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Un sondage sur les croyances au paranormal

Publié en ligne le 27 novembre 2005 - Paranormal -
par Jocelyn Bézecourt - SPS n°259 octobre 2003

Véritables baromètres de la société, ou supposés l’être, les sondages examinent régulièrement l’état de l’opinion. La validité de leur description de la population repose sur la fiabilité d’outils statistiques appliqués à des échantillons fréquemment réduits à un millier de personnes. Afin, de mieux cerner la popularité de l’irrationnel dans le public, et son poids sociologique, un sondage a été réalisé en mars 2003 par l’Institut CSA pour le quotidien Le Monde et l’hebdomadaire catholique La Vie. Intitulé Les français et leur croyances, il est la continuation d’un travail déjà effectué en 1994 et il reprend les mêmes questions pour une étude comparative de l’évolution des mentalités.

Alors qu’il est coutumier de se faire peur en évoquant un retour de l’obscurantisme et des superstitions, l’enquête apporte un démenti cinglant à cette pseudo invasion des tenants de l’occulte. Non, les français ne s’abandonnent pas plus aux diverses formes de croyances irrationnelles qu’il y a dix ans ; non, ils ne sombrent pas dans une désillusion qui les pousserait aujourd’hui davantage qu’auparavant dans les serres des gourous, la tendance pourrait même être inversée.

La première des questions posées, la plus générale aussi et qui par conséquent indique la tendance des résultats de l’ensemble du sondage, concerne la nature des agents extérieurs qui influencent notre vie. 29% des personnes interrogées leur attribuent une origine surnaturelle alors qu’elles étaient 44% en 1994. Une telle diminution montre, à l’évidence, un plus grand réalisme dans l’appréciation du monde environnant en reconnaissant le rôle des conditions économiques, sociales ainsi que notre propre volonté dans le chemin suivi tout au long de notre existence au détriment de causes ésotériques. Dans l’éventualité où la croyance dans les fausses sciences peut résulter d’expériences surnaturelles, seuls 26% de l’échantillon pense avoir été en contact avec un tel phénomène, alors que le sondage de 1994 en recensait 35%. Là encore la différence est réelle.

Sur les prouesses plus diverses des charlatans, l’adhésion montre une même baisse (les données du sondage de 1994 sont indiquées entre parenthèses) : 46% (54%) pensent que les prières sont parfois exaucées, 42% (57%) acceptent la réalité des miracles, 37% (60%) avouent se fier à l’astrologie, 23% (46%) font confiance aux voyantes (le sondage ne précise pas pourquoi le féminin est employé pour cette classe d’escrocs...), pour 22% (29%) les objets sacrés recèlent un réel pouvoir et 21% (41%) croient à la sorcellerie et aux envoûtements. Si l’irrationnel imprègne encore une part non négligeable de la population, son rejet a fortement augmenté depuis 1994 de 15% en moyenne.

Mais la mort demeure une question sur laquelle une majorité des personnes interrogées conserve une attitude irrationnelle : 59% rejettent qu’il n’y ait rien au-delà, c’est la proportion la plus forte en faveur des thèses paranormales. Alors que la croyance aux fantômes ou autres apparitions fugaces n’a que peu d’implications sur la vie des adeptes, celle de l’existence d’un stade post-mortem hante beaucoup plus les consciences et la peur du néant précipite dans la croyance en un au-delà. La peur et l’angoisse ont toujours été les alliées inséparables des croyances les plus absurdes.

Enfin, il faut analyser avec prudence les descriptions que les personnes questionnées font d’elles-mêmes. La proportion très élevée de sondés qui se présentent comme rationalistes, 52% (22%), ne s’accorde pas nécessairement avec le rejet des fausses sciences. Il n’est pas inhabituel de s’affirmer rationaliste tout en adoptant un comportement contraire. Le terme de "rationalisme", comme celui de "science"”, peut être accaparé pour le label de sérieux qu’il véhicule par ceux-là mêmes qui n’en montrent aucune des caractéristiques dans leurs convictions.

L’étude comparative proposée par CSA n’est pas la seule à la disposition des analystes. Le sociologue Daniel Boy a examiné cinq sondages réalisés de 1982 à 2000 1 où les thèmes abordés avaient trait à onze indicateurs de la croyance au paranormal (guérison par magnétiseur, transmission de pensée, astrologie, sorcellerie, voyance, etc.). De façon assez similaire pour toutes ces croyances particulières, l’auteur ne notait aucune augmentation de l’adhésion à l’irrationnel dans la population française. Cette conclusion réfute donc l’assertion, déjà évoquée, d’un retour de l’irrationnel dans une époque de haute technologie. Mais, contrairement aux sondages de l’Institut CSA réalisés en 1994 et 2003, aucune diminution n’apparaît dans ces vingt années d’études des croyances au paranormal. Là où le sondage CSA 2003 montre une diminution de 10% à 20% par rapport à 1994, les sondages SOFRES étudiés par Daniel Boy font état d’un niveau constant dans ces croyances. La différence provient essentiellement du sondage CSA de 1994 qui conduit à des valeurs beaucoup plus élevées que celles obtenues par Boy, les données CSA 2003 et SOFRES 2000 étant du même ordre.

Quoi qu’il en soit, les deux études s’accordent pour conclure qu’il n’y a pas actuellement de recrudescence de l’irrationnel. Le retour de l’ésotérisme et autres croyances fantaisistes n’est, précisément, qu’une croyance supplémentaire sans aucun fondement et détruite par l’expérience et une analyse statistique rigoureuse, les meilleurs outils à la disposition du chercheur.

1 Daniel Boy, Revue française de sociologie, 43-1, 2002