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Les élixirs du Dr Bach : c’est le bouquet !

Publié en ligne le 9 juin 2021 - Pseudo-sciences -

À Jean Gunther, in memoriam

Hommage

Jean Gunther (1934-2020), considérant qu’Internet constituait tout à la fois un terrain de liberté et un espace propice à la diffusion de toutes les dérives pseudo-scientifiques, donna naissance à cette chronique « Sornettes sur Internet » en 2002, et l’anima jusqu’en 2009. Près de vingt ans après sa création, la prolifération et l’enchevêtrement des discours faussement scientifiques sur le net constituent hélas une démonstration éclatante de la lucidité de Jean et de la nécessité de poursuivre sans relâche un travail de promotion de notions aussi fondamentales que la plausibilité ou la vérifiabilité.

C’est un honneur pour l’auteur de ces lignes de lui avoir succédé à cette tâche en 2012. Jean Gunther nous a quittés le 29 novembre 2020 mais son exemple nous inspirera longtemps.

Les élixirs floraux de Bach, du nom du docteur éponyme, médecin homéopathe qui vécut entre le dix-neuvième et le vingtième siècle, sont des préparations médicinales à base de fleurs censées soigner l’individu en corrigeant ses émotions négatives. Il en existe 38 essences, et les petits flacons prolifèrent dans les pharmacies et sur Internet. Pourtant, aucun mécanisme biologique plausible ne justifie leur utilisation. Promenade dans un jardin pseudo-scientifique foisonnant.

Les émotions : des neurosciences…

Les émotions sont des phénomènes complexes qui ont fait l’objet de nombreuses approches théoriques au cours du vingtième siècle et dont la connaissance a fortement bénéficié, ces trente dernières années, de l’amélioration des techniques d’imagerie cérébrale. Ainsi, contrairement à ce qui a longtemps été admis, notamment dans l’approche de Paul Donald MacLean (1913-2007) qui avait fait l’hypothèse erronée (mais néanmoins fondatrice) de l’existence d’un système limbique concentrant les émotions, il n’existe pas de centre unique des émotions mais un système composé de plusieurs unités cérébrales reliées [1]. Ce qui n’empêche pas certaines structures d’être fortement impliquées dans des émotions précises. Les amygdales cérébrales 1 sont ainsi fortement mobilisées pour faire naître le sentiment de peur : ce sont elles qui nous font réagir de manière réflexe en face d’une menace potentielle, et c’est ensuite le cortex préfrontal qui modère ce réflexe s’il constate que la menace n’en est pas une. Autre exemple, le noyau accumbens 2 – sous l’influence de la dopamine, un neurotransmetteur – est connu pour être fortement impliqué dans le phénomène du plaisir.

Sans entrer dans plus de détails, on peut dire que la neuroanatomie des émotions est un champ d’investigation scientifique aussi passionnant que complexe et nécessitera encore de nombreuses décennies de recherche pour dresser une carte cohérente et précise des circuits cérébraux qui font naître ces phénomènes biologiques que nous appelons émotions.

…aux pseudo-sciences

Pourtant, malgré cette complexité, la fabrication cérébrale de nos émotions serait facilement domestiquée par des élixirs floraux. Cette capacité de compositions végétales à agir sur notre psyché ne doit – d’après ses partisans – rien au hasard, mais découle des observations attentives du docteur Edward Bach. En effet, c’est au cours d’une promenade au jardin que le médecin britannique « aurait, au contact de certaines plantes, ressenti diverses émotions » et aurait cultivé l’idée ensuite « de catégoriser nos émotions » en groupes correspondant « aux conflits intérieurs auxquels nous nous frottons chaque jour » puis de les associer aux fleurs [2]. De cette « expérience » ont germé 38 élixirs floraux censés agir sur nos émotions. Si l’on en croit le site Doctissimo, « les fleurs sont catégorisées en sept groupes émotionnels : la solitude, la sensibilité, la préoccupation excessive, le souci, la tristesse, le manque d’intérêt et l’incertitude » [3]. Quel que soit votre mal-être, vous trouverez donc forcément, avec quelques conseils de floro-pharmaciens et un bon effet Barnum 3, l’élixir qu’il vous faut ! Par exemple, si la lecture de cette chronique vous déprime, pas de soucis : lichez donc quelques gouttes d’ajonc d’Europe pour vous redonner « confiance et savoir-faire face aux difficultés » ou encore quelques gouttes d’un élixir d’églantier qui vous rendra votre « enthousiasme en la vie » [4]. Et même si vous souffrez d’un état d’anxiété profondément enraciné, le vieux Dr Bach et ses panégyristes modernes ont une solution pour vous : en plus de ces 38 élixirs, il existe le « complexe d’urgence » [5], un « mélange de cinq quintessences florales [qui] a ceci d’incroyable qu’il se combine à tous les types de personnalité lorsque le stress est à un niveau tel qu’il met en danger le corps physique [et] permet de rétablir en quelques minutes les mécanismes d’auto-rétablissement [et] une détente psycho-physique ».

L’Âme de la rose,
John William Waterhouse (1849-1917)

Loin d’être des remèdes de grands-mères hors de leur temps, les élixirs de Bach ont été acclimatés à nos styles de vie modernes et il existe un mode d’administration pour toutes les situations. On les trouve en spray, en pommade ou encore en pastilles, dont la boîte se glissera idéalement dans un sac à main ou bien un cartable d’écolier : en effet, même les enfants peuvent en profiter puisqu’il semble que ces décoctions florales les arment efficacement contre notamment « les peurs de la rentrée, les colères intempestives ou les difficultés à se concentrer » [6]… Décidément, les psychologues devraient en prendre de la graine, eux qui élaborent et suivent des protocoles de soins laborieux, basés sur les connaissances du fonctionnement du cerveau humain, pour aider les enfants en souffrance psychologique ou en difficulté cognitive, alors qu’il suffirait de leur offrir quelques pastilles de fleurs à suçoter…

Un véritable pot-pourri

Le savoir scientifique est le fruit d’une démarche d’acquisition des connaissances qui suit une logique bien déterminée. Au commencement est un objet qui bénéficie d’une définition, parfois sommaire. Des observations (y compris celles issues de modèles mathématiques) ou des mesures sur cet objet permettent aux scientifiques d’échafauder ou de modifier une construction théorique. Cette construction théorique doit être soumise à l’expérience, via une nouvelle phase d’observations ou de mesures qui permettra de la valider ou de la réfuter. La validation, comme la réfutation, de la construction théorique améliore la définition de l’objet étudié. Cette nouvelle définition sera la base d’un nouveau cycle. C’est ainsi que, petit à petit, les scientifiques construisent la connaissance du monde : par l’observation et la mesure.

Dans cette démarche, l’expérience personnelle, fût-elle celle du docteur Bach, n’a que peu de valeur. Comme le témoignage ou l’anecdote, elle constitue le plus faible degré de preuve scientifique. Il en va ainsi pour ses élixirs comme pour toutes les pseudo-sciences [7, 8] : un pot-pourri d’anecdotes personnelles, de témoignages invérifiables, de paroles d’experts ex nihilo et de pseudo-expériences biaisées par l’autoréalisation des prophéties. L’essaimage et la croissance – y compris dans les franges les plus instruites de la population – de ces pseudo-sciences aussi inefficaces que variées est une illustration frappante du constat que faisait un autre britannique, le chimiste Charles Percy Snow (1905-1980), lors de sa conférence « The two cultures » en 1959, constat qu’il exprimait en ces termes [9] : « Le grand édifice de la physique moderne se construit, et la majorité des gens les plus intelligents du monde occidental en savent à peu près autant que leurs ancêtres néolithiques. » Il est difficile mais néanmoins nécessaire d’admettre que cette situation décrite par Snow il y a soixante ans est très certainement encore vraie et que le futur ne sera efficacement et durablement débarrassé des superstitions et des sorcelleries qu’à la condition qu’un grand nombre d’enseignants, de scientifiques et de sceptiques sèment les graines de la pensée critique dans l’esprit des jeunes gens d’aujourd’hui.

Références


1 | Lostra F, « Le cerveau émotionnel ou la neuroanatomie des émotions », Cahiers critiques de thérapie familiale et de pratiques de réseaux, 2002, 29 :73-86.
2 | « Les fleurs de Bach, la thérapie émotionnelle par les plantes », sur le site metrotime.be
3 | « Fleurs de Bach : les élixirs floraux du Dr Bach », dossier sur le site doctissimo.fr
4 | « Comment choisir parmi les 38 fleurs de Bach », sur le site onatera.com
5 | « Tous les bienfaits des fleurs de Bach Rescue », sur le site maxisciences.com
6 | « Équilibre émotionnel : quelle fleur de Bach proposer à son enfant ? », sur le site doctissimo.fr
7 | Monvoisin R, « Fleurs de Bach : une action avérée sur l’esprit critique », Science et pseudo-sciences n° 273, juillet 2006.
8 | Axelrad B, « Des fleurs de Bach pour l’autisme », Science et pseudo-sciences n° 302, octobre 2012.
9 | Snow PC, The Two Cultures, Cambridge University Press, 1959.

1 Structure en forme d’amande présente dans chacun des hémisphères cérébraux, dans la région antéro-interne des lobes temporaux, et constituée de treize noyaux.

2 Structure du cerveau antérieur présente dans chacun des hémisphères cérébraux et impliquée dans le circuit de la récompense et la dépendance aux drogues.

3 Biais cognitif conduisant une personne à accepter une description large et floue comme reflétant fidèlement une situation, un comportement, une personnalité, par l’entremise de la sélection (inconsciente) dans cette description des seules informations qui confirment une idée préconçue.