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La force d’une croyance peut être immense

Publié en ligne le 27 octobre 2008 - Paranormal -

Il y a plus de vingt ans maintenant a été lancé ce qui s’est ensuite appelé le « Prix-Défi international » doté dans les dernières années de 200 000 euros. Il s’agissait en fait d’un « appel à preuve » à toute personne se prétendant dotée d’un pouvoir particulier « paranormal » ; il suffisait que la personne nous fasse la démonstration de son don dans des conditions définies à l’avance d’un commun accord (et écrit !) pour encaisser le chèque.

Ce Défi, qui a duré pendant 15 ans 1, de 1987 à 2002, a été pour nous l’occasion d’établir des contacts et de rencontrer de très nombreuses personnes affirmant avoir des pouvoirs paranormaux ou déclarant faire des recherches sur ces sujets.

À propos de ce Prix-Défi, on a souvent demandé à Jacques Theodor (signataire du chèque) et à moi-même ce qui pouvait bien nous pousser à faire de telles recherches. La boutade (« c’est le prix Nobel assuré si le pouvoir est prouvé ! ») donnée quelquefois comme réponse n’ayant pas toujours déridé les personnes présentes, je vous livre la réponse de Jacques à la question plus spécifique qui lui était adressée « N’avez-vous pas peur de perdre vos 200 000 euros ? » : « Mais pas du tout, c’est au contraire… le meilleur des placements ! Imaginez un peu le succès mondial de librairie de l’ouvrage que j’écrirais alors et qui présenterait LE médium et ses fabuleux pouvoirs… »

Des personnes de bonne foi…

Pour en revenir à des choses plus sérieuses, le premier point fort qui s’est dégagé de tous les contacts que nous avons eus est que – dans la très grande majorité des cas – les personnes revendiquant des dons paranormaux le font de manière tout à fait désintéressée et surtout croient sincèrement avoir des pouvoirs qu’ils pourraient démontrer lors d’expériences tests 2.

Nous avons été surpris de voir à quel point ces personnes – qui pourtant pensent faire des « expériences », qui nous disent « je l’ai expérimenté de nombreuses fois… » – n’ont pas la moindre idée de ce que signifie une preuve, un contrôle en double ou simple aveugle… la plupart ne songeant même pas à vérifier la simple existence du phénomène avant de se lancer dans de grandes théories explicatives.

Ce que l’on peut souligner sur l’ensemble des tests – menés en accord complet avec les candidats, aucun test n’était imposé –, c’est le fossé qui sépare les prétentions des candidats (de bonne foi, nous le répétons encore, pour la très grande majorité d’entre eux) quant à leurs capacités et les résultats qu’ils obtiennent dans des expériences réalisées dans une ambiance cordiale et selon un protocole très simple qu’ils ont eux-mêmes entièrement agréé. Pas même le début du commencement de l’ombre d’une petite preuve, malgré les quinze années pendant lesquelles le Prix-Défi international a été ouvert.

Avec ces personnes, nous avons – à quelques très rares exceptions près – toujours établi et gardé un bon contact en toute sympathie et les relations se sont toujours déroulées dans une ambiance franchement cordiale et sans aucun a priori.

…et d’autres qui défendent un gagne-pain

En revanche, si l’on considère non pas les personnes alléguant avoir des pouvoirs et se présentant au Défi, mais les parapsychologues qui sont censés avoir étudié ces « médiums » ou des cas équivalents, ceux-ci ont eu des réactions souvent virulentes, quelquefois déplacées et presque toujours ridicules.

Leurs « réactions », c’est-à-dire en fait souvent uniquement leurs dires sur le Défi car ils ne semblent pas très pressés de venir présenter leurs champions, ceux dont ils affirment à longueur de médias que les capacités extra-sensorielles ont été prouvées... Il semble que ces parapsychologues ignorent vraiment que « dire c’est bien, faire c’est mieux ». Mais, bien sûr, à l’impossible nul n’est tenu et peut-être – simple supposition – savaient-ils pertinemment que leurs protégés n’avaient pas – pas toujours (sans doute la fatigue psychique qui fait s’évanouir les pouvoirs) – les pouvoirs allégués ?

Il semblerait que la remise en cause de leur crédibilité ou de leur gagne-pain ou « gagne-notoriété » n’a pas été très appréciée du côté des métapsychistes, parapsychologues et autres gourous. Leur réaction a été à la mesure de l’efficacité des zététiciens 3 et autres sceptiques et cette réaction un peu épidermique des parapsychologues nous a confortés dans la justesse du type d’approche que nous avions entreprise.

Et lorsque, n’ayant plus aucun argument, des parapsychologues nous ressortent rituellement que « la communauté scientifique a l’esprit borné », que « les scientifiques ont l’esprit fermé à toute initiative innovante », je rappelle simplement, comme le disait il y a fort longtemps le biologiste Jean Rostand, qu’« avoir l’esprit ouvert... n’est pas l’avoir béant à toutes les sottises ».

Le rêve et l’imagination se trouvent du côté des zététiciens (qui conçoivent – en accord complet avec les « médiums » – de jolies et simples expériences permettant de tester les revendications de base de ces personnes et font donc ainsi la preuve d’un esprit réellement ouvert à la nouveauté et toujours prêt à envisager de nombreuses possibilités) et non du côté des parapsychologues (qui, contrairement à la présentation qu’ils aiment donner d’eux-mêmes, sont essentiellement dogmatiques, ressassent des « expériences » remontant à des décennies et n’ont pas évolué d’un iota dans leurs positions de principe ou leurs explications).

Il faut donc rappeler au public que nous sommes pour le rêve, pour la recherche, pour le progrès, en un mot pour l’Homme.

Un bon chercheur a besoin d’informations, d’outils et... d’imagination. En effet, la rationalité scientifique n’empiète en rien sur la liberté de penser ou de rêver et l’imagination est même une des composantes fondamentales de l’être humain et trouve toute sa place dans la recherche, en science comme ailleurs. Il faut simplement veiller à ne pas confondre poésie, hypothèse de salon et hypothèse de travail ; c’est pourquoi je m’évertue à rappeler sans relâche, que le droit au rêve a pour pendant le devoir de vigilance.

La force d’une croyance

Lorsque des parapsychologues, métapsychistes ou autres parapsyphiles veulent argumenter, on voit bien qu’ils connaissent en fait très peu du sujet sinon uniquement de manière livresque ou prétendument sociologique ou philosophique, bien loin d’une connaissance concrète, réelle, pratique, du sujet expérimental. Ils déclarent en fait à l’envi ex cathedra leur article de foi, à savoir que nos expériences seraient simplistes et ne s’approcheraient donc pas (cette partie est souvent – subtilement ? – sous-entendue) de la scientificité des expériences qu’eux-mêmes ou leurs collègues, grands parapsychologues ou métapsychistes internationaux, savent bien sûr mettre en forme dans leurs « recherches ».

Ce type d’argument fait bien sûr doucement sourire les auditeurs qui connaissent un peu la question et qui savent pertinemment que la scientificité d’une expérience dépend essentiellement de la démarche adoptée et non de la sophistication apparente, des paillettes de l’appareillage utilisé ou des déclamations urbi et orbi de pontes auto-proclamés.

Et le sourire augmente encore quand on pense à des cas concrets, par exemple au plus grand « ponte » de la recherche Psi, le vénéré J. B. Rhine, qui – sans sourciller – applique et fait appliquer systématiquement une loi binomiale sur un tirage de cartes... où il n’y a pas de remise, c’est-à-dire où la probabilité de succès n’est PAS constante 4 ! Le simple b-a-ba d’un tirage de cartes et des calculs statistiques associés n’est même pas respecté et l’on vient nous déclarer que les procédés de Rhine sont valides ?

Dans cet exemple, même si la variation de probabilité induite par cette erreur de procédé (oui, « erreur » est bien le terme exact si l’on désire appliquer la loi binomiale, ce que Rhine et ses collaborateurs semblaient désirer ou pensaient être en droit d’appliquer !) n’est pas très grande, un vrai chercheur – même débutant – aurait bien sûr modifié immédiatement et très simplement le protocole et procédé à la remise de la carte tirée dans le jeu afin de se trouver dans les seules véritables conditions correctes – et simples à contrôler – d’application de la loi en question.

C’est dans ce genre de dérives, d’erreurs ou d’entêtements (que nous allons développer ci-dessous) que l’on constate le plus clairement l’impact de la facette de zététique à toujours garder en mémoire : « La force d’une croyance peut être immense ».

Après cela on s’étonnera moins du peu de méticulosité (euphémisme ?) des expériences mises en place par les parapsychologues et autres métapsychistes, ainsi que de la superbe déclaration de J.-B. Rhine après la découverte (... pas par lui !) de la fraude du Directeur de l’Institut de Parapsychologie (son propre successeur... choisi par lui-même !) : « Comment a-t-il pu sentir la nécessité de faire une telle chose après tous les succès qu’il avait eus ? ».

La naïveté du questionnement est littéralement sidérante ! Un peu comme le chasseur de sanglier qui écrivait à François Canac (co-auteur d’un ouvrage sur la radiesthésie) : « Savez-vous que mon garde-chasse repère avec le pendule la présence de sangliers dans une forêt ? J’ai même découvert un fait nouveau et extrêmement intéressant, c’est que les sangliers sont sensibles au fluide radiesthésique. Et la meilleure preuve c’est que, quand je vais à l’endroit indiqué par le garde-chasse, les sangliers qui se sont méfiés sont toujours partis » 5.

Ainsi chassent les parapsyphiles.

Exemples d’escalade d’engagement

Si je vous demande d’aller voir à une date fixée (et je vous donne une place gratuite) le film Y et que, lors du visionnement, vous trouvez ce film absolument, totalement, abominablement nul, il y a de bonnes chances pour que vous quittiez la salle avant la fin de la séance. Si, par contre, c’est vous – et vous seul, entièrement libre – qui avez décidé d’aller voir le film Y, à la date que vous désirez et que vous payez votre entrée... votre comportement risque alors d’être fort différent. Vous êtes toujours la même personne, le film est strictement le même – toujours aussi abominablement nul – mais, cette fois-ci, il y a de bonnes chances pour que vous restiez dans la salle à subir ce film jusqu’à la fin !

Des expériences de psychologie sociale menées par Robert Cialdini* et ses collaborateurs ont bien mis en évidence cet effet qui consiste à persévérer dans son choix même s’il n’est manifestement pas le plus judicieux.

En fait ce comportement humain est fondé sur une adhérence** un peu particulière, une adhérence au comportement même de décision et non aux raisons – bonnes ou mauvaises, peu importe – qui sont censées orienter ce comportement. Nous nous trouvons, en fait, face à une persévération de l’activité de décision.

* Cialdini, R., & al. (1978). « Low-ball procedure for producing compliance : commitment then cost. » ; Journal of Personality and Social Psychology, 36, 463-476. Pour quelques informations sur ces expériences, cf. l’effet “escalade” dans H. Broch, Gourous, sorciers et savants, éd. Odile Jacob 2006, p. 61-64

** Le terme adhésion correspondrait à l’idée de souscrire à quelque chose alors que adhérence traduit mieux, à mon sens, le côté non-réflexif, le côté collé à, le côté un peu arapède…

L’escalade

Ajoutez à cela le regrettable entêtement qui semble toucher quelquefois les tenants de la parapsychologie, entêtement qui – même si ce comportement pourrait quelquefois se révéler utile – n’est évidemment pas la qualité première que l’on attend chez un chercheur.

Comme je l’explicite depuis plus d’une vingtaine d’années 6, on s’étonne souvent de rencontrer dans le domaine du paranormal des parapsychologues qui – malgré les résultats négatifs de leurs propres recherches – continuent à chercher sur le même thème et avec des méthodes équivalentes.

En fait, le ressort fondamental qui fait perdurer la quête en parapsychologie en dépit de sévères déboires est tout simplement la tendance humaine à « en vouloir pour son argent ». Le parapsychologue qui se rend compte qu’il s’est fourvoyé, qu’il a fait fausse route pendant des lustres, se trouve dans un cul-de-sac intellectuel et la seule manière pour lui de ne pas perdre la face vis-à-vis des autres et de lui-même est de se la voiler. « Nom de Zeus ! Ce n’est pas possible, je ne peux pas me tromper à ce point ; il doit y avoir quelque chose de vrai, la psychokinèse doit exister. » Avec un tel présupposé, le parapsychologue continuera fébrilement son activité pseudo-scientifique. La base de ce comportement est ce que les psychologues nomment l’escalade d’engagement 7 (voir encadré).

Sans être en rien caricatural, nous pouvons dire que le domaine du paranormal est caractérisé par le fait que – quelle que soit la somme d’efforts, d’argent et d’expérimentations investie – les résultats de la recherche n’ont pas avancé d’un seul iota (au contraire même, en intensité des phénomènes allégués, nous avons assisté au cours des décennies à... une baisse continue 8 !) et les revendications sont toujours aussi faibles et surtout aussi peu fructifères.

La décroissance de l’importance des phénomènes allégués au cours du temps.
La décroissance de l’importance des phénomènes allégués au cours du temps.

Le principe de parcimonie des hypothèses, rasoir d’Occam, prend alors toute son importance et peut ici s’appliquer globalement vis-à-vis du champ cognitif 9 que constitue par exemple la parapsychologie. En termes clairs, et même si certains penseront que la formulation est dure, l’hypothèse la moins coûteuse – donc la plus probable et celle à préférer jusqu’à plus ample informé – est : « Ce qui reste concrètement de la parapsychologie après avoir déduit les cas de fraude, c’est essentiellement la propension humaine à abuser les autres et à s’abuser soi-même. »

1 « Phénomènes paranormaux : 15 ans de tests et d’expériences au Laboratoire de Zététique », Science et pseudo-sciences n° 261, Mars 2004.

2 Ce qui, notons-le au passage, ne simplifie rien pour la tenue des expériences car, comme le rappelait le Dr Gustave Le Bon, « En matière de témoignage, c’est la bonne foi des individus qui est dangereuse et non leur mauvaise foi ».

3 La zététique est la « méthode dont on se sert pour pénétrer la raison des choses » (Littré, 1872). Pour plus d’informations et pour un développement du présent article, cf. Henri Broch L’Art du Doute ou comment s’affranchir du prêt-à-penser (collection “Une chandelle dans les ténèbres”), éd. Book-e-book 2008.

4 Cf. Henri Broch : L’Art du Doute ou comment s’affranchir du prêt-à-penser, éd. Book-e-book 2008. L’exemple le plus amusant est peut-être celui que j’ai découvert sur la “feuille d’instruction” toujours incluse dans tout paquet de cartes de Zener fabriqué et vendu par l’Institut de Parapsychologie de J.B. Rhine et qui vous donne les valeurs de succès calculées avec la loi binomiale pour un procédé de tirage qu’ils décrivent explicitement dans cette même feuille d’instruction et qui est… sans remise !

5 H. Broch, Le Paranormal, Le Seuil, 2007.

6 C’était l’effet « 50 centimes » dans Le Paranormal, Le Seuil, 1985, pp. 191-192.

7 R.V. Joule, J.L. Beauvois, Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, Presses universitaires de Grenoble 1987.

8 Pour avoir, par exemple, une idée de la baisse de l’intensité du pouvoir de psychokinèse – pouvoir censé déplacer des objets à distance par la seule concentration de l’esprit – cf. G. Charpak, H. Broch, Devenez sorciers, devenez savants, éd. Odile Jacob 2002, p. 195-197.

9 Un champ cognitif est un secteur de l’activité humaine qui vise à recueillir, diffuser ou utiliser des connaissances d’un certain type (que ces connaissances soient vraies ou fausses, peu importe). Les champs cognitifs recouvrent donc aussi bien les champs de recherche que les champs de croyance.


Thème : Paranormal

Mots-clés : Parapsychologie

Publié dans le n° 282 de la revue


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L' auteur

Henri Broch

Henri Broch est physicien, docteur ès sciences et professeur émérite à l’Université de Nice Sophia-Antipolis. Il (...)

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