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Pas d’influence de la planète Mars sur les performances sportives

Publié en ligne le 12 juillet 2004 - Astrologie -
Ce texte a été publié dans les Cahiers rationalistes en 1998. Rédigé par Jean-Paul Krivine, il rend compte des résultats d’un travail collectif piloté à une étape ou une autre par Claude Benski, Dominique Caudron, Yves Galifret, Jean-Paul Krivine, Jean-Claude Pecker, Michel Rouzé et Evry Schatzman.

Une version plus détaillée a été publiée en anglais en 1996 par Prometheus Book sous le titre The Mars Effect.

Une des plus importantes études jamais réalisée sur l’astrologie

Il y a environ deux ans étaient rendus publics les résultats d’une des plus importantes études jamais menées sur l’astrologie [1] . Cette étude menée par le Comité Français pour l’études des phénomènes prétendus paranormaux (CFEPP) à laquelle l’Union rationaliste a beaucoup contribué est importante à plus d’un titre. Tout d’abord, le protocole mis en place a été défini en commun avec Michel Gauquelin, l’auteur de la théorie astrologique mise à l’épreuve. Ensuite une méthode rigoureuse d’expérimentation a été mise en œuvre : constitution de l’échantillon, vérification des actes de naissance dans les mairies, etc. On retrouve très rarement cette rigueur (et qui implique une importante logistique) lorsque les partisans des parasciences expérimentent eux-mêmes leurs théories. Enfin, les résultats ont été vérifiés indépendamment par un statisticien hollandais 1. L’ensemble des données, les fichiers et résultats sont disponibles pour quiconque voudrait refaire tout ou partie de l’étude 2.

Pourquoi cette étude ? Pourquoi dépenser tant d’énergie pour chercher à vérifier des fariboles reprocheront certains ? Parce que justement, et quoiqu’en disent les partisans des parasciences, nous ne rejetons pas l’astrologie par a priori, ou parce qu’aucun raisonnement logique ne pourrait l’expliquer. Mais tout simplement nous faisons nôtre ce que disait le regretté Isaac Asimov [3] : « “Ne croyez-vous pas aux soucoupes volantes ? [...] Ne croyez-vous pas à la télépathie ? Ne croyez-vous pas aux anciens astronautes ? Au triangle des Bermudes ? En l’après vie ?” Je réplique : “non ! Non, non, non, non et encore une fois non !” Récemment, une personne poussée au désespoir par la litanie monotone de mes dénégations a éclaté : “ne croyez-vous en rien ? Si, répondis-je, je crois en la preuve. Je crois en l’observation, je crois aux mesures et à la raison confirmées par des observateurs distincts. Je crois en tout, peu importe la bizarrerie ou le ridicule, s’il y a une preuve. Toutefois, plus quelque chose sera bizarre et ridicule, plus la preuve devra être ferme et solide” ».

Et chaque fois qu’un protocole sérieux peut être mis en place, nous acceptons l’expérimentation. Or il y a beaucoup de théories astrologiques, presque autant que d’astrologues. Difficile dans ces conditions de mener une étude rigoureuse sur un objet aussi mal défini. L’astrologie de Michel Gauquelin fait un peu exception. Elaborée en France à partir des années 1950, cette théorie ne fera pas réellement recette dans son pays d’origine. C’est aux USA qu’elle trouvera ses adeptes et son succès. Pour une fois que le New-Age traverse l’atlantique dans ce sens-là, cela mérite d’être mentionné. L’étude que nous relatons revêt donc une importance toute particulière pour les rationalistes d’outre-Atlantique confrontés au problème. Ceci explique la parution des résultats en langue anglaise.

Un protocole mis au point et accepté par les deux parties

Dans l’étude des parasciences, il est bien rare qu’un protocole soit élaboré et accepté par les deux parties. Les partisans des parasciences préfèrent dénoncer un prétendu ostracisme des scientifiques et mettre en avant de pseudo-expériences réalisées par leurs soins, en marge de toute démarche rigoureuse. Or l’étude rapportés ici a été le produit d’un protocole commun donnant ainsi plus de force aux résultats obtenus.

Revenons sur la genèse de cette histoire. En mars 1981, la revue Science & Vie publiait une étude de Michel Rouzé sur la « néo-astrologie » de Michel Gauquelin. Cette théorie affirme l’influence du passage de certaines planètes dans des secteurs précis du ciel au moment de la naissance d’un individu. En particulier, la planète Mars favoriserait la naissance de grands champions sportifs. S’appuyant sur des études menées aux États-Unis 3, Michel Rouzé contestait la réalité de cet effet Mars.

À la suite de cet article, Michel Gauquelin et Science & Vie demandaient au Comité Français pour l’Etude des Phénomènes Paranormaux de prendre en charge une nouvelle expérimentation. Les différentes parties se sont mises d’accord sur un protocole expérimental (publié dans Science & Vie n° 781, oct. 1982).

La difficulté de la mise au point d’un protocole expérimental sur l’astrologie tient à la définition trop vague et trop subjective de son objet. Les traits évoqués dans les horoscopes sont loin d’être des entités reconnues et précises au sens psychologique du terme. Il se trouve, à l’inverse, que l’astrologie de Michel Gauquelin se prête bien à une analyse rigoureuse (que Michel Gauquelin prétendra d’ailleurs avoir menée, justifiant ainsi sa conversion d’une attitude critique envers l’astrologie à une adhésion forte, du moins à la théorie qui porte son nom). Le caractère de grand sportif peut en effet se définir avec des critères relativement objectifs et peu contestables.

Le choix de l’échantillon des sportifs

C’est l’élément central de l’étude. Il faut que l’échantillon soit incontestable, que sa composition soit exempte de biais et ne puisse pas faire l’objet de la moindre critique. L’échantillon des mille sportifs français a donc été constitué à partir de dictionnaires sportifs référençant les meilleurs athlètes présents et passés (dictionnaire Leroy et l’Athlège). Ces dictionnaires ne peuvent pas être soupçonnés de sélectionner leurs entrées en fonction de la position de la planète Mars. Par ailleurs, le protocole stipulait que les champions retenus devaient être nés avant 1950, pour éliminer le biais des naissances médicalement déclenchées.

Les date et heure de naissance ont été obtenues auprès des mairies. Cette partie a nécessité plusieurs années de travail : les lieux de naissance des athlètes n’étaient pas toujours indiqués, obligeant à des recherches parfois complexes, il fallait ensuite demander copie des actes de naissance, effectuer des relances auprès de certaines mairies, etc. Il était parfois même nécessaire de se rendre directement sur place. Des moyens importants ont été mis en œuvre. Ajoutons que les fiches d’état civil, parfois rédigées il y a plus d’un siècle, sont dans certains cas difficiles à interpréter (confusions entre l’heure de naissance et l’heure de la déclaration, entre l’heure du matin et de l’après-midi, écriture manuscrite peu lisible, etc.).

Le calcul de la position de la planète mars s’appuie sur l’heure exprimée en temps universel. Or les actes d’état civil font référence à l’heure légale. Il a fallu donc déterminer le décalage entre l’heure légale et l’heure réelle, décalage qui a pu varier selon les régions et les époques. Ainsi, jusque 1890 les horloges marquaient l’heure moyenne de la localité. Mais le développement du transport ferroviaire ne pouvait s’accommoder d’une telle variabilité des horaires. Ainsi, au 1er janvier 1890, Lyon et Marseille alignent leur heure légale sur celle de Paris. Le 15 mars 1891 la loi promulguant une heure légale unique sur tout le territoire est publiée au journal officiel. Elle s’applique donc partout, sauf en Alsace et Moselle alors allemandes. Un système d’heure d’été et d’heure d’hiver est ensuite introduit en 1916. A ceci vient se superposer deux horaires différents pendant la dernière guerre, selon que l’on se trouve en zone occupée ou non[Une carte à l’échelle 1:5.000.000 et reproduite dans L’histoire de la France contemporaine a été utilisée. Celle-ci n’était toutefois pas assez précise pour décider si Hauteville-Lompnes était en zone occupé ou non. Il a fallu téléphoner directement à la mairie du village.]. Les sportifs considérés sont nés entre 1816 et 1950. On imagine la difficulté du travail nécessaire pour s’assurer d’une date de naissance valide exprimée en temps universel pour chacun des sportifs.

Tout ceci explique la durée relativement importante de l’étude. Finalement, après élimination des sportifs dont les informations de naissance étaient incomplètes, 1066 éléments ont été retenus.

Mars ne favorise pas les sportifs, Vénus non plus d’ailleurs

La suite de l’étude, calculs astronomiques et analyse statistique était plus simple à réaliser. La détermination des positions de la planète Mars a été faite en utilisant un programme de calcul tiré de [3] .
Appelons "Secteurs-1-et-4" les personnes nées lorsque la planète Mars se trouvait dans les secteurs 1 ou 4 de M. Gauquelin (secteurs devant favoriser la naissance de sportifs). Des 1066 sportifs d’origine, 200 s’avèrent ainsi être des "Secteurs-1-et-4".

Restait alors à comparer cette proportion (200 contre 866) à la proportion existant dans une population de référence. Le protocole initial prévoyait la constitution d’un groupe de contrôle de 10 000 personnes ayant un profil « astrodémographique » comparable (lieu de naissance en particulier). La difficulté pour obtenir ces éléments pour les 1066 sportifs laissait entrevoir le travail insurmontable qu’il aurait fallu accomplir pour 10.000 personnes. Conformément à une méthode déjà mise en œuvre par Michel Gauquelin lui-même, le protocole a été modifié : l’échantillon de contrôle a été constitué par permutations aléatoires sur les caractéristiques des échantillons des 1066 sportifs. Un groupe de contrôle fictif de 85280 personnes a ainsi été constitué. Le nombre de personnes nées lorsque Mars était en secteur 1 ou 4 a été déterminé de la même manière que pour l’échantillon initial. 15521 ont été trouvées.

Le test statistique approprié et conforme au protocole est un test du Chi2 à un degré de liberté.
La différence de fréquence (18,76% chez les sportifs contre 18,2% dans la population de référence) n’est statistiquement pas significative. En termes concrets, le test ne met en évidence aucune influence de Mars sur la naissance de futurs champions (en termes techniques, la valeur de p pour le test du Chi-2 est de 0,63).
Ainsi donc, aucun effet Mars n’a été décelé. On peut même noter une fréquence plus importante de naissances de grands sportifs lors de la présence de la planète Vénus dans les secteurs clés : 207 contre 200. Cette fréquence n’est cependant pas plus significative d’une influence de Vénus. C’est dommage, il aurait été sympathique de voir Venus l’emporter sur le dieu de la guerre auprès des sportifs.

Oreiller de plume

Selon le mot de Michel Rouzé, « raisonner avec les astrologues, c’est boxer avec un oreiller de plumes : on l’enfonce en un point, il se regonfle ailleurs ». Michel Gauquelin, de son vivant (il s’est suicidé le 20 mai 1991 en donnant instruction au psychologue Suitbert Ertel de détruire l’ensemble des données de ses études) a suivi pas à pas la progression de l’étude. Il a suggéré des additions et des retraits de noms dans l’échantillon.

Ces modifications non justifiées ont été rejetées. Mais l’analyse a montré le fort biais des suggestions faites (une section spéciale de l’étude publiée à Prometheus Books est consacrée à l’analyse des propositions de Michel Gauquelin). On a donc, en vain, essayé de trouver des failles et des biais dans le protocole.
Les résultats de l’étude, son sérieux, son crédit (elle est co-signée par plusieurs personnes, dont deux astrophysiciens de renommée internationale, membres de l’Académie des sciences) n’ont malheureusement pas empêché le succès croissant de la théorie aux États-Unis. Des grandes chaînes de radio consacrent des émissions régulières à l’affaire Gauquelin. Un psychologue allemand, ami de Michel Gauquelin, le Professeur Suitbert Ertel, a même suggéré comment regonfler l’oreiller de plume : un effet d’importance aurait été négligé, et il faudrait prendre en compte une hiérarchie dans la valeur des différents sportifs ! Suitbert Ertel est depuis régulièrement invité par les radios américaines.

Ceux qui croient en l’effet Mars, comme tous ceux qui croient aux diverses pseudosciences, se trouveront toujours des raisons de croire, trouveront toujours des « faits » pour conforter leur opinion, dusse cette opinion se faire contre les faits et la réalité. Et ils réclameront toujours plus fort des expérimentations, ils dénonceront toujours d’avantage une prétendue chape de plomb de la « science officielle », mais continueront à ignorer les résultats existants et les études rigoureusement menées.

Références


[1] Claude Benski et al., The Mars Effect, Prometheus Books, 1996.
[2] Asimov I, Les moissons de l’intelligence, L’Horizon Chimérique, 1990 (republié chez Book-e-Boo), traduit de l’américain The Roving Mind, Prometheus Books, 1983.
[3] Bouiges S, Calcul astronomique pour amateurs, Masson, 1982.

1 J.W. Nienhuys, dont le commentaire sur l’étude est reproduit dans l’ouvrage « The Mars Effect » précité.

2 Plusieurs annexes accompagnent le livre « The Mars Effect ». En particulier, la liste complète des sportifs retenus avec leurs coordonnées « astrodémographiques » (lieu et heure de naissance) est reproduite.

3 mentionnons une étude du Comité Para belge portant sur 535 sportifs (1967) ainsi qu’une autre étude menée aux Etats-Unis terminée en 1980 et portant sur 408 champions américains. La préface de Paul Kurtz au livre The Mars Effect revient sur l’ensemble de l’affaire Gauquelin. Il nous faut également mentionner l’ouvrage de Paul Couderc L’astrologie paru dans la collection Que sais-je ? et qui contenait un excellent chapitre sur cette affaire. L’ouvrage est maintenant introuvable, les responsables de la collection ayant décidé de remplacer le livre de Couderc (pourtant réédité cinq fois entre 1951 et 1974) par un autre ouvrage, sous le même titre, mais rédigé par une adepte de cette discipline, Madame Suzel Fuzeau-Braesch


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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