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Détecteur de mensonge : une technologie toujours dans l’erreur

Publié en ligne le 29 janvier 2019 - Pseudo-sciences -

Ce texte a été publié dans le Skeptical Inquirer de septembre/octobre 2017 (vol. 41) et traduit en français par Nelson Luce et Maël Seigneur (étudiants en Master 2 rédacteur-traducteur à l’université de Bretagne Occidentale), avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur.

Il m’a souvent été demandé d’intervenir dans des procès ou des enquêtes en tant que conseiller où mon expérience de prestidigitateur pouvait être utile. Cependant, j’ai systématiquement refusé les affaires dans lesquelles le polygraphe, plus communément appelé détecteur de mensonges, constituait un élément de preuve. En revanche, si l’on me demandait de nier l’efficacité ou la fiabilité de cet appareil désuet, je n’hésiterais pas une seule seconde. Les faits sont clairement en défaveur de cette technologie, il est difficile de croire qu’il ait pu être considéré comme valide aussi longtemps.

Jetons un œil à l’histoire de la « détection de mensonges ». L’appareil lui-même se présente sous la forme d’un enchevêtrement cauchemardesque de tubes, de fils électriques, d’électrodes et d’aiguilles en mouvement, donnant l’impression de sortir tout droit d’un dessin animé de Bugs Bunny. À partir de la mesure et de l’affichage de changements dans la respiration, le rythme cardiaque, la pression sanguine, l’activité électrodermale, ainsi que dans d’autres variables du corps humain, plusieurs graphiques complexes sont générés. Un technicien est alors capable – théoriquement – de déterminer si les réponses à un ensemble de questions sont vraies ou fausses. Il n’est pas nécessaire de connaître les différents aspects de la procédure, comme la provenance des questions posées, même si cette information est évidemment de première importance.


Une utilisation officiellement validée malgré les preuves d’inefficacité

Dans un courrier officiel du Pentagone daté du 5 novembre 2002, John P. Stenbit, sous-secrétaire de la Défense pour la commande, le contrôle, les communications et le renseignement, a envoyé une note de service aux directeurs et administrateurs de toutes les institutions militaires principales du département de la Défense dans laquelle il recommandait la poursuite de l’usage du polygraphe en ces termes :  « J’ai récemment relu le rapport du National Research Council 1 sur les preuves scientifiques de la fiabilité du polygraphe. Bien que le rapport contenait de nombreux résultats qui pourraient éventuellement conduire à l’amélioration des méthodes de détection de mensonges, je pense qu’il est important de souligner le fait que le National Research Council a estimé qu’aucune des nouvelles technologies de détection de mensonges ne serait viable ou capable de surpasser le polygraphe dans un avenir proche ».

Je pense que ce rapport serait tout aussi crédible s’il abordait le tarot divinatoire ou les planches de Ouija (utilisées pour permettre la « communication avec les esprits »). Notons qu’il n’est dit nulle part que le polygraphe fonctionnerait ! Il s’agit en vérité d’un assemblage high-tech inutile, qui a systématiquement échoué aux tests de validation menés en double aveugle. Mais la manière dont la note est rédigée laisse croire que l’appareil fonctionne bien. Le paragraphe suivant est encore pire, répétant inlassablement la même affirmation :  « Tandis que le département cherche encore des technologies alternatives dans ce secteur critique, je pense qu’il est important de se rappeler que le rapport du National Research Council a affirmé que le polygraphe était le meilleur outil disponible pour détecter les mensonges ».

 « Le meilleur outil » ? Non, je pense qu’un jet de dés ne serait pas moins fiable. Ensuite, en l’espace d’un seul paragraphe, le sous-secrétaire Stenbit fait par deux fois référence au polygraphe comme un « outil important » :  « dans les mois à venir, notre pays va faire face à de nombreux défis en termes de sécurité du territoire. Le polygraphe demeure un outil important pour détecter les mensonges pour des affaires concernant la sécurité du territoire ou pour les services chargés de l’application de la loi. Lorsque la situation est appropriée et que nous y sommes autorisés, je recommande de continuer à utiliser le polygraphe comme un outil important dans notre prise de décision globale ». Alors qu’en réalité, il est pratiquement inutile selon ledit rapport du NRC, comme nous le verrons plus loin. Il s’agit simplement d’un déni flagrant des faits pour soutenir une opinion erronée, bien qu’officielle. Fin 2002, comme s’il s’agissait d’une réponse aux commentaires de Stenbit, le NRC a publié son rapport officiel quant à l’utilisation du polygraphe. Le sous-secrétaire Stenbit a complètement ignoré la principale conclusion de ce rapport, à savoir que l’utilisation de l’appareil était injustifiée, voire dangereuse pour la sécurité du territoire. Ledit rapport n’a pas non plus qualifié la polygraphie de  « meilleur outil disponible pour détecter les mensonges » comme Stenbit l’a écrit. Dans son résumé, le NRC conclut :  « Dans l’ensemble, la preuve [de la fiabilité du polygraphe] est maigre et scientifiquement pauvre, plusieurs alternatives potentielles sont prometteuses, mais aucune d’entre elles n’a encore fait mieux que le polygraphe. »

Ainsi, puisque le polygraphe n’est pas plus fiable que l’oracle de Delphes (une autre source fragile, bien que beaucoup plus ancienne), il semble difficile de le soutenir. Concernant la polygraphie en général, le NRC a déclaré qu’il  « n’existe aucune preuve fondamentale soutenant une valeur ajoutée des tests polygraphiques, une capacité à apporter une valeur prédictive supplémentaire à ce qui peut être accompli via d’autres méthodes ».

L’espionne Mata Hari habillée en danseuse javanaise (1906)


Espions et agents doubles jamais démasqués

Mais parlons des faits réels. Un reportage de CBS News traitant d’un attentat-suicide à la bombe dans une base de la CIA en Afghanistan rapportait, à propos de la présence d’un espion dans la base :  « L’agent double a été amené dans la base sans même avoir passé de test polygraphique, l’un des outils de base permettant d’établir la fiabilité d’un espion. » Cela n’a aucun sens, le polygraphe ne fonctionne tout simplement pas.

L’histoire de cette vaste farce est longue et complexe, elle implique de piètres « experts » avides de succès et des forces de l’ordre acceptant d’un air suffisant des affirmations comme si elles étaient vraies. Outre cette affaire en Afghanistan, mentionnons quelques autres exemples particulièrement frappants : en 1985, l’utilisation du polygraphe n’a pas permis de détecter que Larry Wu-Tai Chin, un interprète chinois travaillant pour la CIA dans des domaines critiques, revendait des informations cruciales au gouvernement chinois, et ce, pendant 33 ans, malgré les nombreux tests polygraphiques qu’il a passés. En 1994, Aldrich Ames, un éminent analyste de la CIA, a passé sans encombre de nombreux tests polygraphiques alors qu’il travaillait comme espion pour le gouvernement soviétique depuis des années. Aldrich Ames l’a même directement confirmé au Skeptical Inquirer : après la publication en 2001 d’un article de Alan P. Zelicoff des laboratoires Sandia dénonçant les tests polygraphiques, Ames a écrit au Skeptical Inquirer pour corroborer les dires de l’auteur et décrire les polygraphes comme « de la camelote » et « une superstition » 2. En 2001, Robert Hanssen du FBI n’a pas été repéré malgré les tests régulièrement effectués sur les employés du FBI et utilisant un polygraphe. Sa traîtrise a été décrite dans un rapport du FBI Security Programs (programmes de sécurité du FBI) comme  « la pire catastrophe en matière de renseignements dans l’histoire des États-Unis ».

Le fait est qu’aucun espion n’a jamais été arrêté grâce aux tests polygraphiques

En 2003, la NAS a publié son rapport final intitulé The Polygraph and Lie Detection (Le polygraphe et la détection de mensonges) qui juge la majorité des recherches sur le polygraphe  « non fiables, non scientifiques et biaisées ». Dans les utilisations relatives aux problèmes de sécurité nationale et de maintien de l’ordre, le niveau de précision chute tellement que  « la précision pour distinguer une menace véritable ou potentielle à la sécurité d’un sujet de test innocent n’est pas suffisante pour justifier l’utilisation de cet appareil dans le contrôle de sécurité des employés des agences fédérales ».

De plus, la NAS juge inacceptable le haut taux de faux positifs obtenus avec l’appareil. Le physicien et CSI Fellow (distinction très respectée dans les services financiers au Canada) Bob Parks, avec son humour caustique habituel, est intervenu à ce sujet :  « j’ai soutenu, cependant, que le vrai problème résidait dans le peu de vrais positifs. Je propose de remplacer le polygraphe par le jeu de pile ou face. On démasquerait ainsi 50 % des agents doubles contre 0 % avec le polygraphe. L’augmentation déplorable de faux positifs représente un dommage collatéral, chose inévitable à la guerre ».

Médias et grand public

Les médias s’en donnent également à cœur joie avec ce gadget électronique qui permet d’ajouter des lasers, des bruits étranges et du mystère à tant de leurs histoires. Début 2010, un couple candidat à l’adoption (désigné suspect potentiel par le FBI dans le cadre de la disparition d’un bébé de huit mois en Arizona) a demandé à passer un test polygraphique en direct à la télévision pour déterminer si oui ou non il disait la vérité. Le test fut correctement mis en place et les inspecteurs annoncèrent le résultat le lendemain : peu concluant.

Cependant, le grand public perçoit toujours le polygraphe comme un appareil fiable. Les médias ne mentionnent que rarement, si ce n’est jamais, les objections scientifiques quant à la validité de l’appareil. En fait, comme le souligne encore une fois le facétieux Bob Parks :  « le polygraphe recherche des pics au niveau de la pression sanguine, du rythme cardiaque, de la respiration et de la transpiration. En d’autres termes, on ne peut pas différencier le mensonge de l’acte sexuel ».


Les références fallacieuses du département de la Défense

Stephen E. Fienberg, directeur du département des statistiques à l’université Carnegie-Mellon de Pittsburgh a présidé le comité désigné par la NAS pour évaluer la validité de la polygraphie :  « elle est partout, dans toutes les agences gouvernementales imaginables, même la poste ». Il ressort de la conclusion du comité qu’au-delà d’une pseudo-science tout juste bonne à obscurcir la vérité pour les plus naïfs, les recherches effectuées à ce sujet depuis près d’un siècle n’ont pas apporté grand-chose. Ainsi, Fienberg a été plutôt surpris de voir le rapport du comité utilisé pour justifier la demande d’augmentation potentielle du nombre de tests de détection de mensonges autorisés chaque année au sein du département de la Défense des États-Unis (DoD – Department of Defense).

Dans un rapport rédigé avec le congrès en janvier, le DoD déclare avoir mené plus de 11 500 de ces tests en 2002. Cela représente plus de vingt par jour ! Sur ce total, 4 219 l’ont été dans le cadre du contre-espionnage. Le nombre de tests est limité légalement à 5 000 par an en vertu d’une loi datant de 1991. Selon Steven Aftergood qui supervise la politique en matière de polygraphe pour la Federation of American Scientists (Fédération des scientifiques américains), le DoD a averti le Congrès qu’il pourrait demander l’autorisation de dépasser cette limite, citant l’analyse de la NAS à l’appui de sa demande. Le rapport du DoD stipulait :  « il est important de noter que le rapport du l’Académie des sciences conclut également que la technique du polygraphe est le meilleur outil disponible pour détecter les mensonges et évaluer l’honnêteté... Le département continuera d’utiliser le polygraphe comme par le passé, dans l’attente de progrès technologiques ou méthodologiques résultant d’une recherche scientifique ».

Les amis, n’importe quoi serait un « progrès technologique » par rapport à ce jouet high-tech, le « meilleur outil disponible » ! Un biscuit chinois ferait mieux l’affaire ! Fienberg a magnanimement qualifié la référence du DoD au rapport de la NAS de « fallacieuse ». D’après un porte-parole du DoD, la déclaration stipulant que des technologies plus prometteuses sont sur le point d’émerger mais qu’aucune n’a encore supplanté le polygraphe est tirée directement de la conclusion du comité de la NAS. Il aurait pu ajouter que la petite souris n’a pas encore remplacé d’autres moyens de donner de l’argent aux enfants. Bien que le porte-parole du DoD ait cité le Bureau de l’inspecteur général comme un des corps gouvernementaux utilisant les polygraphes, Don White, porte-parole de ce Bureau au ministère fédéral de la santé et des services sociaux, a refusé de révéler si les détecteurs de mensonges faisaient partie ou non de leurs procédures d’enquête.

Une phrénologie des temps modernes

Pour conclure la dénonciation de cette pseudo-science, je rappellerai d’abord que dans le Skeptical Inquirer de mars/avril 2013, le Dr L. G. Wade Jr. réagissait à un article sur la phrénologie, l’ « art » de déterminer le caractère et les talents en lisant les bosses du crâne humain. À une époque, cette technique était vraiment utilisée par les employeurs, l’armée et même durant les procédures judiciaires, pour sonder les personnes, notamment en France. Elle était considérée comme une vraie science, tout comme la polygraphie aujourd’hui. Le Dr Wade écrivait donc :  « ce sont deux affaires qui ont attiré mon attention sur le “détecteur de mensonges” : celle de l’assistant trésorier d’un comté accusé à tort de malversation, et celle d’un veuf désemparé accusé à tort d’avoir assassiné sa femme. Ces deux accusés “échouèrent” au test polygraphique (quoi que cela veuille dire) et furent immédiatement condamnés dans les journaux, ce qui détruisit leur réputation. Ils furent tous deux innocentés ultérieurement. Le polygraphe mesure les indicateurs de stress et les personnes honnêtes accusées à tort de crimes atroces sont susceptibles d’“échouer” au test. D’un autre côté, les criminels endurcis ne stressent pas beaucoup quand on leur parle de leurs actions ».

Contrairement à la phrénologie, les tests polygraphiques sont toujours utilisés et acceptés par les forces de l’ordre et le gouvernement aux États-Unis. Ils sont encore utilisés et obligatoires pour une grande variété d’emplois au FBI, à la CIA et dans les services de police.

Que faire si l’on vous demande de passer un test polygraphique ? Si vous acceptez d’en passer un, vous êtes peut-être en train de placer votre réputation dans les mains d’un charlatan involontaire qui peut vous proclamer coupable ou innocent. Si vous refusez, vous serez présumé coupable. J’aimerais voir la CSI (Crime Scene Investigation) faire une étude minutieuse et dénoncer ces balivernes polygraphiques. Notre gouvernement devrait être contraint d’abandonner cette pseudo-science.


IRM et détection de mensonges : les mensonges dans la machine

En 2003, en Grande-Bretagne, une femme de 42 ans fut accusée du meurtre d’une enfant handicapée dont elle assurait la garde. Quatre ans plus tard, protestant toujours de son innocence, et après avoir purgé sa peine de prison, elle fut soumise par le Dr Sean Spence à une expérimentation en IRM fonctionnelle cérébrale.

Installée dans la machine, elle était exposée à des questions auxquelles elle devait répondre en appuyant sur un bouton « OUI » ou « NON » (par exemple « Êtes-vous innocente des accusations qui sont portées contre vous ? », « Lui avez-vous délibérément fait du mal ? », etc.). Spence et ses collègues, en se basant sur les activations cérébrales associées à ses réponses, conclurent à son innocence et publièrent un article détaillant le cas [1].

Il ne s’agissait pas de la première étude en imagerie fonctionnelle cérébrale qui se soit penchée sur les corrélats cérébraux du mensonge (vis-à-vis de la vérité), mais probablement celle qui rencontra le plus grand retentissement. Pour une revue des premiers travaux qui sont discutés dans ce paragraphe, voir [2]. À la différence du polygraphe (le détecteur de mensonges), l’imagerie fonctionnelle ne cherche pas à mesurer la charge émotionnelle du mensonge, mais à démontrer la présence d’une implication cognitive plus importante. En effet, produire une réponse erronée alors que la réponse véritable est connue requiert un engagement des fonctions exécutives du cortex préfrontal visant à inhiber le comportement le plus immédiat (répondre « OUI » si je sais que la réponse est « OUI ») pour produire la réponse inadéquate. Cette inhibition se traduit notamment par un allongement du temps de réaction de 200 ms par rapport à la production de la réponse connue comme vraie. Le fait de devoir inhiber une réponse spontanée a été associé à l’activation d’une zone cérébrale située dans la région ventro-latérale du cortex préfrontal droit [3]. Cette activation a été attribuée au contrôle inhibiteur de la réponse connue comme vraie, ainsi qu’à l’élaboration et la production de la réponse connue comme fausse [4].

Ainsi, lorsque la jeune femme endossait les affirmations de ses accusateurs, une activation du cortex préfrontal ventro-latéral et du gyrus cingulaire antérieur était constatée, comme si elle devait inhiber ce qui aurait constitué une réponse « naturelle ». Mais la réponse la plus « naturelle » n’était-elle pas ce qu’elle avait répété incessamment depuis plusieurs années : n’avoir pas commis cet acte ? La vérité de chacun n’est-elle pas qu’une formulation personnelle à laquelle nous avons fini par adhérer ?

Les limites du polygraphe ont stimulé la recherche en imagerie fonctionnelle. Les premières études comparatives ont été publiées, qui semblent favoriser la pertinence de l’imagerie fonctionnelle par rapport au polygraphe [5]. De fait, les polygraphes utilisés aujourd’hui ne diffèrent pas tellement de celui de l’officier de police John Larsson dans les années 1920. La critique portait alors sur la supposition préalable selon laquelle les questions embarrassantes susciteraient une réaction émotionnelle plus importante chez le menteur (donc le coupable) que chez l’innocent 3.

Mais l’imagerie fonctionnelle a aussi ses présupposés : que le menteur est le coupable, alors qu’un innocent peut aussi mentir pour d’autres raisons que de masquer sa culpabilité, ou que la vérité du coupable s’est forgée sur une conviction toute personnelle…

Laurent Vercueil
(neurologue et neurophysiologiste, CHU de Grenoble et Inserm)


L’usage du détecteur de mensonge et le droit pénal français

L’article 427 du code de procédure pénale dispose que  « les infractions sont établies par tout mode de preuve ». Si le principe consacré en matière d’administration de la preuve pénale est donc celui de la liberté, il est néanmoins encadré par son corollaire non moins essentiel : l’exigence de loyauté dans la recherche de la preuve 4.
L’utilisation de procédés déloyaux est, en vertu du principe de loyauté, unanimement réprouvée par la doctrine et la jurisprudence lesquelles tiennent pour une nécessité impérieuse que la recherche de la preuve soit conduite dans le respect non seulement des droits de la défense, mais également de la dignité de la personne.
Toute forme de violence dans la recherche de la preuve est ainsi évidemment prohibée, la liberté de la preuve consacrée par le code de procédure pénale ne pouvant jamais conduire à blesser l’individu dans ses droits fondamentaux ou sa dignité, valeur essentielle consacrée par l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme.
La protection de ces valeurs fondamentales interdit également que l’aveu soit extorqué par des procédés « d’établissement de la vérité », au rang desquels le polygraphe ou détecteur de mensonge à la fiabilité au demeurant contestable et contestée, qui porteraient gravement atteinte au droit au respect de l’intégrité de la personne.
Selon la formule du professeur Jacques Léauté,  « si l’argousin qui interrogeait avec ses poings a tendance à disparaître pour laisser place au technicien de la chimie, de la biologie ou de la psychologie, “l’essence de l’aveu” ne saurait cependant jamais faire défaut. Celui-ci doit par conséquent procéder d’une démarche libre, consciente, volontaire et respectueuse du droit de se taire » 5.
L’usage du polygraphe est en conséquence strictement interdit en France – certains étant même allés jusqu’à le répertorier dans la catégorie des  « tortures propres » 6 consistant en l’obtention d’aveux par l’emploi de procédés chimiques, médicaux et psychiatriques détruisant la personnalité de l’individu poursuivi et le transformant en un être docile, prêt à toutes les confessions et tous les reniements.

Elsa Loizzo (avocate)


Références

[1] Spence SA, Kaylor-Hughes CJ, Brook ML, Lankappa ST, Wilkinson ID, “Munchhausen’s syndrome by proxy’or a ‘miscarriage of justice’ ? An initial application of functional neuroimagins to the question of guilt versus innocence”, Eur Psychiatry, 2008, 23 :427-439.
[2] Spence SA et al., “A cognitive neurobiological account of deception : evidence from functional neuroimaging”,
Phil Trans R Soc Lond B, 2004, 359 :1755-1762.
[3] Garavan H, Ross TJ, Stein EA, “Right hemispheric dominance of inhibitory control : an event-related fMRI study“, Proc Natl Acad Sci USA, 1999, 96 :8301-8306.
[4] Gamer M, Ambach W, “Deception research today”,
Front Psychol, 2014, 5 :256.
[5] Langleben et al., “Polygraphy and Functional Magnetic Resonance Imaging in Lie Detection : A controlled blind comparison using the concealed information test”,
J Clin Psychiatry, 2016, 77 :1372-1380.

1 Le NRC, conseil national de la recherche, est une instance qui dépend de l’Académie nationale des sciences (NAS – National Academy of Sciences) américaine.

2 Le Skeptical Inquirer a publié sa lettre [vol. 25, 2001] ; voir également l’article “The Lie Detector Test Revisited” (Le test polygraphique revisité) du Dr. Morton Tavel.

3 Ces critiques ont conduit à développer des formes de questionnaires différents des premiers utilisés (Control Question Test). Dans le Concealed Information Test par exemple, les informations pertinentes sont masquées au sein d’informations neutres et il est attendu du menteur qu’il se comporte différemment lorsqu’il est confronté aux informations pertinentes. Dans le Differentiation of Deception Test le sujet doit donner des réponses vraies et des réponses fausses de façon délibérée pour chaque moitié des questions qui lui sont présentées.

4 Sur ces questions, lire l’excellente thèse de Me Emmanuel Molina, La liberté de la preuve des infractions en droit français contemporain, Éditions PUAM, 2001.

5 Léauté J, « Les procédés nouveaux d’investigation et la protection des droits de la défense », Rev. sc. crim. 1958,p. 19.

6 Lauret JC, Lassierra R, La torture propre,