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Comme un vol d’étourneaux

Publié en ligne le 25 février 2023
Comme un vol d’étourneaux
Une introduction personnelle à la science de la complexité
Giorgio Parisi
Flammarion, 2022, 208 pages, 20 €

Giorgio Parisi est un physicien théoricien italien. Il décrit dans ce livre autobiographique, son parcours fait d’allers-retours entre différents domaines depuis la physique des particules jusqu’à la science de la complexité, pour laquelle ses travaux fondamentaux furent reconnus par le prix Nobel de physique en 2021.

Cette discipline recherche les mécanismes universels d’émergence de comportements complexes dans des ensembles de systèmes simples en interaction. Elle permet d’aborder, dans un même cadre conceptuel et technique, des problèmes aussi abstraits que les verres de spins 1 mais, bien plus près de notre expérience commune, les vols d’étourneaux. Qui n’a jamais été étonné par ces étonnants ballets aériens aux mouvements changeants et semble-t-il coordonnés que pourtant aucun chorégraphe 2 ne dirige ? Le livre commence ainsi par « more is different », « la question des interactions est importante ».

Les premiers chapitres sont un exposé instructif, très accessible et personnel, de la méthode scientifique moderne en physique. L’auteur relate tout d’abord le parcours pour obtenir les financements nécessaires puis la difficulté de l’acquisition de données de terrain de qualité. Commencent alors l’analyse pour dégager des faits signifiants de la masse des informations collectées et la confrontation qui en découle avec les surprises qu’ils opposent à l’intuition a priori. Vient enfin le véritable travail de théoricien face à un problème fondamentalement nouveau. L’auteur insiste sur les efforts techniques et conceptuels considérables qu’il a déployés pour dégager un modèle cohérent des phénomènes observés. Puis il constate avec une satisfaction mêlée peut-être d’une pointe de regret que finalement, le modèle abouti est si simple et élégant ; a posteriori, naturellement. Ne lui reste plus, si l’on peut dire, qu’à susciter l’intérêt et vaincre les réticences de la communauté scientifique au sujet d’une thématique originale et de ses méthodes novatrices.

Il aborde dans les chapitres suivants des aspects plus biographiques du jeune physicien qu’il était dans les années 70 où « tout le monde » en Italie faisait de la physique théorique, héritage du grand Fermi. Et il insiste à nouveau sur l’inventivité, qui n’est sans doute pas propre au physicien théoricien, c’est-à-dire « l’énorme quantité de travail » qui finalement disparaît une fois les concepts et outils de portée générale dégagés.

La seconde partie du livre est plus philosophique et revient – de façon personnelle, toujours, mais assez classique sur le fond – sur la créativité en sciences, le rôle fécond et les dangers des analogies entre disciplines différentes, ce qu’il estime être une fausse opposition entre créativité et rigueur du raisonnement.

L’auteur discute enfin certains aspects plus sociologiques des sciences et des technologies qui en découlent. Il regrette les tendances « antiscientifiques » du grand public telles que « les pratiques astrologiques ou homéopathiques », ainsi que la réticence à certaines applications, comme celle du « mouvement antivax » en particulier. De façon un peu convenue on pourra regretter qu’il les attribue à un défaut de pédagogie des scientifiques. On pourrait discuter ce point et arguer par exemple que quels que soient les mérites et les efforts des scientifiques (ou d’une revue comme la nôtre), ils se heurtent aussi à une désinformation, voire une manipulation, qui n’a jamais été aussi puissante.

Cet ouvrage, de lecture facile et plaisante, est ainsi plus le témoignage d’un parcours scientifique exceptionnel, nourri de réflexions de nature autobiographique, philosophique et sociologique sur la physique telle qu’elle se pratique, qu’une initiation pédagogique « à la science de la complexité » contrairement à ce que pourrait laisser penser le sous-titre.

1 Ce sont des systèmes désordonnés (verres) dans lesquels des impuretés peu nombreuses (spins) interagissent de façon plus ou moins intense en fonction de leur distance et orientations aléatoires.

2 De nombreux travaux montrent une profonde analogie entre les verres de spins et de nombreux systèmes tels les vols d’étourneaux ou les bancs de poissons qui interagissent entre eux de façon très limitée par leurs sens et leurs capacités cognitives. Inversement, cela peut avoir, dans notre quotidien, des conséquences surprenantes : en limitant la vitesse sur autoroute les jours de pointe on diminue le temps de trajet, en mettant un poteau au milieu d’une issue de secours on facilite l’évacuation : une petite modification des comportements individuels par cette contrainte visible de tous peut avoir des conséquences considérables sur le comportement collectif.


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Auteur de la note

Renaud Mathevet

Maître de conférences à l’Université Paul Sabatier à (...)

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