Comment marche vraiment le monde
Publié en ligne le 22 juin 2025Vaclav Smil, préface de Jean-Marc Jancovici

Vaclav Smil est, entre autres, membre de la Société royale du Canada et récipiendaire du prix 2000 de l’AAAS (Association américaine pour l’avancement des sciences) 1 pour la compréhension publique de la science et de la technologie. Il est également un auteur prolifique ayant près de quarante ouvrages à son actif mais qui n’avaient encore jamais été traduits en français 2. Les habitués de Jean-Marc Jancovici, qui a écrit la préface, remarqueront aisément la similitude des deux discours sur le rôle vital de l’énergie. Ainsi les deux auteurs se désolent de l’ignorance des terriens sur les raisons pour lesquelles leur confort est inégalé depuis l’aube de l’humanité.
V. Smil essaye donc de combler cette ignorance largement répandue tout en s’abstenant d’aller en profondeur expliquer le fonctionnement des technologies qui nous entourent et qui participent à notre confort. Il part plutôt de leurs origines pour nous donner une vision du chemin parcouru depuis l’utilisation de l’énergie par les premières formes de vie jusqu’à nos jours, à la manière d’un roman d’aventure, l’aventure humaine, et à travers les thématiques énergie, production alimentaire, matériaux (béton, acier, ammoniac, plastique). La mondialisation, sans laquelle nous ne pourrions pas bénéficier desdits matériaux, est donc aussi abordée.
Il montre également pourquoi nous dépendons de plus en plus de ces technologies. Il n’est dorénavant plus possible de s’en passer, au moins dans un avenir proche, bien qu’elles ne soient pas compatibles avec les exigences de la préservation des limites planétaires.
L’ouvrage déborde de chiffres (mais pas de calculs) qui pourraient en rebuter certains, malgré un glossaire pour aider à « comprendre les nombres ». Ceux-ci restent cependant indispensables pour expliquer que passer à un monde plus sobre en énergie et en matériaux sera beaucoup plus long que ce que les exigences de la lutte contre le réchauffement climatique demandent. Et cela à cause, en particulier, des quantités faramineuses de matériaux con-sommées chaque année pour répondre aux besoins croissants de la population et améliorer les conditions de vie dans les pays où les objectifs de développement durable définis par l’ONU sont loin d’être atteints.
L’auteur aborde ensuite la question des risques alors qu’au moment où il écrit, la pandémie de Covid-19 n’est pas terminée. Il souligne que les dangers auxquels nous faisons face suscitent nombre de perceptions erronées et d’évaluations irrationnelles des risques, exacerbés par les médias et certaines études de piètre qualité. Il nous rappelle que le public est plus motivé par la crainte de ce qui est inconnu ou mal compris que par une évaluation comparative des conséquences réelles de notre inaction. Cette irrationalité, explique-t-il, nous pousse à exiger l’impossible : une existence sans aucun danger.
Le chapitre sur l’environnement nous rappelle que la satisfaction des trois exigences vitales – respirer, manger, boire – peut avoir un rôle plus ou moins destructeur sur les neuf limites planétaires 3 à ne pas dépasser si l’espèce humaine veut conserver un environnement sûr. Et comme « manger » est l’activité humaine ayant le plus d’impact sur la Terre, l’auteur en conclut qu’augmenter les rendements agricoles, manger moins de viande sans en gâcher et réduire les pertes alimentaires sont indispensables pour limiter nos effets néfastes sur l’environnement, de manière significative mais pas suffisante. Et à ceux qui sont avides de solutions, ce sont à peu près les seules que V. Smil donne dans ce livre : en effet, il n’évoque la décroissance et d’autres modifications de comportement à l’échelle mondiale que pour les balayer d’un revers de main.
Selon l’auteur, on savait depuis longtemps que l’on dégradait notre environnement mais nous n’avons rien fait et les seules mesures efficaces et concrètes résultent d’effets collatéraux d’avancées techniques générales. Nous aurions cependant pu faire mieux, dit-il, bien qu’il n’existe pas de solution rapide, universelle et d’un coût modéré.
Pour ce qui est du réchauffement climatique, il critique tout autant la vision apocalyptique des « prophètes de malheur » que celle des « technos-optimistes ». Il juge les scénarios de transition énergétique plus proches de romans de science-fiction délibérément construits pour être effrayants ou merveilleux. Ils sont peu crédibles aussi bien techniquement qu’écologiquement, et négligent les réalités socio-économiques.
Pour lui, les « efforts visant à éviter la consommation inutile d’énergie, à réduire la pollution de l’air et à offrir des conditions de vie plus confortables devraient être des impératifs permanents. »
Lorsqu’il regarde vers l’avenir, V. Smil avoue ne pas savoir si ces objectifs seront tenus mais n’imagine pas de fin prématurée des temps.
Cependant il ne voit pas notre monde d’ici vingt ou trente ans dans une situation fondamentalement différente de celle d’aujourd’hui, en raison de l’inertie de la transition énergétique, de la lenteur de la nécessaire coopération mondiale ainsi que des moyens considérables à mettre en œuvre.
Les échecs révélés lors des crises, comme l’impréparation à la récente pandémie de la Co-vid-19, offrent des illustrations coûteuses et convaincantes de notre incapacité récurrente à prendre soin de l’essentiel.
Être pessimiste, ou sceptique comme il se définit lui-même, quant à l’avenir de l’humanité, même à l’échelle d’une génération, c’est être honnête. Mais tant que nous utiliserons avec détermination et persévérance toutes nos connaissances, il restera un avenir.
Un livre utile pour éviter les discours simplistes qui font fi de la réalité du monde.
1 https://web.archive.org/web/20131021185535/http://www.aaas.org/aboutaaas/awards/public/public_winners.shtml
2 Depuis la sortie de ce livre en 2024, un autre de ses livres, 2050 : Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible, est aussi disponible aux éditions Arpa.
Partager cet article
Auteur de la note
Climat

Réchauffement climatique : les fondements du consensus
Le 6 septembre 2019
Vidéo - Conférence Tempête sur les écosystèmes marins
Le 22 janvier 2025
Y a-t-il une accélération du réchauffement climatique ?
Le 21 décembre 2024