santé publique n’est pas une affaire d’opinion ou de « société civile », mais bien une question de connaissances et de résultats scientifiques ; elle doit être collective. Une fois cela reconnu, il reste toute la difficulté de la décision politique qui ne se réduit pas à la seule connaissance scientifique.