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La pseudo-science et ses dénonceurs

Publié en ligne le 11 juillet 2004 - Pseudo-sciences -
par Michel Rouzé - SPS n° 226-227-229-230

Avertissement Ce dossier est la compilation de quatre articles publiés par Michel Rouzé dans les N° 226-227-229 et 230 de SPS. Ces articles étaient la reprise et l’actualisation d’un ouvrage la Parapsychologie en question (épuisé), du même auteur paru, chez Hachette en 1979.

La préhistoire du paranormal

A l’aube lointaine de l’humanité, le concept de paranormal ne pouvait exister. Il ne se comprend que si on l’oppose au normal, c’est-à-dire à l’ensemble des phénomènes dans lesquels l’intelligence humaine démêle des relations constantes de cause à effet, extérieures à l’homme, indépendantes de sa volonté, et dont la connaissance lui permet d’agir sur la nature. Une telle appréhension de l’univers matériel, opposé à l’univers mental, n’a émergé que lentement dans le cerveau de nos ancêtres. Certes, l’animal a déjà conscience des régularités physiques. Il sait, par exemple, qu’un objet lâché en l’air retombe avec force vers le sol et, s’il est fragile, peut s’y briser. En un sens même on pourrait dire que pour lui tout est normal, puisque rien dans son comportement ne paraît lié à l’idée qu’une force psychique, une attitude subjective, une représentation symbolique du résultat cherché soit capable d’agir sur les phénomènes. C’est l’homme qui, prenant conscience de lui-même en tant que sujet pensant, a conçu l’esprit comme une réalité autonome, interagissant avec la réalité matérielle.

Nous ne saurons jamais comment s’est opérée cette mutation. Elle a sûrement été progressive, comme l’apparition du langage. Nous en trouvons les premières traces dans les activités magiques, qui se perpétuent jusqu’à nos jours. La magie, les croyances religieuses, la connaissance scientifique (ou plutôt pré-scientifique), la technologie ont été longtemps confondues dans un même ensemble de représentations sur les rapports de l’homme avec la nature. Entre ces divers domaines, la séparation est encore loin d’être achevée. En entreprendre la démonstration nous entraînerait bien au-delà de notre sujet. Tâchons seulement de démêler ce qui, dans les conceptions et les pratiques archaïques, annonce ce qu’on appelle aujourd’hui parapsychologie, comme le geste du sinanthrope faisant jaillir une étincelle de deux cailloux de silex préfigurait notre âge industriel.

Il y trente ou quarante mille ans, l’homme du Neandertal, notre cousin au front bas et aux arcades sourcilières proéminentes, enterrait déjà ses morts et entourait cette pratique de quelques rites funéraires. C’est donc qu’il croyait à une certaine forme de survie, à la dualité de l’âme et du corps. Peut-être espérait-il, en s’acquittant d’un pieux devoir, empêcher le défunt de revenir tourmenter les vivants.

Plus près de nous, les belles gravures des grottes paléolithiques ont très probablement une dimension magique. La grotte des Trois Frères, près de Saint-Girons, dans l’Ariège, montre un homme - vraisemblablement un sorcier - entièrement revêtu d’une peau de renne, dans une attitude qui évoque une sorte de danse. Des représentations très semblables ornent une grotte d’Afrique du Sud. A Treyjat, en Dordogne, des jeunes gens vêtus de peaux de bêtes se livrent à une danse qui fait penser à une cérémonie magique.

Nous ignorons ce que pensaient les artistes qui ont créé ces œuvres, actuellement nous ne pouvons guère nous imaginer à leur place. Mais il est exclu qu’ils aient cherché à orner des lieux d’habitation, ou à monter des galeries d’art pour attirer les visiteurs. Beaucoup de ces grottes sont d’un accès très difficile. C’étaient des sanctuaires, des lieux où l’on ne pénétrait que rarement, pour se livrer à des pratiques destinées à rendre plus fructueuses les randonnées des chasseurs. Peut-être même, son œuvre terminée, le graveur ne revenait-il jamais dans la grotte. Abandonnées aux ténèbres et à la solitude, les images sacrées concentraient la volonté des chasseurs et la dirigeaient en un faisceau télépathique vers les animaux qu’ils allaient traquer.

Les mains magiques

A Cabrerets, dans le Lot, des chevaux sauvages sont retenus de toutes parts par des mains humaines dont la signification magique - on est tenté de dire « parapsychologique » - est évidente : il s’agit de mains isolées, entourées d’un cercle sombre ; agissant à distance, elles sont des émanations de force psychique humaine qui contiennent les animaux. Faut-il parler de psychokinèse ?

Ce thème de la main reparaît, obsédant, sur la paroi de la grotte de Castillo, en Espagne, et sur beaucoup d’autres monuments préhistoriques. Les empreintes sont d’ordinaire exécutées au pochoir, par projection de peinture liquide autour de la main appliquée sur la paroi. Sur les dix-sept empreintes de la grotte de Castillo, on compte treize mains gauches et quatre mains droites. Il semble que cette proposition se retrouve ailleurs. La signification de ce rapport nous échappe.

La main, émanation de la force humaine, qui chasse ou apprivoise les bêtes sauvages, peut aussi repousser les mauvais esprits. Tout le monde connaît aujourd’hui la « main de Fatma » qui, dans les pays du Maghreb, interdit l’entrée de la maison aux démons malfaisants. Les matérialisations (ectoplasmes) relatées par les spirites prennent souvent la forme de mains isolées, qui se promènent dans la pièce, effleurent les assistants, jouent du piano ou du violon. Les films fantastiques ou d’épouvante montrent aussi des mains qui se déplacent toutes seules. La main et le visage étant les parties les plus signifiantes du corps humain, celles par qui passent les communications avec autrui, rien d’étonnant à ce qu’elles tiennent une grande place dans les manifestations paranormales.

Dans la Bible, une main surgie du néant trace des mots mystérieux sur le mur blanc de la salle où Balthazar, roi de Babylone, donne un festin. « Le roi cria avec force qu’on fît venir les astrologues et les devins... Tous les sages du roi entrèrent ; mais ils ne purent pas lire l’écriture et en donner l’explication. Sur quoi le roi Balthazar fut très effrayé... La reine entra dans la salle et dit : “Ô roi, il y a dans ton royaume un homme qui a en lui l’esprit des dieux saints... Aussi le roi Nabuchodonosor, ton père, l’établit chef des magiciens, des astrologues, des devins, parce qu’on trouva chez lui un esprit supérieur, de la science et de l’intelligence, la faculté d’interpréter les songes, d’expliquer les énigmes et de résoudre les questions difficiles”. Le roi suivit cet avis et fit venir Daniel. Celui-ci lut les mots tracés sur le mur : compté, pesé, divisé, et expliqua qu’ils annonçaient la fin du règne et la destruction du royaume. La nuit suivante, Balthazar fut tué et Darius, roi des Mèdes, s’empara du royaume de Chaldée ».

Le texte biblique pourrait être tiré d’un ouvrage moderne sur les sciences occultes et les phénomènes paranormaux : matérialisation d’une main, inscription mystérieuse et prophétique, astrologie, interprétation des rêves. Le R.P. Russo, historien des sciences, affirmait nettement : « Nous devons inclure dans la parapsychologie l’étude des phénomènes extraordinaires qui se rencontrent dans la plupart des religions (miracles, prophéties, visions, etc.) et aussi dans les pratiques occultes et magiques, notamment dans la sorcelleries », Et il regrette que les théologiens et les exégètes chrétiens s’intéressent si peu à la matérialité de ces phénomènes et à sa portée religieuse.

Dans l’Antiquité méditerranéenne tout comme chez les Hébreux, la prédiction de l’avenir appartient à des sujets psi spécialisés, comme la sibylle de Delphes. A jour fixe, elle s’asseyait sur son trépied et entrait en transe, prononçant des paroles que les assistants se chargeaient de recueillir et d’interpréter. Les descriptions que les auteurs anciens ont laissées de ces scènes de divination pourraient servir à peu de chose près, à dépeindre de nos jours une séance de spiritisme ou des expériences de P.E.S. sous hypnose.

Chez les populations autochtones du nord de la Sibérie vivaient, récemment encore, des hommes appelés chamans, sorte de magiciens ou de sorciers qui dirigent la vie religieuse de la communauté. Ils communiquent avec les esprits de la nature au cours de transes extatiques. Dans cet état, ils voient les âmes, et peuvent les suivre lorsqu’elles quittent le corps pendant le sommeil ou à la mort, ce qui leur permet éventuellement de les rattraper. Ils descendent même aux enfers pour racheter les âmes d’accidentés ou de malades et les ravir aux démons. Le chaman soulève les objets à distance, s’envole dans les airs, se rend invisible, brave le froid et la chaleur, guérit les maladies.

Les ethnologues ont rencontré des personnages semblables aux chamans sibériens en Indonésie, en Océanie, dans les deux Amériques. Malgré cette diversité géographique, constate Jules Tondriau (I’Occultisme), « les traits de ces chamanismes sont si constants qu’on a pu les intégrer dans l’étude de certaines religions de peuples évolués et qu’on a parlé d’un chamanisme chinois, indien, iranien, germanique pour désigner l’ensemble des éléments primitifs et magiques subsistant dans les religions ou folklores de ces peuples ».

S’agit-il seulement de survivances primitives, alors qu’on trouve dans le chamanisme des éléments caractéristiques des domaines de la parapsychologie (psychokinèse, transe hypnotique, guérisons, voyages à travers l’espace et le temps), de l’occultisme (vision des âmes, communication avec les forces immatérielles de la nature), du spiritisme (communication avec les morts) ? Le chamanisme, comme le note encore Tondriau, a été à la source de quelques exploits revendiqués par les fakirs arabes et hindous : la corde qui se dresse sans être attachée à rien et sur laquelle on grimpe, l’échelle de sabres, la suspension tibétaine (la gorge sur un sabre), la rigidité du corps supporté par des lames, la graine de manguier qui germe et grandit miraculeusement. Dans ces tours qui ébahissent les foules, quelles sont les parts respectives d’un don psi, d’une technique apparentée au. yoga ou, plus simplement, de l’illusionnisme ?

Dans le Moyen Age chrétien, le paranormal prend la figure de la possession démoniaque. Comme le chaman asiatique et, plus tard, le médium spirite, le possédé est envahi par une puissance étrangère qui s’installe dans son corps, s’y comporte comme chez elle, en devient maîtresse, meut ses membres, parle par sa bouche. Ce squatter surnaturel profère parfois des paroles incompréhensibles, et d’autant plus redoutables ; ou bien il s’exprime dans une langue normalement inconnue du possédé. Plus souvent, il lâche d’épouvantables blasphèmes ou des obscénités à faire rougir tout un corps de garde. Les gestes accompagnent la parole... La possession n’est ici que le défoulement de pulsions longtemps réprimées.

Les bûchers, qui ne s’éteignirent en Europe qu’à la fin du XVII<sup<esiècle, virent succomber dans les flammes de malheureux possédés punis pour crime de sorcellerie. A moins que la victime ne fût un innocent accusé par les possédés de les avoir livrés au démon ; tel fut le destin d’Urbain Grandier, brûlé vif en 1634 en expiation de l’hystérie collective des religieuses de Loudun.

Le mieux qui pût arriver, quand une puissance surnaturelle s’était emparée du corps d’un chrétien, était que celui-ci fût livré à l’exorciste plutôt qu’au bourreau. La cérémonie catholique d’exorcisme, codifiée dans le rituel romain de 1614, contient de nombreuses prières et des adjurations au démon d’avoir à déguerpir : « Je t’exorcise, esprit très immonde, toit toute incursion de l’ennemi, tous spectre, toute légion, au nom du Seigneur Jésus-Christ ; soit extirpé et chassé de cette créature de Dieu. Il te l’ordonne, celui qui t’a fait précipiter du haut des cieux vers les profondeurs de la Terre... ».

L’esprit malin ne cédait pas toujours à la première sommation. Un véritable duel s’engageait alors entre le prêtre et le démon. Il arrivait même que ce dernier, après avoir été expulsé, trouvât une occasion de réintégrer le corps de sa victime, auquel cas tout était à recommencer. L’Église pratique encore aujourd’hui des exorcismes. Un prêtre spécialisé dans cette tâche est attaché au diocèse de Paris.

La possession n’est pas toujours maléfique. Elle est vécue par les mystiques comme une union avec la divinité « Dieu s’installe à l’intérieur de cette âme d’une façon telle, dit sainte Thérèse, que, lorsqu’elle revient à elle-même, il lui est absolument impossible de douter qu’elle a été en Dieu, et Dieu en elle », Dans les Actes des Apôtres, on lit que, le premier jour de la Pentecôte, le Saint-Esprit emplit les apôtres, « qui se mirent à parler en d’autres langues, selon ce que l’Esprit leur donnait de s’exprimer ».

Les artistes magiciens des grottes paléolithiques, les prophètes bibliques, les chamans sibériens, les exorcistes manipulaient ou tentaient de manipuler des phénomènes aujourd’hui classés comme psi : télépathie, télékinésie, précognition, xénoglossie. lis les rattachaient à des croyances, religieuses, n’essayant pas de les structurer rationnellement, de leur donner un support scientifique. C’est en ce sens que, jusqu’au XVIIIe siècle, on peut parler que d’une préhistoire de la parapsychologie. Quant à l’histoire, on peut la faire commencer avec Franz Anton Mesmer, au dix-huitième siècle.

Mesmer entre en scène

Pour mieux affronter le charlatanisme pseudo-scientifique, il est utile, disions-nous dans nos précédents Cahiers, de jeter un regard vers le passé. Nous avons commencé par les mythes religieux et la sorcellerie des temps les plus anciens. Mais c’est au dix-huitième siècle qu’on a vu se distinguer des vieilles croyances superstitieuses ce que nous appelons parapsychologie ou parasciences L’homme qui a pris la plus grande part à cette évolution culturelle s’appelle Franz Anton Mesmer.

Né vers 1732 d’une famille noble allemande, Mesmer a étudié la philosophie, la théologie et le droit, avant de s’inscrire à l’école de médecine de l’université de Vienne. Dans la capitale autrichienne, il fréquente, en compagnie d’autres étudiants, des cercles occultistes comme l’ordre des Chevaliers et Frères initiés de l’Asie,>, qui reprennent les rêveries cosmiques élaborées au XIVe siècle par l’alchimiste majorquin Raymond Lulle. Celui-ci affirmait qu’un même principe primordial est à la base de toutes les connaissances et de tous les phénomènes naturels, qu’ils soient physiques ou biologiques, et proposait une méthode unique pour raisonner sur tous les sujets. Le Soleil et les planètes déterminaient le destin des choses et des hommes. Au XVIe siècle, un autre alchimiste médecin, Paracelse, de son vrai nom Theophrastus Bombastus von Hohenheim, avait enseigné que l’homme, le microcosme, répète le macrocosme, c’est-à-dire l’univers. L’homme participe au monde divin par son âme, au monde visible par son corps, à celui des anges par le fluide vital qui relie l’âme au corps. Paracelse prétendait avoir réalisé un rêve cher aux alchimistes en fabriquant l’homme miniature, l’homonculus. Recette : enfermer du sperme dans un alambic ; après quarante jours, il apparaît une forme translucide, qu’on nourrit de sang et qui devient un enfant en réduction. Comme médecin, Paracelse prêtait des vertus thérapeutiques à l’aimant.

Toutes ces idées, mêlées aux doctrines occultistes en vogue parmi les étudiants viennois (en dépit de la condamnation prononcée par l’impératrice Marie-Thérèse), marquent fortement l’esprit du jeune Mesmer. Sa thèse de médecine, éditée en 1766, traite de l’influence des planètes sur le corps humain. Son idée essentielle est de traiter les maladies par les deux grandes forces naturelles qu’on connaît à son époque, et qu’il a d’ailleurs tendance à confondre : « Les planètes s’affectent mutuellement dans leurs orbites. La Lune et le Soleil causent et dirigent sur notre globe les mouvements de flux et de reflux aussi bien dans la mer que dans l’atmosphère. Les corps animés doivent subir les mêmes actions. Le système nerveux de l’homme y est plus particulièrement sensible. Il enregistre les variations du fluide, agent de ces actions, qui pénètre tout... Le magnétisme représente la propriété d’un corps organique sensibilisé par l’action des planètes. Il se transmet sous la forme dynamique du fluide »,

Il n’est pas difficile de retrouver ces perspectives dans ce qui se dit et s’écrit encore aujourd’hui...

Recevant des malades dans le cabinet qu’il a ouvert à Vienne, Mesmer les traite par le « magnétisme », en pratiquant sur eux des passes et des attouchements. Sa thérapeutique est dénoncée comme illusoire par les médecins autrichiens et condamnée au nom de la religion par l’évêque de Vienne. Le souvenir est encore frais de la chasse aux sorciers. Mesmer se dit que cela pourrait sentir le roussi et part planter sa tente dans un pays qu’il espère plus libéral, la France du siècle des lumières. Il a quarante-quatre ans.

A Paris, son succès dépasse les prévisions. Cette société aristocratique proche de sa fin, et qui la pressent confusément, est prête à accueillir tous les novateurs, tous les faiseurs de miracles. Surtout quand ils se réclament des idées à la mode. Mesmer affine sa théorie du magnétisme animal, fluide par l’intermédiaire duquel une influence réciproque s’exerce entre les corps célestes, la Terre et les organismes vivants.

Les patients affluent aux séances de thérapeutique de groupe. On les fait entrer dans une grande salle où les rideaux tirés maintiennent une ambiance de mystère. Les portes et les fenêtres sont rigoureusement closes. Au milieu de la salle est installé un baquet de chêne d’un pied de hauteur rempli d’une eau dans laquelle trempent de la limaille de fer et des morceaux de verre. Le baquet est fermé par un couvercle percé de trous au travers desquels passent des barres de fer coudées. Les malades, silencieux, s’asseyent autour du baquet. Une corde passée autour du corps les unit les uns aux autres. Chacun tient une des tiges métalliques mobiles et coudées qui sortent du couvercle et s’efforce de l’appliquer sur la partie malade. Quelquefois, on forme une seconde chaîne en se tenant par les mains, c’est-à-dire en serrant entre le pouce et l’index le pouce de son voisin. Dans un coin de la salle, il y a un piano sur lequel on joue une musique qui contribue à l’atmosphère. Parfois, on chante. Les malades subissent ainsi une « magnétisation » préalable grâce aux deux chaînes qui les relient, aux tiges de fer, à la musique jouée ou chantée.

Au bout d’un certain temps, une porte s’ouvre, laissant passage au guérisseur. Vêtu d’un habit aux couleurs éclatantes, qui rehausse son prestige, il fait le tour de l’assistance, plantant un regard fixe dans les yeux des malades, dessinant autour d’eux des passes « magnétiques » ou les touchant avec une baguette de fer. Les patients réagissent très différemment. Certains ne ressentent rien, d’autres toussent et crachent, d’autres encore éprouvent une chaleur locale ou généralisée, ils transpirent. Chez beaucoup se déclenche une crise qui rappelle les scènes de possession collective des couvents. Les malheureux poussent des cris, se convulsent, entrent dans une agitation si violente qu’il faut souvent les transporter dans une pièce voisine aménagée à cet effet, avec des murs capitonnés.

Mesmer s’est adjoint un disciple de marque, le Dr Deslon, régent de la Faculté et médecin du comte d’Artois. Ils officient tour à tour, ou ensemble, s’adjoignent des aides, qu’ils choisissent jeunes et beaux. Leur succès s’amplifie lorsque beaucoup de malades, parmi lesquels des personnages illustres, se proclament guéris. Mais la contestation surgit. Des pamphlétaires, des caricaturistes tournent en dérision le baquet magnétique et les séances de convulsions. Tantôt Mesmer est présenté comme un vulgaire charlatan, tantôt on le montre livrant ses malades à des diablotins.

Une chose paraît sûre : s’il gagnait de l’argent, et même beaucoup d’argent, Mesmer était convaincu de l’efficacité de ses méthodes. En 1779 - dix ans avant la prise de la Bastille -, il publie un Mémoire dans lequel il reprend et développe sa thèse de 1766 et ses Lettres rédigées en 1775 à l’adresse des médecins de Vienne. L’influence des planètes sensibilise les corps et les charge d’un fluide qu’ils s’approprient en le modifiant et qu’ils tendent à décharger sur les autres corps. Le fluide obéit à des lois dont la principale est celle du flux et du reflux ; il est ondulatoire. Cette théorie se voulait scientifique. Mesmer et Deslon se battirent pour la faire reconnaître comme telle. Mais, ainsi que le note Yvonne Castellan (Histoire de la parapsychologie), le système était en fait terriblement subjectif : Mesmer avait senti son pouvoir comme sourcier, puis comme guérisseur. De son propre aveu, il fallait sentir sa méthode au bout des doigts autant que la comprendre. L’élaboration et la diffusion du fluide guérisseur dépendaient de la manière dont le corps du médecin recevait et transformait le fluide universel : du point de vue expérimental, un coefficient personnel de réussite irréductible à rien de rationnel.,,

Le public parisien percevait fort bien le caractère magique, occulte du fluide mesmérien. Ce cocktail d’ésotérisme et de scientificité faisait affluer la clientèle. Dans les conclusions de son Mémoire, Mesmer cite largement des phénomènes aujourd’hui classés par Rhine dans la P.E.S. : « Aphorisme 184. - Le sens interne de l’homme, collecteur central de toute impression, reçoit le courant fluidique et met l’homme en relation avec l’ensemble de l’univers... Cette relation explique la possibilité de pressentiments. - Aphorisme 185. - S’il est possible d’être affecté de manière à avoir l’idée d’un être à une distance infinie, ainsi que nous voyons les étoiles dont l’impression nous est envoyée en ligne droite par la succession d’une matière coexistante entre elles et nos organes, pourquoi ne serait-il pas possible d’être affecté par des êtres dont le mouvement successif est propagé jusqu’à nous par des lignes courbes et obliques, dans une direction quelconque ; pourquoi ne pourrions-nous pas être affectés par l’enchaînement des êtres qui se succèdent ? ».

Dans son pronostic médical, Mesmer pratiquait ce que nous appellerions aujourd’hui la précognition : non seulement il « sentait » l’état de ses malades, mais il lui arriva de prédire la mort prochaine d’un de ses interlocuteurs, d’après une certaine impression pénible qu’il éprouvait en sa présence.

Le pouvoir royal finit par s’inquiéter du tapage mené dans Paris autour du baquet et par la violence de la polémique qui agitait les milieux médicaux. En 1782, il demande à la Société royale de médecine et à la Faculté de médecine de lui faire un rapport sur le magnétisme animal. Une commission est désignée. En font notamment partie le chimiste Antoine Laurent Lavoisier et le nouvel ambassadeur des États-Unis d’Amérique à Paris, Benjamin Franklin, connu pour ses recherches sur l’électricité (on disait alors : le fluide électrique).

Le rapport est remis deux ans plus tard. Les commissaires y décrivent de façon saisissante les « crises magnétiques » : « La commission a constaté qu’elles duraient plus de trois heures ; elles s’accompagnent d’expectorations d’une matière visqueuse, arrachée de la poitrine par la violence de l’attaque. Il y a parfois des traces de sang dans les crachats. Les convulsions sont caractérisées par des mouvements spasmodiques involontaires des membres et de tout le corps, par la contraction de la gorge, par des spasmes de la région hypocondriaque et épigastrique ; le regard est hagard et errant ; il y a des cris perçants, des larmes, des hoquets et des rires déments. Les convulsions sont précédées et suivies par un état de langueur et de rêverie, par une fatigue et une somnolence. »

Bref, il se passait effectivement quelque chose, les phénomènes allégués par Mesmer étaient réels. Mais la question posée à la commission était l’existence du magnétisme animal, du « fluide » théorisé par Mesmer. Ce fluide, certains clients du guérisseur prétendaient l’avoir vu, tout en n’étant pas d’accord sur sa couleur. Il était même quelquefois mis en bouteilles et envoyé, moyennant finance, en des lieux très éloignés de Paris. Mais, tout en étant très disert sur sa théorie, Mesmer se montrait évasif quand on lui demandait de décrire pratiquement le moyen dont il usait pour faire passer le fluide. On l’a accusé d’accepter de grosses sommes pour enseigner ses secrets, mais ceux qui les versaient repartaient sans avoir appris grand-chose. Une souscription ouverte par un élève de Mesmer, nommé Bergasse, dans l’espoir d’acheter les fameux secrets, aurait rapporté, selon la Grande Encyclopédie, 340 000 livres (soit quelques millions de francs), mais bien peu d’informations aux donateurs.

Les scientifiques chargés d’enquêter sur le magnétisme animal conclurent que, s’il se passait de drôles de choses autour du baquet, le fluide n’y était pour rien, car il n’existait pas. Pour expliquer les phénomènes provoqués par Mesmer et son acolyte, point n’était besoin d’invoquer un agent physique inconnu. Ils pouvaient être dus à trois causes naturelles : l’imagination, les attouchements et l’imitation.

En parlant d’imagination, les commissaires n’entendaient pas qu’il s’agissait de faits non réels, mais de phénomènes liés à une propriété du système nerveux : « L’histoire de la médecine renferme une infinité d’exemples du pouvoir de l’imagination et des facultés de l’âme. La crainte du feu, un désir violent, une espérance ferme et soutenue, un accès de colère rendent l’usage des jambes à un paralytique ; une joie vive et inopinée dissipe une fièvre quarte de deux mois ; une forte attention arrête le hoquet ; des muets par accident recouvrent la parole à la suite d’une vive émotion de l’âme. Quand elle est une fois montée, ses effets sont prodigieux, et il suffit ensuite de la monter au même ton pour que les mêmes effets se répètent »,

Dans ce style compassé du XVIIIe siècle qui pour nous a un peu vieilli, il était difficile d’exprimer plus clairement la toute puissance de la suggestion, aujourd’hui reconnue par toutes les écoles psychologiques comme un des principaux moteurs du comportement humain.

A son rapport officiel la Société royale de médecine joignait un rapport secret qui condamnait le « magnétisme » comme contraire aux bonnes mœurs. Les commissaires, raconte le Dl Aimé Albert (I’Hypnotisme dans la médecine), « avaient estimé choquants pour la pudeur la trop grande familiarité du magnétiseur avec les personnes du sexe et les mouvements désordonnés qui, dans les convulsions, faisaient découvrir leur cheville, voire leur genou ». Et le Dr Albert ne peut s’empêcher de remarquer : « Les praticiens modernes, habitués à une large et libre auscultation de leurs malades des deux sexes, souriraient de la candeur égrillarde et de la réprobation concupiscente que manifestèrent à cette occasion des médecins rompus à limiter leur enquête à l’examen du pouls, à la couleur et à l’odeur des urines ». Découragé sans doute par son insuccès auprès des autorités médicales françaises, Mesmer tente un moment sa chance à Londres, puis retourne dans son pays natal, où il s’éteint en 1815.

Le mesmérisme, lui, vivait toujours.

Le marquis de Puységur, la France rationaliste, le charlatanisme américain

Avant de quitter Paris, Mesmer y avait formé des disciples, qui s’étaient groupés dans la Société de l’Harmonie.

L’un d’eux, le marquis de Puységur, retiré à Busancy, près de Soissons, se mit à soigner les paysans de son domaine d’après les méthodes apprises de Mesmer. C’est ainsi que le hasard le mit sur la voie d’une découverte majeure. Voici comment il l’a racontée lui-même : « C’était un paysan, homme de vingt-trois ans, alité depuis quatre jours, par l’effet d’une fluxion de poitrine. J’allai le voir. La fièvre venait de s’affaiblir. Après l’avoir fait lever, je le magnétisai. Quelle fut ma surprise de voir, au bout d’un demi-quart d’heure, cet homme s’endormir paisiblement dans mes bras, sans convulsion ni douleurs ! Il parlait, s’occupait tout haut de ses affaires. Lorsque je jugeais ses idées devoir l’affecter d’une manière désagréable, je les arrêtais et cherchais à lui en inspirer de plus gaies. Il ne me fallait pas pour cela de grands efforts ; alors je le voyais content, imaginant tirer à un prix, danser à une fête, etc. Je nourrissais en lui ces idées, et par là je le forçais à se donner beaucoup de mouvements sur sa chaise, comme pour danser sur un air qu’en chantant je lui faisais répéter tout haut »

Le marquis assimila ce curieux état au sommeil - car, lorsque le patient en sortait, il avait tout oublié - et le baptisa somnambulisme, par analogie avec le somnambulisme naturel qui survient chez certaines personnes pendant leur sommeil. D’autres malades, traités de la même façon, tombaient eux aussi dans une crise de somnambulisme, et à leur réveil leur état était amélioré. Le fameux baquet n’était nullement nécessaire. Le marquis abandonna définitivement l’attirail mesmérien, mais, pour gagner du temps et traiter plusieurs malades à la fois, il en imagina un autre. Il fit des passes magnétiques sur un arbre autour duquel il rassembla ensuite ses patients en les attachant au tronc avec des cordes. Nombre de ceux qui approchaient cet arbre - un vieil orme de belle taille - tombaient en état de somnambulisme. On s’aperçut qu’ils étaient alors doués eux-mêmes du pouvoir de guérir.

Un receveur des gabelles à Soissons, Cloquet, témoin de ces expériences, rapporte que les somnambules « ont un pouvoir surnaturel par lequel, en touchant un malade qui leur est présenté, en portant la main même par-dessus ses vêtements, ils sentent quel est le viscère affecté, la partie souffrante ; ils le déclarent et indiquent à peu près les remèdes. Comment le maître désenchante-t-il ses médecins ? Il lui suffit de les toucher sur les yeux, ou bien il leur dit : “Allez embrasser l’arbre”, Alors ils se lèvent, toujours endormis, vont droit à l’arbre ; et bientôt après leurs yeux s’ouvrent. J’ai interrogé plusieurs de ces médecins, qui m’ont assuré n’avoir aucun souvenir de ce qui s’était passé pendant les trois ou quatre heures de leur crise ». Si le concept de magnétisme animal ne devait survivre que de quelques décennies à son fondateur, celui de somnambulisme, pour désigner l’état dans lequel le marquis de Puységur mettait ses patients autour de l’orme magique, était encore en usage tout récemment, et n’est pas totalement tombé en désuétude. Des gens qui font profession de voir à distance ou de prédire l’avenir (c’est-à-dire, dans le vocabulaire de Rhine, de pratiquer la clairvoyance ou la précognition) s’intitulent somnambules. La seule différence est qu’ils se mettent eux-mêmes en condition.

Contrairement à ce qu’on pouvait supposer il y a une vingtaine d’années, le somnambulisme n’était pas près de tomber en désuétude. Il a survécu en ne se bornant pas au paranormal ou à la magie, pour se rapprocher de positions plus proches de la connaissance rationnelle. Une édition récente du Larousse Médical nous donnait cette définition : « Somnambulisme. État caractérisé par l’accomplissement d’actes plus ou moins coordonnés durant le sommeil, et dont le souvenir est perdu au réveil. De signification variable, le somnambulisme peut être le signe d’anomalies organiques de nature épileptique (décelées à l’électro-encéphalogramme) ou de troubles psychologiques variés réactionnels (consécutifs à une situation familiale anormale ou troublée) ou névrotiques (anxiété). Le traitement, selon la cause, sera médicamenteux (anti-épileptiques ou tranquillisants) ou psychothérapique. »

Quant à la méthode de Puységur, elle est encore appliquée - à l’orme près - par de nombreux guérisseurs et psychothérapeutes plus ou moins orthodoxes, dont on peut lire les annonces dans la presse, et même par les animateurs de certaines sectes. Cependant, renouvelant l’erreur qu’avait commise Mesmer, le marquis voulut faire admettre officiellement ses découvertes. Il essuya quelques déboires, en présence notamment de Benjamin Franklin : dès qu’ils avaient les yeux bandés, les patients tombaient en somnambulisme sous n’importe quel arbre de la forêt. Pas plus que le baquet de Mesmer, l’orme magnétisé n’était nécessaire pour obtenir des phénomènes dont on pouvait seulement dire qu’on les voyait se produire, tandis que le « fluide » censé les provoquer restait insaisissable. A Lyon, un certain chevalier Barbarin se mettait en prières au chevet du malade, et cela suffisait pour déclencher le somnambulisme.

A Paris, les sociétés savantes furent à nouveau sollicitées d’ouvrir une enquête. Elle dura, rapporte le Dr Albert, de 1825 à 1837. « Un premier texte, le rapport Husson, fut favorable au magnétisme animal, mais son auteur n’en demanda pas la discussion ni l’adoption par l’Académie de médecine. Ce rapport fut d’ailleurs très critiqué. Il est vrai que les commissaires avaient montré beaucoup de candeur. C’est ainsi qu’une somnambule, ayant décidé de ridiculiser les hommes de science, annonça qu’elle allait expulser un ver intestinal gros comme le bras. Et l’on vit la docte assemblée monter la garde toute une nuit autour d’une chaise percée, à seule fin de s’assurer que le fameux ver sortirait bien de l’orifice légitime. »

La nouvelle enquête médicale aboutit, en 1837, au rapport Dubois, qui condamne sans appel le magnétisme animal. Il ne devait jamais s’en relever, du moins en France.

Ayant reçu le coup de grâce dans la France rationaliste, le mesmérisme poussa des surgeons dans le pays où toutes les innovations étaient accueillies et où le premier charlatan venu pouvait se parer du titre de professeur : les États-Unis d’Amérique. Parcourant les campagnes, des aventuriers ou des illuminés captivaient des auditoires naïfs avec un mélange d’astrologie, de prédictions, de phrénologie (étude des protubérances du crâne) et de magnétisme animal, le tout assaisonné de sauce religieuse.

Vers 1830, un certain John Bovee Dods se met à enseigner que l’électricité est « le trait d’union entre l’esprit et la matière inerte » et « le grand agent dont se sert le Créateur pour mouvoir et régir l’univers ». Ainsi naît la psychologie de l’électricité, sur laquelle Dods, si incroyable que cela nous paraisse, fut invité à faire neuf conférences devant le Sénat américain. Le corps et l’esprit, expliqua-t-il, sont l’un et l’autre des manifestations de Dieu, et tous les organes ont leur équivalent spirituel, y compris les bosses étudiées par les phrénologues.

Paradoxalement, tandis que Dods partait de ses expériences « électriques » pour arriver à des considérations religieuses, un pasteur de l’Église méthodiste, Laroy Sunderland, suivit le chemin inverse. S’étant aperçu qu’il pouvait obtenir les mêmes résultats que Mesmer, Puységur ou Dods, il en conclut que les scènes d’extase et les conversions qu’on observe dans les sectes religieuses sont d’origine humaine et non divine. Pour provoquer le somnambulisme, Sunderland usait d’une méthode non dépourvue d’humour : il donnait une conférence ; une partie des auditeurs s’endormaient sur leurs sièges, tandis que les autres venaient s’asseoir à terre au pied de l’estrade. Deux facteurs, disait-il, assuraient le succès de son procédé. Le meneur de jeu devait affirmer son autorité et le patient avoir la foi : « En vérité, plus un docteur, un professeur ou un conférencier sera ignorant, plus il présumera de lui-même et de ses pouvoirs, et plus grand sera son succès ». Sunderland baptisa sa doctrine pathétisme.

Un de ses disciples, le Dr William Fahnstock, rompit avec lui pour lancer sa propre doctrine, le volontarisme : c’est le malade lui-même qui crée l’état de transe, le sommeil mesmérien. Fahnstock entraînait ses patients à se mettre eux-mêmes en état volontariste. Ils pouvaient alors guérir leurs maladies. A l’inverse, s’ils imaginaient avec force qu’ils étaient affligés d’une maladie déterminée, les symptômes correspondants devaient se manifester. On est proche, avec la méthode Fahnstock, de celle que devait promouvoir au début du siècle, en France, le Dr Coué (guérison par autosuggestion) et de toutes les guérisons paranormales.

Ce courant de mesmérisme populaire a abouti en Amérique à la naissance de deux religions : le spiritisme, qui touche de près à la parapsychologie, et la Christian Science. Bien que les deux doctrines soient fort différentes, elles ont historiquement une origine commune, relatée par James Webb dans son excellent article sur l’hypnotisme de l’encyclopédie de l’inexpliqué.

Ayant assisté à une conférence donnée par un Français, Charles Poyan, un fils de forgeron nommé Quimby, qui n’avait reçu qu’une instruction très sommaire, fut enthousiasmé par le mesmérisme. Il communiqua sa conviction à un jeune homme appelé Lucius Burkmar. Ils découvrirent que ce dernier pouvait, en état de transe, formuler un diagnostic médical, et tous deux se mirent à parcourir le pays en donnant des représentations et en soignant des malades, jusqu’au jour où Quimby souffrit lui-même de troubles rénaux. Il se confia alors tout naturellement à son compère ; le diagnostic fut si absurde que Quimby commença à se demander s’il était vraiment malade. Finalement, il se persuada que ce sont le docteur ou le malade qui créent la maladie et il inventa une thérapeutique de guérison par l’esprit. Le médecin et le malade doivent transporter leur esprit jusqu’au lieu où a commencé la maladie ; le lieu étant ainsi découvert, il faut en éloigner le plus possible le malade, et celui-ci guérit.

Quimby pratiquait ses cures depuis une vingtaine d’années quand il reçut la visite de Mary Baker Eddy. La jeune femme souffrait de la colonne vertébrale. Elle quitta Quimby persuadée qu’elle était guérie. Mais, quelque temps après la mort de celui-ci, ses souffrances la reprirent. Se souvenant du soulagement provisoire que lui avait procuré la thérapeutique Quimby, elle s’en inspira pour forger sa doctrine de la science chrétienne, aujourd’hui répandue un peu partout dans le monde et qui a des adeptes en France.

Revenons maintenant en Europe, et même un peu en arrière dans le temps. Le rapport Husson, déjà mentionné, admettait que la crise mesmérienne pouvait provoquer la clairvoyance. Quelques années auparavant, dans un livre publié après sa mort, le Dr Pététin expliquait que chez les somnambules les sens peuvent être déplacés sur une autre partie du corps. Il avait ainsi eu l’occasion d’examiner une fillette qui voyait avec son ventre. Il vérifia ce don étrange en lui appliquant sur l’abdomen une boîte contenant une lettre. La fillette déclara qu’elle avait été affranchie en Suisse, ce qui était exact et que le médecin ignorait lui-même...

Charles Richet et les maisons hantées

L’école métapsychique française a compté dans ses rangs un prix Nobel de physiologie, Charles Richet. Membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences, il a été le précurseur de la sérothérapie et a pris part à la découverte de l’anaphylaxie (un organisme qui a été touché une fois par une substance agressive est ensuite beaucoup plus sensible à un nouveau contact). Convaincu de la réalité des phénomènes paranormaux, Richet rejeta toutes les explications de type spirite. Seuls comptaient pour lui les faits, et il affirmait vouloir les étudier de la même manière qu’il étudiait les autres phénomènes propres à l’organisme humain. Dans ses adieux à l’École de médecine, en 1925, il déclara : « Je voudrais, avant de quitter cette chaire que j’ai longtemps occupée, vous faire connaître les linéaments d’une science nouvelle, la métapsychique, qui ne rentre pas dans le cadre de l’enseignement officiel de la physiologie. Elle est cependant un fragment de la physiologie, dont elle fait partie intégrante, et, très prochainement peut-être, elle appartiendra à la physiologie classique ».

Fidèle à cette ligne de conduite, Richet réussit à mener de front ses travaux de physiologiste et ses recherches en métapsychique, qui lui valurent d’être élu à la présidence de la S.P.R. britannique. Malheureusement, il ne semble pas avoir apporté dans ses expériences avec les grands médiums le même esprit critique que dans son laboratoire de la faculté. Entre autres, il fit venir dans sa propriété de Carqueiranne la fameuse Eusapia Palladino et prit des photographies de ses manifestations de télékinésie. Étudiant ces images, prises sous un faible éclairement, il conclut que le médium est en liaison avec les objets qu’il déplace grâce à des excroissances ectoplasmiques, des fils très fins ou des tiges souples qui sortent de son organisme pour envelopper l’objet à mouvoir ou prendre appui sur le sol en soulevant la table comme un levier. Quand on se remémore la description minutieuse, par le métapsychiste Tocquet, des fraudes les plus usuelles des médiums à effets physiques, et la solide réputation de tricheuse d’Eusapia, on ne peut que rester perplexe en lisant, sous la plume de Richet : « Le grand danger de ces expériences, c’est la fraude... [Il faut] avoir toujours présente à l’esprit cette idée dominatrice obsédante, que le médium fait effort pour tromper.. Dans ce métier la tentation de frauder serait presque irrésistible... » Et encore : « La crainte de la mystification a été le souci presque unique, et pour mieux dire unique, de toutes mes expériences. »

Cette crainte, ce souci ont-ils suffi à préserver le Pr. Richet de tomber dans le piège ? A son insu, ne cherchait-il pas à y tomber ?

A la villa Carmen à Alger, Richet assiste aux apparitions du grand prêtre hindou Bien-Boa. Coiffé d’un casque, affublé de grosses moustaches, le fantôme se promène parmi ses admirateurs. De bonne grâce, il accepte de souffler dans un bocal d’eau barytée, provoquant un clapotis de bulles et troublant le liquide comme un vulgaire être vivant. On prend des photos. Malgré tout, Richet est perplexe. Il l’écrit dans son compte rendu des séances de la villa Carmen : « Pourquoi le corps et la manche de Marthe [le médium Marthe Béraud], sur la photographie 3, semblent-ils vides ? Pourquoi ne voit-on pas la main droite de Marthe ?... Pourquoi la figure de Bien-Boa est-elle à ce point ressemblante à la figure que pourrait avoir Marthe si elle avait collé une grosse barbe noire à sa lèvre supérieure ? Pourquoi, après que Bien-Boa m’eut promis que sa main fondrait dans la mienne, n’ai-je rien pu obtenir d’analogue, alors que j’avais cependant déclaré que cette expérience était véritablement l’experimentum crucis [l’expérience cruciale] fondamental ? Pourquoi, lorsque Bien-Boa se promène autour du cabinet dans là salle, n’est-il pas permis de la toucher ? [De toucher Marthe]. Ce sont là assurément de très sérieuses objections ».

On s’attendrait, après cela, à ce que le Pr Richet, prix Nobel membre de l’Académie des sciences, conclue au peu de valeur de telles expériences (que Tocquet lui-même qualifie de « mascarades ») et n’en tienne pas compte dans ses travaux théoriques. Eh bien ! pas du tout. Il surmonte ses propres objections et se porte garant de l’authenticité des pouvoirs paranormaux de Marthe Béraud....

Autre domaine d’effets physiques paranormaux exploré par Richet : les maisons hantées. C’est un peu, comme on sait, une spécialité britannique, et les procès-verbaux de la S.P.R. en rapportent de nombreux cas. Mais le phénomène était connu dans l’Antiquité, et Robert Amadou raconte comment vers le milieu du XVIe siècle, un esprit frappeur, durant de nombreuses nuits, troubla le sommeil des moines cordeliers d’Orléans. Il se manifestait dans un coin du dortoir et répondait aux questions qu’on lui posait selon un code semblable à celui des spirites modernes. C’était l’âme de Louise de Mareau, femme du prévôt de la ville, suspecte de sympathiser avec les huguenots. Des enquêteurs se rendirent sur les lieux, et le veuf lui-même, qui ne croyait guère aux apparitions de feu son épouse, soupçonna un moine nommé Alicourt de n’être pas étranger à ces manifestations diaboliques. Il le fit « coucher en un grabat » et surveiller étroitement. Et, cette nuit-là, « ne fut aucune chose ouïe ni aperçue ». Le lendemain, Alicourt avoua sa supercherie, dut faire amende honorable et fut condamné au bannissement perpétuel.

Au long des siècles, dit encore Amadou, la jurisprudence a fait état de hantises et s’est interrogée sur les droits de résiliation de bail par les locataires d’une maison hantée... Si, depuis la Révolution, les tribunaux français n’admettent pas la possibilité de hantises, la loi anglaise la reconnaît encore. Pour ne citer qu’un exemple, le 2 août 1952, le tribunal londonien de Hammersmith accorda une réduction de loyer aux occupants d’une maison importunés par d’étranges bouleversements.

Dans la littérature parapsychologique contemporaine, ces phénomènes sont catalogués sous la rubrique Poltergeist, mot qui, en allemand, désigne les lutins ou « esprits tapageurs ». On se rappelle que c’est par une histoire de ce genre que débuta la carrière des sœurs Fox. Mais les lutins ont l’esprit imaginatif et leurs farces sont variées. Des meubles se déplacent, des portes ou des fenêtres claquent sans courant d’air apparent, des assiettes se cassent toutes seules dans les buffets, des sonnettes carillonnent même après qu’on a coupé le cordon ou le fil électrique. Des draps sont brutalement arrachés sous des personnes endormies, les lits parfois renversés. Des flammes peuvent jaillir dans le lit. Ou bien il tombe sur la maison des objets étranges : pierres qui s’arrêtent en l’air ou se dirigent vers une cible déterminée, cendres, boue.

Dans les cas les plus sensationnels, la maison est hantée par un fantôme qui de temps à autre se montre aux habitants. Ces apparitions peuvent être liées à des phénomènes physiques, comme dans l’observation publiée par les Annales des sciences psychiques et citée par Yvonne Castellan : « Dès que M. Proctor eut habité la maison, des bruits de pas se firent entendre, que les autres locataires purent aussi percevoir. Deux mois après, une figure apparut à la fenêtre. Un autre soir, le gardien, sa femme et sa fille virent un prêtre avec son étole qui leur apparut pendant dix minutes. Puis des coups furent frappés et pendant six mois se reproduisirent. Une nuit, un ami de M. Proctor qui était venu se loger là dut se lever, effrayé par la vue d’un fantôme et par des bruits épouvantables. Des êtres invisibles appelaient par leur nom les personnes qui habitaient la maison... ». Pour les spirites, les fantômes sont des morts qui rendent visite aux vivants. Ce qui rejoint une croyance traditionnelle bien ancrée dans le folklore et dans la littérature, comme l’attestent le Banco de Shakespeare ou la statue du Commandeur dans le Dom Juan de Molière. Pour Charles Richet et les parapsychologues actuels, le fantôme est une hallucination individuelle ou collective, souvent liée à une communication télépathique, ce qui explique qu’il puisse être porteur d’un message véridique, comme dans les cas d’annonces de mort ou de prémonitions. Quant aux coups dans les murs, aux danses de mobilier et charivaris de pierres ou de vaisselle, ils s’apparentent aux autres phénomènes de télékinésie (ou télékinèse) engendrés par les médiums. Il se trouve que les maisons hantées sont toujours des maisons habitées par des vivants, presque jamais des maisons vides : parmi les occupants, il peut y avoir un médium qui s’ignore.

Ici intervient une objection d’ordre statistique. Les histoires de hantise sont très fréquentes. C’est même leur abondance, et le désir de tirer au clair le problème de leur possible relation avec les esprits de l’au-delà, qui fut un des motifs de la fondation de la S.P.R. Un des dirigeants de cette société, Podmore, a analysé des milliers d’observations. Une de ses conclusions les plus frappantes (confirmée en France et dans d’autres pays) est que dans presque tous les cas se trouve impliqué un adolescent ou une adolescente, à un âge voisin de la puberté, et plus souvent une fille qu’un garçon. Souvent aussi c’est un arriéré mental ou un enfant physiquement handicapé. Cette situation peut avoir suscité en lui des sentiments d’hostilité à l’égard d’un entourage familial dont il se juge incompris. Psychologiquement, il est quelque peu mythomane et exhibitionniste, désireux de se rendre intéressant ou de dominer les adultes en les effrayant. Dès lors - si l’on admet l’hypothèse médiumnique -, il extériorise ses pulsions en « force psychique » créant les déplacements d’objets et autres phénomènes de la hantise.

L’explication ne rallie pas l’unanimité des parapsychologues. Outre que certains ne tiennent pas pour suffisamment établis les pouvoirs physiques des médiums, la plupart estiment, avec Robert Amadou, que « le contraste serait incompréhensible entre le très petit nombre de médiums authentiques et les petits effets qu’ils produiraient à leurs meilleurs jours, et d’autre part la multiplicité des adolescents-médiums qu’il faudrait doter de facultés télékinétiques d’une puissance jamais rencontrée ».

Au terme de son enquête sur la masse de rapports enregistrés par la S.P.R., Frank Podmore affirma que les manifestations de poltergeist étaient fabriquées par des jeunes, surtout du sexe féminin, et n’avaient rien de paranormal. Sa théorie, plaisamment baptisée « théorie de la vilaine petite fille » (naughty littie girl theory), fut combattue à boulets rouges, mais sans grand succès, par quelques membres de la S.P.R., qui lui opposèrent des récits anciens mal vérifiables. De la mystification délibérée à la frayeur enfantine communiquée aux adultes par suggestion, tous les cas intermédiaires sont possibles, selon la personnalité plus ou moins hystérique ou caractérielle des enfants concernés. Un enfant peut percevoir le premier un bruit sans réalité objective ou un quelconque craquement qu’il interprète de façon délirante, et communiquer son hallucination à l’entourage.

Le Dr Rudolf a observé plusieurs soirs de suite les phénomènes de hantise qui se déroulaient dans la maison d’une Mme Bruno : « Des graffiti apparaissaient sur le mur blanchi à la chaux de la maison, comme si on y avait écrit avec un doigt trempé dans l’eau ; des apparitions lumineuses s’étaient aussi produites. Je n’assistai qu’une fois à des projections d’eau, un des phénomènes habituels, alors que j’étais assis le dos tourné à la porte et que Mme Bruno entrait dans la pièce ; tout indiquait qu’elle en était l’auteur. De plus, je fus atteint deux fois par des projectiles au moment où je venais d’éteindre la lumière et n’étais pas encore habitué à l’obscurité ; la première fois c’était un morceau de charbon, la seconde des ciseaux à broder, qui fort heureusement ne m’atteignirent pas au visage mais dans le cou ; ces ciseaux étaient un instant auparavant sur la table devant laquelle se tenaient Mme Bruno et sa fille. » Et le Dr Tischner précise qu’une réunion de « soi-disant occultistes » s’était prononcée pour l’authenticité de cette hantise.

Nous l’avons déjà remarqué : les parapsychologues excellent à interpréter en faveur de leurs thèses des faits qui, pour le simple bon sens, jetteraient le doute sur l’authenticité du paranormal. Le Pr. Tocquet raconte comment il fut sollicité de se rendre dans un village proche de Chartres pour désenvoûter les habitants d’une ferme hantée où l’on entendait des bruits effrayants et où les portes et les fenêtres se refermaient d’elles-mêmes : « J’acquis rapidement la conviction, après une enquête sur les lieux (où je trouvai l’adolescent habituel, au surplus infirme et psychiquement déficient), que ces manifestations étaient réelles. Les voisins, les gendarmes, le curé du village en avaient été maintes fois les témoins. Ce dernier bénit même la maison et déposa des médailles de saint Benoit dans les tiroirs des meubles afin de faire cesser les phénomènes, mais sans résultats. » N’ayant lui-même rien observé, le professeur s’apprête à quitter la ferme, quand survient le gendre de la fermière, qui avait assisté à la plupart des manifestations, lesquelles « avaient manifestement provoqué en lui un certain état névropathique ». L’homme convie le Pr Tocquet à venir chez lui, car il y entendra à coup sûr des bruits inexplicables, moins forts que ceux qu’on entend chez sa belle-mère, mais sûrement de même nature. « Rendu à sa maison, rapporte Tocquet, j’entendis effectivement des bruits, mais ils étaient incontestablement produits par des rats qui avaient élu domicile entre le plancher et le plafond de la chambre et qui tantôt déambulaient ou se livraient à de véritables galopades, tantôt grignotaient quelques noix. Le doute n’était pas permis. »

Interprétation du Pr. Tocquet : « Une hantise, que je considère comme vraie, avait conduit à une interprétation incorrecte ». Mais qui nous dit qu’il n’y avait pas aussi des rats chez la belle-mère, entre des cloisons plus sonores, ou quelque autre cause naturelle de bruit ? Le Pr. Tocquet, qui n’a rien pu entendre dans la première maison, n’en conclut pas moins à l’authenticité de son Poltergeist, sur le témoignage du curé et des gendarmes, qui ont pu eux-mêmes être abusés. C’est vraiment fragile pour une enquête qui se veut scientifique ! Mais la conclusion est encore plus surprenante : « en règle générale, il convient d’être prudent dans l’appréciation des faits, car, dans une série de phénomènes authentiquement paranormaux, le “coup de pouce” peut être parfois donné par le médium au moment où il n’y a pas de manifestations. S’il est alors pris en flagrant délit de fraude par l’observateur, celui-ci est naturellement enclin à généraliser et à attribuer à la supercherie tous les faits constatés. » Bref, la prudence, pour l’enquêteur, ne consisterait pas à se défier des supercheries, mais, si par hasard une supercherie lui saute au nez, à ne pas se laisser influencer et à continuer de croire à l’authenticité des autres phénomènes paranormaux, y compris éventuellement ceux dont il n’a pas été lui-même le témoin.

Le plus beau, dans l’histoire qui vient d’être rapportée, c’est que les phénomènes paranormaux ne reprirent pas après la visite du Pr. Tocquet à la ferme, sans qu’il ait fait quoi que ce soit pour cela, mais, dit-il, « le fermier et surtout la fermière étaient convaincus que j’avais, en qualité de membre du comité de l’Institut métapsychique international, le pouvoir de commander aux forces maléfiques ». Succès d’autant plus flatteur que les médailles du brave curé, elles, étaient restées inefficaces. Convient-il de forcer la modestie du Pr. Tocquet en lui prêtant des pouvoirs paranormaux qu’il ne semble pas revendiquer, ou supposer que l’autosuggestion, après avoir suscité l’esprit frappeur, le fit aussi bien disparaître ? Ainsi guérissent les guérisseurs.

En notre seul XXe siècle, les parapsychologues ont archivé des milliers de témoignages sur les maisons hantées. Mais, ainsi que le note Robert Amadou, très rarement une de ces maisons a reçu la visite d’une commission compétente, munie d’un appareillage scientifique de contrôle et d’enregistrement. Pendant les quatre années qu’il dirigea l’Institut métapsychique, le Dr Geley ne fut alerté qu’une seule fois. En compagnie de Charles Richet, il se rendit sur les lieux, et les deux hommes passèrent plusieurs soirées à attendre les phénomènes annoncés. En vain.