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Les informations nutritionnelles : comment, pourquoi et pour qui ?

Publié en ligne le 7 mars 2025 - Alimentation -

Que contiennent les aliments que nous consommons ? Quels sont nos besoins nutritionnels ? Ces données sont indispensables pour élaborer des recommandations de santé publique, mais également pour informer les consommateurs afin de les aider dans leurs choix.

Au point de départ, il y a les « tables de composition des aliments » qui fournissent les teneurs en lipides, acides gras, glucides, sucres, protéines, sel, vitamines et minéraux des principaux aliments consommés. Ces données sont indispensables à de nombreux acteurs de la santé (agences de santé publique, nutritionnistes, médecins ou diététiciens), de la chaîne agro-alimentaire ou de la recherche (épidémiologie nutritionnelle).

À côté de ces données sont élaborées les « références nutritionnelles » qui décrivent les apports alimentaires en nutriments nécessaires en fonction des personnes et des situations (âge, sexe, niveau d’activité physique, état physiologique – femmes enceintes par exemple). Elles permettent également de compléter les tableaux d’informations réglementaires présents sur les emballages des aliments.

Les tables de composition des aliments

Les tables de composition nutritionnelle des aliments fournissent les teneurs en différents constituants de notre alimentation (glucides, sucres, protéines, lipides, acides gras, sel, vitamines, minéraux, etc.) ainsi que les valeurs énergétiques des aliments.

Historique
La table d’Atwater et Woods, publiée en 1896 aux États-Unis, est considérée comme l’ancêtre des tables de composition alimentaire modernes avec ses 2 600 analyses couvrant la plupart des catégories alimentaires. Une étape importante a lieu en 1949, après la Seconde Guerre mondiale, avec les tables publiées par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO) [1]. Depuis, la plupart des pays européens ont élaboré leurs propres tables de composition. En France, depuis 1985, c’est le Centre d’information sur la qualité des aliments (Ciqual, aujourd’hui rattaché à l’Anses) qui gère les tables officielles françaises de composition alimentaire. Accessibles en ligne gratuitement, elles offrent les données sur 67 composants pour 3 185 aliments dans leur version de 2020 [2].

La comparaison entre les anciennes tables et les nouvelles, malgré des différences méthodologiques considérables, permet de constater qu’il n’y a pas de déclin historique de la qualité nutritionnelle des aliments, alors que ce déclin est souvent proclamé comme résultat de l’alimentation « agro-industrielle » [3].

Élaboration des tables de composition
Les sources de données utilisées pour élaborer les tables de composition des aliments sont variées. Elles proviennent des acteurs de la chaîne alimentaire (industriels, distributeurs, interprofessions), de tables issues d’autres pays, mais aussi de campagnes d’analyse organisées spécifiquement. Les données les plus fiables, mais aussi les plus onéreuses, sont obtenues par ces campagnes d’analyses. En France, ce sont par exemple les « Études de l’alimentation totale » (EAT) qui ont pour objectif premier de « surveiller l’exposition des populations à des substances chimiques présentes dans les aliments » [4] ou encore l’étude Calipso qui a étudié les « bénéfices nutritionnels et les risques de contamination pouvant résulter d’une forte consommation de produits de la mer » [5].

Les tables de composition mises à disposition du public par le Ciqual fournissent pour chaque aliment une composition abrégée et une composition détaillée. La composition abrégée est limitée aux nutriments de l’étiquetage nutritionnel avec les valeurs moyennes pour 100 g ou 100 ml de produit comestible, les valeurs maximales, minimales et le code de confiance sur la qualité des données. La composition détaillée décrit jusqu’à 67 constituants, incluant différents modes de calcul de l’énergie ou de la teneur en protéines. La source des données est fournie pour chacun des constituants. Des « aliments virtuels » peuvent aussi être créés pour aider les nutritionnistes. Ainsi, le Ciqual définit l’aliment générique « fromage » ou « biscuit sec » en pondérant les compositions des différents produits de cette catégorie présents sur le marché par leurs parts de marché connues grâce aux enquêtes de consommation alimentaire.

Utilisation des tables de composition
Les tables de composition des aliments ont de nombreuses utilisations : épidémiologie, évaluation de l’état nutritionnel d’une population ou d’un individu, politique nutritionnelle et de santé, programmation de régimes spécifiques, éducation nutritionnelle et promotion de la santé, formulation des aliments, étiquetage nutritionnel, calcul de profils nutritionnel, etc. Les tables du Ciqual sont les plus appropriées pour le marché français, mais il peut être parfois nécessaire aux chercheurs d’utiliser, par exemple, les tables américaines plus complètes (jusqu’à 150 constituants).

Malgré la très grande variabilité de composition des mêmes aliments (selon la saison, les modes de culture, les modes de conservation et de préparation culinaire), les valeurs moyennes présentes dans les tables permettent un calcul réaliste de l’ingestion au long cours des différents nutriments par un sujet... dans la mesure évidemment où la qualité des recueils de consommation alimentaire est également correcte.

Les références nutritionnelles scientifiques

Les références nutritionnelles scientifiques décrivent les apports alimentaires permettant d’assurer la couverture des besoins en nutriments des différentes couches de la population. Elles servent aux gestionnaires de santé publique pour élaborer des repères de consommation, comme ceux, en France, du Programme national nutrition santé (PNNS) [6]. Mais elles sont également utilisées par les chercheurs et les spécialistes de nutrition et de diététique pour élaborer des régimes adaptés à des groupes de population spécifiques.

Élaboration des valeurs de référence nutritionnelles scientifiques
Des références nutritionnelles ont été publiées pour la première fois aux États-Unis en 1941 sous le nom de « Recommended Dietary Allowances » (RDAs). En France, la première édition des Apports nutritionnels conseillés pour la population française a été publiée en 1981. Depuis, les évolutions sont considérables, tant en termes de références que de méthodologie.

Deux types d’études ont été spécifiquement conçues pour établir ces valeurs de référence nutritionnelles. Les « études de bilan », utilisées surtout pour les protéines (bilan azoté) et les minéraux, consistent à mesurer les entrées (ingestion d’un nutriment) et les sorties (excrétion d’un nutriment, essentiellement par les selles et les urines) ; on considère que les besoins sont couverts quand le bilan est équilibré, c’est-à-dire que les sorties sont égales aux entrées. Les « études de déplétion-réplétion » sont surtout utilisées pour les vitamines. Le principe consiste à supprimer du régime alimentaire la vitamine étudiée jusqu’à épuisement des réserves, puis à la réintroduire progressivement à des doses contrôlées en suivant l’évolution de marqueurs (biologiques et cliniques).

Ces études expérimentales présentent deux limitations majeures : la première est qu’elles sont conduites principalement sur des sujets adultes (pour des raisons éthiques) ; la deuxième est qu’elles ne sont conduites que sur une durée relativement courte (généralement de quelques semaines). Des études épidémiologiques permettent de pallier ces limitations.

La Table du petit déjeuner, Leo von König (1871-1944) Nationalgalerie, Berlin

En France, comme au niveau européen, cinq valeurs caractérisent ces références nutritionnelles : le besoin nutritionnel moyen, la référence nutritionnelle pour la population, l’apport satisfaisant, la limite supérieure de sécurité et l’intervalle de référence pour les glucides et les lipides (voir encadré).

Utilisation des valeurs de référence nutritionnelles scientifiques
Nous l’avons vu, dès 1941 aux États-Unis, ces données ont été utilisées pour définir des recommandations individuelles. L’idée était que, pour être sûr de couvrir ses besoins, il fallait avoir un apport au moins égal à ces données de référence. Cette approche a longtemps prévalu, comme l’illustre la proposition d’harmonisation faite par un groupe de travail de l’OMS en 2007 [7]. Toutefois, il a été constaté qu’atteindre les valeurs préconisées n’était possible pour de nombreux individus (en respectant un apport énergétique correct) qu’en ayant recours à la supplémentation à travers des compléments alimentaires ou d’aliments enrichis, avec in fine des apports trop importants pour certains individus. Cette approche normative explique peut-être l’importante consommation de compléments alimentaires aux États-Unis (puis en Europe) ainsi qu’une différence culturelle entre les pays anglo-saxons et les pays latins sur la relation à l’alimentation (davantage fondée sur les nutriments et leurs liens avec la santé, avec une forte responsabilité individuelle pour les premiers, et davantage sur les aliments, sources de convivialité et de plaisir, pour les seconds) [8]. Aujourd’hui, les grandes synthèses de la littérature scientifique ne mettent pas en évidence un intérêt de ces supplémentations en vitamines et minéraux pour la prévention des maladies chroniques responsables des grands problèmes de santé publique (notamment maladies cardio-vasculaires et cancers) [9, 10]. Des risques d’effets délétères insoupçonnés au départ ont même été mis en évidence [11].

Ces constats ont conduit l’Efsa à mettre l’accent sur la séparation entre les références (élaborées sur la seule considération des liens entre le nutriment et la santé, et repères pour l’évaluation des risques nutritionnels) et les objectifs ou recommandations (gestion des risques nutritionnels, prenant en compte explicitement d’autres contraintes, telles que la faisabilité et l’intérêt dans un contexte donné) [12].

Les valeurs de référence


Les valeurs de référence nutritionnelles[1], en France comme au niveau européen, sont décrites autour de cinq éléments[2] :

Besoin nutritionnel moyen (BNM). C’est l’apport journalier d’un nutriment qui couvre les besoins de 50 % des individus d’une population, en tenant compte de la digestion et de l’absorption moyenne de ce nutriment à partir des aliments ; c’est la meilleure estimation du besoin individuel. Ainsi, par exemple, en France, le BNM en vitamine A pour une femme âgée de 18 ans ou plus est de 490 μg par jour (équivalent rétinol, une des formes de la vitamine A). Pour la femme enceinte, il est de 540 μg par jour.

Référence nutritionnelle pour la population (RNP). Cette valeur est obtenue à partir du BNM en estimant l’apport qui couvre en théorie presque toute la population (97,5 % dans la plupart des cas). De fait, cette valeur est supérieure aux besoins d’une grande partie des individus. Pour la vitamine A, la RNP pour les femmes de plus de 18 ans est de 650 μg par jour.

Apport satisfaisant (AS). C’est une valeur proposée pour certains nutriments quand il n’est pas possible de mesurer un BNM et donc de calculer une RNP. Elle est généralement fondée sur des valeurs d’apport observées dans une population considérée comme n’ayant pas de problème de santé lié à un déficit d’apport pour ces nutriments. Ainsi, l’apport satisfaisant d’iode a été fixé à 150 µg par jour, valeur qui a été observée comme associée à une fréquence minimale de goitre dans une population.

Limite supérieure de sécurité (LSS). C’est un niveau d’apport maximal qui peut être consommé sans risque sur une longue période. Si un dépassement occasionnel de cette valeur est considéré comme sans risque, un dépassement chronique augmente les risques d’effets indésirables liés à ce nutriment. L’Efsa a fixé la LSS de la vitamine A à 3 000 µg par jour.

Intervalle de référence (IR). C’est l’intervalle d’apports en glucides et en lipides considérés comme satisfaisants pour le maintien de la population en bonne santé. En effet, les lipides et les glucides sont des mélanges complexes pour lesquels seule la considération des études épidémiologiques permet de fixer un intervalle d’apport associé à une bonne santé. Il est caractérisé par une fourchette en pourcentage de l’apport énergétique fourni par ces deux classes de nutriments. Ainsi, pour la population adulte, il est recommandé d’avoir entre 35 à 40 % de l’apport énergique total sous forme de lipides et 40 à 55 % sous forme de glucides (et le reste sous forme de protéines).

Références
1 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Actualisation des repères du PNNS : élaboration des références nutritionnelles », Rapport d’expertise collective, décembre 2016. Sur anses.fr

2 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Les références nutritionnelles en vitamines et minéraux », page web, 23 avril 2021. Sur anses.fr

Les repères alimentaires et l’information des consommateurs

L’Homme se nourrit d’aliments et non de nutriments… Les références nutritionnelles pour les nutriments doivent donc être traduites en recommandations en termes d’aliments. Les repères de consommation du PNNS en France (équivalents aux Food-Based Dietary Guidelines des pays anglo-saxons) visent à répondre à ce besoin [13]. Par ailleurs, ces recommandations doivent pouvoir être insérées dans des messages facilement compréhensibles pour les consommateurs.

Depuis 2011, les industriels ont obligation d’apposer un étiquetage sur les aliments pré-emballés incluant la valeur énergétique, la quantité des matières grasses, d’acides gras saturés, de glucides, de sucres, de protéines et de sel. Cette obligation réglementaire impose également des critères stricts de présentation. Par exemple, les quantités exprimées doivent être ramenées à 100 g ou 100 ml de produit [14]. Nous sommes maintenant tous familiers de cet étiquetage du « profil alimentaire ». Toutefois, leur interprétation n’est pas toujours aisée ; est ainsi apparu l’intérêt de les présenter, de façon complémentaire, sous une forme plus synthétique et plus facile à comprendre, sur la face avant de l’emballage, afin de faciliter et orienter les choix des consommateurs vers des aliments considérés comme meilleurs pour la santé.

Par ailleurs, le public étant particulièrement sensible à ces questions de santé, les allégations nutritionnelles en la matière qui peuvent être mises en avant par les industriels (publicité ou étiquetage) ont été fortement réglementées (en 2006 au niveau de l’Union européenne, voir encadré suivant).

Les scores nutritionnels
À destination des consommateurs, ces scores visent à les aider dans leurs choix alimentaires et à les orienter vers des achats vertueux. Les questions soulevées sont nombreuses : faut-il un profil pour l’ensemble des aliments ou un profil par catégorie d’aliments ? Vaut-il mieux de grandes catégories (par exemple les produits laitiers) ou un nombre plus important de catégories plus fines (par exemple : fromages, produits laitiers ultra-frais, desserts lactés) ? Fautil se limiter aux nutriments dont l’étiquetage est obligatoire ou au contraire considérer plus de nutriments d’intérêt pour la santé publique ? Les profils normatifs (ou interprétatifs) qui synthétisent la qualité nutritionnelle globale de l’aliment en le classant du meilleur (vert) au moins bon (rouge) sont-ils préférables aux profils descriptifs (ou informatifs) ?

L’Épicerie (détail), Gerrit Dou (1613-1675)

De fait, au moins une quarantaine de systèmes ont été proposés dans la littérature scientifique au cours des deux dernières décennies, que ce soit par des chercheurs académiques, des sociétés savantes, des agences sanitaires, des consultants, des industriels (qui les ont utilisés pour améliorer en interne la qualité nutritionnelle de leurs produits) ou des distributeurs. Le NutriScore adopté en France n’est ainsi que l’un des systèmes possibles. Citons aussi le NutrInform Battery proposé par l’Italie en 2019 [15] ou le Multiple Traffic Light system (système de feux tricolores mis en place au Royaume-Uni en 2013 [16] et qui fait figure de pionnier).

La comparaison des résultats de classement des aliments par les différents systèmes interprétatifs montre généralement une bonne concordance aux extrémités de la distribution, mais des différences parfois importantes dans les classes médianes (voir par exemple la comparaison par l’Anses du système proposé par la FCD et du système 5-C, devenu NutriScore) [17]).

La réglementation des allégations santé et nutritionnelles



Qu’est-ce qu’une allégation ?

Une allégation est un message, figurant sur certains emballages alimentaires ou accompagnant le produit (publicité, site Internet), qui fait état des propriétés sanitaires ou nutritionnelles des aliments ou de leurs composants. D’un point de vue réglementaire :

  • une allégation est dite nutritionnelle quand elle fait référence à la teneur d’un nutriment dans un aliment. Elle indique par exemple « riche en calcium » ou « riche en vitamine C » quand le produit apporte au moins 30 % des apports journaliers recommandés en calcium ou vitamine C ;
  • une allégation est dite de « santé » quand elle met en exergue un lien entre un nutriment ou un aliment et l’état de santé. Une allégation santé peut revendiquer la diminution d’un facteur de risque (par exemple : « Les oméga 3 réduisent le cholestérol sanguin qui est un facteur de risque cardio-vasculaire »), mais elle ne peut pas comporter de mention thérapeutique indiquant que tel nutriment prévient (diminue le risque d’une maladie), traite ou guérit une maladie (par exemple : « Le calcium prévient l’ostéoporose » n’est pas [une mention] autorisée pour les aliments).

Comment les allégations sont-elles réglementées ?

Les allégations font l’objet d’un cadre harmonisé à l’échelle européenne (Règlement 1924/2006). Les allégations nutritionnelles autorisées sont inscrites à l’annexe du règlement. Depuis 2007 et l’entrée en vigueur de ce texte, c’est l’Efsa qui est chargée d’évaluer les allégations de santé a priori, c’est-à-dire avant la mise sur le marché, et c’est la Commission européenne qui établit le registre d’allégations autorisées.

Afin de constituer ce registre, la Commission européenne a centralisé l’ensemble des demandes d’allégations génériques (qui font le lien entre un nutriment et une fonction de l’organisme) transmises par les États membres, soit plus de 44 000, et en a réalisé une sélection (suppression des doublons, etc.), pour aboutir à une liste unique d’un peu plus de 4 100 allégations. L’Efsa a terminé l’évaluation de ces allégations, à l’exclusion de celles portant sur des substances botaniques (1 500 allégations) pour lesquelles les modalités d’évaluation doivent être définies par la Commission. Un registre présentant la liste des allégations autorisées à ce jour est publié et accessible sur le site de la Commission européenne.

Source
Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Les allégations : définition, cadre réglementaire et rôle de l’Anses », 10 décembre 2012. Sur anses.fr

L’évaluation des scores nutritionnels
La validation d’un système de profilage nutritionnel doit être étudiée à plusieurs niveaux (de complexité croissante) : sa capacité à discriminer les aliments au sein d’une catégorie et entre les catégories, sa conformité aux recommandations alimentaires, sa capacité à influencer le choix des consommateurs, sa capacité à améliorer la qualité nutritionnelle du régime global du consommateur et, finalement – c’est son objectif central – sa capacité à réduire les problèmes de santé publique liés à la nutrition (tels qu’obésité, cancer, maladies cardiovasculaires).

Les recherches ont progressivement apporté des éléments de réponse, surtout pour les systèmes soutenus par de grosses équipes de recherche.

Les premières validations des systèmes de profilage nutritionnel ont été faites par comparaison avec l’avis d’experts en nutrition sur les mêmes aliments. Des méthodes plus objectives ont ensuite été proposées, par exemple fondées sur la comparaison avec des recommandations alimentaires existantes [18, 19]. Ainsi, en 2024, la mise à jour de l’algorithme à la base du Nutri-Score a produit des résultats jugés par ses concepteurs conformes aux recommandations alimentaires du PNNS pour 85 % des critères étudiés [20].

L’efficacité de différents systèmes sur le comportement du consommateur a fait l’objet, en 2021, d’une analyse de la littérature scientifique existante (méta-analyse) [21]. Il ressort de cette étude, malgré les limitations méthodologiques relevées (sur les 134 études incluses dans la méta-analyse, seulement 8 ont été effectuées en conditions réelles d’achat), que tous les systèmes semblent efficaces pour orienter le consommateur vers des achats plus « vertueux » (favoriser les achats de produits plus sains ou décourager les achats de produits moins sains selon les systèmes étudiés).

Enfin, en ce qui concerne l’influence des systèmes de scores nutritionnels sur la santé, objectif ultime, seules des modélisations sont actuellement possibles, confirmant ce qu’on pouvait attendre : c’est-à-dire qu’un régime mieux équilibré (ici mesuré grâce aux profils nutritionnels) a un impact favorable sur la diminution de la mortalité liée aux maladies chroniques [22]. L’effet réel éventuel de ces scores alimentaires ne pourra être mesuré, s’il existe, qu’après un temps relativement long.

En outre, dans la réalité, l’effet ne pourra se concrétiser qu’en présence d’évolutions favorables de l’offre alimentaire globale et d’absence d’effets contre-productifs sur le comportement des consommateurs, deux éléments que les données de la littérature ne permettent pas encore d’assurer [23].

Le Nutri-Score
En 2017, en France, à la suite notamment de nombreuses concertations entre les différents acteurs de la chaîne alimentaire et d’une expérimentation de grande ampleur en conditions réelles d’achat, le ministère de la Santé a décidé de promouvoir par arrêté l’utilisation du NutriScore pour les industriels volontaires [24] (de nombreux documents concernant le Nutri-Score sont accessibles sur le site du ministère [25]). Le Nutri-Score se présente sous la forme d’un logo apposé en face avant des emballages et fondé sur une échelle de cinq couleurs (du vert foncé à l’orange foncé, associé à des lettres allant de A à E) indiquant la qualité nutritionnelle de l’aliment. La marque Nutri-Score est gérée par Santé publique France (l’agence nationale de santé publique sous la tutelle du ministère de la Santé), sur le site de laquelle on trouve le règlement d’utilisation et les algorithmes de calcul [24].

Le bilan en juin 2023 du déploiement du Nutri-Score fait état de l’engagement de 1 197 entreprises et 62 % des volumes des ventes de ces entreprises [26]. Cependant, si 98 % des marques de distributeurs sont déjà engagées, la progression de la part des marques nationales est modérée depuis 2021. Notons que l’industrie agro-alimentaire a longtemps rejeté les profils nutritionnels en général et le Nutri-Score en particulier [27], ce dont témoignent les réticences de nombreuses grandes marques nationales à utiliser ce dernier.

Cuisine de Puebla, artiste mexicain anonyme (XIXes.)

Le Nutri-Score a officiellement fédéré autour de lui sept pays européens (Allemagne, France, Espagne, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Suisse) qui participent à un Conseil scientifique international commun.

En attendant une décision européenne qui devrait normalement faire intervenir un avis scientifique consultatif de l’Efsa, la bataille fait rage dans les journaux scientifiques, mais également dans l’espace public. L’analyse de la littérature scientifique révèle différents réseaux de co-citations plus ou moins homogènes et indépendants, dont celui du Nutri-Score, qui conduiraient à négliger des résultats plus fragmentés dans la littérature scientifique, résultats qui pourraient contribuer à promouvoir d’autres systèmes tout aussi valides [28]. La controverse est particulièrement vive entre les concepteurs, évaluateurs et promoteurs du Nutri-Score et les soutiens de systèmes alternatifs, en partie fédérés autour de l’Italie [29]. La question des conflits d’intérêt et des biais de citations occupe une place importante. Par exemple, certains affirment que toutes les études publiées par des équipes liées au Nutri-Score seraient en faveur de ce système alors que seule la moitié des publications par des équipes qui en sont indépendantes le serait [30] (ce qui suscite une âpre discussion [29, 31]). D’autres mettent en cause les liens avec l’industrie dans l’explication de biais de publication [32].

Conclusion

Ce débat passionnel occulte malheureusement des arguments scientifiques parfaitement recevables par toutes les parties prenantes. En 2017, l’Anses, dans un premier avis relatif aux systèmes d’information nutritionnels [33], notait que son analyse « ne permet pas de juger l’éventuel effet [de ces systèmes] sur des déterminants de la santé des populations, ce qui fonderait pourtant l’essentiel de leur pertinence ». Elle ajoutait que la démarche sous-jacente à ces systèmes d’information « s’oppose à la complexité fondamentale des relations entre l’alimentation et la santé qui s’apprécient en considérant simultanément le régime alimentaire pris dans sa globalité, les aliments consommés, les apports en nutriments et autres substances et l’exposition aux contaminants. [Ces systèmes] se cantonnent à l’échelle des teneurs en nutriments et ne considèrent que quelques nutriments. En outre, la composition nutritionnelle d’un aliment n’a de sens qu’au regard de sa contribution effective à l’équilibre réalisé dans le cadre du régime. Il s’agit là d’une incapacité structurelle de tout système d’information qui se réduit à l’échelle de l’aliment isolé sans projection dans le régime. »

Dans un avis de 2023 [34], l’Anses « rappelle son questionnement quant à la capacité du NutriScore à régler, à lui seul, les déséquilibres nutritionnels de la population, en particulier s’il n’est pas associé à d’autres mesures fortes, de nature à agir à la fois sur les comportements individuels (accompagnement, formation, prise en compte de la portion, relation avec l’activité physique) ».

Il est illusoire d’espérer définir un système parfait, comme d’attendre indéfiniment une impossible validation définitive et consensuelle, avant l’adoption d’un système de profilage (le choix final ne peut pas relever que de la science). Considérant l’importance de la bibliographie accumulée, le Nutri-Score constitue un candidat incontournable.

Il convient en effet de garder en tête que les scores nutritionnels constituent un simple outil technique qui ne produira des effets positifs que s’il est intégré à une politique plus globale dans laquelle l’éducation alimentaire (et pas seulement nutritionnelle) au bien manger doit conserver une place de choix.

Références


1 | Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, « Catalogue international des tables et bases de données sur la composition des aliments », site de données, 20 octobre 2022. Sur fao.org
2 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Ciqual : table de composition nutritionnelle des aliments ». Sur ciqual.anses.fr
3 | Gueguen L, « Le prétendu déclin de la valeur nutritionnelle des aliments », SPS n° 321, juillet 2017. Sur afis.org
4 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Les études de l’alimentation totale (EAT) : pour une approche réaliste des risques nutritionnels et sanitaires liés à notre alimentation », 19 février 2019. Sur anses.fr
5 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Étude Calipso : bénéfices et risques d’une forte consommation de produits de la mer » 2 janvier 2013. Sur anses.fr
6 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Actualisation des repères du PNNS : élaboration des références nutritionnelles », Rapport d’expertise collective, décembre 2016. Sur anses.fr
7 | King JC, Garza C, “Harmonization of nutrient intake values”, Food and Nutrition Bulletin, 2007, 28 :S3-12.
8 | Fischler C, Masson E, Manger : Français, Européens et Américains face à l’alimentation, Odile Jacob, 2008.
9 | National Institutes of Health State-of-the-Science Panel, “Multivitamin/mineral supplements and chronic disease prevention”, Annals of Internal Medicine, 2006, 145 :364-71.
10 | US Preventive Services Task Force, “Vitamin, mineral and multivitamin supplementation to prevent cardiovascular disease and cancer”, Journal of the American Medical Association, 2022, 327 :2326-33.
11 | Manson JE, Bassuk SS, “Vitamin and mineral supplements : what clinicians need to know”, Journal of the American Medical Association, 2018, 319 :859-60.
12 | European Food Safety Authority, “Dietary reference values”, FAQ, 5 août 2024. Sur efsa.europa.eu
13 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « L’Anses actualise les repères de consommations alimentaires pour la population française », 23 janvier 2017. Sur anses.fr
14 | Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, « Déclaration nutritionnelle sur les denrées alimentaires », fiches pratiques. Sur economie.gouv.fr
15 | Carruba MO et al., “Front-of-pack (FOP) labelling systems to improve the quality of nutrition information to prevent obesity : Nutrinform Battery vs Nutriscore”, Eating Weight Disorders, 2021, 27 :1575-84.
16 | Braesco V, Drewnowski A, “Are front-of-pack nutrition labels influencing food choices and purchases, diet quality, and modeled health outcomes ? A narrative review of four systems”, Nutrients, 2023, 15 :205.
17 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Faisabilité de la classification des aliments selon l’algorithme proposé par la FCD : comparaison des résultats obtenus à ceux du système 5-C intégrant les ajustements du HCSP »,Rapport, mars 2016.
18 | Arembepola et al., “Validating a nutrient profile model”, Public Health Nutrition, 2008, 11 :371-8.
19 | Darmon N et al.,“Nutrient profiles discriminate foods according to their contribution to nutritionally adequate diets : a validation study using linear programming and the SAIN,LIM system”, The American Journal of Clinical Nutrition, 2009, 89 :1227-36.
20 | Sarda B et al., “Consistency of the initial and updated version of the Nutri-Score with food-based dietary guidelines : a French perspective”, The Journal of Nutrition, 2024, 154 :1027-38.
21 | Song et al., “Impact of color-coded and warning nutrition labelling schemes : a systematic review and network meta-analysis”, Plos Medicine, 2021, 18 :e1003765.
22 | Egnell M et al., “Modelling the impact of different front-of-package nutrition labels on mortality from non-communicable chronic disease”, International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity, 2019, 16 :56.
23 | Ikonen L et al., “Consumer effects of front-of-package nutrition labeling : an interdisciplinary meta-analysis”, Journal of the Academy of Marketing Science, 2020, 48 :360-83.
24 | Santé publique France, « Nutri-Score », 1er juillet 2024. Sur santepubliquefrance.fr
25 | Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, « NutriScore : un étiquetage nutritionnel pour favoriser une alimentation équilibrée », page web Nutrition, 9 août 2024. Sur sante.gouv.fr
26 | Observatoire de l’alimentation, « Suivi du Nutri-Score par l’Oqali », bilan annuel, 2023. Sur oqali.fr
27 | Kalonji E, « Étiquetage nutritionnel : points de vérification », Association nationale des industries alimentaires, 29 septembre 2017. Sur ania.net
28 | Mazzu MF et al., “Uncovering the effect of European policymaking initiative addressing nutrition-related issues : a systematic literature review and bibliometric analysis on front-of-pack labels”, Nutrients, 2022, 14 :3423.
29 | Donini LM et al. “Front-of-pack labels : ‘directive’ versus ‘informative’ approaches”, Nutrition, 2023, 105 :111861.
30 | Peters S, Verhagen H, “Coming from opposite parts of the spectrum of interpreting studies about Nutri-Score : suggestion of publication bias cannot be denied”, PharmaNutrition, 2024, 28 :100387.
31 | Équipe de recherche en épidémiologie nutritionelle (EREN), “Rebuttal of the claims against the Nutri-Score made by two lobbyists in PharmaNutrition in an effort to discredit academic research”, blog, 2024. Sur nutriscore.blog
32 | Besancon S et al., “A study is 21 times more likely to find unfavourable results about the nutrition label Nutri-Score if the authors declare a conflict of interest or the study is funded by the food industry”, BMJ Global Health, 2023, 8 :e011720.
33 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « L’analyse de la pertinence en matière de nutrition de systèmes d’information nutritionnelle destinés au consommateur », Avis de l’agence, 2017. Sur anses.fr
34 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Projet d’arrêté fixant la forme de la présentation complémentaire à la déclaration nutritionnelle recommandée sur les denrées alimentaires ‘NutriScore’ », Note d’appui scientifique et technique, 2023. Sur anses.fr