Nombre de reproduction de base, nombre de reproduction effectif et dynamique d’une infection

Le nombre de reproduction de base d’une infection est le nombre moyen de personnes qu’un individu contagieux va contaminer directement, au début de l’épidémie, quand personne n’est immunisé dans la population. On le note R₀. C’est un paramètre utile car il détermine la proportion de la population qu’il faut vacciner pour éviter la circulation du virus. La formule générale donnant cette proportion est (R₀-1)/R₀. Ainsi, si R₀ vaut 3 par exemple (valeur actuellement estimée pour le SARS-CoV-2), il faut vacciner plus des deux tiers de la population pour que le virus ne circule pas. Le R₀ de la rougeole étant d’environ 15, il faut une couverture vaccinale de plus de 14/15 (93 % environ) pour éviter les épidémies de rougeole.

On estime la valeur de R₀ en modélisant la dynamique de l’épidémie à son début, c’est-à-dire la dynamique de la série temporelle soit du nombre de cas par jour, soit du nombre d’hospitalisations par jour, soit du nombre de décès par jour. Les modèles sont variés et nécessitent des données complémentaires : durée pendant laquelle une personne est contagieuse ou délai entre la contamination du contaminant et celle du contaminé. On dispose donc de plusieurs estimations qui varient selon la méthode et les données utilisées.

Si l’on étudie la dynamique de l’épidémie de Covid-19 à ses débuts dans différents pays développés, on constate qu’en dehors de la Corée du Sud où l’on a très rapidement commencé à contrôler l’épidémie, l’évolution du nombre de décès est remarquablement similaire. Ceci est un argument en faveur d’un nombre de reproduction de base identique dans ces différents pays, donc indépendant de la structure d’âge et de la densité de la population, ainsi que de la distanciation sociale traditionnelle (embrassade, etc.).

Il ne faut pas confondre R₀ avec le nombre de reproduction du moment qui, lui, dépend de la proportion des personnes déjà immunisées dans la population et des mesures de précaution. Ce nombre est noté Re pour R effectif. Par erreur, les autorités et certains médias ont souvent appelé R₀ le R effectif du moment considéré.

L’estimation du nombre de reproduction effectif dépend de la série temporelle utilisée, du modèle et des estimations des paramètres supplémentaires. On en trouve donc plusieurs estimations, notamment dans le point épidémiologique hebdomadaire publié par Santé publique France ou en ligne sur le site d’une équipe de modélisation de l’université de Montpellier [1]. Dans le point épidémiologique hebdomadaire du 4 mars 2021 [2], on trouve ainsi plusieurs estimations pour le nombre de reproduction effectif en France métropolitaine selon la série temporelle utilisée. Si l’on utilise les données virologiques (tests positifs), on obtient un R effectif de 1,07 alors qu’en partant des données d’hospitalisation, on obtient 0,98. Les intervalles de confiance à 95 % de ces deux estimations sont (1,06-1,07) et (0,96-1,00), donc disjoints, indiquant des valeurs non compatibles. On a donc le choix entre une estimation pour laquelle l’épidémie augmente car la borne inférieure de l’intervalle de confiance est supérieure à 1 et une estimation qui dit qu’elle n’augmente pas (la borne supérieure est égale à 1).

On attribue au statisticien George Box (1919-2013) l’affirmation selon laquelle « tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles ». C’est sur cette base que, en tant qu’épidémiologiste, je préfère surveiller l’épidémie directement à partir des séries temporelles observées et pense qu’une focalisation sur le R effectif du moment pour en déduire une progression ou une régression de l’épidémie est pour le moins imprudente.